HENRI ALLEG, COMMUNISTE ET JOURNALISTE : UN JUSTE PARMI LES JUSTES ! (27/07/2013)
Ancien journaliste de l'Humanité, militant communiste et auteur de l'ouvrage "La Question" (1958) qui dénonçait la torture pendant la guerre d'Algérie, décédé à Paris à l'âge de 91 ans. Portrait publié par l'Humanité.
Depuis Alger républicain dont il devient directeur en 1951, le journaliste communiste a fait de sa plume l’arme du combat pour une Algérie libérée du racisme et de l’oppression colonialiste. Son livre la Question a contribué de manière décisive à lever le voile sur les tortures de l’armée française.
«Enfin Alger ! Un quai inondé de soleil, que surplombe le boulevard du front de mer.» Lorsque le jeune Harry Salem débarque pour la première fois à Alger, au mois d’octobre 1939, c’est d’abord ce mythique éclat de la Ville blanche qui l’étreint. Alors que le fascisme étend ses tentacules sur la vieille Europe et fourbit les armes du désastre, le jeune homme, qui rêvait de nouveaux horizons, aurait pu embarquer pour New York, ou pour l’Amérique latine. Le hasard et quelques péripéties l’ont conduit en Afrique du Nord, vers ce qui était alors, encore, un «département français».
Société d'apartheid
Pour le petit Parisien, fils de tailleurs, né à Londres dans une famille de juifs russes et polonais ayant fui les pogroms, la découverte de l’Algérie est un bouleversement. Dans cet autre monde, son rêve algérien prend immédiatement corps. Il se lie avec des Algériens, des gosses déguenillés de la place du Gouvernement jusqu’aux amis rencontrés à l’auberge de jeunesse où il loge, parmi lesquels Mustapha Kateb. Des amitiés contre-nature, dans cette société d’apartheid. Instinctivement, le jeune homme refuse la frontière invisible qui sépare deux mondes, celui des Européens, citoyens français, et celui des indigènes, rendus étrangers à leur propre pays. Alors que les vichystes tiennent Alger, Henri, déjà communiste de cœur, adhère à la Jeunesse communiste clandestine, avant de rejoindre le Parti communiste algérien (PCA). C’est là, dans l’euphorie de la Libération, que son chemin croise celui d’une « sympathisante », Gilberte Serfaty. Elle deviendra une ardente militante et, pour lui, la compagne de toute une vie.
Racisme et oppression coloniale
En Algérie, à ce moment-là, un point de non-retour est franchi, avec les massacres de mai 1945 à Sétif et Guelma, prologue d’une guerre qui devait éclater neuf ans plus tard. Pour Henri Alleg, la plume devient l’arme du combat pour une Algérie libérée du racisme et de l’oppression colonialiste. En novembre 1950, il entre à Alger républicain. Le quotidien a été fondé en 1938 par des hommes de progrès opposés à la toute-puissance du grand colonat. Sans remettre en cause le dogme de l’Algérie française, il témoignait, avant guerre, sous la plume d’Albert Camus et d’autres «libéraux», du sinistre sort reservé aux indigènes. Lorsqu’Henri Alleg prend la direction du journal, en 1951, les communistes y ont déjà acquis une influence prépondérante. La ligne du journal se fait plus résolument anticolonialiste, solidaire des luttes ouvrières, favorable à l’objectif d’indépendance. Ce titre est le seul à échapper au monopole de la presse quotidienne détenue par les grands colons.
Aux côtés d’Alleg, chose inédite et impensable à l’époque, un «indigène», Boualem Khalfa, est promu rédacteur en chef. L’engagement du journal irrite au plus haut point les autorités, qui le censurent et multiplient les saisies au moindre prétexte. Henri Alleg et son équipe tirent de cet acharnement répressif un slogan : «Alger républicain dit la vérité, rien que la vérité, mais Alger républicain ne peut pas dire toute la vérité.» Alleg encourage les plumes acérées, comme celle du jeune Kateb Yacine, dont les analyses politiques, d’une finesse et d’une impertinence insensées, subjuguent jusqu’aux plus aguerris de la rédaction. Lorsqu’éclate l’insurrection, le 1er novembre 1954, Alger républicain est déjà depuis longtemps dans le collimateur des gardiens du temple colonial. Le journal est interdit en 1955.
Clandestinité et censure
Henri Alleg entre dans la clandestinité. Régulièrement, il envoie des articles au journal l’Humanité, interdit sur le sol algérien, cible, à son tour, en France, des ciseaux d’Anastasie. Il est arrêté le 12 juin 1957, alors qu’il se rend au domicile de son ami, le mathématicien Maurice Audin, enlevé la veille par les parachutistes. Torturé à mort, Audin n’est jamais revenu des supplices que lui infligèrent les barbares aux ordres de Massu et Bigeard.
Alleg, lui, est un rescapé de l’enfer. Tous les supplices, tous les noms, tous les lieux, les paroles mêmes se gravent à jamais dans sa mémoire. Il entend tout dire, s’il survit, de ce qui se passe dans cet immeuble investi par la 10e D.P., à El Biar, où fut «suicidé» l’avocat Ali Boumendjel. Son témoignage franchit les murs du camp de Lodi, puis de la prison de Barberousse, sur de minuscules papiers pliés. Son avocat Me Léo Matarasso, le transmet à l’Humanité. L’édition du 30 juillet 1957, qui reprend ce récit glaçant, est saisie.
Au printemps 1958, Jérôme Lindon accepte de le publier aux éditions de Minuit. Le livre, préfacé par Sartre, est aussitôt interdit. Mais la censure provoque l’inverse de l’effet escompté. Deux semaines plus tard, depuis Genève, l’éditeur Nils Andersson prend le relais. La Question passe la frontière dans des valises et circule, en France, sous le manteau. Au total, 150 000 exemplaires clandestins du livre seront diffusés, contribuant de manière décisive à lever le voile sur la torture. Trois ans après son arrestation, Henri Alleg est inculpé d’«atteinte à la sûreté extérieure de l’État». Il écope de dix ans de prison. Transféré à la prison de Rennes, il s’évade, avec la complicité de Gilberte, lors d’un séjour à l’hôpital. Aidé par des militants communistes, il rejoint la Tchécoslovaquie, où il séjourne jusqu’à la signature des accords d’Évian.
Rêve algérien
Lorsqu’il revient à Alger pour superviser la reparution d’Alger républicain, les menaces des « frères » du FLN, prêts à s’entre-tuer pour le pouvoir, sont à peine voilées. Avec Abdelhamid Benzine, Henri Alleg échappe de peu à des hommes en armes. L’équipe, pourtant, se reconstitue. L’appui technique de la Marseillaise rend possible la reparution du journal, qui fait sien le slogan des femmes de la casbah, excédées par la guerre que se livrent les factions du FLN : « Sebâa snin barakat ! » (« Sept ans de guerre, ça suffit ! »). Pourtant, le fossé entre la nouvelle Algérie du FLN et le rêve algérien d’Alleg et de ses camarades est bien là. Il se muera en incommensurable abîme. Après le coup d’État de 1965, il doit prendre la fuite. Les communistes sont pourchassés. Dans l’Arbitraire, un livre témoignant des tortures que lui infligèrent les hommes de la dictature naissante, le dirigeant communiste Bachir Hadj Ali raconte que ses tortionnaires menaçaient de faire d’Alleg, réfugié à Paris, un Ben Barka algérien.
Le combat de sa vie
L’Algérie est pourtant restée, dans le cœur du journaliste, comme le combat de sa vie. «Je suis heureux et fier d’avoir pris part au combat pour l’indépendance», nous confiait-il en mars 2012. À son retour en France, cet homme discret, érudit, d’une gentillesse exquise, a rejoint la rédaction de l’Humanité comme grand reporter, puis en devint le secrétaire général. «J’ai exercé ce métier en militant communiste, animé de convictions, aime-t-il à répéter. Ce fut pour moi un engagement, au sens fort du terme.»
"Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite", souligne François Hollande. "A travers l'ensemble de son oeuvre -jusqu'à son dernier livre, Mémoire algérienne, paru en 2005-, il s'affirma comme un anticolonialiste ardent", a souligné le président de la République dans un communiqué. "Il fut un grand journaliste, d'abord à Alger Républicain, dont il assura la direction, puis à L'Humanité, dont il fut le secrétaire général et auquel il collabora jusqu'en 1980. Son livre, La Question, publié en 1958 aux éditions de Minuit, alerta notre pays sur la réalité de la torture en Algérie", a ajouté François Hollande, en soulignant que "toute sa vie, Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite", en restant "constamment fidèle à ses principes et à ses convictions".
Henri Alleg: His Horizon — Peace, Socialism, and Fraternity Between Men and Between Peoples
Translated Tuesday 23 July 2013, by
Henri Alleg denounced, without exception: imperialist wars, torture, and the logic of apartheid.
How to put words to the sadness that seizes our hearts? Henri Alleg departed as he had arrived, with discretion. He never recovered from the departure of his dear Gilberte, his wife, his comrade in battle, who died in April 2011.
Nevertheless, despite his chagrin, he continued to give testimony, to organise politically. Never tiring. On the occasion of the 50th anniversary of Algerian independence, Henri Alleg made sure he responded to all requests to appear, to participate. But during his public appearances he rarely spoke of the past. A militant journalist, attentive to movements world-wide, he spoke of the present.
He always denounced imperialist wars and those lawless zones such as Guantanamo or the secret prisons of the CIA, put in place by the U.S. administration in order to practice torture with impunity. He spoke of the colonial domination exercised by the state of Israel over the Palestinian people. He spoke of Iraq, of Afghanistan. He spoke of the neocolonialism that asphyxiates Africa. A militant Communist, an internationalist, he had for horizon — peace, Socialism, and fraternity between men and between peoples.
When he evoked the war in Algeria, it was never in order to evoke his own experience of torture — on this, he had said all in his book The Question. Henri Alleg passed into the hands of torturers of the French Army, just as had thousands of Algerian patriots. It is for them, for those shadows reduced to silence, that, throughout his life, he continued his battle for the truth. He knew better than anyone else the open wounds that we have inherited, we, the children and grand-children of Algerians who underwent torture with the gégène [1]. Right to the end, never giving up, he fought the revisionism that the French far right is always ready to exalt as the "positive aspects" of colonialization. For him, colonialism was alway a synonym of apartheid, of exploitation, of theft. In his eyes, the racism rife in France is a deadly heritage of colonization. He had an awakened consciousness of the fractures that the conflicts of memory concerning the war in Algeria continue to leave as imprint on French society. His life, his struggles, at the crossroads of many worlds, were the very antithesis of chauvinism, of colonialism, of logics of exclusion.
Communist to the end, Henri Alleg did not live in the nostalgia of previous socialist experiences; he simply remained faithful to the idea of a world freed from capitalism, liberated from a system that engenders nothing but devastation. "Myself also, I made the point. But I believe that disillusion should not shake our conviction that we can change the world …", he confided to us in 2010. "We should make our own final analysis of historical experience, never rallying peaceably behind the discourse of those who have always combatted us. We see it today: the capitalist system destroys those who take their system to be inevitable. We must must continue this combat for another society. There is no other battle worth its salt." These battles remain. Like the memory of his smiling face and his sly regard.
[1] The gégène is military slang, diminutive for "generator", referring to the portable dynamo designed to provide power for telephones in non-electrified regions. It was used for torture, applying an electric current to various parts of the body.(Wikipedia)
09:44 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : henri alleg, journaliste, l'humanité, algérie, la question | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
Commentaires
Merci beaucoup pour cet extrait de littérature. Merci.
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Je vous complimente pour votre paragraphe. c'est un vrai boulot d'écriture. Poursuivez .
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