Automobile. « Il faut geler les dividendes versés aux actionnaires » (10/12/2008)
Chômage partiel touchant des milliers de salariés, menaces sur la pérennité de sites comme Sandouville, nombreux équipementiers inquiétés… Toutes ces mesures sont décidées par le patronat au nom de la crise économique actuelle. Vous en contestez le bien-fondé. Pourquoi ?
Michel Ducret. Les donneurs d’ordres, et une partie des équipementiers, se servent de cette crise pour « taper dans le tas ». L’annonce de 6 000 suppressions d’emplois chez Renault a été faite en juillet, donc bien avant la crise. Les 3 750 suppressions de postes chez PSA figuraient dans le plan Streiff qui a été présenté au printemps… En vérité, on se sert de la crise pour réorganiser toute l’industrie automobile. Au cours des neuf premiers mois de l’année, les entreprises ont eu recours massivement aux heures supplémentaires, aux intérimaires, aux CDD, à la flexibilité des horaires. Il y a eu une montée en puissance de la productivité. Les plans de formation ont été refusés, les augmentations de salaire ont été bien souvent en dessous de l’inflation, les conditions de travail ont été ignorées… Et aujourd’hui, on constate que certes les ventes ont plongé en novembre, mais, sur l’année lissée, Renault par exemple va vendre en 2008 à peu près autant de voitures qu’en 2006 ou 2007.
Les stocks s’accumulent…
Michel Ducret. On dit qu’il y a des parcs pleins et, parallèlement, on a du mal à obtenir un véhicule quand on en veut un. Pour avoir une voiture neuve, un Renault Scenic par exemple, il faut 76 jours. Chez PSA, c’est 3 à 4 mois d’attente pour avoir un C5…
Tout cela parce qu’au fond on n’est plus sur une politique industrielle en tant que telle, mais sur une logique financière : les groupes veulent arriver à servir les dividendes des actionnaires dès le 10e mois de l’année.
Nous craignons qu’à la rentrée, en janvier 2009, ils continuent sur leur lancée en remettant en question des acquis sociaux, alors que ce n’est pas justifié. Renault va encore faire 1,5 milliard d’euros de bénéfice en 2008, soit sensiblement autant qu’en 2007. Si le groupe payait à 100 % le chômage partiel de ses 20 000 salariés, ça lui reviendrait à 0,8 % des dividendes qu’il va verser à ses actionnaires pour 2008.
L’avenir de l’auto ne se présente pas sous les meil- leurs auspices, les ventes risquent de reculer encore…
Michel Ducret. Cela pose la question du pouvoir d’achat. Quand il y a recul du pouvoir d’achat, l’achat d’une voiture n’est pas prioritaire. Nous avons un parc vieillissant (8 ans), il faudrait s’en occuper très sérieusement. Renault fabriquait un petit modèle, la Clio 2, qui se vendait bien. Elle était vendue à 8 000 euros. En prenant en compte la prime à la casse, c’était un véhicule qui pouvait être encore attractif. Mais Renault vient d’en arrêter la production… Parce que les groupes ne suivent plus une logique de volume mais de marges : ils préfèrent vendre 200 véhicules très chers que 2 000 véhicules moins chers.
Les constructeurs doivent aussi, simultanément, relever le défi environnemental…
Michel Ducret. On annonce un véhicule électrique pour 2012. C’est un très gros enjeu. Comment va-t-on s’y prendre pour accueillir ce véhicule dans l’entreprise ? Le développement, la recherche doivent être redimensionnés. Cela renforce notre demande, réitérée depuis des années, de voir organiser un véritable débat national sur l’avenir de l’automobile. Aujourd’hui, on donne beaucoup d’argent aux groupes : il y a eu les 150 millions d’euros débloqués en juillet pour la filière auto, par le biais d’une « charte » qui vise en réalité à gérer les restructurations dans les territoires ; il y a l’aide de 400 millions d’euros que vient d’annoncer Sarkozy pour 2009, et les 40 milliards d’euros que demandent les constructeurs à la Commission européenne. Mais comment utilise-t-on cet argent ? Est-ce qu’on s’en sert pour la recherche et le développement ? Est-ce que l’on peut en contrôler l’usage ? Ou bien est-ce que cela va aller directement aux actionnaires ? Le gou- vernement reste dans l’accompagnement des donneurs d’ordres, pas dans l’offensive en disant qu’on peut faire autrement en obligeant les constructeurs à des contreparties claires et nettes à l’octroi de subventions. Il faut qu’on change la stratégie des donneurs d’ordres, qui n’est plus aujourd’hui que financière, et non industrielle. Il faut abaisser le niveau des marges exigées. De même, Sarkozy aurait pu demander un gel des dividendes versés aux actionnaires sur la période 2008-2009.
Entretien réalisé par Yves Housson, pour l'Humanité
17:04 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voiture, dividendes, économie | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |