29/09/2017
La réforme du code du travail perd son “procès” au tribunal de la fête de l’Huma
“C’est le vrai ou pas ? Il lui ressemble beaucoup quand même!” Dans la foule regroupée sous le chapiteau de l’Agora de la fête de l’Huma, certains participants sont un peu confus. Est-ce vraiment Bernard Thibault, ex-secrétaire général de la CGT qui est en train de s’exprimer – il a pourtant une coupe de cheveux des plus reconnaissables ? Ou bien un acteur, comme bon nombre des personnes présentes des deux côtés de la scène de ce “tribunal” censé statuer sur la réforme du code du travail ? Que le public se rassure : c’était bien le vrai Bernard Thibault, comme toutes les “parties civiles” venues s’exprimer à l’occasion de ce vrai-faux procès des ordonnances Macron, déjà critiquées récemment à l'occasion de la manifestation à l'appel de la CGT, le 12 septembre.
Côté défense, en revanche, “Monsieur Profite, Jean Profite” ou encore “Madame Buse, Elsa Buse” (tsoin tsoin!) ne sont pas réels : ils incarnent les personnages de Pierre Gattaz, patron du Medef, ou d’une représentante de la Commission européenne – avec le discours qui va avec. L’idée de ce simili-procès, notamment animé par la “présidente du Tribunal” – Laurence Mauriaucourt irl, journaliste à l’Huma, qui a revêtu une tenue de juge pour l’occasion ? Faire témoigner toutes les parties prenantes de cette réforme, que ce soit ses détracteurs ou ses partisans. Une façon “moins rébarbative” que les débats classiques d’évoquer la question, dixit les dires d’un festivalier près de nous pendant la conférence, mais aussi de rappeler le contenu – et les potentielles conséquences sur les travailleurs – de ces fameuses ordonnances. Sont évoquées, pêle-mêle : la baisse des indemnités prud’homales en cas de licenciements sans cause réelle et sérieuse, la potentielle fin des accords de branche ou encore la primauté donnée au périmètre hexagonal pour appréhender les difficultés économiques des multinationales licenciant en France.
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26/04/2015
La « guerre mondiale contre le terrorisme » a tué au moins 1,3 million de civils
Révélations l'Humanité,
MARC DE MIRAMON
Un rapport publié par un groupe de médecins lauréats du prix Nobel de la paix révèle qu’un million de civils irakiens, 220 000 Afghans et 80 000 Pakistanais ont péri, au nom du combat mené par l’Occident contre « la terreur».
« Je crois que la perception causée par les pertes civiles constitue l’un des plus dangereux ennemis auxquels nous sommes confrontés », déclarait en juin 2009 le général états-unien Stanley McCrystal, lors de son discours inaugural comme commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF).
Cette phrase, mise en exergue du rapport tout juste publié par l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IP- PNW), lauréate du prix Nobel de la paix en 1985, illustre l’importance et l’impact potentiel du travail effectué par cette équipe de scientifiques qui tente d’établir un décompte des victimes civiles de la « guerre contre le terrorisme » en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.
« LES FAITS SONT TÊTUS »
Pour introduire ce travail globalement ignoré des médias francophones, l’ex-coordinateur humanitaire pour l’ONU en Irak Hans von Sponeck écrit: « Les forces multinationales dirigées par les États-Unis en Irak, l’ISAF en Afghanistan (...) ont méthodiquement tenu les comptes de leurs propres pertes. (...) Celles qui concernent les combattants ennemis et les civils sont (par contre) officiellement ignorées. Ceci, bien sûr, ne constitue pas une surprise.
Il s’agit d’une omission délibérée. » Comptabiliser ces morts aurait « détruit les arguments selon lesquels la libération d’une dictature en Irak par la force militaire, le fait de chasser al-Qaida d’Afghanistan ou d’éliminer des repaires terroristes dans les zones tribales au Pakistan ont permis d’empêcher le terrorisme d’ atteindre le sol états-unien, d’améliorer la sécurité globale et permis aux droits humains d’avancer, le tout à des coûts “ défendables ”».
Cependant, « les faits sont têtus », poursuit-il. « Les gouvernements et la société civile savent que toutes ces assertions sont absurdement fausses. Les batailles militaires ont été gagnées en Irak et en Afghanistan mais à des coûts énormes pour la sécurité des hommes et la confiance entre les nations. »Bien sûr, la responsabilité des morts civils incombe également aux « escadrons de la mort » et au « sectarisme » qui portait les germes de l’actuelle guerre chiitesunnite, souligne l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld dans ses mémoires (« Know and Unknown », Penguin Books, 2011).
Mais comme le rappelle le docteur Robert Gould (du Centre médical de l’université de Californie), l’un des auteurs du rapport, « la volonté des gouvernements de cacher le tableau complet des interventions militaires et des guerres n’a rien de nouveau.Concernant les États- Unis, l’histoire de la guerre au Vietnam est emblématique.
TOTAL ESTIMÉ À 3 MILLIONS
Bien loin des chiffres jusqu’à présent admis, comme les 110 000 morts avancés par l’une des références en la matière, l’« Iraq Body Count » (IBC), qui inclut dans une base de données les morts civils confirmés par au moins deux sources journalistiques, le rapport confirme la tendance établie par la revue médicale « Lancet », laquelle avait estimé le nombre de morts irakiens à 655 000 entre 2003 et 2006.
Depuis le déclenchement de la guerre par George W. Bush, l’étude de l’IPPN aboutit au chiffre vertigineux d’au moins 1 million de morts civils en Irak, 220 000 en Afghanistan, et 80 000 au Pakistan. Si l’on ajoute, concernant l’ancienne Mésopotamie, le bilan de la première guerre du Golfe (200 000 morts), et ceux du cruel embargo infligé par les États-Unis (entre 500 000 et 1,7 million de morts), ce sont presque 3 millions de morts qui sont directement imputables aux politiques occidentales, le tout au nom des droits de l’homme et de la démocratie.PENDANT CE TEMPS-LÀ, EN IRAK, EN AFGHANISTAN, AU PAKISTAN... Le 20 avril dernier, la « coalition antidjihadistes » dirigée par les États-Unis indiquait dans un communiqué avoir mené en 24 heures 36 raids aériens contre des positions du groupe « État islamique », dont 13 dans la province d’Al-Anbar, à l’ouest de Bagdad.
Combien de « dommages collatéraux » civils dans cette région, l’une des plus touchées par les violences depuis l’invasion de l’Irak en 2003 ? Les communiqués militaires demeurent systématiquement muets sur cette question, alors que plus de 3 200 « frappes » aériennes, selon la novlangue moderne, ont été effectuées depuis le mois d’août 2014 et la prise de Mossoul par l ’« État islamique».
Le 18 avril, c’est un attentat-suicide, « technique » de combat inconnue en Afghanistan avant le 11 septembre 2001, qui faisait 33 morts près de la frontière pakistanaise. À la fin du mois de mars, des sources sécuritaires pakistanaises faisaient état de 13 « djihadistes » liés aux talibans tués lors d’une attaque d’un drone états-unien.
Près de 10 000 soldats américains sont toujours stationnés en Afghanistan.
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15/12/2014
Le face-à-face entre deux projets de société
Pacte de responsabilité, loi Macron, coût du travail et coût du capital, règles sociales, démocratie et entreprise…
Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, et Pierre Gattaz, président du Medef, confrontent leurs options politiques sur tous les dossiers
Quelques heures après que Pierre Laurent, indigné par les déclarations sur la « souffrance patronale » et la monopolisation par le Medef du discours sur l’entreprise, eut proposé un débat public au patron des patrons, un tweet #gattaz relevait le gant et souhaitait l’Humanité comme champ clos.
La confrontation s’est déroulée hier comme une conclusion aux mobilisations patronales de la semaine dernière et à leur réplique orchestrée par les militants du PCF. Climat courtois, écoute mutuelle mais débat sans concession, animé par le directeur de la rédaction de l’Humanité, Patrick Apel-Muller, et par le chef du service politique, économique et social du quotidien, Sébastien Crépel.
Pierre Gattaz veut afficher un « esprit d’ouverture » afin de « faire avancer la démocratie » et se présente soucieux d’une « économie humaine ».
Pierre Laurent souligne que le travail est à l’origine de toute richesse créée dans l’entreprise et relève leur opposition fondamentale à propos de son accaparement par le capital.
La controverse est lancée ; elle déborde le temps d’abord imparti à cet échange ; elle n’en restera pas là… Jugez-en.
1 le chômage en France, la faute au coût du travail ou au coût du capital ?
Pierre Gattaz : Une entreprise est une communauté d’hommes et de femmes. Il faut donner du travail aux Français, aux jeunes, aux chômeurs. C’est mon obsession. Nous sommes bien évidemment pour donner du salaire net, du pouvoir d’achat à nos salariés. C’est fondamental, il faut que la fiscalité et le coût du travail ne pèsent pas trop sur ces salaires nets. Second constat, il faut impérativement que ce travail soit compétitif, dans une économie ouverte et mondialisée. Sinon les entreprises risquent, qu’elles soient françaises ou étrangères, de partir de France pour s’installer ailleurs, ce que nous ne voulons pas, au Medef.
Lorsque vous évoquez le coût du capital, le sujet est le financement des entreprises. Il y a un coût du capital qui s’appelle dividendes ou plus-values. Cette somme-là est la rémunération d’un risque. On oublie souvent dans mes propos que je suis pour une économie humaine, et mon combat n’est pas de distribuer plus de dividendes aux actionnaires, de vider de leur sens les entreprises. Comment puis-je créer de la croissance, préserver mes usines et au maximum les hommes et les femmes qui y travaillent, et faire que la mondialisation soit vertueuse ? Ce sont ces deux questions qu’au Medef, on se pose pour le pays.
Pierre Laurent : Vous parlez « d’économie humaine », mais c’est incompatible avec le discours permanent de culpabilisation qui est le vôtre sur le coût du travail. Le travail n’est pas un coût, c’est l’origine de toute la richesse créée. Quand vous mettez en cause « les charges » sociales, en prétendant protéger le salaire net, vous attaquez aussi le salaire, parce que ces charges sont des cotisations sociales qui sont du salaire socialisé.
Vous dites : « Il faut du capital pour l’entreprise », mais le problème c’est que, depuis trente ans, le coût de la rémunération de ce capital n’a cessé d’augmenter au détriment du travail. Vous masquez en permanence dans votre discours qu’il y a une confrontation d’intérêts entre la rémunération excessive du capital et une pression sans cesse accrue sur le travail. La France ne se développe pas dans la mondialisation en cherchant à concourir dans les catégories des pays à bas salaires et à emplois précaires. Vous en demandez toujours plus pour le capital, alors que nous devrions investir toujours plus dans les salaires, la formation et la qualification.
Pierre Gattaz : Nous avons beaucoup de points de convergences ! La valeur travail, magnifique, merveilleuse, il faut réhabiliter le travail, c’est au sommet de la pile.
Pierre Laurent : Mais tous vos actes concrets, toutes vos revendications sont à l’inverse !
Pierre Gattaz : Mais non, pas du tout ! C’est là où j’insiste, j’ai géré durant vingt ans ma société Radiall en me posant une unique question : comment garder mes quatre usines françaises dans un marché parti principalement en Chine ? J’ai perdu 40 % de mon chiffre d’affaires entre 2001 et 2002 mais, dix ans après, j’ai cinq usines en France. Mon chiffre d’affaires à l’exportation, c’est 90 %. Mais j’ai préservé le travail, j’ai préservé mes salariés français, et je les ai fait monter en gamme.
Chez Radiall, 75 ou 80 % des profits sont réinvestis dans la technologie, la formation des salariés, dans la recherche-développement, principalement en France. Une boucle vertueuse s’est donc développée pour préserver les usines et les salariés français afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, et ça marche. Deuxième point de convergence, à propos du salaire et du pouvoir d’achat. Je veux des salaires nets les plus élevés possible, mais vous avez une masse de charges qui représente 600 milliards, et que vous nommez salaire différé. Moi, je pense que c’est un bousin qui n’est pas géré. Qui finance cette masse ? Ce sont les impôts que nous payons…
Pierre Laurent : Il y a un problème sérieux, quoi que vous en disiez, de gâchis dû au coût du capital. Qu’est-ce qui justifie cette augmentation continue des dividendes ? Sûrement pas l’efficacité des entreprises ! Vous répétez sans cesse qu’il faut baisser la dépense publique, mais regardons plutôt l’efficacité de cette dépense, car il y a une dépense inefficace : celle qui consacre de plus en plus d’argent à compenser des exonérations et des niches fiscales sans effet en matière d’emploi… Je récuse donc vos propos sur le coût du travail.
Nous ne rendrons pas les entreprises françaises compétitives en laissant les jeunes à la porte de l’entreprise et en faisant travailler plus longtemps les seniors. Il faut investir dans le travail, la formation et la qualification, et pas seulement dans le haut de gamme. Nous devons cesser de sacrifier des pans entiers de notre industrie avec ses métiers de base, au point d’être devenus complètement dépendants de l’étranger pour la machine-outil et les biens d’équipement.
Il faut aussi changer les règles d marché pour permettre à tous un développement équilibré et des coopérations, faute de quoi nous irons vers des tensions internationales croissantes. Il y a donc une cohérence à changer les choix de gestion dans l’entreprise. Nous devons envisager un autre type de « mondialisation » fondée sur le partage. La France et nos entreprises devraient être actives dans ce domaine.
Pour cela, il faut commencer par reconnaître plus de droits aux salariés. Vous dites que l’entreprise est une communauté humaine, mais aujourd’hui, ceux qui sont les plus nombreux – les salariés – n’ont jamais leur mot à dire sur les choix de gestion.
Pierre Gattaz : Il faut cultiver, par la formation, l’employabilité permanente. Dans le futur, un salarié connaîtra sans doute au cours de sa carrière trois, quatre, cinq, sept métiers. L’important est de ne pas rester au chômage longtemps durant ces transitions. Il y aura des crises, des montées et des baisses de marchés. Le modèle danois de flexisécurité est intéressant sur ce point. Vous évoquez les métiers en tension, il y a 400 000 emplois non pourvus en France face à 3,3 millions de chômeurs. Vous avez raison, ces métiers sont pestiférés, je dirai. Pierre Laurent Comment voulez-vous y arriver avec 84 % d’embauches en CDD ?
Pierre Gattaz : Merci de cette question : pourquoi a-t-on ce taux de CDD ? Parce que le patron, ça va vous faire mal aux tympans, a peur d’embaucher en France. Des petits patrons me disent : « J’ai eu quatre salariés, et bien j’ai eu quatre prud’hommes. Ne comptez plus sur moi pour embaucher. » Il faut impérativement sécuriser ou clarifier les conditions dans lesquelles nous pouvons nous séparer de nos salariés en CDI.
Pierre Laurent : À quel salarié allez-vous faire croire qu’en supprimant toutes les garanties sociales vous allez libérer la possibilité d’embaucher ? Ce que vous allez libérer, c’est la possibilité de licencier. Nous, nous proposons depuis très longtemps de construire une nouvelle branche de la Sécurité sociale qui permettrait aux salariés, quand ils doivent changer d’emploi, de ne pas passer systématiquement par la case chômage. On pourrait très bien, plutôt que de dépenser de l’argent dans une indemnisation du chômage de plus en plus inégale et injuste, investir dans un système de sécurité d’emploi et de formation.
Pierre Gattaz : Sur le constat final, on est à peu près d’accord, mais pas sur le moyen d’y arriver. Il y a deux choses à régler en France : il y a la peur des salariés de se faire licencier et la peur des patrons d’embaucher. Il faut trouver des moyens de les faire baisser. C’est ce que nous avons fait dans l’accord interprofessionnel des partenaires sociaux en décembre : nous avons essayé de pousser des droits supplémentaires, comme le compte personnel de formation. Qu’est-ce que je fais au niveau de Radiall ?
Je fais des classes en entreprise depuis dix ans. J’emmène des professeurs et des classes, une fois par an, trois jours dans mes usines. Ils font classe de français, de philo et de maths avec les profs qui viennent pendant deux heures. Je fais des groupes de 6 élèves et ils vont voir mes salariés, mes décolleteurs. Le décolleteur explique l’amour de son travail, il explique la précision, il décollète à dix microns. C’est une pièce qui va dans l’horlogerie, dans un satellite. Il explique son métier avec passion.
C’est tout ça, la vraie vie. Et au bout de trois jours, vous avez des enfants qui voient des métiers d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers professionnels qui sont des artistes dans leur métier. L’entreprise, ce n’est pas Germinal ou Zola, ce n’est pas vrai. Les ingénieurs tutoient les ouvriers, on s’entraide sur des projets, c’est propre par terre, l’entreprise, c’est bien. Aimons l’entreprise.
Pierre Laurent : Vous n’allez pas m’expliquer à moi qu’il faut respecter la classe ouvrière. Le monde de la création, le monde ouvrier, le monde du travail, c’est l’ADN des communistes. Et c’est pour ça d’ailleurs que je revendique notre propre parole sur la question de l’entreprise et que je récuse le monopole patronal sur cette question. Vous avez évoqué l’Allemagne.
Vous savez très bien que si l’Allemagne a maintenu un niveau de production industrielle bien supérieur au nôtre, c’est pour plusieurs raisons. Ils ont mieux protégé le travail et la rémunération du travail dans l’industrie. Ils ont su mettre leurs services bancaires au service du développement industriel. Où sont les banques françaises quand il s’agit de faire un tour de table pour sauver une entreprise industrielle française ?
Et enfin, ils ont continué à développer une politique de filières que nous avons totalement abandonnée. Les grands donneurs d’ordres français, ceux du CAC 40, se comportent comme des groupes qui rançonnent toute la filière, les salariés en dernière instance, et aussi leur PME. Donc plutôt que de montrer sans cesse le travail comme un problème, comme un coût, nous devrions plutôt défendre ce travail et nous attaquer à ces problèmes structurels. Nous avons un capitalisme qui, en France, est en grande partie un capitalisme rentier.
Pierre Gattaz : Il y a des excès et des problèmes à régler en France. Des directions d’achat qui pressurisent les PME qui utilisent le CICE, ça existe, maintenant est-ce que c’est 100 %, 95 % ou 1 % ? Au Medef, on regarde les excès à chaque fois.
Le CAC 40, c’est un porte-avions qui entraîne de plus en plus des PME et des ETI. Il y a quelques années, on a créé le pacte PME, avec le patron de Schneider Electric, pour motiver nos grandes entreprises à chasser en meutes, c’est-à-dire à pousser leurs PME, leurs ETI dans leur sillage. Ça fonctionne. Nous allons continuer ce combat. Les banques françaises ont été les plus vertueuses au monde dans la crise de 2007-2008. Pour autant, nous n’allons pas tout attendre des banques.
Au Medef, on pense qu’en dehors des banques, il faut utiliser toutes les autres sources de financement : le crowdfunding, source de financement sur Internet, est intéressant. Si vous avez 1 000 personnes qui mettent 15 euros, ce n’est pas énorme pour une start-up, mais c’est un début. C’est un système attractif parce que plus il y aura d’employeurs, plus nous aurons la chance de créer des emplois. C’est mécanique. Personne ne m’a démontré le contraire pour l’instant mais peut-être allez-vous le faire. Il faut donc absolument que ces gens qui arrivent avec peu, voire pas de moyens, puissent trouver des capitaux.
Il faut également développer les fonds de pension à la française et une fiscalité incitative pour que les gens puissent mettre 2 000 euros dans une boîte sans que tout le bénéfice du risque pris soit confisqué en impôt.
Pierre Laurent : Votre indulgence à l’égard du système bancaire est très étonnante. Car il y a effectivement un énorme problème de financement de l’économie. Le système bancaire joue un rôle malheureusement très important. Nous devons reprendre la main pour piloter différemment l’utilisation de ces fonds du système bancaire et d’épargne. D’ailleurs, le problème est aussi européen.
L’« indépendance » consacrée de la Banque centrale européenne est une aberration. On oblige et les entreprises et les États à aller se refinancer à des coûts prohibitifs sur le marché alors qu’on pourrait très bien financer autrement. Quant à la fiscalité, vous prétendez qu’elle ne pèse pas assez sur la consommation et qu’on pourrait augmenter la TVA alors que la fiscalité sur le capital est affreuse et insupportable. La réalité des recettes fiscales de l’État, c’est l’exact inverse.
La TVA est de loin la première recette fiscale, elle rapporte deux fois plus que l’impôt sur le revenu et six fois plus que l’impôt sur les sociétés. Nous avons une fiscalité d’une injustice totale au travers de laquelle passent des richesses considérables. Je suis le premier à penser qu’il faut repenser totalement la fiscalité française et remettre à plat toutes les niches et toutes les exonérations fiscales accumulées ces dernières années et qui n’ont donné aucun résultat en matière d’emploi.
Pierre Gattaz : Nous avons un point de divergence majeur sur la fiscalité.
2 Quel rôle de l’État pour piloter et stimuler l’activité économique ?
Pierre Gattaz : De 1 200 milliards d’euros aujourd’hui, la sphère publique augmente de 50 milliards par an grosso modo, et représente 57 % du PIB. Qui paye ? C’est l’entreprise in fine, celle qui crée de la richesse.
L’entité qui paye les missions régaliennes, c’est l’entreprise. Le domaine de l’État doit se limiter à ses fonctions régaliennes. Il faut revenir à un niveau de dépense qui s’approcherait de 50 % du PIB dans un premier temps. Et contrairement à ce que vous dites, pour moi, effectivement, nous avons une fiscalité qui est inversée. Nous avons une TVA à 20 % au taux maximum, alors que dans les pays à haute protection sociale que sont les pays du nord de l’Europe, vous êtes à 23, 24, 25 et jusqu’à 27 %.
Nous sommes en compétition avec la moyenne européenne. Et le coût du travail montre en effet que, depuis 2000, nous étions à 8 % de moins en taux horaire par rapport aux Allemands, nous sommes aujourd’hui à plus 12 %. Et les 35 heures sont passées par là. On a donné 10 % de plus aux gens en temps, sans baisser les salaires. C’est un problème.
Ensuite, je terminerai par le capital et l’épargne. Tous les rapports du monde l’expliquent : quand vous mettez 10 000 euros dans une entreprise, il faut que votre taxation soit simple et connue si vous revendez. Or, aujourd’hui, ce n’est pas motivant, parce que la taxation des plus-values est compliquée, donc c’est décourageant. Après, vous avez ce problème des dividendes.
Je réinsiste, la question des dividendes qui est très diabolisée en France, c’est la rémunération d’un risque. Donc, je veux bien tout ce que vous voulez, mais toutes les PME et toutes les TPE pour acheter des robots ont besoin de fonds propres. Ces fonds propres sont apportés par des actionnaires. Ces actionnaires, idéalement, ça devrait être nos salariés. Et je suis très content parce qu’on a poussé ça, d’améliorer la fiscalité de l’épargne des salariés, d’améliorer la possibilité pour nos salariés d’être actionnaires. C’est dans la « loi Macron », et je m’en félicite.
Pierre Laurent : L’impôt n’est pas là pour payer la « dépense publique » mais sert au contraire à investir dans des domaines où justement l’entreprise ne le fera pas. Et dans des domaines qui participent au développement de la collectivité nationale. Nous avons besoin d’impôt pour financer le système d’éducation, pour soutenir les infrastructures, dont d’ailleurs les entreprises se servent, que ça soit les routes, le ferroviaire, les installations portuaires…
Donc l’impôt n’est pas une charge. Je ne méprise pas le rôle de l’entreprise, c’est un lieu de création, mais l’entreprise ne résume pas non plus toute la société. Faire maigrir brutalement l’investissement public, comme vous le proposez, ne va faire que dégrader la situation. Ensuite, on ne travaille pas trop en France. Il n’y a pas assez de gens qui travaillent, et la productivité des travailleurs français est extrêmement élevée.
Nous laissons à l’écart du travail une part croissante de la société française. Enfin, vous rendez hommage à la « loi Macron », car elle va dans votre sens, après le CICE qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas produit de résultat probant en matière de créations d’emplois. Avec cette loi, on va déréglementer le marché du travail, flexibiliser encore davantage, mais sans résultat efficient sur l’activité économique.
3 Le gouvernement Valls, un gouvernement Medef compatible ?
Pierre Gattaz : Non, je ne le sens pas du tout comme ça. Il faut que l’on dépasse le débat gauche-droite, parce qu’il est obsolète. Ni l’entreprise, ni l’économie de marché, ni la mondialisation, ni le dialogue social ne sont une affaire de gauche ou de droite. Il faut avoir la lucidité de voir le monde qui tourne et qui bouge et qui est en mutation accélérée, et d’en finir avec des postures, des dogmes et des idéologies. Nous avons travaillé au Medef sur notre projet « France 2020, faire gagner la France ».
C’est une France qui retrouve de la croissance et c’est une France du plein-emploi. Car je suis persuadé qu’en France, on peut retrouver le plein-emploi : moins de 7 % de chômeurs. C’est mon obsession absolue. Et concernant le travail du dimanche, il faut demander à nos consommateurs et à nos salariés. Sur les Champs-Élysées, j’ai vu des jeunes femmes salariées qui pleuraient parce qu’on les interdisait de travailler après 21 heures : c’est quand même scandaleux d’en arriver là ! Ça ne vous aurait pas ému ?
Pierre Laurent : Vous ne pouvez pas dire ça ! Allez dans la grande distribution : qui empêche les caissières de travailler à temps plein ? Ce sont les patrons de la grande distribution, qui multiplient les contrats à temps partiel. Toutes les enquêtes le montrent !
Pierre Gattaz : Vous parlez de travail subi, alors que moi, je dis qu’il faut s’adapter aux demandes de ces jeunes femmes qui veulent travailler après 21 heures parce qu’elles touchent des primes ou des salaires augmentés de 25 %.
Pierre Laurent : Mais leurs salaires sont bloqués !
Pierre Gattaz : Ça c’est complètement faux, si vous travaillez après 21 heures sur les Champs-Élysées, votre salaire sera augmenté.
Pierre Laurent : Allez discuter avec les salariés du commerce et vous verrez ce qu’ils vous diront sur leur salaire !
Pierre Gattaz : Je suis pour le travail le dimanche et après 21 heures sur volontariat des salariés quand cela a du sens. Amazon fait 25 % de son chiffre d’affaires le dimanche. La consommation, c’est de la création de richesses, c’est de l’emploi. Nous avons estimé que si on ouvrait certaines zones touristiques, pas partout, et avec autorisations des maires, les Chinois n’iraient plus faire leurs courses à Londres, à Madrid ou à Amsterdam.
Pierre Laurent : L’avenir de nos sociétés n’est pas de travailler en permanence, jours, nuits et dimanches. Concernant le volontariat des salariés, vous savez très bien que c’est une fable. Les salaires sont tellement bas dans le commerce – et ils sont de fait bloqués – les temps partiels sont tellement imposés, que certains acceptent, mais ça n’a rien à voir avec le volontariat. Il y a des choix de société qui ne sont pas les mêmes. Ce n’est donc pas aux chefs d’entreprise d’imposer leurs volontés.
Pourtant, j’ai l’impression que le Medef se comporte comme le premier parti politique de France et qu’il fait la pluie et le beau temps dans les choix politiques. Vous vous vantez d’être un homme de terrain, mais je constate que le Medef est plus sûrement introduit dans les arcanes du système que je ne le suis et que ne le sont les syndicalistes et les salariés. La vérité, c’est que vous jouez un rôle politique permanent dans ce pays.
Pierre Gattaz : Il faut observer ce qu’il se passe dans le monde. Dans les 150 pays en concurrence avec la France, les 30 qui ont bien réussi depuis 15 ans, sont celles qui ont mis l’entreprise au-dessus des considérations politiques. Les clients doivent gagner de la satisfaction, les hommes et les femmes doivent garder de l’épanouissement, de la formation permanente. Et les actionnaires, qui sont, je suis désolé, propriétaires de l’entreprise, récupèrent, en effet, des sommes qu’ils ont investies. Nous sommes dans une compétition mondiale où les règles du jeu sont quand même tournées autour de ces trois valeurs clés. Et je constate que des gouvernements de gauche ou de droite jouent selon cette règle du jeu.
Pierre Laurent : Derrière ce discours qui peut paraître de bon sens, en vérité vous développez l’idée qu’il peut y avoir des alternances politiques, mais finalement qu’il n’y aurait toujours qu’une seule politique possible. Et c’est malheureusement ce à quoi on assiste. La mondialisation telle qu’elle fonctionne ne ravit pas le monde entier. Il y a beaucoup de gens qui la contestent, de nations qui cherchent d’autres voies que celles de la mondialisation actuelle. Oui, il y a des propriétaires, mais un des problèmes justement c’est que ceux qui ne sont pas les propriétaires de l’entreprise, et qui pourtant en créent la richesse, n’ont pas assez leur mot à dire sur les choix faits.
4 le pacte de responsabilité, une faute ou une chance ?
Pierre Gattaz : Le pacte de responsabilité, on l’a suggéré au départ par notre pacte de confiance. Il est sorti, on l’a applaudi, on l’accompagne. C’est une démarche non politique de la part du Medef. Pour moi, l’état d’esprit de ce pacte, c’est de réduire le coût du travail, non pas en salaire net, mais sur les charges qui pèsent sur le coût du travail lui-même. C’est de réduire, aussi, la fiscalité qui pèse sur la productivité des entreprises françaises.
Ce pacte a été voté en juin dernier, nous attendons encore un certain nombre de décrets d’application sur la baisse des charges. On parle de baisse de la fiscalité pour les entreprises depuis le début, et bien figurez-vous qu’en ce moment encore, il y a des augmentations de charges sur les entreprises : le versement transports, les taxes de séjour. Il y a un manque de cohérence entre les discours et l’état d’esprit du pacte et les mesures qui sont prises. C’est pour cela qu’il y a eu une mobilisation la semaine dernière des chefs d’entreprises.
Pierre Laurent : Nous sommes en désaccord total. Le pacte de responsabilité qui effectivement a été initié par le Medef a déjà prouvé son inefficacité et son échec. Ce pacte vient s’ajouter à toute une série de crédits d’impôts, de niches fiscales et d’exonérations de cotisations sociales qui se sont accumulées aux cours des 20 dernières années sans aucun résultat en matière d’emploi. Malheureusement avec le pacte de responsabilité qui coûtera la somme énorme de 41 milliards d’euros, nous nous dirigeons vers un immense gâchis de fonds publics.
Pierre Gattaz : En France on a toujours l’habitude d’augmenter les charges comme je vous l’ai expliqué. Donc vous avez un poison, et vous inventez l’antipoison (avec le pacte – NDLR)…
Pierre Laurent : Non, mais vous ne pouvez pas dire que les charges sur les entreprises ont augmenté…
Pierre Gattaz 40 milliards. 40 milliards de plus. Je suis désolé, c’est les statistiques.
Pierre Laurent : C’est faux. Il faut compter toutes les exonérations de cotisations sociales, les crédits d’impôt, la suppression de la taxe professionnelle, tout ce qui s’est accumulé ces dernières années… La petite augmentation du versement transports va servir à construire des infrastructures qui sont utiles aux entreprises, parce que les salariés en région parisienne ne se rendent pas à leur travail à pied, que je sache. Vous ne pouvez pas nier que sur les 20 dernières années, nous avons empilé successivement toute une série de dispositifs, de niches fiscales et d’exonération de cotisations sociales.
Pierre Gattaz: Monsieur Laurent, ce que je vous propose, c’est : gardez vos aides, gardez vos subventions, surtout ne nous donnez plus rien, mais baissez les charges. Prenons le chiffre de 200 milliards que vous avez annoncé, qui est faux, mais prenons-le : vous faites 200 milliards d’économies en gardant les subventions, mais baissez nos charges de 200 milliards.
Pierre Laurent : Je suis pour remettre à plat toutes les aides financières accordées aux entreprises et pour baisser radicalement le coût du crédit. Les dividendes versés, les frais financiers, les frais bancaires, dont vous ne parlez jamais, représentent le double de la totalité des cotisations sociales payées par toutes les entreprises françaises. Attaquons-nous ensemble à ces charges financières, plutôt qu’aux dépenses sociales et publiques utiles.
Compte rendu réalisé pour l'Humanité par Marion d’Allard, Kevin Boucaud, Sébastien Crépel, Julia Hamlaoui, Clotilde Mathieu, Aurélien Soucheyre et Lionel Venturini
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27/07/2013
HENRI ALLEG, COMMUNISTE ET JOURNALISTE : UN JUSTE PARMI LES JUSTES !
Ancien journaliste de l'Humanité, militant communiste et auteur de l'ouvrage "La Question" (1958) qui dénonçait la torture pendant la guerre d'Algérie, décédé à Paris à l'âge de 91 ans. Portrait publié par l'Humanité.
Depuis Alger républicain dont il devient directeur en 1951, le journaliste communiste a fait de sa plume l’arme du combat pour une Algérie libérée du racisme et de l’oppression colonialiste. Son livre la Question a contribué de manière décisive à lever le voile sur les tortures de l’armée française.
«Enfin Alger ! Un quai inondé de soleil, que surplombe le boulevard du front de mer.» Lorsque le jeune Harry Salem débarque pour la première fois à Alger, au mois d’octobre 1939, c’est d’abord ce mythique éclat de la Ville blanche qui l’étreint. Alors que le fascisme étend ses tentacules sur la vieille Europe et fourbit les armes du désastre, le jeune homme, qui rêvait de nouveaux horizons, aurait pu embarquer pour New York, ou pour l’Amérique latine. Le hasard et quelques péripéties l’ont conduit en Afrique du Nord, vers ce qui était alors, encore, un «département français».
Société d'apartheid
Pour le petit Parisien, fils de tailleurs, né à Londres dans une famille de juifs russes et polonais ayant fui les pogroms, la découverte de l’Algérie est un bouleversement. Dans cet autre monde, son rêve algérien prend immédiatement corps. Il se lie avec des Algériens, des gosses déguenillés de la place du Gouvernement jusqu’aux amis rencontrés à l’auberge de jeunesse où il loge, parmi lesquels Mustapha Kateb. Des amitiés contre-nature, dans cette société d’apartheid. Instinctivement, le jeune homme refuse la frontière invisible qui sépare deux mondes, celui des Européens, citoyens français, et celui des indigènes, rendus étrangers à leur propre pays. Alors que les vichystes tiennent Alger, Henri, déjà communiste de cœur, adhère à la Jeunesse communiste clandestine, avant de rejoindre le Parti communiste algérien (PCA). C’est là, dans l’euphorie de la Libération, que son chemin croise celui d’une « sympathisante », Gilberte Serfaty. Elle deviendra une ardente militante et, pour lui, la compagne de toute une vie.
Racisme et oppression coloniale
En Algérie, à ce moment-là, un point de non-retour est franchi, avec les massacres de mai 1945 à Sétif et Guelma, prologue d’une guerre qui devait éclater neuf ans plus tard. Pour Henri Alleg, la plume devient l’arme du combat pour une Algérie libérée du racisme et de l’oppression colonialiste. En novembre 1950, il entre à Alger républicain. Le quotidien a été fondé en 1938 par des hommes de progrès opposés à la toute-puissance du grand colonat. Sans remettre en cause le dogme de l’Algérie française, il témoignait, avant guerre, sous la plume d’Albert Camus et d’autres «libéraux», du sinistre sort reservé aux indigènes. Lorsqu’Henri Alleg prend la direction du journal, en 1951, les communistes y ont déjà acquis une influence prépondérante. La ligne du journal se fait plus résolument anticolonialiste, solidaire des luttes ouvrières, favorable à l’objectif d’indépendance. Ce titre est le seul à échapper au monopole de la presse quotidienne détenue par les grands colons.
Aux côtés d’Alleg, chose inédite et impensable à l’époque, un «indigène», Boualem Khalfa, est promu rédacteur en chef. L’engagement du journal irrite au plus haut point les autorités, qui le censurent et multiplient les saisies au moindre prétexte. Henri Alleg et son équipe tirent de cet acharnement répressif un slogan : «Alger républicain dit la vérité, rien que la vérité, mais Alger républicain ne peut pas dire toute la vérité.» Alleg encourage les plumes acérées, comme celle du jeune Kateb Yacine, dont les analyses politiques, d’une finesse et d’une impertinence insensées, subjuguent jusqu’aux plus aguerris de la rédaction. Lorsqu’éclate l’insurrection, le 1er novembre 1954, Alger républicain est déjà depuis longtemps dans le collimateur des gardiens du temple colonial. Le journal est interdit en 1955.
Clandestinité et censure
Henri Alleg entre dans la clandestinité. Régulièrement, il envoie des articles au journal l’Humanité, interdit sur le sol algérien, cible, à son tour, en France, des ciseaux d’Anastasie. Il est arrêté le 12 juin 1957, alors qu’il se rend au domicile de son ami, le mathématicien Maurice Audin, enlevé la veille par les parachutistes. Torturé à mort, Audin n’est jamais revenu des supplices que lui infligèrent les barbares aux ordres de Massu et Bigeard.
Alleg, lui, est un rescapé de l’enfer. Tous les supplices, tous les noms, tous les lieux, les paroles mêmes se gravent à jamais dans sa mémoire. Il entend tout dire, s’il survit, de ce qui se passe dans cet immeuble investi par la 10e D.P., à El Biar, où fut «suicidé» l’avocat Ali Boumendjel. Son témoignage franchit les murs du camp de Lodi, puis de la prison de Barberousse, sur de minuscules papiers pliés. Son avocat Me Léo Matarasso, le transmet à l’Humanité. L’édition du 30 juillet 1957, qui reprend ce récit glaçant, est saisie.
Au printemps 1958, Jérôme Lindon accepte de le publier aux éditions de Minuit. Le livre, préfacé par Sartre, est aussitôt interdit. Mais la censure provoque l’inverse de l’effet escompté. Deux semaines plus tard, depuis Genève, l’éditeur Nils Andersson prend le relais. La Question passe la frontière dans des valises et circule, en France, sous le manteau. Au total, 150 000 exemplaires clandestins du livre seront diffusés, contribuant de manière décisive à lever le voile sur la torture. Trois ans après son arrestation, Henri Alleg est inculpé d’«atteinte à la sûreté extérieure de l’État». Il écope de dix ans de prison. Transféré à la prison de Rennes, il s’évade, avec la complicité de Gilberte, lors d’un séjour à l’hôpital. Aidé par des militants communistes, il rejoint la Tchécoslovaquie, où il séjourne jusqu’à la signature des accords d’Évian.
Rêve algérien
Lorsqu’il revient à Alger pour superviser la reparution d’Alger républicain, les menaces des « frères » du FLN, prêts à s’entre-tuer pour le pouvoir, sont à peine voilées. Avec Abdelhamid Benzine, Henri Alleg échappe de peu à des hommes en armes. L’équipe, pourtant, se reconstitue. L’appui technique de la Marseillaise rend possible la reparution du journal, qui fait sien le slogan des femmes de la casbah, excédées par la guerre que se livrent les factions du FLN : « Sebâa snin barakat ! » (« Sept ans de guerre, ça suffit ! »). Pourtant, le fossé entre la nouvelle Algérie du FLN et le rêve algérien d’Alleg et de ses camarades est bien là. Il se muera en incommensurable abîme. Après le coup d’État de 1965, il doit prendre la fuite. Les communistes sont pourchassés. Dans l’Arbitraire, un livre témoignant des tortures que lui infligèrent les hommes de la dictature naissante, le dirigeant communiste Bachir Hadj Ali raconte que ses tortionnaires menaçaient de faire d’Alleg, réfugié à Paris, un Ben Barka algérien.
Le combat de sa vie
L’Algérie est pourtant restée, dans le cœur du journaliste, comme le combat de sa vie. «Je suis heureux et fier d’avoir pris part au combat pour l’indépendance», nous confiait-il en mars 2012. À son retour en France, cet homme discret, érudit, d’une gentillesse exquise, a rejoint la rédaction de l’Humanité comme grand reporter, puis en devint le secrétaire général. «J’ai exercé ce métier en militant communiste, animé de convictions, aime-t-il à répéter. Ce fut pour moi un engagement, au sens fort du terme.»
"Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite", souligne François Hollande. "A travers l'ensemble de son oeuvre -jusqu'à son dernier livre, Mémoire algérienne, paru en 2005-, il s'affirma comme un anticolonialiste ardent", a souligné le président de la République dans un communiqué. "Il fut un grand journaliste, d'abord à Alger Républicain, dont il assura la direction, puis à L'Humanité, dont il fut le secrétaire général et auquel il collabora jusqu'en 1980. Son livre, La Question, publié en 1958 aux éditions de Minuit, alerta notre pays sur la réalité de la torture en Algérie", a ajouté François Hollande, en soulignant que "toute sa vie, Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite", en restant "constamment fidèle à ses principes et à ses convictions".
Henri Alleg: His Horizon — Peace, Socialism, and Fraternity Between Men and Between Peoples
Translated Tuesday 23 July 2013, by
Henri Alleg denounced, without exception: imperialist wars, torture, and the logic of apartheid.
How to put words to the sadness that seizes our hearts? Henri Alleg departed as he had arrived, with discretion. He never recovered from the departure of his dear Gilberte, his wife, his comrade in battle, who died in April 2011.
Nevertheless, despite his chagrin, he continued to give testimony, to organise politically. Never tiring. On the occasion of the 50th anniversary of Algerian independence, Henri Alleg made sure he responded to all requests to appear, to participate. But during his public appearances he rarely spoke of the past. A militant journalist, attentive to movements world-wide, he spoke of the present.
He always denounced imperialist wars and those lawless zones such as Guantanamo or the secret prisons of the CIA, put in place by the U.S. administration in order to practice torture with impunity. He spoke of the colonial domination exercised by the state of Israel over the Palestinian people. He spoke of Iraq, of Afghanistan. He spoke of the neocolonialism that asphyxiates Africa. A militant Communist, an internationalist, he had for horizon — peace, Socialism, and fraternity between men and between peoples.
When he evoked the war in Algeria, it was never in order to evoke his own experience of torture — on this, he had said all in his book The Question. Henri Alleg passed into the hands of torturers of the French Army, just as had thousands of Algerian patriots. It is for them, for those shadows reduced to silence, that, throughout his life, he continued his battle for the truth. He knew better than anyone else the open wounds that we have inherited, we, the children and grand-children of Algerians who underwent torture with the gégène [1]. Right to the end, never giving up, he fought the revisionism that the French far right is always ready to exalt as the "positive aspects" of colonialization. For him, colonialism was alway a synonym of apartheid, of exploitation, of theft. In his eyes, the racism rife in France is a deadly heritage of colonization. He had an awakened consciousness of the fractures that the conflicts of memory concerning the war in Algeria continue to leave as imprint on French society. His life, his struggles, at the crossroads of many worlds, were the very antithesis of chauvinism, of colonialism, of logics of exclusion.
Communist to the end, Henri Alleg did not live in the nostalgia of previous socialist experiences; he simply remained faithful to the idea of a world freed from capitalism, liberated from a system that engenders nothing but devastation. "Myself also, I made the point. But I believe that disillusion should not shake our conviction that we can change the world …", he confided to us in 2010. "We should make our own final analysis of historical experience, never rallying peaceably behind the discourse of those who have always combatted us. We see it today: the capitalist system destroys those who take their system to be inevitable. We must must continue this combat for another society. There is no other battle worth its salt." These battles remain. Like the memory of his smiling face and his sly regard.
[1] The gégène is military slang, diminutive for "generator", referring to the portable dynamo designed to provide power for telephones in non-electrified regions. It was used for torture, applying an electric current to various parts of the body.(Wikipedia)
09:44 Publié dans Actualités, Article en Anglais, Article in English, Histoire, International, Médias | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : henri alleg, journaliste, l'humanité, algérie, la question | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |