Fête de l'Humanité. Divertimento, l'orchestre symphonique du 93 qui rend la musique classique populaire (12/07/2013)
Zahia Ziouani est une chef d’orchestre précoce et talentueuse qui, à l’âge de 35 ans, a déjà tenu la baguette d’ensembles illustres.
À la tête du Conservatoire de musique et de danse de Stains, et de Divertimento, orchestre symphonique avec lequel elle revient sur la grande scène de la Fête de l’Humanité 2013, cette jeune femme de conviction s’efforce de démocratiser la musique classique. Entretien.
Vous êtes femme et chef d’orchestre. Chose rare. En tirez-vous une fierté ? Comment êtes-vous perçu dans ce milieu réputé masculin ?
Zahia Ziouani. La présence de femmes au sein des orchestres philharmoniques est récente. Il y a peu encore, certains orchestres en Europe interdisaient les femmes. L'orchestre philharmonique de Vienne en est le plus grand exemple. Depuis dix, douze ans, les choses évoluent. Très jeune, j'ai été passionnée par ce métier. Ne venant pas de ce milieu, peut-être était-ce par naïveté, mais jamais je n'ai pensé que ce métier m'était impossible. Avec le recul, cela reviendrait à vouloir être cosmonaute ou président de la République! J'ai commencé très jeune et ne souhaitais pas attendre 40 ou 50 ans avant d'exercer. Quand on est jeune et femme, il est vrai que c'est un peu compliqué. L'idée reçue voudrait qu'une femme n'ait pas l'autorité nécessaire pour diriger un orchestre. Pour cela, j'ai créé mon orchestre, Divertimento, afin d'apporter la preuve que j'étais capable de diriger. Aujourd'hui, mon challenge est de convaincre le monde musical que je suis en mesure de diriger de grands orchestres. Sur l'estrade face à l'orchestre, je ne me pose pas la question de savoir si je suis une femme ou un homme. Je veux être un bon chef simplement, être efficace, exigeante et innovante dans mon travail.
Vos parents ne sont pas du sérail, vous êtes ancrée en Seine-Saint-Denis et venez d'un milieu modeste, comment avez-vous eu accès à la musique classique ?
Zahia Ziouani. Mes parents aimaient la musique classique. C'est un héritage familial. Par ailleurs, j'ai grandi à Pantin, ville à l'époque communiste, où existait une prise de conscience concernant les politiques culturelles à mener pour favoriser l'accès à la culture. J'ai pu devenir chef d'orchestre car j'ai pu grandir dans cette ville. Si j'avais grandi dans une autre ville, je ne suis pas certaine que j'aurais eu accès à la musique. J'ai également eu la chance de rencontrer des professeurs intéressants et exigeants. Dès lors, quand j'ai débuté comme musicienne professionnelle, se posait la question de savoir où et comment. M'installer en Seine-Saint-Denis apparaissait comme une évidence. Il était important d'être utile, d'associer la dimension artistique à la transmission. Il était important de transmettre à mon tour ce que j'avais reçu. C'est un engagement fort que je porte d'être présente sur ce territoire. Petite, pour aller au concert, il fallait se rendre à Paris. Je n'ai plus envie de cela maintenant. Si une famille veut se rendre au concert, il est important qu'elle puisse le faire à Sevran, Stains ou Villiers-le-Bel, qu'il y ait des temps forts de musique classique sur ces territoires. Certains décideurs politiques ne voient la banlieue que par le prisme de la culture urbaine et ne développent les actions culturelles qu'en ce sens. Il est dommage d'opposer les arts entre eux.
Les concerts de musique classique représentent 7% des pratiques culturelles des Français. Comment amener les catégories populaires à la musique classique ?
Zahia Ziouani. La gratuité a beaucoup été développée pour encourager à la pratique. À mon sens, ce n'est qu'un aspect. L'environnement culturel est très important. Il est nécessaire d'apporter quelque chose de supplémentaire aux aspects pécuniaires, souvent et uniquement mis en place. Il existe des problématiques concrètes qu'il convient de résoudre. Une famille de Stains désireuse de se rendre à Paris pour un opéra, même gratuit, rencontre des difficultés. Après 21 heures, les bus ne circulent plus. Certains quartiers sont enclavés. Puis la France est métissée. Or la musique classique appartient au patrimoine européen. Elle n'est pas forcément leur référence, ce n'est pas un chemin naturel pour eux. Il nous faut prendre le temps d'expliquer. C'est un travail de terrain. La question est de savoir comment nous, musiciens, devons travailler en destination de ces nouveaux publics. Pour ma part, je travaille beaucoup avec les maisons de quartier et les centres socio-éducatifs. Les rencontres entre le public et les musiciens existent peu. Nous allons en amont les rencontrer pour les inciter à venir, pour garantir une diversité culturelle mais aussi sociale. Mon parcours m'amène à penser autrement. Il est d'ailleurs regrettable que l'aspect artistique soit relégué parfois au second plan. Une même symphonie de Beethoven jouée à la Cité de la musique sera reconnue quand, à Stains, ce sera vu comme du travail socioculturel.
Comment expliquez-vous ce distinguo ?
Zahia Ziouani. Les décideurs politiques, institutionnels et musicaux ne se déplacent pas et restent dans Paris. Ils vont plus facilement aller voir ce qu'il se passe, par exemple, au Venezuela plutôt que de passer le périph et venir observer les projets développés en Seine-Saint-Denis ! Il existe une vraie méconnaissance. Jamais un ministre ne se déplace ici pour un événement culturel. Pour certains, c'est moins glamour de venir à Stains qu'aller à la salle Pleyel. Nous manquons de visibilité, donc notre travail de terrain est peu pris en compte.
Vous avez signé l'appel du 93 (En 2005, suite à la demande des collégiens et du reste de la population de Seine-Saint-Denis qui veulent faire changer les regards sur ce département, le conseil général décide de réunir 93 personnalités du monde sportif et associatif, des artistes, des militants pour mettre en avant la dynamique de solidarité et de fraternité qui existe dans le département. Il a été signé par plus de 2 500 personnalités dont Zahia Ziouani), la musique est-elle aussi une manière de changer le point de vue sur ce département ?
Zahia Ziouani. Complètement. Cet appel a permis de fédérer. Oui, la Seine-Saint-Denis connaît des difficultés mais il existe des gens de valeur, des musiciens de grand talent. C'est une manière pour moi de valoriser ce département. Il est important de briser l'image et la fatalité.
Vous dirigez aussi un orchestre à Alger, quel rapport entretenez-vous avec l'Algérie?? Est-ce la même démarche que celle que vous menez en Seine-Saint-Denis ?
Zahia Ziouani. Au départ, ma démarche était personnelle. L'Algérie est le pays de mes origines. Ces visites ont créé un déclic et m'ont permis de développer un univers artistique. En Algérie, nous prenions le soin que la musique classique arabe puisse être également représentée. Il n'y a aucune raison de prioriser. À partir de là, j'ai commencé à travailler sur des musiques classiques extra-européennes et à leur donner une place dans les programmations. Cette année, dans le cadre de Marseille-Provence 2013, nous travaillons autour de la Méditerranée. Nous mêlons musique classique, traditionnelle et contemporaine. Mes origines n'ont cependant aucun rapport là-dedans. Nous travaillons aussi autour du jazz. Un orchestre peut aborder des esthétiques diverses. Pour mon travail sur l'Algérie, il était intéressant de montrer que les rapports avec la France n'ont pas été que compliqués. Ils ont été très riches également. Camille Saint-Saëns, par exemple, a beaucoup puisé dans la musique traditionnelle algérienne pour ses compositions.
Vous qui êtes sensible à la démocratisation de la culture, quel sens accordez-vous à la Fête de la musique ?
Zahia Ziouani. J'aime l'aspect festif même si j'aimerais que cette fête dure toute l'année. J'aime ce moment de partage et de vivre ensemble. Il s'agit d'un événement festif et populaire mais qui montre ses limites. Il s'agit d'un gros coup d'éclairage quand tout au long de l'année des questions ne sont pas abordées. L'aspect populaire de la musique ne se pose que le jour de cette fête. Or je suis persuadée qu'au même titre que le sport, la musique classique peut fédérer et être populaire.
Cette année sera votre deuxième participation à la Fête de l'Humanité. Que représente-t-elle ?
Zahia Ziouani. Je trouve courageux que la grande scène accorde de la place à la musique classique à côté du rock, de la chanson ou de la pop. Ces moments sont importants, notamment quand on voit les programmes de télévision de plus en plus mauvais, avec une place toujours plus tardive de la culture dans les grilles. Cette fête populaire rejoint les valeurs que je défends. Jouer une oeuvre classique devant 60.000 personnes est très stimulant. Et pour tout dire, je vais à la Fête de l'Huma tous les ans depuis que je suis petite, alors pouvoir aujourd'hui en devenir acteur est très flatteur.
Zahia Ziouani et l’Orchestre Divertimento seront, le 14 septembre, sur la grande scène de la Fête de l’Humanité.
18:54 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : l'humanité, austérité, patric le hyaric, la courneuve, divertimento, musique classique, fête de l'humanité 2013, zahia ziouani | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
Commentaires
superbe interview ! il y a effectivement beaucoup d'événements à voir dans le 93 qui mériteraient un petit effort de médiatisation. on est pas si loin de paris après tout...
Écrit par : Symphonique | 05/08/2013