Et si les femmes étaient l’avenir de l’Indonésie ? (07/02/2015)

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Le nouveau président Jokowi entend développer l’archipel en s’attaquant à la pauvreté, qui touche 43 % de la population. Il marque des points auprès du mouvement féministe, qui l’encourage à s’appuyer sur les femmes, principales victimes de l’inégale répartition des richesses.

Djakarta (Indonésie), envoyée spéciale.Mina Kaci, L'Humanité

Et si le nouveau président misait sur les femmes pour sortir l’Indonésie, riche de 250 millions d’habitants, de la grande pauvreté? Élu en juillet et investi le 20 octobre dernier, Joko Widodo, dit Jokowi, semble parier sur elles. Ne vient-il pas de leur réserver huit places au sein du gouvernement? Huit sur trente-quatre, ce n’est certes pas la parité, mais avec les fauteuils stratégiques qu’elles occupent, le chef de l’État marque des points auprès des militantes féministes.

Ainsi, Susi Pudjiastuti, la ministre de la Mer et de la Pêche. Un poste clé dans ce pays composé de 17 508 îles. Le plus vaste archipel du monde. Une femme charismatique, Susi Pudjiastuti. Son franc-parler séduit la population. « J’ai arrêté le lycée et me suis mise à travailler à l’âge de dix-sept ans, raconte-t-elle, dans son bureau de ministre. Je vendais des dessus-de-lit, des vêtements. Et, en 1996, j’ai créé ma propre entreprise d’importation de poissons. »
 
Fille de commerçants, dont la mère avait fui à l’âge de douze ans un mariage forcé, l’autodidacte, cheveux libres de toute attache, évoque sans animosité la « controverse » qui a suivi sa nomination au gouvernement. Certains n’hésitent pas à relever son « manque d’instruction » ou son célibat, elle la maman de trois enfants. D’autres estiment qu’il ne « suffit pas de savoir vendre du poisson pour connaître les problèmes maritimes ». Toujours cette condescendance et ce sexisme dont sont victimes les femmes politiques, quel que soit leur pays.
 
Pendant de longues années, l’Indonésie a détourné son regard de la mer, se privant ainsi d’une richesse à portée de main. Le gouvernement envisage de mettre fin à ce gaspillage en construisant des autoroutes maritimes et des ponts.
Il entend aussi réglementer cette industrie afin de freiner la corruption qui sévit dans l’ensemble de la société, ravagée par cette gangrène institutionnalisée. « La mer est essentielle pour la population, souligne la ministre. Or nous avons beaucoup trop de problèmes avec la pêche illégale. Ce qui fait que les travailleurs vivent en dessous du seuil de pauvreté, on doit redresser tout cela. »
 
Cette loi sur la mer intéresse particulièrement les féministes. Lesquelles y trouvent un moyen d’améliorer les conditions de vie des ouvrières. Dans son bureau de sénatrice, la présidente du groupe Femmes au Parlement, Gusti Kanjeng Ratu Hemas, précise : « Elle protège les pêcheurs et le résultat de leur travail. Les femmes sont très concernées, elles sont majoritaires dans les usines de conditionnement et dans le commerce de la pêche. »
 
PRÈS DE LA MOITIÉ DES HABITANTS VIT AVEC MOINS DE 2 DOLLARS PAR JOUR
Environ 30 % des femmes sont salariées, souvent avec des « payes anormalement basses » par rapport aux hommes, souligne Yulia Supardmo, journaliste à KompasVT. Mais elles sont beaucoup plus nombreuses à travailler au noir.
 
À Djakarta, on les voit dans chaque coin et recoin des quartiers populaires vendre des fruits, des légumes, du poisson ou encore du tissu. Elles sont bien visibles dans cette ville à l’architecture chaotique, envahie par des véhicules qui peuvent rester coincés jusqu’à quatre heures dans les embouteillages quotidiens.
 
Surpeuplée, avec 28 millions d’habitants, Djakarta s’intoxique à l’oxyde de carbone. Les quartiers chics qui abritent les gratte-ciel et centres commerciaux aux grandes marques ne peuvent dissimuler la pauvreté dans laquelle se débat 43 % de la population, en dépit d’une croissance soutenue depuis plusieurs années. L’inégale répartition des richesses produites avait été au centre de la campagne électorale du candidat Jokowi.
 
Issu et se revendiquant du peuple, le désormais président confirme sa volonté de s’attaquer à la grande misère dans ce pays pourtant admis dans le G20. Près de la moitié des habitants vit avec moins de 2 dollars par jour. La grande majorité d’entre eux a un visage féminin.
 
Un espoir souffle sur l’Indonésie. Les militantes engagées contre les discriminations sexistes, inscrites dans le marbre républicain, applaudissent des deux mains la loi sur la mer. Mais elles incitent aussi le gouvernement à aller plus loin s’il veut relever son défide développer et démocratiser le pays.
 
L’archipel surfe sur des courants modernistes et conservateurs qui s’affrontent particulièrement sur les droits des femmes. « Il est pour nous prioritaire de relever à 18 ans l’âge du mariage pour les filles. Il est actuellement à 16 ans, voire 13 dans certains villages, et de 19 ans pour les garçons », explique Listyowati, présidente de l’association Kalyanamitra.
 
Le mariage précoce induit souvent la déscolarisation des adolescentes.
 
Celles-ci sont les premières à être retirées de l’école quand les familles ne peuvent plus payer les fournitures et les tenues scolaires. « L’éducation est pourtant la clé pour l’autonomie des femmes », soutient Listyowati. Jeune femme aux cheveux cachés sous un foulard islamique, elle se dit « confiante » dans le président Jokowi. Surtout avec l’instauration d’une vraie couverture de santé, ainsi que des moyens pour la scolarité des enfants et des allocations familiales pour les plus démunis.
 
La victoire de Jokowi symbolise la vraie rupture avec la dictature. Le nouveau président est le premier à n’avoir aucun lien avec les décennies du général Suharto, renversé à l’issue d’un mouvement populaire en 1998. Jokowi veut solder le passé militaire, sanglant, et poursuivre le processus démocratique.
Sans enthousiasme excessif, les militantes, associatives ou politiques, observent avec empathie le nouveau président.
 
Elles estiment « encourageante » la nomination de huit femmes au gouvernement. Outre la Mer et la Pêche, elles occupent le ministère des Affaires étrangères, celui des Entreprises publiques ou encore celui des Forêts et Environnement. Mais les militantes souhaitent un soutien plus affirmé dans leur lutte pour une juste représentation des femmes dans les lieux de décision, comme l’Assemblée nationale ou le Sénat. Si 26 % d’entre elles siègent dans cette dernière instance, elles ne sont que 17 % au sein de la première.
En Indonésie, le mouvement des femmes a une longue tradition de lutte. Parmi les victimes du massacre, en 1965, de 500000 personnes, dont une grande majorité de communistes, figuraient de nombreuses féministes.
 
Dans les années quatre-vingt-dix, le mouvement a fait pression pour obtenir un quota de 30 % de candidates aux élections législatives. Octroyé en 2003, il a ensuite été décrété non conforme à la Constitution. Aujourd’hui, le débat est relancé. « On veut créer un réseau au niveau national et local », explique la présidente du groupe Femmes au Parlement. « Nous allons inciter les partis à placer les femmes en position éligible », souligne-t-elle.
 
De son côté, l’association Kalyanamitra encourage les villageoises et les habitantes des quartiers populaires à prendre la parole et le pouvoir au sein des assemblées locales. Un travail d’éducation très difficile, selon les militantes. « Chez les musulmans, les femmes ne sont pas censées être dirigeantes. La société est foncièrement patriarcale. On pense qu’elles doivent être derrière leur époux. Il y a une mauvaise interprétation de l’islam », analyse Listyowati, dont l’association comporte autant de dirigeantes musulmanes que chrétiennes.
 
L’Indonésie est un pays aux traditions musulmanes singulières, dues en partie à l’expansion de l’islam par le biais du commerce et non par l’occupation ou la force. L’islam n’est pas la religion d’État, alors que 86 % de la population est de cette confession.
 
L’archipel reconnaît cinq autres religions et la société semble vivre respectueusement cette pluralité. Il reste que, depuis la chute du régime Suharto, la réislamisation avance par vagues successives.
 
Aujourd’hui, 75 % des musulmanes portent le hidjab. Ce qui n’empêche pas les militantes voilées de l’association Kalyanamitra de refuser l’instauration de la charia dans leur pays, de se battre contre la polygamie ou les mariages précoces.
 
Surtout, elles s’opposent fermement à ce que la loi islamique sévissant dans la province d’Aceh soit « importée dans les autres régions », explique la présidente. « Là-bas, dit-elle, il est interdit à une femme de se promener avec un homme qui ne soit pas son père, son frère ou son mari. On leur interdit de sortir seules la nuit. »
 
Djakarta, ville aux mille mosquées, redoute la montée de l’islamisme, et ses lois particulières en direction du sexe féminin. Des tests de virginité pour les lycéennes, ou ceux exigés pour entrer dans la police sont autant de ballons d’essai.
 
Dans ce climat, les militantes de Kalyanamitra préfèrent cacher leur identité féministe tout en avançant leurs revendications. « Comme je porte le voile, je suis plus facilement acceptée et je peux aisément parler des droits des femmes », explique Listyowati.
 
Le président Jokowi est confronté à un second défi: maintenir son pays loin des groupes radicaux. Il peut compter sur une société majoritairement attachée au principe de séparation du politique et du religieux, sans que la République indonésienne ne soit un État laïque. Les électeurs au scrutin présidentiel ont d’ailleurs rejeté Prabowo Subianto, le candidat rival de Jokowi, qui prône un conservatisme religieux. L’archipel en pleine mutation vit un équilibre fragile.
 

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