« La faune et la flore polaires sont condamnées » (04/04/2007)

medium_pingnage.gifBiodiversité. Elles doivent faire face à une nouvelle espèce très envahissante : les touristes.

Yves Frénot est adjoint au directeur de l’Institut polaire Paul-Émile-Victor (IPEV). Il travaille sur la biodiversité des îles Kerguelen, dans l’Antarctique.

On imagine les pôles comme des déserts blancs. Pourtant, on y trouve une biodiversité importante...

Yves Frénot. Une précision, d’abord, de taille : l’Arctique est une mer fermée, un peu comme la Méditerranée, avec de la terre autour. Alors qu’en Antarctique, le continent est recouvert de plusieurs milliers de mètres de glace. Dans le nord, il y a une continuité des terres des régions tempérées jusqu’aux régions arctiques, qui rend possibles les migrations d’animaux et de plantes. Au pôle Sud, la biodiversité est cantonnée à la zone côtière, à la péninsule antarctique qui remonte vers l’Amérique du Sud, et aux eaux qui l’entourent jusqu’aux îles subantarctiques. Les terres étant isolées du reste de la planète, les espèces animales et végétales y sont endémiques, c’est-à-dire qu’on ne les trouve que là. Ce n’est pas le cas au nord.

On trouve par exemple dans les Alpes des espèces arctiques qui sont des reliques de l’époque des dernières grandes glaciations, quand les glaciers s’étalaient jusqu’à la Loire. En revanche, le nord et le sud ont en commun que la faune et la flore vivent dans des habitats très contraignants. Certaines adaptations à l’environnement se retrouvent aux deux pôles. Comme des molécules antigel chez certains insectes. Ou l’adaptation, chez des plantes, des cycles de reproduction aux courts laps de temps pendant lesquels c’est possible, en été. En Antarctique, des poissons n’ont pas d’hémoglobine dans le sang, ce qui leur permet d’être actifs même dans des zones très froides.

Quelles sont les conséquences de l’arrivée d’espèces « invasives » ?

Yves Frénot. Ces espèces sont soit arrivées aux pôles par elles-mêmes soit ont été introduites par l’homme. En plus d’être nouvelles dans cet environnement, elles rencontrent aujourd’hui des conditions climatiques qui leur permettent de devenir envahissantes. Donc de supplanter des espèces locales. En Arctique, certains moustiques pullulent de plus en plus dans des zones très au nord, où ils ne se développaient pas auparavant. Pour l’heure, ça ne représente un désagrément que pour les touristes. Mais au sud, certains moustiques entrent en compétition avec des espèces locales, jusqu’à les éliminer complètement.

Autre exemple : dans les îles subantarctiques et en Antarctique, l’isolement a empêché la présence de mammifères terrestres. Aujourd’hui, on trouve dans de nombreuses îles des lapins, amenés par les navigateurs anglais à la fin du XIXe siècle, qui les lâchaient pour constituer une réserve de nourriture en cas de naufrage. Les - lapins se sont parfaitement adaptés à l’écosystème et ils ont avalé toute la végétation. Dans les îles Kerguelen, là où le lapin est présent il ne reste plus quseule espèce végétale - subantarctique.

Quels sont les impacts du réchauffement climatique sur cette faune et cette flore ?

Yves Frénot. Ce qui caractérise la faune et la flore de ces régions, c’est qu’elles ont évolué dans des conditions climatiques particulières. Leur adaptation a été très lente, sur plusieurs milliers d’années, en phase avec des changements progressifs du climat. Soit les organismes s’adaptent à leurs nouvelles conditions, soit ils les fuient en migrant. Aujourd’hui, les processus sont beaucoup plus rapides qu’auparavant. On observe qu’il n’y a pas le temps de réponse nécessaire pour que les organismes s’adaptent ou migrent. À plus ou moins longue échéance, cette faune et cette flore polaires sont condamnées. Ensuite, la plupart des espèces invasives introduites par l’homme viennent de régions tempérées.

 Aujourd’hui, la péninsule antarctique est l’une des régions de la planète qui se réchauffe le plus vite et va devenir une terre d’accueil pour toutes ces nouvelles espèces. Or, il existe une relation très claire entre le nombre d’espèces introduites et le nombre de visiteurs dans ces régions, en particulier en Antarctique. On assiste à l’explosion d’une autre espèce invasive : les touristes. On les évalue à 50 000 par an. 98 % d’entre eux choisissent la - péninsule antarctique. Or, chaque passager transporte une dizaine de graines potentiellement viables. On risque donc une transformation complète de la biodiversité de cette région. Il aurait continué à faire froid, le problème se poserait autrement...

Entretien réalisé par V. D. pour l'Humanité

14:43 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : biodiversité, Arctique, touristes | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!