Et si livre de P. Krugman devenait l’ouvrage de chevet du gouvernement ? (07/09/2012)
L’ouvrage du prix Nobel d’économie et du chroniqueur du New York Times apporte un regard saisissant sur la crise économique qui frappe nos économies depuis 4 ans.
Pour Krugman cette crise apporte des souffrances inutiles. Les solutions existent, elles ne sont pas nouvelles. Depuis des années, on sait très bien quoi faire pour en sortir, en relançant l’économie, en compensant la faiblesse de la demande privée.
Un constat : l’effet cicatrice pour notre génération
Au point de départ, les ravages de la crise, le chômage, l’augmentation de la pauvreté, ainsi que les attaques répétées contre l’Etat providence sont posés par l’auteur. Le concept d’ « effet cicatrice », bien connu des sociologues, n’est pas oublié. Il permet à Krugman d’expliquer pourquoi les jeunes générations qui rentrent sur le marché de travail en temps de crise auront tout au long de leurs carrières des rémunérations et des opportunités moindres. La crise n’est donc pas un mauvais moment à passer mais un fardeau que nous trainerons comme un boulet tout le reste de notre vie.
Dépenser autant que nécessaire
La thèse de son livre est extrêmement simple et percutante : nous pouvons en finir avec cette crise, le chômage de masse et l’augmentation de la pauvreté. Pour cela, il suffit simplement que les Etats augmentent la dépense publique jusqu’à ce que la demande privée redevienne suffisamment importante.
Krugman sur le sujet est extrêmement clair, en matière de relance économique il vaut mieux trop que pas assez. Il préconise de dépenser autant que nécessaire jusqu’à ce que la machine économique reparte. C’est à dire augmenter les salaires des fonctionnaires, augmenter les allocations chômage et les minimas sociaux. C’est à dire investir dans nos universités et nos hôpitaux, construire des chemins de fers et des canaux, bâtir des logements basse consommation, engager la transition énergétique, mettre sur la table les milliards nécessaires à la fibre optique ou au très haut débit.
C’est moi qui insiste à ce point sur la dimension écologique de la relance, car il faut admettre que cela ne concerne que 10 lignes dans l’ouvrage. Il est plus que temps que les économistes traitent dans le même temps la question du chômage et celle du dérèglement climatique sinon on ne répondra jamais à la crise systémique qui nous frappe.
Les ravages des « austériens »
Son livre s’ouvre sur une longue description de pourquoi les dirigeants – qualifiés d’ « austériens » – se refusent à appliquer les recettes qui fonctionnent et pourquoi ils imposent une austérité dévastatrice. Il apporte une nouvelle compréhension sur la responsabilité des Etats dans cette crise. Selon lui, la crise n’est pas due au niveau de dette des pays mais à l’activisme dont ils ont fait preuve pendant 30 ans, gauche comme droite, pour déréguler la finance et favoriser l’accaparement des richesses par une infime minorité.
Son livre traite principalement le cas des Etats-Unis mais évoque aussi la situation européenne. Krugman est clairement eurosceptique mais admet l’effet dévastateur que revêtirait la fin de l’Euro. Il souligne à quel point la zone euro, du fait de ses asymétries, était vouée à une crise (existentielle) sans précédent. Les défauts de départ ont été accentués par l’absence de coordination des politiques économiques et par l’absence de constitution d’une entité fédérale au budget conséquent permettant aux économies les plus en retard de se développer. La politique allemande (Schröder bien avant Merkel), en faisant le choix de la réduction du coût du travail, a joué contre la zone euro elle-même. Elle aurait pourtant dû être le moteur de la consommation pour aider au développement des pays du Sud en important des biens à moindre coût.
L’ouvrage de Krugman apporte un nouveau regard sur les débats qui nous animent en ce moment en Europe tant sur la question du déficit budgétaire que de la cible de l’inflation.
La règle d’or : un contresens économique
Pour faire simple toute personne convaincue par l’ouvrage de Paul Krugman – et c’est mon cas – considérera la règle d’or comme un contresens économique. Krugman rappelle ce qu’est une trappe à liquidité, c’est à dire quand la banque centrale baisse son taux d’intérêt à un niveau proche de zéro (0,5% pour la BCE) et que malgré cela la croissance ne repart pas. Cela signifie simplement que les acteurs de l’économie ne sont collectivement pas prêts à acheter autant qu’ils souhaitent produire, c’est à dire que la demande est inférieure à l’offre. Dans ce cas là – et nous y sommes – la politique monétaire est inefficace, et la seule façon de réactiver la pompe économique, c’est la dépense publique. La politique budgétaire doit compenser l’inertie de la politique monétaire. Seul bémol, pour éviter que les taux d’intérêt de la dette augmentent et que la finance s’enrichisse sur le dos des peuples, il vaut mieux que la banque centrale prête directement aux Etats.
Et si le bon taux d’inflation était 4% ?
Sur l’inflation, Krugman là aussi sort des poncifs communément admis par la presse, les politiques et les économistes soumis aux dogmes des néolibéraux. Quand on est dans une situation de trappe à liquidité il n’y a strictement AUCUN risque d’inflation. Il multiplie les études qui démontrent que le niveau moyen d’une bonne inflation pour l’économie est plus proche de 3 à 5% que de 2%. Pour affirmer cela, Krugman ne s’appuie pas sur n’importe qui, mais sur un papier d’Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, que l’on pouvait qualifier par le passé dans le paysage socialiste français comme un économiste « Strauss-Khanien ». Selon lui, changer de cible d’inflation pour la banque centrale en la passant de 2 à 4% par exemple a plusieurs avantages. D’abord, sur le long terme cela baisse le coût relatif de la dette et permet de relancer l’économie par l’endettement sans enrichir la finance. Ensuite, cela permet d’avoir des taux d’intérêt réels négatifs ce qui permet de compenser les effets néfastes d’une situation de trappe à liquidité (si le taux d’intérêt est de 0,5% et l’inflation de 3,5% le taux d’intérêt réel est de -3%, c’est à dire que l’on gagne de l’argent en empruntant par rapport au fait d’épargner).
Enfin, pour reprendre un argument de Krugman avec lequel je suis nettement moins à l’aise sur la question du « coût du travail » en Europe. Ces dernières années le « coût du travail » a fortement augmenté dans les pays du Sud (Portugal, Espagne, Italie) tandis qu’il a stagné dans les pays du Nord (Finlande, Autriche, Pays-Bas, Allemagne). Les économies du Nord ont gagné en compétitivité et celles du Sud en ont perdu, l’exact inverse de ce que l’on aurait du faire si on souhaitait harmoniser la zone euro (et là on peut dire bravo au camarade Schröder).
Ce que préconise Krugman, c’est que les pays du Nord relancent leurs économies par la voie budgétaire, acceptent une inflation plus importante et surtout qu’ils augmentent leurs salaires tandis que les pays du Sud eux conserveraient le même niveau de salaire. C’est là où je suis mal à l’aise car il préconise une rigidité des salaires en période d’inflation pour les pays du Sud donc une perte de pouvoir d’achat pour compenser l’impossibilité pour ces pays de dévaluer. Les pays du Sud gagneraient en compétitivité relativement tandis que les pays du Nord grâce à la relance budgétaire retrouveraient le plein emploi.
Pour être clair, à chaque fois que les pays du Nord essaient de baisser leur « coût du travail » ils accroissent la récession des pays du Sud et renforcent la crise européenne. Pour le coup, les mouvements sociaux en Allemagne qui obtiennent des augmentations de salaires sont donc une bonne nouvelle pour les salariés allemands et surtout pour tous les salariés européens.
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Nous allons avoir d’importants débats dans les semaines qui viennent, sur le TSCG bien entendu, mais surtout sur le premier projet de loi de finance de la gauche au pouvoir.
Est-ce une bonne chose de s’imposer un déficit à 3% alors que nous sommes en quasi récession et que notre pays compte plus de 5 millions de chômeurs ?
Est-ce une bonne chose de s’imposer l’équilibre budgétaire en 2017 quelque soit la situation économique et de l’emploi ?
Le débat européen ne devrait-il pas immédiatement se focaliser sur la possibilité pour la BCE de prêter aux Etats et de changer sa cible d’inflation ?
Ce ne sont pas des questions faciles et il est important de soutenir le gouvernement dans son action résolue pour le changement. Mais nous, socialistes, soyons à l’écoute quand des économistes « mainstream » comme Krugman ou Stiglitz nous incitent à prendre un autre chemin.
Thierry Marchal Beck, Président national des jeunes socialistes
18:52 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : krugman, jeunes socialistes, économie | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |