Jean-Claude Gayssot : « La haine nourrie par l’extrême droite gangrène la République » (15/12/2021)
La loi contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie qui porte son nom s’est récemment invitée dans le débat public à l’occasion de l’examen à l’Assemblée nationale d’une résolution défendue par Fabien Roussel. L’ancien ministre et député communiste Jean-Claude Gayssot, qui soutiendra le candidat PCF à la présidentielle, revient sur la genèse de cette loi qui avait suscité de vifs débats et sur la surenchère haineuse à laquelle se livrent actuellement la droite et l’extrême droite.
Vous qui êtes à l’origine de la loi Gayssot de 1990, comment réagissez-vous à la résurgence du racisme et du négationnisme dans le débat public ?
Jean-Claude Gayssot Cette loi porte mon nom parce que j’étais le premier signataire de la proposition déposée par le groupe communiste, lors des élections législatives de 1988, suite à la demande de plusieurs associations de renforcer les lois existantes, notamment la loi Pleven de 1972. J’ai été réélu dans la circonscription de Bobigny-Drancy en Seine-Saint-Denis, puis Michel Rocard, devenu premier ministre, a accepté qu’elle soit débattue et votée. Concernant le négationnisme, un article a été ajouté par la commission des Lois et le gouvernement socialiste. Nous étions alors en pleine poussée du révisionnisme : Le Pen père qualifiait la Shoah de « détail de l’histoire » et ce farfelu d’historien Faurisson niait même l’existence des chambres à gaz. Aujourd’hui, une haine est en train de grandir à l’égard des réfugiés de la guerre, de la répression et de la misère. Elle pousse à la division, à la confrontation entre les Français et les immigrés même s’ils sont en situation régulière, même s’ils sont réfugiés. L’extrême droite est dangereuse, elle mine notre pays, notre démocratie. Et la droite pour obtenir une place au second tour de la présidentielle reprend ces thèmes. Cette haine gangrène la République.
Le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, a récemment défendu à l’Assemblée nationale une résolution pour une application plus stricte des dispositions d’inéligibilité à l’égard des condamnés pour incitation à la haine ou à la discrimination. Cela peut-il permettre de lutter contre cette surenchère que vous dénoncez ?
Jean-Claude Gayssot Dans la dernière période, Fabien Roussel a donné le la face aux propos de l’extrême droite contre les musulmans, face à Zemmour qui justifie Pétain, la collaboration et les rafles des dizaines de milliers d’enfants, de mamans, de vieillards, d’adultes qui partirent de Drancy dans des wagons plombés. Qu’on ait pu tuer des gens pour la seule raison qu’ils étaient nés, c’est l’abomination de l’abomination. Face à la haine que l’extrême droite dirige aujourd’hui contre les musulmans, il faut appliquer cette loi, qui a été validée par le Conseil constitutionnel, dans toute sa dimension et dans toute sa rigueur. Elle permet en effet l’inéligibilité. Il faudrait aussi l’universaliser afin qu’elle soit utile, y compris sur les réseaux sociaux où se déverse le racisme, et que les responsables puissent être condamnés. Elle est plus que jamais d’actualité.
Dans ce combat, les dispositions législatives n’ont-elles pas leur limite ?
Jean-Claude Gayssot Quand Nelson Mandela est venu en France rencontrer François Mitterrand, il a tenu à passer au siège du Parti communiste. Il nous a alors parlé de sa loi qu’il avait réussi à faire adopter pour garantir le principe « une personne, une voix » et mettre un terme à l’apartheid. Il nous a aussi dit, à cette occasion, qu’aucune loi ne suffira jamais pour faire disparaître les a priori bornés, les préjugés et toutes les formes d’intégrisme. Il faut mener la bataille d’idées et le combat pour l’éducation, la formation… C’est tout le rôle du militantisme et des rencontres avec les citoyens. Les porteurs de haine sont les faiseurs de violence et les fossoyeurs du vivre-ensemble. Plus la gauche et les progressistes porteront ce message, mieux ce sera.
Que répondez-vous à ceux qui arguent de la liberté d’expression ? Cela fait-il écho au fort débat qui avait entouré l’adoption de votre loi ?
Jean-Claude Gayssot La liberté d’expression, j’y tiens par-dessus tout. Mais le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie sont des délits, ce ne sont pas des opinions comme les autres. La diffamation est condamnable, tout le monde le comprend bien et est d’accord. Le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie constituent une forme de diffamation collective qui peut conduire au pire. À l’époque de l’examen de la loi, c’est l’extrême droite qui a été la plus virulente : Le Pen père assistait même aux débats à l’Assemblée nationale parce qu’il se sentait menacé, vu ses déclarations. Mais il existait également un vrai débat avec des historiens, des gens compétents, qui craignaient que ce soit la loi qui écrive l’histoire. Je les ai rencontrés, Pierre Vidal-Naquet, Madeleine Rebérioux… Je ne dis pas que je suis contre les lois mémorielles, mais la loi Gayssot n’en est pas une. Si elle fait référence à Nuremberg et au tribunal de Londres, c’est parce que cela définit le crime contre l’humanité qu’est la Shoah, et comme l’ONU considère le négationnisme comme un vecteur majeur de l’antisémitisme, il est passible de condamnation. C’est essentiel pour comprendre.
L’immigration est au cœur de cette surenchère haineuse. En 2018, comme président du port de Sète, vous vous êtes dit prêt à accueillir l’ Aquarius bloqué en Méditerranée. Depuis, les drames se sont poursuivis, comme fin novembre, dans la Manche. Quel rôle devrait jouer la France pour l’accueil des migrants ?
Jean-Claude Gayssot Quand j’ai pris cette décision, cela a fait couler beaucoup d’encre. Des centaines d’hommes, de femmes, d’enfants étaient dans le bateau de sauvetage de SOS Méditerranée, et personne ne voulait les accueillir. En tant que président du port, avec ma sensibilité humaniste, je ne pouvais que mobiliser pour qu’on mette l’humain par-dessus tout et pas par-dessus bord. Lorsque j’ai fait cette proposition, on m’a dit à l’Élysée que le président Macron faisait tout pour que Malte les accueille. C’est ce qui s’est passé quarante-huit heures après. L’honneur de la France et de l’Europe avait été sauvé lui aussi. Désormais, la condamnation des passeurs fait l’unanimité. Et il faut vraiment en finir avec ces exploiteurs de la misère et de l’oppression. Mais si on se contente de cela, sans réponse réelle à l’échelle européenne, les drames se poursuivront. Il s’agit de passer au concret pour l’accueil des réfugiés, et de passer également de l’aide à la coopération, notamment avec les pays d’Afrique.
Cette semaine est aussi celle de l’anniversaire de la loi SRU que vous avez portée au début des années 2000 et que la loi 3DS, en cours d’examen, modifie. Alors que des communes ne respectent pas le taux de logements sociaux prévu, faut-il désormais aller plus loin ?
Jean-Claude Gayssot J’ai été à l’initiative de cette loi avec le gouvernement Jospin, celui de la gauche plurielle. Elle permet que près de 70 % des ménages français puissent accéder à un moment de leur vie à un loyer modéré. Il ne s’agit donc pas d’y concentrer uniquement les plus pauvres, mais de permettre la mixité. Dès l’origine, l’obligation de 20 % de logements sociaux dans les villes de plus de 1 500 habitants en région parisienne et de plus de 3 500 en province a été contestée par la droite. Et elle a, par la suite, failli arriver à ses fins. S’il n’y avait pas eu l’abbé Pierre, Xavier Emmanuelli (fondateur du Samu social – NDLR) et Claude Chirac auprès de son père, cette disposition aurait été supprimée par amendement sous le gouvernement Raffarin. Quant à ces maires qui refusent d’appliquer cette disposition uniquement parce qu’ils ne veulent pas « de ces gens-là », je suis favorable à ce que la loi soit renforcée pour permettre de les poursuivre et que leur éligibilité puisse être contestée.
Au-delà du logement, le quinquennat Macron est marqué par les inégalités. Comment s’y opposer au printemps prochain ?
Jean-Claude Gayssot Le combat contre les inégalités et les injustices est celui de toute ma vie. Ce combat du pouvoir d’achat et des salaires doit mobiliser sans attendre les échéances électorales. Fabien Roussel porte cette lutte, je le soutiens et le soutiendrai au printemps prochain. Il n’empêche que, dès aujourd’hui, nous devrions travailler avec les autres forces de gauche pour construire un projet qui vise à éradiquer non seulement la misère, mais qui s’attaque sérieusement et efficacement aux trois dérèglements majeurs que notre pays, l’Europe et la planète connaissent : dérèglements climatique, démocratique et social.
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