Djibouti Le régime de Guelleh, néocolonie et dictature féroce (20/03/2013)
Sur ce confetti de l’ex-empire, devenu une sorte de porte-avions français stratégique à l’entrée de la mer Rouge, le dictateur Ismaïl Omar Guelleh réprime l’opposition, qui revendique la victoire aux législatives du 22 février.
À Djibouti, une implacable chasse aux sorcières est engagée. Sont visés, les responsables et les militants de l’Union pour le salut national (USN), la coalition de l’opposition qui revendique la victoire aux élections législatives du 22 février.
Vendredi, dans les rues de la capitale, de violents heurts ont opposé les protestataires aux policiers, qui n’ont pas hésité à tirer à balles réelles. Bilan : au moins dix morts. Les arrestations se comptent par centaines. Selon Omar Ali Ewado, de la Ligue djiboutienne des droits de l’homme (LDDH), plus de mille personnes ont été interpellées depuis le début du processus électoral. « Des détenus politiques sont sauvagement torturés à la prison de Gabode. La répression est terrible.
On torture en public, jusque dans la rue », s’alarme-t-il. Dimanche, trois figures de l’USN, placées sous mandat de dépôt depuis le 27 février, ont été déférées devant le parquet. Abdourahman Barkat, Abdourahman Bachir et Guirreh Meidal sont inculpés pour « incitation à l’insurrection ». Ils risquent chacun trois ans de prison ferme et dix ans d’inéligibilité. L’audience a été reportée au 10 mars.
Les arrestations arbitraires, les humiliations, l’intimidation ne dissuadent pourtant pas les citoyens de Djibouti de poursuivre un mouvement d’une ampleur inédite. Ce mardi, l’USN appelle à une grande manifestation sur la route de Venise, l’un des grands axes de Djibouti-Ville. « Les Djiboutiens refusent de laisser le gouvernement s’emparer de la victoire du peuple en inversant les résultats.
Un bras de fer est engagé avec ce régime dictatorial et népotique », résume Abatté Ebo, vice-président du Mouvement pour le développement et la liberté (Model), une composante de l’opposition issue de la société civile. Dans cette néocolonie qui abrite la principale base militaire française à l’étranger et l’unique base américaine en Afrique, on s’interroge sur l’attitude de Paris. « La France est une complice passive de la répression. À la télévision djiboutienne, l’ambassadeur de France n’a pas hésité à louer la transparence du scrutin », se désespère Omar Ali Ewado.
À Djibouti, où la torture est quotidienne, le despote qui l’ordonne s’est fait plus féroce encore après que le vent de révolte venu de Tunis a jeté, au printemps 2011, des milliers de Djiboutiens dans la rue. Depuis ce 18 février 2011, date de la plus importante manifestation depuis l’indépendance, une répression d’une rare violence s’abat sur les opposants et sur les défenseurs des droits humains.
Les disparitions, les arrestations arbitraires sont monnaie courante. Dans les commissariats, dans les casernes militaires, en prison, les actes de torture et les mauvais traitements infligés à des opposants, des étudiants, des syndicalistes, des journalistes, des bergers sont systématiques. « D’innombrables personnes sont passées entre les mains des tortionnaires.
Des familles, surtout en brousse, peuvent rester plusieurs mois sans nouvelles d’un proche enlevé par les services de sécurité du régime », témoigne Mohamed Kadamy, président d’un parti frappé d’interdiction, le Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie (Frud), qui a lui aussi connu les geôles d’Ismaïl Omar Guelleh avant d’être contraint à l’exil. Impossible de recenser toutes les victimes de cette dictature féroce. Certains détenus meurent sous la torture, comme Abdallah Mohamed Abdallah, qui a rendu son dernier souffle dans les locaux de la gendarmerie, le 3 février 2011. Il avait eu l’outrecuidance de dégrader le véhicule d’un homme d’affaires saoudien.
Sur ce confetti de l’ex-empire, devenu une sorte de porte-avions français stratégique à l’entrée de la mer Rouge et face au golfe d’Aden, le sort des opposants n’émeut pas les autorités de l’ex-puissance coloniale, attachées à Ismaïl Omar Guelleh comme à un fondé de pouvoir obéissant.
« Réélu » pour un troisième mandat en avril 2011, après avoir trafiqué la Constitution et organisé une mascarade électorale boycottée par l’opposition, Guelleh reçoit, malgré la corruption, le népotisme, la violence politique, un soutien inconditionnel de la France. Au point, relève l’association Survie, que « c’est bien pour préserver à tout prix le vieil ami Guelleh (…) que l’État français ment de façon éhontée » sur l’affaire Borrel, du nom de ce magistrat français assassiné à Djibouti en octobre 1995. « Des témoignages, dont celui d’un ex-membre de la garde présidentielle, Mohamed Saleh Alhoumekani, mettent en effet directement en cause le président Guelleh et son entourage dans l’assassinat du juge Borrel », rappelle l’association de lutte contre la Françafrique. Le 21 décembre 2011, le dictateur Guelleh était reçu à l’Élysée pour parapher le nouvel accord de défense entre la France et Djibouti.
À la clé, le maintien d’une précieuse manne pour la famille régnante, avec le loyer mensuel de la base militaire française, qui s’élève à 2,5 millions d’euros. Soit 30 millions d’euros par an, dont les Djiboutiens ne voient pas la couleur. À Djibouti, l’espérance de vie n’est que de 56,1 ans (1). Le taux de chômage dépasse les 60 % (2). Selon l’Unicef, « la probabilité de survie d’un enfant djiboutien jusqu’à son premier anniversaire est l’une des plus faibles de la région » : près d’un enfant sur dix décède avant un an. Une famille sur cinq, seulement, est raccordée au réseau électrique.
C’est dans ce noir contexte que, broyée à l’intérieur, peu soutenue à l’extérieur, boudée par la presse internationale, l’opposition djiboutienne poursuit son courageux combat pour la démocratie et le respect des droits humains.
(1) Rapport mondial sur le développement humain, 2010.
(2) Rapport national sur le développement humain, 2007.
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