10/04/2025
Histoire hallucinante des vaches abandonnées sur une île pendant 130 ans !
Une population de bovins abandonnés sur l’île Amsterdam au XIXe siècle a réussi à survivre et à s’adapter à un environnement extrême, devenant un exemple rare de féralisation. Leur étude génétique a révélé une histoire évolutive unique, mais ces animaux ont été entièrement éradiqués en 2010, soulevant des questions éthiques et scientifiques sur la conservation de la biodiversité domestique.
Par les auteurs Laurence Flori, Directrice de recherche, génétique animale, UMR SELMET, Inrae ; Mathieu Gautier, chercheur en génomique statistique et évolutive des populations, Inrae ; Tom Druet, Directeur de recherche au FRS-FNRS, Université de Liège ; François Colas, Inspecteur de santé publique vétérinaire, retraité ; Thierry Micol, Chef de service LPO.
L'étude génétique de cette population a permis de répondre à de nombreuses questions : D'où venaient ces vaches ? Comment ont-elles pu survivre et s'établir sur une île a priori hostile ? Mais elle en soulève d'autres. Était-il par exemple nécessaire d'éradiquer ces bovins redevenus sauvages en 2010 ?
Certains espaces naturels préservés accueillent des populations animales étonnantes, capables de s'adapter à des contextes inattendus. Un exemple intriguant en témoigne celui d'une population de bovins retournés à l'état sauvage (processus appelé féralisation), après avoir été abandonnés sur l'île subantarctique Amsterdam, au sud de l'océan Indien, sur laquelle ils ont vécu en toute autonomie jusqu'en 2010.
Une île inhospitalière balayée par les vents
Située à 4 440 km au sud-est de Madagascar et comparable en taille à Noirmoutier, cette île est soumise à un climat océanique tempéré, balayée par des vents constants et parfois violents, et exposée à des précipitations fréquentes, notamment l'hiver. Elle est également dépourvue de points d'abreuvement permanents, ce qui la rend à première vue incompatible avec la survie d'un troupeau de bovins. La seule présence humaine y est assurée par la base scientifique Martin-de-Viviès, établie en 1949.
Depuis 2006, l'île Amsterdam fait partie de la réserve naturelle nationale des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), un sanctuaire de biodiversité, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
D'après les documents historiques, quelques bovins y auraient été probablement abandonnés à la fin du XIXe siècle. Contre toute attente, ces animaux ont non seulement survécu mais également prospéré, leur population atteignant près de 2 000 animaux en quelques décennies. Mais d'où provenaient ces animaux, et comment ont-ils pu s'établir sur l'île et s'adapter à un environnement à première vue inhospitalier, en redevenant sauvages ? C'est l'histoire singulière de cette population bovine que nous avons retracée à partir de l'étude du matériel génétique de 18 animaux, extrait d'échantillons prélevés lors de deux campagnes d'étude remontant à 1992 et 2006.

Quand la génétique éclaire l’histoire
En analysant les différences entre les génomes de ces animaux, nous avons tout d'abord mis en évidence une diminution significative, mais brève de la taille de la population vers la fin du XIXe siècle. Ce résultat réfute l'hypothèse d'une présence plus ancienne de bovins laissés sur l'île par des navigateurs. Il confirme en revanche le scénario historique le plus consensuel, selon lequel cinq ou six bovins auraient été abandonnés sur l'île en 1871 par un fermier, nommé Heurtin, et sa famille, originaires de La Réunion. Partis avec quelques animaux pour s'installer sur l'île, la mettre en culture et entamer une activité d'élevage, ils n'y sont finalement restés que quelques mois. Ils ont été contraints de retourner à La Réunion par les conditions climatiques difficiles, les problèmes d'adaptation et l'isolement, en laissant les bovins derrière eux.
Une poignée d'animaux fondateurs a ainsi été à l'origine de la population, entraînant une forte augmentation de la consanguinité chez leurs descendants. Cette augmentation est souvent associée à une accumulation dans le génome de mutations délétères responsables de dysfonctionnements biologiques et de maladies génétiques. Mais elle peut aussi parfois permettre au contraire leur élimination, un phénomène connu sous le nom de purge. De manière surprenante, nous n'avons observé aucun de ces deux cas de figure. Les 2 000 descendants obtenus en quelques générations semblaient en effet en bonne santé. De plus, notre analyse, qui a mis en évidence une réduction modérée de la diversité génétique, n'a pas détecté d'élimination significative des mutations délétères, mettant d'autant plus en lumière la singularité de cette population.

Des origines ayant favorisé l’établissement des bovins sur l’île
La caractérisation génétique des animaux a également révélé qu'ils semblaient descendre de deux populations bovines bien distinctes de taurins européens génétiquement proches d'animaux actuels de race jersiaise (env. 75 %) et de zébus originaires de l'océan Indien (env. 25 %). Ces résultats confirment que les bovins introduits sur l'île avaient probablement été sélectionnés par Heurtin parmi les races présentes à l'époque sur l'île de La Réunion, qui comprenaient des animaux proches des jersiais actuels, susceptibles de s'être croisés avec des races locales, notamment des zébus de la région.
Cette spécificité est probablement à l'origine du succès de l'établissement de cette population dans cet environnement inhospitalier. C'est ce que révèlent nos résultats qui mettent en évidence une préadaptation de leurs ancêtres taurins européens aux conditions climatiques de l'île. Les animaux introduits n'ont, semble-t-il, pas été confrontés à un défi bioclimatique important, les conditions climatiques du berceau des bovins jersiais, l'île de Jersey (dans la Manche), étant en effet relativement proches de celles de l'île Amsterdam.

Des mécanismes adaptatifs principalement liés au système nerveux
La découverte de leurs origines nous a également permis de réfuter les hypothèses émises par certains scientifiques, selon lesquelles ces bovins auraient vu leur taille diminuer dans ce nouvel environnement pour s'adapter aux ressources limitées de l'île, un phénomène connu sous le nom de nanisme insulaire.
12:00 Publié dans Actualités, Connaissances, Planète, Science | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vaches, ile | |
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