OPA sur Latécoère : un nouveau cas d’école d’absence d’Etat stratège (09/12/2019)
Sources : *Francis VELAIN est Ingénieur et contributeur de la revue Progressistes.
Latécoère, un nom, une entreprise qui sent bon la grande aventure aéronautique et humaine de notre pays : ses hydravions, son aéropostale, ses Mermoz. Depuis, l’entreprise n’a cessé d’évoluer. Moins visible du grand public qu’hier, elle reste une grande entreprise d’aéronautique, sous-traitante de premier rang d’Airbus.
Elle suit aujourd’hui le chemin dicté par ce maitre d’œuvre. Devenir une référence en se développant par elle-même. « Nous devons être compétitifs sur nos marchés pour gagner de l’argent en répondant aux réductions des coûts de nos donneurs d’ordre. » déclare sa PDG Yannick Assouad.
Elle le fait en ouvrant près de Toulouse une usine 4.0 opérationnelle dès 2020. « On n’oublie pas notre histoire toulousaine » a déclaré Yannick Assouad, l’actuelle PDG. ». Cette usine connectée relèverait d’une « volonté combinée et d’un engagement partagé avec Toulouse Métropole et la Région Occitanie ». Jean-Luc Moudenc, maire de Toulous se dit « fier que le 1er avionneur historique de la ville rose reste ainsi fidèle à Toulouse ». Latécoère « confirme notre stratégie d’attractivité et conforte le statut de Toulouse en tant que capitale mondiale de l’aéronautique ». La Banque Européenne d’Investissement (BEI) a investi de son coté 37 millions d’euros dans ce projet.
L’observateur attentif remarquera quelques zones d’ombres sur ce tableau. Ainsi, la suppression de 200 emplois en France dans le cadre du plan « Transformation 2020 ». En 2016 les activités Latécoère Services (Toulouse– 800 emplois- , Espagne, Royaume-Uni, Canada, Allemagne) furent vendues au Groupe ADF.
Mais une faim de croissance externe et internationale est l’autre face de la stratégie de l’entreprise. Car Latécoère tient son rang aussi de cette manière, en rachetant d’autres entreprises du secteur, en ouvrant des usines au Brésil, en Inde, au Mexique au Tunisie, en Bulgarie, en République Tchèque… sans doute toutes très modernes ! Entre recherche d’un moindre prix de la force de travail et contreparties au titre de quelques contrats de ses donneurs d’ordres (vente des rafales à l’inde etc… ) et autres considérations géopolitiques entre états.
Contreparties et considérations géopolitiques peuvent être la meilleure des choses pour construire un internationalisme économique de Paix, de partage des Progrès économiques et sociaux. Mais restons lucides. Le processus actuel se déploie avant tout au titre des affaires. « Nous ne pourrons jamais être complètement à l’abri de la guerre commerciale car nous ne pouvons pas nous déployer partout, mais nous devons essayer au moins d’être implantés sur chaque continent » confirme Mme Yannick Assouad, patronne de Latécoere. Elle disait en 2017 : « Nous sommes nous-même trop petits ».
Du côté de l’actionnariat bien de ces choses essentielles se décident donc depuis quelques temps avec une direction générale qui n’est pas sans liens avec ce monde actionnarial. La patronne de Latécoère, est désormais vice-présidente du GIFAS. En fait, la structure même de l’actionnariat interroge de plus en plus. C’est un actionnariat essentiellement flottant.
En avril 2019, un fond d’investissement américain, Searchlight Capital Partners racheta les part détenues par 3 autres fonds . Il devint le 1er actionnaire de Latécoère à hauteur de 26% du capital. Il annonça rapidement vouloir monter à 76% du capital via une OPA amicale. Latécoère accueilli favorablement le projet d’opération dès Septembre « L’initiateur de l’offre a en effet affiché son soutien à la stratégie proposée par le management et approuvée par le conseil d’administration ».( La Tribune – 17/10/2019). Or ses commandes dépendent d’Airbus à 68%., à 19% de Boeing, à 5% de Dassault…
Il semblerait que Bercy se contenterait néanmoins de voir le fond d’investissement français Tikehau Capital passer de quelques 5 à 10% du capital (La Tribune – 12/11 2019) avec un siège d’administrateur. Dix-sept députés de la commission de défense nationale ont demandé au gouvernement d’avoir une « approche souveraine » sur la vente de Latécoère (ainsi qu’une autre entreprise Photonis).
Pendant ce temps, la direction de Latécoère continue ses emplettes et propose de racheter l’activité de câblage et d’interconnexion de Bombardier Aviation avec notamment une usine de production au Mexique.
Latécoère est un fantastique exemple du besoin de maitriser les filières industrielles dans leur ensemble par un actionnariat stable, sensible aux enjeux de souveraineté nationale, des maitres d’œuvre à leurs partenaires sous-traitants. Il faut que les salariés de notre pays aient les actionnaires qu’ils méritent.
Le MEDEF est étrangement absent de ce débat, lui qui prétend que ses mandants créent l’emploi. Ce silence suffit à légitimer une appropriation publique des entreprises. Si l’industrie française n’est pas à brader, ce n’est pas seulement pour ses emplois d’aujourd’hui ! Les qualifications des personnels et de ceux des futures doivent et devront nourrir la création locale des richesses de la Nation et tout autant garantir à notre pays sa capacité de choisir son destin.
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