OUVERTURE DES MAGASINS LE DIMANCHE (17/12/2006)

medium_ccdim.jpg« Le risque d’une polarisation accrue de la société »

Entretien avec le sociologue Jean-Pierre Durand, de l’université d’Évry.

Pour le sociologue Jean-Pierre Durand, de l’université d’Évry, l’ouverture des magasins le dimanche accentuerait les clivages culturels. La forte opposition qu’elle suscite dans l’opinion s’explique par la crainte d’être touché à son tour par cette déréglementation.

La controverse sur le travail du dimanche est relancée. Au-delà de la problématique sociale, du droit au repos des salariés directement concernés, de leur pouvoir d’achat aussi, la question n’est-elle pas posée de la marchandisation de la société ?

Jean-Pierre Durand. Nous sommes entrés dans une société où la marchandisation règne à tous les niveaux de l’espace domestique. L’ouverture des magasins le dimanche pose plusieurs questions. Faut-il les ouvrir tous ? Certains disent : en priorité les magasins de la culture, de bricolage, ameublement, jardinage... De fil en aiguille, on en vient à les ouvrir tous, il n’y a pas de sélection juste, fondée. La principale interrogation, à mes yeux, est de savoir pourquoi et comment ces magasins ouverts le dimanche sont utilisés. On risque d’aboutir à une polarisation accrue des populations. D’un côté, il y a ceux qui disposent de beaucoup de temps, de capital culturel, social, pour lesquels l’ouverture du dimanche ne changera strictement rien. Ils ne fréquenteront peut-être même pas les magasins le dimanche, parce qu’ils ont d’autres choses à faire, plus intéressantes : la dimension de la marchandise ne les occupe presque pas, ils ont un rapport à la marchandise purement utilitaire.

À l’opposé, en France comme dans la plupart des pays industrialisés, il faut reconnaître que la culture est mal distribuée ; il y a des gens pour qui la sortie dans les grands magasins est vécue comme une sortie culturelle. Les grandes surfaces sont un peu les « maisons de la culture » pour certaines catégories sociales. Pour moi, c’est là le plus grand échec du capitalisme dans les pays industrialisés : ne pas avoir été en mesure, vu le niveau de développement atteint, de donner envie à une grande partie de la population de se cultiver, d’avoir des aspirations plus élevées que des aspirations uniquement matérielles. Ce n’est pas l’ouverture des magasins le dimanche qui va changer cela. Mais il est sûr qu’il se trouvera des gens pour les remplir, y compris pour ne rien acheter...

Il n’y a aucun mépris dans ce constat. Simplement, ils n’ont pas pu avoir accès à la culture, l’école ne leur a pas donné : on a instrumentalisé l’école, le lycée comme l’université, où il s’agit d’avoir un diplôme en oubliant complètement la formation et bien sûr la culture. Alors que la réussite dépend moins du parchemin que de la culture.

Selon les sondages, l’opinion publique est très partagée sur le sujet, une moitié pour l’ouverture le dimanche, une moitié contre.

Jean-Pierre Durand. Les jeunes sont plutôt pour, parce qu’ils n’ont pas de vie sociale rythmée et parce qu’ils pensent que ça peut leur procurer de l’emploi, même temporaire, pour payer des études... Les plus anciens sont plutôt contre, pour les raisons inverses. Au-delà, je pense que les contre appliquent le principe de précaution : ils y voient une déréglementation nouvelle, non maîtrisée, qui peut avoir des effets sur l’ensemble de la société, y compris dans l’espace de travail. Ils subissent déjà une flexibilité généralisée.

Entretien réalisé par Yves Housson, pour l'Humanité

19:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : magasin, dimanche, ouverture | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!