Dans l’Amapa, l’or fait couler le sang (08/08/2019)
Ce 23 juillet, dans la jungle de l’Amapa, au nord du Brésil, s’élèvent des cris de détresse. Le corps criblé de coups de couteau d’Emyra Waiapi, cacique waiapi, éminent chef autochtone, vient d’être retrouvé sur les bords de la rivière. Quelques heures plus tôt, son village a été pris d’assaut par des garimpeiros, chercheurs d’or traîne-misère armés jusqu’aux dents.
Voilà deux semaines que le drame s’est produit et l’affaire demeure à ce jour non élucidée, sans version officielle. La Funai, la Fondation nationale de l’Indien, a bien confirmé la présence des orpailleurs et le décès du cacique. Mais l’enquête lancée par la police fédérale dans la foulée du crime semble au point mort.
Une chose est pourtant sûre : la disparition du chef indien a provoqué l’émoi de la communauté waiapi et de toute l’autochtonie, bien au-delà des frontières brésiliennes. L’assassinat d’Emyra Waiapi dénote une rare violence physique et symbolique. « Tout notre peuple est en détresse. Dans notre culture, le chef a une importance capitale, explique Waiapi Ichi Kouyouli, jeune militante des droits indigènes en Guyane. Sa perte est une vraie tragédie. Il guide le village, et sans lui la communauté n’est rien. » L’acte perpétré par les miniers brésiliens « est d’autant plus brutal qu’il a visé le cœur de notre façon de faire société », poursuit-elle.
La forêt éventrée pour les besoins d’une ruée vers l’or
Le meurtre est si marquant qu’il fait des remous jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir. Le président Jair Bolsonaro, à plus de 2000 km de là, commente par le déni. Aucun « indice fort » ne permet d’incriminer directement les garimpeiros, affirme-t-il. En riposte, la haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, intime « au gouvernement brésilien d’agir avec fermeté pour stopper l’invasion des territoires indigènes et pour leur assurer l’exercice pacifique de leurs droits sur leurs terres ».
Si l’affaire contrarie les instances internationales, c’est que « par ses discours à répétition, le président brésilien encourage l’impunité des miniers illégaux, estime Geneviève Garrigos, responsable Amériques de l’ONG Amnesty International France. Reste aux indigènes de se débrouiller seuls pour protéger leurs terres ».
Le chef de l’État, d’ailleurs, n’en est pas à son coup d’essai. « Dommage que la cavalerie brésilienne ne soit pas aussi efficace que les Américains, qui ont exterminé les Indiens », regrettait-il, dans le Correio Braziliense, le 12 avril 1998, bien avant d’arriver au pouvoir. Depuis, ses déclarations ont été à l’avenant. La multiplication de garimpeiros dans l’Amapa « est une occasion pour lui de soumettre les peuples autochtones au progrès à marche forcée, tout en satisfaisant ses projets de développement de l’agrobusiness, reprend la spécialiste. Ce climat politique extrême a eu raison d’une vingtaine d’années sans heurt dans la région des Waiapi ».
Et pour cause, les convoitises industrielles sur les richesses minières de la Renca imposent une pression permanente. Voilà plusieurs dizaines d’années que le bruit des machines d’exploration minière est venu troubler la quiétude de la tribu pacifique. Et la forêt se voit peu à peu éventrée pour les besoins d’une ruée vers l’or d’un nouveau genre. Travailleurs précaires issus de la grande misère brésilienne y affluent des quatre coins du pays afin de toucher du doigt ce rêve de fortune. Mais une fois sur place, les garimpeiros eux aussi sont soumis à l’impitoyable réalité du trafic, frappés par la violence, les traitements inhumains, la pollution, les viols et les meurtres. L’Amazonie est devenue peu à peu le théâtre d’une tragédie humaine qui oppose des peuples prêts à tous pour survivre.
Les orpailleurs s’emparent des terres par les armes
Dans le quotidien waiapi, les intrusions ponctuelles sur les terres ancestrales ont fait place, au fil des ans, aux menaces de mort à l’encontre des chefs indigènes. S’ajoute à cela le harcèlement juridique du lobby minier. « Le terrain du droit est une lutte à part entière, étaye Geneviève Garrigos. Il faut du temps, de l’argent, et un nombre de déplacements important. Cela suppose de laisser des terres menacées sans protection durant le temps d’un procès. » Depuis peu, s’ajoutent ces orpailleurs galvanisés qui prennent peu à peu les lieux par la force armée, dans l’indifférence politique.
Écologique, le drame l’est également. Les Waiapi sont « les gardiens d’un patrimoine naturel global, celui de nos forêts primaires et de leur biodiversité », rappelle encore la militante des droits humains. L’Amazonie reste peu ou prou un poumon vert du monde, et abrite 20 % des eaux douces de la planète. « Si rien ne se dresse face aux ambitions des monstres industriels, on ne peut que redouter le pire. » Les associations évoquent une déforestation dont le taux a déjà doublé depuis 2018, ainsi qu’une pollution au mercure des eaux et des sols sans précédent.
« L’escalade de la violence est imminente, comme nous en avons déjà alerté les autorités locales », avertit Geneviève Garrigos. Les Waiapi résisteront jusqu’au bout pour préserver leurs terres ancestrales, même au péril de leur vie, assure-t-elle, l’attachement à la terre va au-delà de la propriété. Elle est le socle de leur culture, leur spiritualité, leur façon globale de voir et comprendre le monde. Pour eux, il n’y a pas de vie ailleurs. « De toute manière, pour aller où ? » interroge la militante des droits de l’homme.
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