Gaz de schiste : le grand boum international (17/02/2013)

énergie, gaz de schiste, géologie, pollution industrielle, fracturation hydraulique, hydrocarbures, Emmenée par les états-Unis, la course aux hydrocarbures paraît officiellement lancée à l’échelle internationale. Disposant de réserves estimées non négligeables, la France n’est pas sans porter un certain intérêt à l’affaire.

C’est peut-être l’une des plus importantes offensives opérées dans le secteur privé énergétique depuis la révolution pétrolière : les gaz de schiste et plus globalement les hydrocarbures non conventionnels reviennent de manière détonante sur le devant de la scène. Emmenée par les États-Unis, dont la production de gaz de schiste – shale gas, dit-on là-bas – est passée de 1 %, au début des années 2000, à près de 35 % en 2011, la course paraît officiellement lancée entre des nations qui voient dans cet hydrocarbure new age l’opportunité d’une redistribution des cartes géopolitiques. Avec toujours une même menace en toile de fond : explosif économiquement, le grand rush des gaz de schiste pourrait l’être également écologiquement.

Pour être apparus récemment sur la scène médiatique, les gaz de schiste ne sont pas à proprement parler une donnée nouvelle, ni pour les géologues ni pour les pétroliers. On fait remonter la toute première production, réalisée à Fredonia, dans l’État de New York, à 1821. « Certaines, même, verront le jour en France vers 1930, aux alentour d’Autun », rappelle Jean Laherrère, géologue et président d’ASPO France .

Très coûteuses, à l’époque, toutes ses exploitations seront vite abandonnées dès lors que le gaz conventionnel émergera sur le marché. La crise pétrolière des années 1970 relancera l’intérêt des producteurs, lesquels impulseront la recherche dans ce domaine. Mais c’est au début des années 2000 que les gaz de schiste commenceront à devenir réellement rentables. L’amélioration de la technologie dite de fracturation hydraulique, née en 1949, y contribuera largement. La perspective d’un pick oil pétrolier et gazier, c’est-à-dire d’un plafonnement puis d’une diminution des ressources facilement exploitables, leur conférera leur valeur actuelle.

Les États-Unis ont été les premiers à se lancer massivement dans la production, non sans un certain succès économique. On y compterait plus de 100 000 puits en fonctionnement. De 20 milliards de mètres cubes en 2005, la production des gaz de schiste y serait passée à 220 milliards en 2011. Cerise sur le derrick : de pays importateur de gaz, la puissance est devenue, en quelques années, exportatrice et ne serait plus très loin de se hisser au rang de premier producteur mondial. Alors que l’AIE, agence américaine de l’énergie, estime les réserves exploitables à 25 000 milliards de mètres cubes, la machine paraît ne pas être prête à s’arrêter de sitôt. Le pays toutefois n’est plus seul en lice.

La Chine, qui dispose de la plus vaste réserve estimée – le qualificatif « estimé » est important – commence, elle aussi, à distribuer des permis d’explorer. Pékin envisagerait d’extraire 6,5 milliards de mètres cubes dès 2015, et 100 milliards en 2020.

L’Inde suit de près, qui vient de signer un contrat avec Shell. Autre grand champ de possible estimé, l’Amérique latine n’est pas en reste. Le Mexique qui disposerait de près de 20 milliards de mètres cubes récupérables, envisage de relancer sa production d’hydrocarbure, de même que l’Argentine.

Les industriels privés mènent le bal.

Point commun à ces situations ? Ce sont, dans tous les cas de figure, les industriels privés qui mènent le bal. Exxon en Amérique du Nord, Shell en Asie, Chevron en Lituanie ou en Argentine : les industriels sont à l’offensive, visant chaque marché, draguant chaque pays prêt à lui vendre ses ressources. Forums et autres sommets régionaux, réunissant acteurs publics et privés, se sont multipliés en 2012. On parle de 1 000 milliards de dollars investis dans les hydrocarbures non conventionnels cette même année. Et la France dans tout cela ? Elle n’est pas sans manifester d’intérêt au potentiel dont l’a affublée l’EAI. Selon les pronostics de l’Agence américaine, l’Hexagone disposerait de 5 300 milliards de mètres cubes de gaz de schiste techniquement récupérables, un volume qui la placerait au premier rang des pays producteurs européens, devant le Royaume-Uni, la Pologne et la Norvège.

La perspective n’est pas sans faire mouche du côté des politiques. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangère, et même Michel Rocard, ancien premier ministre et actuel « ambassadeur des pôles », ne masquent pas leur enthousiasme vis-à-vis d’une perspective, qui, affirment-ils, pourrait permettre à la France de se désempêtrer de sa dépendance chronique aux importations de gaz naturel, notamment de Russie.

Encore faut-il que les projections de l’IEA se réalisent. En Pologne, alors qu’elle estimait à 5 290 milliards de mètres cubes les ressources techniquement récupérables, le Polish Geological Institute les a évaluées, après prospection, entre 350 et 700 milliards de mètres cubes.

Encore faut-il, aussi, que l’exemple américain soit transposable. « Nous n’avons ni le même sous-sol géologique, ni les mêmes surfaces, ni le même Code minier… ni les mêmes gens », relève ainsi Bruno Goffé, directeur de recherche et délégué scientifique géo-ressource à l’Institut national des sciences de l’univers. Alors qu’en France le sous-sol et ses ressources appartiennent à l’État, aux États-Unis, ils appartiennent au propriétaire du terrain. « Si les gens ont accepté une telle expansion des exploitations de gaz de schiste là-bas, c’est parce qu’ils tiraient un très bon prix de la vente de leurs terres », souligne ainsi Jean Laherrère.

La confusion entre ressources et réserves

Encore faut-il, enfin, que l’exemple américain ne soit pas qu’un feu de paille. « Tout le monde se lance dans le rush des gaz de schiste comme dans une chasse à l’or, mais, pour le moment, ce sont surtout les vendeurs de pelles qui font fortune », reprend le président de l’Aspo. Car le boum a aussi ses travers, et pour accroître la production de gaz, il en a également fait baisser le cours. De 12 dollars l’équivalent baril en 2008, le prix a chuté à moins de 4 dollars en 2012. Le gaz de schiste n’y paraît plus aussi avantageux qu’affirmé. La société Cheasapeack, premier producteur et premier propriétaire de réserve estimée en 2009, a revendu et se retrouve, trois ans après, endettée d’une dizaine de milliards de dollars. Dans le Dakota du Nord, où les puits se sont multipliés comme des petits pains tous les cinquante mètres, les compagnies se réorientent vers la production d’huile de schiste et en viennent à torcher 40 % du gaz produit.

La faute à la confusion entretenue entre ressources et réserves exploitables. La faute, surtout, à des compagnies que la production de gaz n’intéresse que lorsqu’elle génère un profit optimal. Une démonstration de mauvais augure pour qui cherche à sécuriser sa production énergétique.

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