Vera Baboun, une voix libre à Bethléem (25/01/2018)

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Vera Baboum, Palestinienne, chrétienne, première femme élue maire de Bethléem en 2012, vient à Strasbourg, le 27 janvier 2018 à l'invitation d'une association interculturelle (chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, hindouistes), les Sacrées Journées.

Elle présentera son livre au titre évocateur : "Pour l'amour de Bethléem. Ma ville emmurée" Bayart éditions. (écouter ici avec Mosaik Radios la critique de son livre et sa réaction}}})

Son récit autobiographique constitue à l'encontre de l'occupation et tout particulièrement du mur d'annexion un acte d'accusation d'autant plus marquant qu'il émane d'une femme étrangère à tout extrémisme, à tout fondamalisme, et qui parle de personnes juives israéliennes de son entourage (telle son enseignante à l'Université hébraîque) avec beaucoup de respect et de tendresse.

Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen, Humanité Dimanche.

A cette occasion nous vous proposons un article de Marie Malzac publié le 24/12/2016, pour La Croix

Première femme à devenir maire de Bethléem, cette Palestinienne chrétienne veut être facteur de changement dans le contexte enlisé du conflit.

Casque jaune vissé sur la tête, elle avance d’un pas décidé dans les rues désertes et sombres de la petite ville italienne de Norcia, au centre de la péninsule, durement frappée par un violent tremblement de terre quelques semaines plus tôt. En ce mois de décembre, le froid est mordant.

De part et d’autre de la voie, les vitrines des commerces laissent entrevoir les chaises renversées, des objets éparpillés sur le sol. Arrivée sur la place centrale de la commune, considérée comme l’un des plus jolis bourgs du pays, Vera Baboun stoppe net, visiblement émue. Sous ses yeux, la place Saint-Benoît semble un champ de ruines. De la basilique médiévale, il ne reste que la façade.

Sa vie bascule en septembre 1990, trois ans après le début de l’Intifada

« Cette ville a été éprouvée, comme l’est la mienne, je ne pouvais pas repartir chez moi sans manifester ma proximité dans la souffrance des Italiens frappés par cette tragédie. » Chez elle, c’est Bethléem, ville palestinienne dont elle est maire depuis 2012, loin de l’Italie où elle est en déplacement ce jour-là à l’invitation de la mairie d’Assise, liée par un jumelage à sa ville.

Des épreuves, cette femme, vêtue sobrement, coiffée et maquillée avec soin, en a aussi traversé avant de devenir la première femme à occuper ce poste, comme elle le raconte dans son livre Pour l’amour de Bethléem. Ma ville emmurée, écrit avec Philippe Demenet et paru chez Bayard en novembre (1).

En septembre 1990, trois ans après le début de l’Intifada, le soulèvement palestinien contre Israël (2), sa vie bascule. Vera se souvient de cette nuit du 19 septembre comme si c’était hier. « Ils ont frappé à minuit quinze. » Plusieurs soldats israéliens en armes sont à la porte. « Ils ont réclamé mon mari, par son nom, Johnny », explique-t-elle. « Je leur ai simplement demandé de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller mes enfants : je ne voulais pas qu’ils restent avec cette image, qui les aurait traumatisés à vie. »

« Lorsqu’ils ont fermé la porte de notre petit appartement, j’ai dit à mon mari, qu’ils emmenaient, comme c’est l’usage en arabe : que Dieu te garde, poursuit-elle. Je n’avais aucune idée de ce qui était en train de se passer. »

« Quelque chose s’était brisé dans son regard »

Johnny incarcéré pour faits de résistance – non violente, elle tient à le préciser –, la jeune femme de 26 ans se retrouve seule avec trois enfants en bas âge, et sans nouvelles de lui pendant plusieurs semaines.

Un jour, alors que les soldats repassent chez elle pour récupérer une clé dans le garage automobile que dirigeait son mari, ils lui proposent, comme une faveur, de venir le voir. « Il attendait, menotté dans une voiture un peu plus haut. Je l’ai vu par la fenêtre. Ses yeux étaient toujours aussi bleus et aussi beaux, mais quelque chose s’était brisé dans son regard. »

Désemparée, Vera sait qu’elle ne peut pas baisser les bras. Alors qu’elle cherche un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille, on lui propose d’enseigner l’anglais à l’université de Bethléem qui vient de rouvrir après avoir été fermée durant la « guerre des pierres ». Bientôt, elle se rend compte que ce salaire ne peut suffire, et pour parvenir à un poste plus important, décide de commencer un master à l’Université hébraïque de Jérusalem.

« Les bénédictions et les grâces se cachent au cœur des souffrances »

 

« Vous imaginez ? En pleine Intifada, une Palestinienne se rendant à Jérusalem pour des études dans un établissement israélien ! », lance-t-elle l’index levé, comme étonnée de sa propre audace. D’où lui est venue cette force ? « J’ai cru en moi, même quand j’étais la seule à le faire. »

Ces trois années séparées de son mari seront fondatrices. Un jour, alors qu’elle revient avec ses enfants d’une visite à la prison, Vera se souvient d’une phrase entendue des années auparavant, dans une homélie prononcée par un prêtre à Sainte-Catherine, l’église latine adjacente à la basilique de la Nativité. « Les bénédictions et les grâces se cachent au cœur des souffrances. » Elle en fera sa devise.

À sa sortie de prison, Johnny souffre de plusieurs problèmes de santé, liés au stress et aux conditions de détention. Mais le couple se soutiendra encore plusieurs années dans la maladie – Vera subira elle aussi une importante opération – et dans l’éducation des enfants – deux autres naîtront entre-temps –, jusqu’à sa mort, en 2007. La douleur est vive. Mais là encore, elle ne peut abandonner. « Je lui dois bien ça ; Johnny a tant donné pour sa famille et pour son pays… »

« Les pires des murs, ce sont ceux que nous intériorisons »

 

Aujourd’hui, de son bureau, elle contemple au quotidien la place de la Mangeoire, où se trouve la basilique qui abrite le lieu identifié comme celui de la naissance du Christ. « J’y puise mon courage, l’envie de continuer de me battre pour Bethléem et pour la Palestine, dit-elle. Ici, c’est tous les jours Noël, car nous vivons avec ce mystère de l’Incarnation sous notre regard en permanence, mais chaque jour porte aussi son lot de difficultés. »

Encerclée par le mur de séparation érigé par Israël à partir de 2002 et cernée par de nombreuses colonies, la ville souffre de l’étranglement économique, entraînant chômage et exil. « Les pires des murs, clame-t-elle pourtant, ce sont ceux que nous intériorisons. »

Résister. Encore et toujours. Y compris contre « la haine qui pourrait naître dans son peuple ». Comme un leitmotiv, ce mot revient dans la vie de cette femme aux traits énergiques, où apparaissent ponctuellement des expressions de douceur.

Femme, chrétienne, palestinienne

 

« Nous sommes un peuple résilient, mais cela ne doit pas se transformer en acceptation d’une situation injuste. » Elle poursuit : « Il faut nous aimer nous-mêmes, aimer nos corps, que l’occupation voudrait contraindre, aimer nos bras, nos jambes, nos voix, tout ce qui nous constitue. »

Femme, chrétienne, palestinienne. Femme dans un monde où le pouvoir appartient aux hommes, chrétienne dans une ville à majorité musulmane, Palestinienne et donc citoyenne d’un pays occupé : autant d’identités qui auraient pu l’enfermer, à l’image de ce mur « qui défigure nos collines ».

Avant de partir pour Norcia, Vera Baboun a voulu saluer les clarisses. Après s’être entretenue avec elles au parloir, elle passe dans l’église Sainte-Claire, qui conserve notamment le célèbre crucifix de saint Damien, celui qui, selon la tradition, s’adressa au « Poverello » pour lui demander de « rebâtir sa maison en ruines ».

« Ma famille est toujours passée avant ma vie professionnelle »

 

Même si le temps presse, elle veut se recueillir quelques instants. Elle tombe à genoux. La femme orientale, la foi chevillée au corps, prend le dessus. « C’est dans la Croix que je me ressource, sans elle, il n’y a pas de salut. »

Peu après, en voiture sur les routes vallonnées de l’Ombrie, elle évoque sa famille. « J’ai élevé mes enfants et je crois ne m’être pas trop mal débrouillée », sourit-elle, malicieuse, en évoquant ses trois filles et ses deux garçons. « Ma famille est toujours passée avant ma vie professionnelle, sans cela, rien n’a de sens, mais maintenant qu’ils sont adultes, je peux servir dans une autre mission. »

Une mission qu’elle n’aurait jamais envisagée. Devenue directrice d’un établissement scolaire après la mort de son mari, Vera Baboun se rapproche du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas, dont elle apprécie « les efforts diplomatiques » pour défendre la cause palestinienne, ayant abouti à la reconnaissance d’un État par l’ONU en 2012.

Faire entendre sa voix

Mais quelle n’est pas sa surprise lorsqu’elle reçoit une lettre lui demandant de représenter cette formation politique aux élections municipales ! En dépit des réticences initiales de sa famille, elle relève le défi, mène campagne et remporte la victoire, il y a maintenant quatre ans.

« Toute ma vie a été un apprentissage pour construire mon langage, faire entendre ma voix, afin de pouvoir m’exprimer librement et d’être actrice dans la société. »

Fière, elle porte son histoire en bandoulière, mais attend d’« être jugée sur son action politique, pas sur ce qu’elle représente ». « Je n’ai pas la prétention de changer les choses, précise cette battante, mais je veux être un facteur de changement. »

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