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22/02/2024

États-Unis, Russie, perte de repères... les conséquences de la guerre en Ukraine pour l'Occident selon Emmanuel Todd

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L’historien vient de publier un nouvel essai, dans lequel il analyse les bouleversements enclenchés par la guerre en Ukraine. Il y dépeint un monde anglo-saxon en perte de repères et une Europe poussée à des mesures suicidaires par les États-Unis face à la Russie. De quoi susciter des débats.

Avec son nouvel essai paru chez Gallimard, la Défaite de l’Occident, Emmanuel Todd suscite, comme attendu, le débat. L’historien avait commencé ses recherches avant la guerre en Ukraine. Il a finalement écrit son livre durant l’été 2023, et ce qui était un exercice de prospective est devenu une « analyse du présent ». Recourant à la démographie, à l’histoire, à l’anthropologie et à la méthode qui a fait sa marque de fabrique, l’étude des structures familiales anciennes, il propose une explication des grands bouleversements que traversent l’Occident et le monde depuis l’invasion russe.

En quoi une défaite de l’Ukraine dans la guerre contre la Russie serait-elle une défaite de l’Occident lui-même ?

Je décris un Occident divers, avec un pôle libéral et un pôle non libéral. D’un côté, l’Occident étroit qui a inventé la démocratie libérale constituée de l’Angleterre, des États-Unis, de la France. De l’autre, un Occident plus vaste avec l’Italie et l’Allemagne, si l’on s’en tient à l’Europe, où les structures familiales et les traditions politiques sont plus autoritaires. La défaite de l’Occident, c’est fondamentalement celle du monde anglo-américain. Mon livre comporte un chapitre sur l’Angleterre dans lequel je décris une classe dirigeante en décomposition. C’est la mère des États-Unis, qui a servi de modèle à leur classe dirigeante impériale.

Ce que j’écris est une version crue de ce que chuchote le Pentagone. Malgré le courage ukrainien, la plus grande surprise de la guerre, c’est la déficience de l’appareil militaro-industriel américain. Le désaccord entre Biden et les républicains sur les crédits à voter pour l’Ukraine est une mascarade. Ce n’est pas avec des chèques en dollars qu’on fait la guerre, mais avec des armes. Les États-Unis n’ont la capacité ni de les produire ni de créer les usines nécessaires à cette production. Mon livre analyse donc la déficience des Américains en termes de production d’ingénieurs. Les États-Unis sont plus de deux fois plus peuplés que la Russie, et produisent 30 % d’ingénieurs en moins. Ils produisent en revanche des avocats, des fiscalistes…

Vous réfutez justement le calcul de la richesse des États-Unis avec leur PIB, en le « dégonflant » avec un indicateur que vous appelez le PIR, « produit intérieur réel ». De quoi s’agit-il ?

Le PIB se dégonfle. Pour faire mon calcul, j’ai pris les dépenses de santé, qui sont autour de 18,8 % du PIB américain, alors que l’espérance de vie y est plus basse que dans les autres pays occidentaux. Il me semble donc que leur valeur réelle est surestimée. J’ai par conséquent choisi de les réduire à 40 %. Je décide d’appliquer un coefficient choisi comme ça, ce qui est étonnant. Mais c’est justement le problème. N’importe quel chiffre choisi à la louche sera plus exact que ce qui nous est offert par le calcul du PIB. En dégonflant, on se rapproche de la réalité. En appliquant la même méthode à l’ensemble de l’économie américaine, en ramenant la production de richesse aux choses matérielles, j’obtiens au final un « PIR » légèrement inférieur au PIB par habitant de l’Europe occidentale.

« La disparition du protestantisme produit l’Amérique que l’on connaît, un monde de corruption, de cupidité, violent… »

Pourquoi établir un lien avec la baisse de la pratique religieuse et particulièrement du protestantisme ?

La cause ultime n’est pas seulement l’effondrement de la pratique religieuse protestante, mais aussi celui des valeurs du protestantisme. Max Weber associait l’ascension de l’Occident au protestantisme pour des raisons d’éthique du travail. Je vais plus loin. Le protestantisme a alphabétisé des populations entières pour que chacun accède aux écritures saintes. Il a ainsi produit, presque par accident, une main-d’œuvre mobilisable économiquement, éduquée, travailleuse, sévère, épargnante. C’est l’avantage initial de l’Amérique, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la Scandinavie. La disparition du protestantisme produit l’Amérique que l’on connaît, c’est-à-dire un monde de corruption, de cupidité, violent…

En face, la Russie s’est stabilisée. L’Occident s’est infligé cette défaite à lui-même de par sa propre évolution religieuse, culturelle et économique. Le vainqueur de l’Occident, c’est l’Occident lui-même.

« L’Amérique que l’on connaît » n’est pas nouvelle… Pourquoi aujourd’hui ?

Les États-Unis sont partis de très haut. La chute du communisme a créé l’illusion d’une victoire du capitalisme que l’on croyait revitalisé par le néolibéralisme, l’obsession du marché. En réalité, on observe un déclin éducatif dès 1965 et économique dès 1980. À partir de Ronald Reagan, la production de blé commence à diminuer. En 2002, je l’avais déjà observé dans Après l’empire, au moment où tout le monde parlait d’hyperpuissance américaine.

En lisant votre dernier livre, on a l’impression que le processus que vous décriviez il y a plus de vingt ans est allé beaucoup plus loin…

Le modèle et la représentation de la société américaine aujourd’hui ne sont pas les mêmes. J’entre dans l’irrationnel social et religieux. Lorsque j’ai écrit Après l’empire, j’espérais que les États-Unis se rétractent de leur rêve impérial et se contentent d’être une nation géante. Je voyais l’agitation militariste américaine comme une manière de se rendre indispensable à peu de frais. Dans la Défaite de l’Occident, ce qui est nouveau, c’est le concept de nihilisme dérivant de la crise religieuse. C’est une société qui n’a plus de classe dirigeante, souterrainement guidée par un principe de déification du néant.

Je l’écris à la fin du livre : « L’état sociologique zéro de l’Amérique nous interdit toutefois toute prédiction raisonnable quant aux décisions ultimes que prendront ses dirigeants. Gardons à l’esprit que le nihilisme rend tout, absolument tout, possible. » On peut imaginer une implosion interne des États-Unis, avec une animosité qui lance les uns contre les autres républicains trumpistes et démocrates post-clintoniens… On peut aussi imaginer une Amérique pratiquant la stratégie du fou : faire croire qu’elle est capable d’être cinglée. Ce qui fait peur, c’est qu’elle pourrait être utilisée par des fous. Et c’est ce qui rend mon livre désagréable et angoissant pour nos élites atlantistes. J’y décris un comportement des Russes plus rationnel, plus lisible. C’est une situation extrêmement étrange.

« Les oligarchies libérales protègent leurs minorités. La démocratie autoritaire russe, non »

Et ça vous vaut des accusations de « poutinophilie ». Vous qualifiez le régime russe de « démocratie autoritaire ». Curieux, au moment même où meurt dans une colonie pénitentiaire Alexei Navalny, le principal opposant de Poutine…

Je définis un couple. Les gens pensent que nous sommes en démocratie chez nous, et qu’il y a une « autocratie », une « tyrannie » en face. Dans Après l’empire, j’expliquais que nous étions, nous, en « oligarchie libérale ». Le caractère libéral des États-Unis est incontestable. En Russie, tous les sondages d’opinion, tous les comportements attestent que la majeure partie du peuple russe soutient Poutine. Les élections sont encadrées, « raisonnablement trafiquées ». Mais Poutine représente pour les Russes le retour à la stabilité et à une vie normale. Qui là-bas voudrait faire l’expérience d’un retour aux années d’anarchie d’après la chute du communisme ? J’applique également mon modèle anthropologique auquel j’ai consacré mes années de chercheur, à savoir les structures familiales anciennes et la culture politique du présent.

Celles des Russes dérivent de familles communautaires très compactes, très vastes, très anti-individualistes, dont il reste quelque chose, même si les effets s’atténuent avec le temps. Si chaque Russe, pris individuellement, n’est qu’un tout petit porteur d’un résidu de cette culture, l’ensemble des interactions produit un système politique qui est l’expression normale de la société russe. Il est donc « démocratique ». J’ajoute « autoritaire », et c’est aussi important que « démocratie ». Ce n’est pas pour distinguer le système russe de la démocratie « normale », mais des démocraties libérales. Celles-ci expriment une volonté majoritaire, mais protègent leurs minorités. En Russie, le régime exprime la volonté de la majorité, mais ne protège pas ses minorités. J’y inclus les opposants : la minorité ultralibérale, ceux qui réclament un autre système, les homosexuels, les oligarques…

Nos oligarchies protègent bien certaines minorités comme les oligarques, qui y sont les mieux lotis. Et je crois que les Américains n’ont jamais pardonné à Poutine d’avoir mis au pas les oligarques russes. Il leur a laissé leur argent, mais retiré leur pouvoir. Ce rapport de l’État aux oligarques aide à comprendre le concept de « démocratie autoritaire ». En Occident, ceux qui ont de l’argent sont les maîtres du système. En Russie, ils ont été matés.

Le régime est aussi un soutien des extrêmes droites en Europe. N’est-ce pas un problème, cette fois, pour nos propres démocraties ?

Les Russes soutiennent qui ils peuvent. Ils n’ont pas le choix de leurs alliés. Les liens qui ont pu exister entre les extrêmes droites et le régime de Poutine sont plus circonstanciels qu’on ne croit. Il y a un malentendu. Ce n’est pas tout d’être populiste, d’en appeler au peuple contre les classes moyennes supérieures, ce que les deux formes idéologico-politiques ont en commun. En Europe occidentale, le rapport à l’islam est structurant pour les extrêmes droites qui se sont construites contre l’immigration et utilisent cette religion comme repoussoir.

Le régime russe n’est pas comme ça. La Russie compte 15 % de musulmans, la présence de l’islam y est au moins aussi ancienne que la population russe sur le territoire, s’incarnant dans des unités intégrées en bloc comme le Tatarstan, la Tchétchénie ou le Daguestan. Vladimir Poutine a fait construire à Moscou la plus grande mosquée d’Europe. Le rapport de la Russie à l’islam est positif et n’a pas vraiment d’équivalent. Peut-être que, d’une certaine manière, les extrêmes droites se trompent aussi sur la Russie. Quant à l’expérience Meloni en Italie, elle n’est pas encourageante pour Poutine.

« Il est difficile d’admettre que la puissance bénéfique est devenue un parasite monstrueux »

Vous laissez entendre qu’un retrait des États-Unis du continent européen serait positif. Malgré la menace russe depuis l’invasion de l’Ukraine ?

La prise de conscience du désastre ukrainien a semé une vague d’instabilité psychique dans les cercles supérieurs de l’Otan. Ces gens qui n’ont pas été capables de voir que Poutine allait prendre la décision d’attaquer ne sont pas non plus capables d’imaginer qu’il s’arrête une fois ses objectifs atteints. C’est une manifestation du refus de voir la situation d’un point de vue russe. Les Occidentaux jouent aux échecs en avançant leurs pièces, mais sans s’intéresser à ce que fait l’adversaire. Les Russes vont s’arrêter parce que leur territoire est déjà trop grand pour leur population, qui décline démographiquement. Ils doivent terminer la guerre dans les cinq ans, parce que la mobilisation va devenir difficile.

Diego Chauvet pour l'Humanité

06/01/2024

10 000 siestes par jour : un manchot, ça dort quand même énormément

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Pour assurer la survie de leur espèce, les manchots à jugulaire pratiquent 10 000 micro-siestes quotidiennes. De quoi en tirer des enseignements pour les humains ?

Une étude publiée dans la revue Science révèle que les manchots à jugulaire, des oiseaux plus petits que les manchots empereurs et qui vivent eux aussi en Antarctique, pratiquent en période de nidification, des milliers de micro-siestes tout au long de la journée et de la nuit. Plus précisément, 10 000 micro-siestes de 3,91 secondes qui leur permettent finalement de dormir onze heures par jour.

Quand il couve, le manchot à jugulaire reste près du nid pendant une quarantaine de jours pour surveiller les œufs – puis les poussins – et les protéger des prédateurs. Dans cette période, c’est leur partenaire qui s’occupe de rechercher la nourriture.

Quatorze manchots équipés de capteurs sur le dos !

Pour étudier ces manchots durant leur nidification, les chercheurs coordonnés par Paul-Antoine Libourel, ingénieur de recherche CNRS et écophysiologiste du sommeil au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, ont suivi 14 manchots d’une colonie de l’île du Roi-George située à environ 120 kilomètres de la péninsule Antarctique.

Ils leur ont attaché des petits capteurs non invasifs sur le dos, connectés à une dizaine d’électrodes enregistrant leur activité cérébrale, leur énergie musculaire, leur rythme cardiaque et le mouvement de leurs yeux. C’est ainsi qu’ils ont pu observer les milliers de micro-siestes qui s’avèrent essentielles à la survie de l’espèce. Et, au passage, ils ont établi qu’il est possible de se reposer en dormant 10 000 fois quelques secondes…

Source l'Humanité

18:15 Publié dans Connaissances, Planète, Science, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : manchot, sieste | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

30/11/2023

Cyberharcèlement : comment les trolls LFI passent à l'attaque

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Sur X, anciennement Twitter, de nombreux militants de La France insoumise s’en prennent avec virulence aux journalistes non complaisants et aux responsables qui ne sont pas dans la ligne. La méthode en dit long sur le fonctionnement d’un mouvement qui prône pourtant l’humanisme et la démocratie…

Françoise Degois est une journaliste de gauche. Sur les plateaux de LCI ou de Sud Radio, elle est connue pour défendre avec passion Jean-Luc Mélenchon et la Nupes. Parfois seule contre tous. De quoi ravir les militants insoumis. Mais le 7 octobre, tout a changé.

Dans les heures qui ont suivi les attaques du Hamas, LFI a renvoyé l’agresseur et l’agressé dos-à-dos, tout en refusant d’utiliser le mot terroriste : "J’ai trouvé cela insupportable et moralement indigne, ça m’a déconcertée et je ne me suis pas privée de le dire." De journaliste "amie", elle est subitement devenue une ennemie à abattre pour les militants insoumis qui déploient l’une de leurs armes favorites : le cyberharcèlement sur X (anciennement Twitter).

Sur X, anciennement Twitter, de nombreux militants de La France insoumise s’en prennent avec virulence aux journalistes non complaisants et aux responsables qui ne sont pas dans la ligne. La méthode en dit long sur le fonctionnement d’un mouvement qui prône pourtant l’humanisme et la démocratie…

Françoise Degois est une journaliste de gauche. Sur les plateaux de LCI ou de Sud Radio, elle est connue pour défendre avec passion Jean-Luc Mélenchon et la Nupes. Parfois seule contre tous. De quoi ravir les militants insoumis. Mais le 7 octobre, tout a changé.

Dans les heures qui ont suivi les attaques du Hamas, LFI a renvoyé l’agresseur et l’agressé dos-à-dos, tout en refusant d’utiliser le mot terroriste : "J’ai trouvé cela insupportable et moralement indigne, ça m’a déconcertée et je ne me suis pas privée de le dire." De journaliste "amie", elle est subitement devenue une ennemie à abattre pour les militants insoumis qui déploient l’une de leurs armes favorites : le cyberharcèlement sur X (anciennement Twitter).

Les comptes de militants LFI sont faciles à reconnaître puisqu'ils recourent aux mêmes éléments de langage et aux mêmes emojis (lettre phi, triangle rouge ou encore tortue en référence à Jean-Luc Mélenchon qui s'est autoproclamé "tortue sagace")

Haro sur les journalistes déviants…

Françoise Degois n’est pas la seule journaliste à subir ce traitement. C’est également le cas d’Elsa Margueritat. Au cours de sa jeune carrière, elle a pigé dans plusieurs médias. Certains sont classés à gauche (Le Vent se lève, Le Média, Marianne), d’autres plus à droite (Le Figaro). Attachée à sa liberté de ton, elle a plusieurs fois émis des réserves sur la stratégie de LFI en prenant un ton sarcastique.

Conséquence, elle aussi reçoit depuis plusieurs années un traitement "spécial". Si certains messages remettent en cause sa probité ou ses qualités journalistiques, d’autres vont encore plus loin : "J’ai par exemple reçu des allusions sur ma vie privée ou des appels au viol."

Les journalistes les plus harcelés sur les réseaux sociaux ont globalement un point commun que remarque Françoise Degois : "Ils sont plutôt marqués à gauche car ce sont les critiques venant de ce type de profils qui font le plus de mal." En somme, le cyberharcèlement vise moins l’opposition du centre ou de droite que ceux qui connaissent la maison et critiquent son fonctionnement. Cela vaut pour les journalistes, mais aussi pour les militants et les anciens responsables.

"J'ai reçu des allusions sur ma vie privée ou des appels au viol non sanctionnés par LFI"

… et les militants "traîtres à la cause"

Ce n’est pas Georges Kuzmanovic qui dira le contraire. Dans la galaxie Mélenchon, le quinquagénaire a longtemps fait figure d’historique. Il est l’un des premiers à rejoindre l’ancien socialiste lorsqu’il lance le Parti de gauche en 2008, intègre son service d’ordre puis devient le "Monsieur Défense et questions internationales" du triple candidat à la présidentielle avec qui il se lie d’amitié.

Puis survient l’après-campagne de 2017 et la question qui hante Jean-Luc Mélenchon : où trouver les 600 000 voix qui ont empêché l’accès au second tour ? Le chef insoumis estime qu’elles sont dans les banlieues et dans la jeunesse des grandes métropoles. La ligne idéologique change du tout au tout. De laïque, elle prend un tournant plus communautariste, abandonne les références à "l’ancienne gauche" pour s’ouvrir aux questions sociétales et aux idées en vogue dans la gauche anglo-saxonne. Ce qui fait tiquer la vieille garde victime d’une purge sur la période 2018-2019.

Les Charlotte Girard, Hélène Franco, François Cocq, Thomas Guénolé, Georges Kuzmanovic et autres compagnons de route sont excommuniés dans le bruit et la fureur. Puis immédiatement remplacés par des profils plus jeunes et malléables. Vindicte, mépris du Patron, fausses accusations d’agressions sexuelles, cyberharcèlements font partie des méthodes. "Dans les mois qui ont suivi mon départ, j’ai reçu des dizaines de messages chaque jour me traitant de traître, de nazi, de xénophobe, de facho. À la longue, c’est psychologiquement usant", se remémore l’ancien mélenchoniste qui a désormais créé son propre mouvement baptisé République souveraine.

"Il existe des groupes Discord ou Telegram dans lesquels les tweets considérés comme mauvais sont partagés, ce qui incite aux attaques"

Des attaques sur commande ?

En somme, les raids digitaux contre les personnalités portant un regard critique sur la stratégie du mouvement sont une arme en vogue chez les mélenchonistes. Restent les questions qui fâchent. Ces attaques sont-elles commanditées en haut lieu et coordonnées ? Les agresseurs sont-ils des chatbots ou de vrais militants ?

Pour le moment tout est flou, rien n’est prouvé mais certains témoignages sont troublants. Ainsi, Elsa Margueritat a noté qu’un message sur X peut passer plusieurs heures sans commentaires malveillants. Ces derniers arrivant d’un seul coup "par vague" avec les mêmes éléments de langage. "Il est troublant par exemple que le qualificatif de peste brune pour me désigner soit arrivé subitement et massivement."

Pour bien connaître les arcanes insoumises, Elsa Margueritat sait qu’il existe des "groupes Discord ou Telegram dans lesquels les tweets considérés comme mauvais sont partagés, ce qui incite aux attaques". En revanche, elle n’est pas en mesure de deviner si cela est téléguidé par des responsables LFI. Après plusieurs messages la menaçant de viol elle a tout de même alerté le comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles du parti. "La responsable, très sympathique au demeurant, m’a indiqué qu’elle ne pouvait rien faire."

De son côté, Georges Kuzmanovic l’assure : "Oui, les opérations de cyberharcèlement étaient initiées par les responsables du parti." Décidé à ne pas se laisser insulter sans riposter, l’ancien ami de Jean-Luc Mélenchon a fait appel aux services d’une entreprise spécialisée pour le prouver. "Bon, il s’est avéré que les adresses IP d’où partaient certains messages venaient du bureau de deux députées LFI à l’Assemblée nationale, j’ai toutes les preuves." Preuves remontées directement à Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard en menaçant de tout déballer publiquement si la situation continuait. "Drôle de coïncidence, le lendemain, le harcèlement a cessé. À l’époque, c’était un truc d’amateur qui s’est professionnalisé."

Françoise Degois, de son côté, estime qu’un bon nombre d’attaques sont aiguillées par un certain Bastien Parisot, responsable des campagnes numériques de La France insoumise. "C’est lui qui coordonne la riposte numérique et la veille sur les réseaux sociaux. Même si je n’ai aucun moyen de prouver quoi que ce soit, j’ai des antennes dans le parti, je sais d’où ça vient", confie la journaliste qui a directement appelé l’intéressé. Si les attaques ont depuis baissé en intensité, elles existent toujours. La cause n’est pas les chatbots, un cabinet fantôme ou des usines à trolls. D’après tous les témoins interrogés, c’est le fonctionnement inhérent à LFI qui explique tout cela.

Haine de la presse, vindicte contre les camarades émettant des doutes, langage agressif sont des pratiques répandues dans les hautes sphères. Cela déteint sur les militants et favorise le cyberharcèlement

Copier le maître

D’une certaine manière, le fonctionnement de LFI est basé sur une imposture. Si le parti se présente comme démocratique, gazeux, pluraliste, il est en réalité très structuré, sans courants, sans adhérents. "Au sommet de la pyramide trône Jean-Luc Mélenchon et un petit cercle de très proches qui se renforce en s’épurant et exige une discipline totale pour monter dans les échelons", explique Georges Kuzmanovic, fin connaisseur des rouages insoumis.

Pour être bien vu des autres militants, obtenir des responsabilités dans l’organisation, mieux vaut être en symbiose avec Jean-Luc Mélenchon. Or, ce dernier a de longue date pris l’habitude de houspiller la presse et les journalistes. Mais aussi de se montrer impitoyable avec les personnes émettant de simples réserves stratégiques. Jean-Luc Mélenchon se veut également le chantre de la "conflictualisation" ou du "parler cru et dru".

Haine de la presse, vindicte contre les anciens amis émettant des doutes, langage agressif sont des pratiques répandues dans les hautes sphères. La sémantique mélenchoniste ruisselle chez les cadres moyens et les militants. Ce qui explique les offensives de la part de responsables qui ne prennent pas la peine de se cacher puisqu’ils se savent soutenus en haut lieu.

Un cas est particulièrement illustratif, celui de Mathieu Garnier, ancien candidat LFI en Seine-et-Marne aux dernières législatives, aujourd’hui assistant parlementaire de la députée Ersilia Soudais. Pendant des mois, il a envoyé à visage découvert des messages odieux et agressifs à des dizaines de journalistes, dont l’auteur de ces lignes. Ces pratiques ayant été dénoncées publiquement, il a fermé son compte mais reste toujours au service de sa députée qui semble n’y voir aucun problème.

Technique infructueuse

Ces attaques sont-elles efficaces ? Oui et non. Aucune des personnes cyberharcelées n’a l’intention de brider sa parole. Dans un style franc et sans filtre qui la caractérise, Françoise Degois assène : "Je m’en fous, ça ne me touche pas, je ne fais pas du journalisme pour flatter des militants et un appareil !" Idem du côté d’Elsa Margueritat qui partage avec Georges Kuzmanovic la même conviction : Le but du cyberharcèlement des Insoumis n’est pas de faire capituler les cibles mais de montrer aux militants ce qui arrive si l’on s’écarte du droit chemin et que l’on veut faire preuve d’indépendance d’esprit.

"Les militants vivent dans une bulle. Ils restent souvent entre eux, se suivent sur les réseaux, ont leurs propres médias, leur propre vérité, se sentent seuls contre tous"

Thérapie de groupe

"Les militants sont souvent très engagés, donnent énormément de temps à l’organisation, y ont la plupart de leurs amis, fréquemment leur conjoint", théorise Georges Kuzmanovic qui estime qu’un militant qui dévie risque de perdre ses proches et de se faire harceler. Pour avoir la paix, mieux vaut donc trouver des cibles et s’acharner avec la meute.

Elsa Margueritat abonde : "Ils restent souvent entre eux, se suivent sur les réseaux, ont leurs propres médias, leur propre vérité, se sentent seuls contre tous, ce qui crée une appartenance communautaire forte." Un vase clos propice au contrôle des camarades, à la violence verbale. Nul besoin d’usine à trolls et de faux profils. Jean-Luc Mélenchon a créé un cocktail parfait pour s’assurer la fidélité et la combativité de ses troupes : un zeste de management toxique en vogue dans certaines entreprises, une pincée de trotskysme lambertiste, un soupçon de "centralisme démocratique" communiste, un culte du chef dans les règles de l’art ! Dans une organisation de ce type, le cyberharcèlement est assumé et fait office de rite d’appartenance. Cocasse pour un parti qui prône l’humanisme et la démocratie…

Lucas Jakubowicz

Source Décideurs Magazine

17:46 Publié dans Actualités, Cactus, Connaissances | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lfi, réseaux | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

19/08/2023

Paris 2024 : est-il normal de faire appel à des bénévoles pour les JO ?

JO de Paris

Le député de La France insoumise (LFI) Alexis Corbière a demandé que les 45 000 volontaires qui participeront à l’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 puissent être rémunérés. Alors que le Comité d’organisation des JO a enregistré « plus de 300 000 candidatures » de bénévoles, l’élu met en perspective leur situation avec « les milliards » que va rapporter l’événement. 

« Le bénévolat est dans les gènes de ce genre de manifestations sportives, en particulier les Jeux olympiques. Lors de toutes les dernières éditions des JO, les organisateurs se sont beaucoup appuyés sur des bénévoles, cela fait presque partie de la tradition olympique. Sans cela, les dépenses seraient encore plus importantes, ou les déficits encore plus conséquents. Il est difficile de donner un chiffre, mais le surcoût serait forcément élevé s’il fallait rémunérer tous les bénévoles, compte tenu des coûts salariaux en France. S’ils demandent à être rémunérés, cela va mettre en péril l’équilibre financier des organisations, pas seulement celui des Jeux. Il en va de même pour les petites organisations, qui ont des recettes bien moindres. Pour les événements sportifs, c’est une bombe à retardement.

Cela étant dit, on ne peut pas être insensible à ce débat sur le bénévolat aux Jeux si l’on considère le montant des rémunérations des membres du Comité d’organisation. Cette masse salariale est substantielle. Non seulement les bénévoles ne sont pas rémunérés, mais certains doivent débourser des sommes importantes pour se déplacer à Paris et s’y loger. Dans ce contexte, le déséquilibre entre les propriétaires de logements qui vont gagner beaucoup d’argent en les louant pendant les Jeux et la situation de gens pleins de bonne volonté qui vont payer pour se loger est aussi un peu choquant.

La contrepartie de pouvoir vivre les Jeux

Pour certains bénévoles, les Jeux sont un sacerdoce. À côté de cela, pour beaucoup, ce sera un grand moment. La contrepartie, pour eux, est de pouvoir vivre l’événement de l’intérieur. Le discours selon lequel ils bénéficient d’une rémunération non pécuniaire en prenant part à cet événement peut s’entendre. C’est aussi une activité valorisable sur un CV pour des jeunes, parce que ce sont des événements positivement connotés. C’est une sorte d’investissement pour être mieux payé dans l’avenir. Chacun va trouver des éléments de satisfaction. Face à cette réalité, il y a effectivement une forme d’exploitation de la ressource représentée par les bénévoles. Car il faut aussi être très honnête : certaines tâches sont particulièrement ingrates. Si les uns vont être au contact des athlètes, d’autres vont être en dehors des enceintes, au milieu de la foule pour la guider.

Ce genre de polémique a déjà existé par le passé, et il est difficile d’avoir une position tranchée sur ce sujet. On ne peut pas être tout noir et tout blanc. On est dans un débat politique. Mais c’est pareil pour les associations. Le travail effectué par un associatif est parfois à la limite du service marchand, alors que les associations ont aussi des salariés. Qu’est-ce qui fait qu’untel est bénévole et que tel autre est salarié, avec des tâches finalement assez proches ? On est dans cette espèce de frontière entre le marchand et le non-marchand, qui n’est pas complètement étanche et qui est difficile à fixer. »

 

11:51 Publié dans Actualités, Connaissances, Jeux, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jo de paris | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!