A PROPOS DE LA VILLE NOUVELLE D'EVRY (26/12/2006)
Quel est l’état de l’héritage d’une ville nouvelle ?
Manuel Valls. Il ne faut pas renier le passé. Évry est sortie de l’opération d’intérêt national le 1er janvier 2001 pour céder la place à une communauté d’agglomération. Évry est une ville qui a été pensée dans tous ses détails par des urbanistes, des architectes jeunes, modernes, qui imaginaient une ville idéale avec une présence, une force de l’État qune retrouve plus aujourd’hui, mais sans consulter beaucoup les citoyens, les habitants, ni les villes qui les entourent. C’était le fruit d’une volonté qui parfois manque en matière d’aménagement, et les villes nouvelles sont le dernier geste, fort, puissant, d’un État centralisateur, jacobin.
Depuis, la décentralisation est passée par là, les architectes et les urbanistes ont essentiellement réfléchi sur la question de la rénovation urbaine. Le bilan est contrasté car, comme beaucoup de villes de banlieue, avec des quartiers populaires, nous faisons face à l’insécurité, la violence, la paupérisation, la crise du logement, le départ des classes moyennes.
De ce point de vue là, il y a un échec. Ces villes se sont appauvries pour différentes raisons qui n’étaient pas dans les gènes du projet initial. Le choc pétrolier des années 1970, le type de financement du logement social, l’accession sociale à la propriété, les politiques migratoires..., ont conduit à une paupérisation d’un certain nombre de quartiers. Ici, dans un temps encore plus ramassé, avec une violence plus intense qu’ailleurs - je parle aussi de violence sociale -, la ségrégation territoriale, sociale et ethnique qui mine notre pacte républicain s’est faite en quelques années.
Le retournement de conjoncture a été très violent au début des années quatre-vingt-dix ; un quartier comme les Pyramides, qui accueillait des hauts fonctionnaires, des énarques, des architectes, des classes moyennes d’une manière générale, ce quartier idéal qui avait fait l’objet d’un des plus grands concours qui ait jamais eu lieu dans ce pays, même s’il reste encore de la mixité sociale avec des copropriétés et quelques pionniers, ce quartier s’est appauvri en quelques années. Alors que c’est un quartier de centre-ville. En même temps, ce qui constituait la richesse initiale de ces villes, la mixité, est resté une réalité. La ville a des équipements éducatifs, culturels, sociaux, des services publics nombreux et de qualité.
Elle possède de nombreux espaces verts, des bâtiments de qualité. Il y a toujours les sièges des grandes entreprises installés il y a trente ans, le pôle universitaire, le Généthon... Les atouts principaux d’Évry, ce sont la jeunesse (un âge moyen de 26 ans) et la diversité de sa population. Le but du projet de ville est de faire vivre tout le monde ensemble. L’esprit pionnier, inventif, est toujours présent. C’est pour cette raison que les atouts l’emportent. Au moment où les grandes villes rejettent leurs catégories populaires, Évry peut retrouver un projet.Vous insistez beaucoup sur la question de l’insécurité. La résolution de ce problème est-elle un préalable au projet de ville que vous présentez aux habitants ?
Manuel Valls. Évry a été victime de son image de « ville idéale ». Quand il y a eu le retournement, au début des années quatre-vingt-dix, quand les violences urbaines ont été à la une de l’actualité, elle est devenue progressivement synonyme de violence et d’insécurité. Aujourd’hui, la question de la violence colle à l’image, à l’identité même de la ville. La lutte contre la délinquance, l’insécurité sont forcément des priorités. Mais la question du pacte républicain est liée à la problématique des comportements. Cvrai que c’est une ville très jeune, qui vit en permanence son rapport à l’école, à l’éducation. Nous essayons de bâtir ici une petite république des bonnes manières, d’apprendre à vivre ensemble.
Le projet est bâti autour de la construction de plusieurs milliers de logements neufs pour attirer les classes moyennes. Est-ce que vous souhaitez changer la population ?
Manuel Valls. Quand j’ai été élu maire, en mars 2001, j’étais le quatrième maire en deux ans. Évry vivait une crise économique, sociale et politique. Il a fallu redonner confiance. Le statut de ville nouvelle créait de l’irresponsabilité. Les gens avaient le sentiment d’être abandonnés. Il fallait d’abord redonner confiance aux Évryens et ensuite leur proposer une rénovation urbaine, construire un vrai centre-ville : 1 200 logements, qui vont s’inscrire dans la construction de 3 000 à 4 000 logements notamment sur le centre urbain. Il ne s’agit pas de changer la population.
Nous sommes une ville populaire, de couches moyennes, mais je ne veux pas qu’Évry devienne une ville pauvre. Nous avons 43 % de logements sociaux, 27 % d’accession sociale à la propriété, et 6 % des Évryens vivent en foyer. Je suis très fier d’être maire d’une ville populaire. En même temps, il faut un équilibre, qu’on puisse offrir un parcours résidentiel diversifié dans la ville. Ces couches moyennes étaient présentes au début, nous voulons les retrouver. Je ne veux pas nier l’histoire de la ville nouvelle, je veux d’une certaine manière renouer avec le projet initial. Nous voulons en même temps conforter l’aspect populaire, aider les populations en difficulté et stopper la paupérisation, et redonner une vitalité à travers l’arrivée de nouvelles couches sociales.Propos recueillis par J. M. pour l'Humanité
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