Vous allez l'adorer. C'est la success story des sorties de la semaine. Une histoire vraie, bienveillante, qui parle de la jeunesse d'aujourd'hui et qui a inspiré un film formidable, Les Héritiers, de Marie-Castille Mention-Schaar.
En 2009, au lycée Léon-Blum de Créteil, une professeure d'histoire incroyable (Anne Anglès, dont le rôle est tenu par Ariane Ascaride), désespérée par sa classe de seconde, lui propose de participer au Concours national de la Résistance et de la Déportation. Le sujet est difficile : "Les enfants et les adolescents juifs dans le système concentrationnaire nazi".
Il s'agit d'un travail basé sur le volontariat. Les élèves, de nombreuses nationalités et confessions, sont indisciplinés, insolents, ignorants. Les conflits dans l'établissement à propos du voile, de la laïcité, de la religion… sont récurrents et mettent l'administration à l'épreuve. Alors imaginez, parler des juifs, mais aussi des Tziganes, des homosexuels, de l'histoire avec un grand H, quand elle est devenue pour les élèves "presque de l'archéologie"? Le défi était immense. Contre toute attente, ils vont le relever.
Ahmed Dramé, ex-élève, devenu acteur et scénariste
On aurait pu ne jamais entendre parler de cette aventure sans Ahmed Dramé, ex-élève, devenu acteur, coscénariste du film qui vient d'être nommé dans la catégorie Révélation aux prochains César ; sans la réalisatrice qui a eu la bonne idée de répondre au mail que le jeune homme lui avait adressé. "Il avait trouvé mon adresse sur Internet. Il était encore au lycée et voulait entrer dans le milieu du cinéma, raconte Marie-Castille Mention-Schaar. Il m'a intriguée et m'a envoyé 60 pages qui racontaient un concours de slam, avec un prof masculin, des bagarres, des fantasmes de films américains sur la banlieue et le lycée Louis-le-Grand. À l'époque, je ne comprenais pas où il voulait en venir ni l'intérêt du sujet. Mais il n'avait que 18 ans. J'ai eu envie de discuter avec lui."
De son côté, Ahmed Dramé court les castings, prend des rendez-vous, contacte des sociétés de production, ne reçoit que des réponses négatives. "Je me disais pourquoi pas moi. J'ai commencé à lire des scripts et c'est comme ça que j'ai eu l'idée d'écrire. Avant, je ne savais même pas qu'on tournait les films avec des scénarios!" Inutile de préciser que la rencontre Marie-Castille-Ahmed fait tilt. "Quand il m'a raconté son année de seconde, je l'ai adorée. J'ai tout de suite eu envie d'en faire un film. On a tous croisé des profs qui nous ont donné confiance en nous, qui ont changé quelque chose à notre vie."
Quant au thème du concours? "Il a permis la rencontre avec Léon Zyguel, déporté à Auschwitz- Birkenau à l'âge de 15 ans, qui aurait dû mourir en arrivant s'il n'avait pas changé de file pour suivre son père et son frère. Ahmed m'a dit qu'il n'avait jamais entendu le silence dans sa classe avant le jour où Léon est venu. Il a accepté de témoigner dans le film. Personne ne mouftait. On a fait une seule prise." Entendre dans sa bouche le Serment de Buchenwald reste un moment poignant.
Anne Anglès dit "vous" à ses élèves
Ahmed s'en souvient comme si c'était hier. Il a aussi retrouvé sa professeure avec bonheur en ces temps d'interviews. "On était quand même la pire des secondes, on est devenus super-motivés. Je suis le premier enfant de ma famille à avoir son baccalauréat*. C'est un peu grâce à Anne. Elle déteste qu'on lui dise qu'elle est une prof particulière, taquine-t-il. À l'époque, je la trouvais dure. Aujourd'hui, quand je nous vois là en face de vous, je me dis qu'elle a eu raison." Pédagogue, Anne Anglès dit "vous" à ses élèves et reste tout le temps debout parce que "si on s'assied, c'est vraiment mal parti". "Nous sommes payés pour transmettre un certain nombre de connaissances et beaucoup de mes collègues cherchent des solutions et les trouvent."
Pour la réalisatrice, Anne Anglès est quelqu'un qui ne baisse jamais les bras. "Elle a une approche pédagogique qui consiste à affronter la discussion quand beaucoup de professeurs choisissent l'autocensure pour éviter le débat." Ainsi, la scène où la prof explique que Mahomet figure avec d'autres personnages, en enfer sur une mosaïque de Torcello, a provoqué un tollé, à l'écran comme dans la réalité. Ariane Ascaride, formidable incarnation de cette enseignante guerrière, a pu mesurer à quel point il est difficile de se retrouver seule face à une classe d'ados. "C'est un sacré boulot pour lequel il faut de la force. Pour moi, Les Héritiers, c'est beaucoup plus qu'un film. Je suis très fière d'y avoir participé. On ne se donne pas assez le temps de regarder et d'écouter les jeunes."
Un avis que partage Marie-Castille Mention-Schaar : "Il y a un grand manque de confiance en soi chez cette jeunesse à laquelle on n'arrête pas de dire que tout va mal. On leur parle de chômage, de retraite à longueur de journée… L'adolescence est une période de questionnement nécessaire à la construction de la personnalité. C'est important d'avoir en face de soi des adultes solides qui, comme cette prof, défendent des valeurs. J'avais surtout envie de faire passer un message positif, dire qu'il n'y a pas de fatalité." La preuve, ces "Héritiers", nous aussi on les aime.
* Sur les 27 élèves de cette classe de seconde 20 ont eu le bac avec mention.