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12/11/2025

Jean-Baptiste Greuze au Petit Palais : des toiles à la découverte l’enfance

greuze,pétit palais

Peintre majeur du XVIIIe siècle, un peu oublié depuis, Jean-Baptiste Greuze interroge de tableau en tableau les sentiments de ses jeunes modèles, jusqu’à la perte de l’innocence. Une nouveauté à l’époque, lourde de sens. Le Petit Palais à Paris lui consacre une rétrospective.

 

Vers 1765, un dessin à la plume de Jean-Baptiste Greuze représente le retour de nourrice d’un enfant. L’usage était, dans les familles aisées de l’époque, de confier le nouveau-né à une femme de la campagne pour son allaitement et ses premières années. Certaines d’entre elles en accueillaient plusieurs et des textes de l’époque évoquent des enfants emmaillotés tellement serré qu’ils ne pouvaient bouger, accrochés comme un paquet à un clou, pendant que la mère d’accueil était prise par trop de travaux.

Plus largement, la mise en nourrice devient un véritable trafic de petits humains dont commencent à s’inquiéter des moralistes et des philosophes comme Diderot, Rousseau, le baron d’Holbach1. Dans le dessin de Greuze, l’enfant, que l’on imagine âgé de 2 ou 3 ans, se blottit contre celle qui l’a élevé alors que sa mère légitime tente de l’attirer à elle…

Né à Tournus, en Saône-et-Loire, en 1725, Jean-Baptiste Greuze, à qui le Petit Palais à Paris consacre une importante exposition invitant à une relecture audacieuse de son œuvre, initiée par la directrice du musée, Annick Lemoine, fut un artiste virtuose, célèbre en son temps et dont les multiples portraits d’enfants ont à la fois fait le succès et entraîné le discrédit.

greuze,pétit palais

Grands yeux bleus, boucles blondes, joues rosées de porcelaine. Trop mignons, mignonnes. On va les retrouver sur les couvercles de bonbonnières ou de boîtes de chocolats, des assiettes que l’on voit encore sur Internet avec en motif, par exemple, une petite laitière comme on les aimait, il y a quelque temps tout de même, quoique…

Une forte tête qui tenait à son statut

Mais cette attention du peintre est nouvelle. L’époque, si l’on peut dire, découvre que le petit humain n’est pas un adulte en miniature ou une marionnette animée dont il faut attendre qu’elle prenne sa place dans le monde réel. Au XVIIe siècle déjà, le philosophe anglais John Locke dans son Essai sur l’entendement humain, où il réfute la notion d’idées innées, écrit : « Les premières idées qui occupent l’esprit des enfants sont celles qui leur viennent par l’impression de choses extérieures et qui font de plus fréquentes impressions sur leur sens. »

L’éducation, par la suite, pour Rousseau, Condorcet, quand bien même leurs choix peuvent différer, va devenir fondamentale, de même que l’environnement avec la question de la mise en nourrice mais aussi de l’allaitement. Du côté des enfants, c’est au fond cette sensibilité que va interroger Greuze. Son petit berger va souffler une fleur de pissenlit comme pour interroger son avenir. Sa propre fille Anne-Geneviève, également appelée Caroline, a un petit air buté. Un autre, fatigué, s’est endormi sur son livre…

C’est aussi dans cet esprit qu’il interroge, au travers de multiples scènes, la vie de famille comme avec « le Gâteau des rois » (1774), le rôle des pères avec des tableaux comme « le Fils puni » (1778) et « le fils ingrat » (1777) sans que l’on sache si c’est ce dernier qui part ou s’il est chassé…

En réalité, Greuze est d’une certaine manière un chroniqueur de son temps et de sa sociologie intime. C’est sur le fond ce qui lui vaut la faveur et l’amitié de Diderot, qui ne cesse de le louer de salon en salon, non sans l’opposer à Boucher ou à Fragonard, qui, s’il ne nie pas leur talent, sont pour lui les peintres de la dépravation des mœurs. Greuze est le peintre de la morale et de la famille, mais contre ce qu’il estime être la décadence d’une certaine aristocratie.

De fait, Greuze va aller plus loin, dans sa vision morale, que la simple défense des bonnes mœurs en évoquant les non-dits du « libertinage », quand bien même il aurait été un client assidu des filles dites « publiques » et goûtait ses jeunes modèles.

Mais c’est aussi l’auteur en 1756 des « Œufs cassés », où une jeune femme accablée est assise auprès de son panier à terre, avec une vieille femme prenant à partie un jeune homme au regard sombre. À l’époque, l’œuf cassé est un symbole de la virginité perdue. Avec le tableau phare de l’exposition, « la Cruche cassée » (1771-1772), où une jeune fille serre son vêtement à la hauteur de son sexe, avec un sein dénudé et le regard perdu, tenant sa cruche cassée à côté d’une sombre tête de lion crachant on ne sait quel liquide, c’est bien d’une allusion à une perte de l’innocence ou même à un viol qu’il s’agit.

Greuze en même temps était une forte tête qui tenait à son statut. Lorsqu’on lui propose de faire le portrait de la dauphine, qui n’est autre que la belle-fille du roi, il refuse en disant qu’il ne peint pas de visages plâtrés, évoquant sans fard, c’est bien le cas de le dire, la poudre dont se couvraient les femmes de l’aristocratie.

Il a épousé en 1759 Anne-Gabrielle Babury, très jolie fille dit-on d’un libraire parisien, forte tête elle aussi. C’est un couple très à l’aise, qui développe aussi un important commerce de gravures, géré par madame pendant que monsieur dessine et peint. Le couple va se défaire. Le goût du temps passe. Greuze finira pauvre et esseulé en dépit de l’affection de ses deux filles, en 1805. Il est temps d’en finir avec les bonbonnières pour retrouver un grand peintre.

« Jean-Baptiste Greuze. L’enfance en lumière », jusqu’au 25 janvier. Catalogue édité par le Petit Palais et Paris Musées, 392 pages, 49 euros.

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28/10/2025

Au musée du Louvre, une exposition consacrée au peintre révolutionnaire Jacques-Louis David

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En consacrant un événement au peintre et conventionnel Jacques-Louis David, auteur de Marat assassiné, le musée du Louvre renouvelle notre regard sur « un artiste pour notre temps ».

 

L’historien romain Tite-Live a décrit les Sabines arrêtant le combat entre leurs pères et frères et leurs maris romains, comme courageuses, au milieu des projectiles, leurs cheveux défaits et leurs vêtements déchirés. Le tableau de Jacques-Louis David, déplacé de la grande salle où il voisine avec le Sacre de Napoléon, du même David, est sans conteste l’œuvre la plus spectaculaire de l’exposition que le Louvre consacre à la figure du peintre et révolutionnaire.

Selon Sébastien Allard, cocommissaire et directeur du département des peintures du musée, David est « un artiste pour notre temps ».

Des femmes humaines face la violence guerrière des hommes

Il faut, pour cela, regarder les Sabines en se débarrassant de l’image d’une grande machine évoquant un épisode qui ne saurait nous concerner. On peut résumer rapidement l’histoire. Lors de la fondation de Rome, les Romains, qui veulent des épouses, finissent par enlever des femmes au peuple des Sabins. Lors de la guerre qui s’ensuit, les femmes parviennent à arrêter les combats et à instaurer la paix.

Alors regardons le tableau de David avec au centre celle-ci en blanc, les bras écartés pour stopper la fureur guerrière, celle-là agenouillée, toute au désarroi de ne pouvoir peut-être protéger ses enfants, et cette autre, ridée, se dépoitraillant comme pour dire « tuez-moi, tuez votre mère »… La nudité des hommes en fait des allégories de la violence guerrière. Mais les femmes sont humaines.

Qui est David quand il entreprend, en 1795, cette œuvre magistrale avec déjà à son actif les chefs-d’œuvre que sont le Serment des Horaces en 1785 et, bien sûr, dans son austérité confinant au sublime, Marat assassiné, en 1793, devenu l’une des images les plus puissantes de la Révolution dans l’imaginaire national ?

Des couleurs vives du rocaille, au clair-obscur dramatique et moral

Né en 1748 à Paris, déterminé à être peintre et pas n’importe lequel, il échoue à plusieurs reprises au Grand Prix de l’Académie et tente même de se suicider en 1772. Il est encore, alors, dans le registre léger du XVIIIe de Boucher, Fragonard. Touche enlevée, couleurs vives, ce qu’on appelle le style rocaille.

Mais, ce dont témoignent les premiers tableaux du parcours du Louvre, dont Bélisaire demandant l’aumône (1780), il se tourne vers le Caravage et ses suiveurs, le clair-obscur et la tension dramatique, puis vers une vision morale qu’incarne en 1785 le Serment des Horaces jurant devant leur père de défendre Rome contre les Curiaces de la ville d’Albe.

Peint avant la Révolution, le tableau va devenir une image de la vertu et comme une préfiguration du serment du Jeu de paume, que David entreprendra de peindre mais ne finira jamais. Le sort des personnalités qui auraient dû y être représentées ayant connu des fortunes diverses, pour le moins.

Quelques séjours en prison avant de peindre l’empereur et de s’exiler

David n’est pas que peintre, c’est un homme engagé et un politique. Député à la Convention, organisateur des fêtes révolutionnaires, proche de Robespierre, il sauve sa tête, quand bien même il n’échappe pas à quelques séjours en prison après la chute de ce dernier. Il se voue alors au portrait dont celui, célèbre, de la brillante Juliette Récamier, une reine de la période du Directoire, qu’elle refusera sans que l’on sache trop pourquoi.

Bonaparte, puis Napoléon dans ses premières années, apparaît encore en France et dans l’Europe des Lumières comme le continuateur de la Révolution, celui par qui, pour reprendre les termes de Hegel qui voit en lui « l’âme du monde », la raison avance dans l’Histoire.

David va devenir le peintre de l’empereur, au prix de quelques accommodements. En 1800, il peint Bonaparte passant les Alpes sur un magnifique cheval blanc cabré qui a pris la place d’une humble mule. Pour le Sacre de Napoléon (1804), il installe la mère de l’empereur dans la loge centrale alors qu’elle était absente.

La Restauration contraindra David à l’exil, à Bruxelles, où il mourra en 1825 en se refusant à revenir en France comme il aurait pu le faire au bout de quelque temps.

« Les Sabines » : une œuvre pour la paix

Mais revenons aux Sabines, une œuvre politique, invitant à la paix. Déjà, avec le Serment des Horaces, avec la Douleur et les regrets d’Andromaque sur le corps d’Hector dans la même période, le peintre fait une place particulière aux femmes.

Sébastien Allard écrit : « David retourne les valeurs liées à l’héroïsme viril en nous donnant à voir le prix que cet héroïsme implique, un prix tout entier payé par les femmes. » Au Salon de 1799 où sont accrochées les Sabines, David fait installer un miroir en face du tableau pour que les visiteurs soient, par leur reflet, inscrits dans le drame en cours. Ce sont eux qui font l’Histoire.

« Jacques-Louis David », jusqu’au 26 janvier 2026, au Louvre, Paris 1er. Rens. : louvre.fr. Catalogue édité par Hazan et le musée du Louvre, 370 pages, 49 euros.

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24/09/2025

Les richesses de la Gaza antique exposées à l’Institut du monde arabe

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La cité de Gaza, fondée il y a environ 3 500 ans, fut, dans l’Antiquité, l’un des principaux carrefours commerciaux entre Orient et Occident. C’est cette position stratégique exceptionnelle et l’extraordinaire richesse qui en découlait que révèle l’exposition « Trésors sauvés de Gaza : 5 000 ans d’histoire », présentée à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 2 novembre 2025.


L’exposition « Trésors sauvés de Gaza : 5 000 ans d’histoire » met en lumière les divers et nombreux sites historiques de Gaza qui ont récemment été détruits par des bombardements.

On y découvre un choix de 130 objets, datant du VIIIᵉ siècle avant notre ère au XIIIᵉ siècle de notre ère, qui témoignent de la foisonnante imbrication des cultures dans l’antique cité de Palestine, forte de ses échanges avec l’Égypte, l’Arabie, la Grèce et Rome.

Mais cette prospérité suscita la convoitise des États voisins et d’envahisseurs étrangers. Gaza s’est ainsi trouvée, dans l’Antiquité, au cœur de guerres d’une violence inouïe dont témoignent les auteurs anciens.

Le débouché maritime de la route des aromates

À Gaza arrivaient les aromates, encens et myrrhe, transportés à dos de chameaux, dans des amphores, depuis le sud de la péninsule Arabique. L’encens est une résine blanche extraite d’un arbre, dit boswellia sacra, qu’on trouve en Arabie du sud. On pratiquait une incision dans le tronc de l’arbre dont s’écoulait la sève qu’on laissait ensuite durcir lentement.

La myrrhe provenait également du sud de l’Arabie. C’est une résine orange tirée d’un arbuste, nommé commiphora myrrha.

La cité de Gaza, fondée il y a environ 3 500 ans, fut, dans l’Antiquité, l’un des principaux carrefours commerciaux entre Orient et Occident. C’est cette position stratégique exceptionnelle et l’extraordinaire richesse qui en découlait que révèle l’exposition « Trésors sauvés de Gaza : 5 000 ans d’histoire », présentée à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 2 novembre 2025.


L’exposition « Trésors sauvés de Gaza : 5 000 ans d’histoire » met en lumière les divers et nombreux sites historiques de Gaza qui ont récemment été détruits par des bombardements.

On y découvre un choix de 130 objets, datant du VIIIᵉ siècle avant notre ère au XIIIᵉ siècle de notre ère, qui témoignent de la foisonnante imbrication des cultures dans l’antique cité de Palestine, forte de ses échanges avec l’Égypte, l’Arabie, la Grèce et Rome.

 

Mais cette prospérité suscita la convoitise des États voisins et d’envahisseurs étrangers. Gaza s’est ainsi trouvée, dans l’Antiquité, au cœur de guerres d’une violence inouïe dont témoignent les auteurs anciens.

Le débouché maritime de la route des aromates

À Gaza arrivaient les aromates, encens et myrrhe, transportés à dos de chameaux, dans des amphores, depuis le sud de la péninsule Arabique. L’encens est une résine blanche extraite d’un arbre, dit boswellia sacra, qu’on trouve en Arabie du sud. On pratiquait une incision dans le tronc de l’arbre dont s’écoulait la sève qu’on laissait ensuite durcir lentement.

La myrrhe provenait également du sud de l’Arabie. C’est une résine orange tirée d’un arbuste, nommé commiphora myrrha.

Commencez votre journée avec des articles basés sur des faits.

Le siège de Gaza par Alexandre le Grand, peinture de Tom Lovell (1909-1997).

Les Nabatéens, peuple arabe antique, qui contrôlaient le sud de la Jordanie actuelle, le nord-ouest de l’Arabie et le Sinaï, convoyaient ces produits vers Gaza, en partenariat avec d’autres peuples arabes, notamment les Minéens, dont le royaume se trouvait dans l’actuel Yémen. Au IIIᵉ siècle avant notre ère, les papyrus des archives de Zénon de Caunos, un fonctionnaire grec, évoquent l’« encens minéen » vendu à Gaza.

Il y avait également des épices qui arrivaient à Gaza depuis le sud de l’Inde après avoir transité par la mer Rouge. Zénon mentionne le cinnamome et la casse qui sont deux types de cannelle. Le nard, dit parfois « gangétique », c’est-à-dire originaire de la vallée du Gange, provenait lui aussi du sous-continent indien.

Le nard entrait dans la composition d’huiles parfumées de grande valeur, comme en témoigne un passage de l’évangile selon Jean. Alors que Jésus est en train de dîner, à Béthanie, dans la maison de Lazare, intervient Marie, plus connue sous le nom de Marie-Madeleine.

« Marie prit alors une livre d’un parfum de nard pur de grand prix ; elle oignit les pieds de Jésus, les essuya avec ses cheveux et la maison fut remplie de ce parfum. » (Jean, 12, 3)

Flacon en forme de dromadaire accroupi, chargé de quatre amphores, découvert à Gaza, VIᵉ siècle de notre ère. Wikipédia, Fourni par l'auteur

Parfums d’Orient

Depuis Gaza, les aromates étaient ensuite acheminés par bateau vers les marchés du monde grec et de Rome. L’Occident ne pouvait alors se passer de l’encens et de la myrrhe utilisés dans un cadre religieux. On en faisait deux types d’usage sacré : sous la forme d’onctions ou de fumigations. On produisait des huiles dans lesquelles on faisait macérer les aromates ; on enduisait ensuite de la substance obtenue les statues ou objets de culte. On faisait aussi brûler les aromates dans les sanctuaires pour rendre hommage aux dieux.

Résine d’encens. Wikimédia, Fourni par l'auteur

Ces pratiques étaient devenues aussi courantes que banales à partir du IVᵉ siècle avant notre ère. Il était impensable de rendre un culte sans y associer des parfums venus d’Orient. Les fragrances qu’exhalaient les aromates étaient perçues comme le symbole olfactif du sacré. Outre cet usage cultuel, les aromates pouvaient aussi entrer dans la composition de cosmétiques et de produits pharmaceutiques.

La convoitise d’Alexandre le Grand

Mais la richesse de Gaza suscita bien des convoitises. Dans la seconde moitié du IVᵉ siècle avant notre ère, le Proche-Orient connaît un bouleversement majeur en raison des conquêtes d’Alexandre le Grand, monté sur le trône de Macédoine, royaume du nord de la Grèce, en 336 avant notre ère. Deux ans plus tard, Alexandre se lance à la conquête de l’Orient.

Après une série de succès fulgurant, en 332 avant notre ère, le Macédonien arrive sous les murailles de Gaza qu’il encercle. Bétis, l’officier qui commande la ville, mène une résistance acharnée, mais il ne dispose que de « peu de soldats », écrit l’historien romain Quinte-Curce (Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6, 26).

Alexandre fait alors creuser des tunnels sous le rempart. « Le sol, naturellement mou et léger, se prêtait sans peine à des travaux souterrains, car la mer voisine y jette une grande quantité de sable, et il n’y avait ni pierres ni cailloux qui empêchent de creuser les galeries », précise Quinte-Curce. Les nombreux tunnels aménagés sous la ville, jusqu’à nos jours, témoignent encore de cette caractéristique du sol de Gaza et sa région.

Après un siège de deux mois, une partie de la muraille s’effondre dans la mine creusée par l’ennemi. Alexandre s’engouffre dans la brèche et s’empare de la ville.

« Bétis, après avoir combattu en héros et reçu un grand nombre de blessures, avait été abandonné par les siens : il n’en continuait pas moins à se défendre avec courage, ayant ses armes teintes tout à la fois de son sang et de celui de ses ennemis. »

Affaibli, le commandant de Gaza est finalement capturé et amené à Alexandre. Avec une extrême cruauté, le vainqueur lui fait percer les talons. Puis il y fait passer une corde qu’il relie à son char, avant d’achever Bétis en traînant son corps autour de la ville, jusqu’à ce qu’il l’ait réduit en lambeaux. Quant aux habitants de Gaza qui ont survécu au siège, ils sont vendus comme esclaves.

Lors du pillage qui s’ensuit, Alexandre s’empare d’une grande quantité de myrrhe et d’encens. L’auteur antique Plutarque raconte que le vainqueur, très fier de son butin, en envoya une partie à sa mère, la reine Olympias, restée en Macédoine, et à Léonidas qui avait été son instructeur militaire dans sa jeunesse (Plutarque, Vie d’Alexandre, 35).

Monnaie (tétradrachme) d’argent de Ptolémée III, frappée à Gaza, 225 avant notre ère. Fourni par l'auteur

La renaissance de Gaza

Après la mort d’Alexandre, la ville est reconstruite et placée sous la domination des Ptolémées, successeurs d’Alexandre en Égypte et au Proche-Orient. Les souverains ptolémaïques collaborent alors avec l’élite des marchands de Gaza et les transporteurs nabatéens. Cette politique est largement bénéfique : elle enrichit à la fois les Gazéens, les Nabatéens et les Ptolémées qui prélèvent des taxes sur les produits acheminés dans la ville.

Au cours du IIᵉ siècle avant notre ère, Gaza devient la capitale d’un petit État indépendant, allié du royaume nabatéen. Suivant le modèle des cités grecques, les Gazéens élisent à leur tête un commandant militaire qui porte le titre de « stratège ».

Nouveau siège, nouvelle destruction

C’est alors que le roi juif Alexandre Jannée, qui appartient à la dynastie des Hasmonéens régnant sur la Judée voisine, décide d’annexer Gaza. En 97 avant notre ère, il attaque la ville qu’il assiège. Un certain Apollodotos exerce la fonction de « stratège des Gazéens », écrit Flavius Josèphe (Antiquités Juives, XIII, 359). Face à la menace, il appelle à l’aide Arétas II, le puissant souverain nabatéen, qui règne depuis Pétra, au sud de la Jordanie actuelle, sur une large confédération de peuples arabes. C’est pour cette raison qu’il porte le titre de « roi des Arabes », et non pas des seuls Nabatéens, selon Flavius Josèphe.

Dans l’espoir d’une arrivée prochaine d’Arétas II, les habitants de Gaza repoussent avec acharnement les assauts de l’armée d’Alexandre Jannée.

« Ils résistèrent, écrit Flavius Josèphe, sans se laisser abattre par les privations ni par le nombre de leurs morts, prêts à tout supporter plutôt que de subir la domination ennemie. » (« Antiquités juives », XIII, 360)

« Les soldats massacrèrent les gens de Gaza »

Mais Arétas II arrive trop tard. Il doit rebrousser chemin, après avoir appris la prise de la ville par Alexandre Jannée. Apollodotos a été trahi et assassiné par son propre frère qui a pactisé avec l’ennemi. Grâce à cette trahison, Alexandre Jannée, vainqueur, peut pénétrer dans la ville où il provoque un immense carnage.

« Les soldats, se répandant de tous côtés, massacrèrent les gens de Gaza. Les habitants, qui n’étaient point lâches, se défendirent contre les Juifs avec ce qui leur tombait sous la main et en tuèrent autant qu’ils avaient perdu de combattants. Quelques-uns, à bout de ressources, incendièrent leurs maisons pour que l’ennemi ne puisse faire sur eux aucun butin. D’autres mirent à mort, de leur propre main, leurs enfants et leurs femmes, réduits à cette extrémité pour les soustraire à l’esclavage. » (Flavius Josèphe, « Antiquités juives », XIII, 362-363)

Monnaie de bronze de Cléopâtre VII frappée à Gaza, 51 avant notre ère. Fourni par l'auteur

Trente ans plus tard, la ville renaîtra à nouveau de ses cendres, lorsque les Romains, vainqueurs de la Judée hasmonéenne, rendent Gaza à ses anciens habitants. Puis la ville est placée, pendant quelques années, sous la protection de la reine Cléopâtre, alliée des Romains, qui y frappe des monnaies. La cité retrouve alors son rôle commercial de premier plan et redevient pour plusieurs siècles l’un des grands creusets culturels du Proche-Orient.


Christian-Georges Schwentzel vient de publier les Nabatéens. IVᵉ siècle avant J.-C.-IIᵉ siècle. De Pétra à Al-Ula, les bâtisseurs du désert, aux éditions Tallandier.

 
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Cheffe de rubrique Éducation + Jeunesse

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08/04/2025

Dans les Déserts brulants ou glacés, exposition à Paris au Muséum d’histoire naturelle

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La nouvelle grande exposition du Muséum d’histoire naturelle, à Paris, invite petits et grands à parcourir le Sahara, l’Antarctique, Atacama… et à découvrir les étonnantes stratégies d’adaptation déployées par les animaux et les végétaux pour survivre dans ces milieux extrêmes.

Dunes de sables, roches érodées, sols craquelés ou à l’inverse, banquises et glaces à perte de vue… C’est au son des vents et dans une immersion de belles images de paysages désertiques que la nouvelle grande exposition temporaire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à Paris, accueille ses visiteurs en terres inconnues.

Loin d’être une traversée éprouvante à dos de chameau sous une chaleur écrasante, « Déserts », la nouvelle exposition du musée, est une aventure déroutante. Elle étonne par la beauté et l’incroyable biodiversité des paysages des déserts du monde, qu’ils soient faits de sable, de roche et de sel, ou bien de glace et de neige.

« Présents sur tous les continents, les déserts occupent aujourd’hui un tiers des surfaces émergées de notre planète. En cette période de grands changements climatiques, nous souhaitons les valoriser, ainsi que la vie qui les habite », présente Gilles Bloch, le président du MNHN. Qu’ils soient brûlants ou glaciaux, les déserts ont tous en commun d’être des milieux ouverts, exposés à l’aridité, aux températures extrêmes et aux vents violents.

De façon inattendue, ours polaires et dromadaires se côtoient

Du Sahara au désert arctique, en passant par les déserts de Sonora en Arizona, d’Atacama au Chili, ou encore de Gobi en Mongolie, pour ne citer qu’eux, les scientifiques distinguent cinq catégories de déserts : ceux dits « zonaux » de la zone intertropicale, les continentaux, les littoraux, ceux dits « d’abri », et les déserts polaires. Et ces derniers, l’Arctique et l’Antarctique, sont les deux plus grands du monde !

À l’aide de cartes inédites et de dispositifs pédagogiques et tactiles, l’exposition permet, par exemple, d’expérimenter comment les dunes de sable prennent des formes différentes, « en étoiles, longitudinales ou transverses par exemple, selon la force et l’orientation des vents qui les créent et les influencent », explique Didier-Julien Laferrière, muséographe et concepteur de l’exposition. L’activité humaine aussi sculpte les déserts : « Le Sahara, par exemple, a été modifié trois fois : il y a cinq mille ans avec les sociétés égyptiennes, puis durant la période gréco-romaine et enfin au XIXe siècle », explique Maël Crépy, l’un des cinq commissaires scientifiques de l’exposition, chercheur en géoarchéologie au CNRS.

La partie la plus surprenante de l’exposition est sans doute celle consacrée à la vie dans les déserts. Les animaux naturalisés, la spécialité du Muséum, se côtoient de façon inattendue : ce sont des ours polaires et des dromadaires, des manchots et des oryx… « La grande originalité de cette exposition est d’avoir mêlé désert chaud et désert polaire. Elle met ainsi en valeur la biodiversité et ses stratégies d’adaptation dans toutes ses dimensions », introduit Aude Lalis, cocommissaire scientifique de l’exposition, chercheuse en biologie de l’évolution de la biodiversité au Muséum.

Peu propices à la vie, les déserts abritent en effet une surprenante variété de plantes et d’animaux qui, au cours de l’évolution, se sont adaptés aux conditions extrêmes. « Globalement, d’un désert à l’autre, plantes et animaux usent de stratégies identiques pour boire et stocker l’eau, denrée rare, bien qu’il y ait toujours des spécificités selon les espèces », poursuivent Denis Larpin, responsable scientifique des collections végétales tropicales des jardins botaniques du Muséum, et Anthony Herrel, directeur de recherche au CNRS, spécialiste en anatomie comparée, morphologie fonctionnelle et biologie au Muséum.

Ainsi les cactus, décor célèbre des westerns, font des réserves d’eau, un peu comme les dromadaires font des réserves de gras métabolique dans leur bosse, ou les ours polaires de graisse isolante durant l’été. Certaines plantes profiteront de longues racines capables de capter l’eau des nappes phréatiques, quand d’autres en surface vont retenir la moindre goutte d’eau de pluie, un peu comme le moloch, reptile d’Australie, qui aspire l’eau grâce à un réseau d’anneaux situés sous ses écailles. Pour survivre, les organismes vivants développent des stratégies étonnantes.

Des possibilités physiologiques épatantes

« Dans les déserts polaires, précise Aude Lalis, certains hibernent, d’autres stockent, puis utilisent leurs corps pour résister aux températures extrêmes. Leurs extrémités – pattes, oreilles et museau – sont courtes pour que la chaleur soit conservée, leur fourrure est épaisse et chaude, comme celle du renard arctique, un as de l’adaptation, qui utilise sa queue en guise d’écharpe. » À l’inverse, dans les déserts chauds, certains animaux ont de grandes extrémités pour évacuer la chaleur, comme le fennec, le chat des sables ou le lièvre de Californie aux grandes oreilles, qui les aident à se rafraîchir.

D’autres, comme l’oryx d’Arabie, ont développé des systèmes de régulation de leur température corporelle, qui peut atteindre 45 °C : la chaleur stockée dans la journée est évacuée la nuit, évitant ainsi de perdre de l’eau en transpirant. De plus, il dispose d’une isolation thermique et d’un système de climatisation locale – rien que ça – qui permet de garder son cerveau au frais ! Mais la biodiversité des déserts est partout menacée par l’action humaine et les changements climatiques. Les déserts chauds ou froids sont des écosystèmes fragiles et vulnérables. Les premiers s’étendent alors que les seconds tendent à disparaître.

En sortant de l’exposition, on pense à Théodore Monod (1902-2000), l’un des grands défricheurs du désert, professeur du Muséum, qui invitait à parler du désert en se taisant, « comme lui », et à lui rendre hommage « par notre silence ».

Jusqu’au 30 novembre, à la Grande Galerie de l’évolution, Muséum national d’histoire naturelle, Paris (5e).

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