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05/06/2007

Sarkozy et les médias, les médias face à Sarkozy

   

a4cf2ab8a41a95af90b4d99203541c68.jpgAinsi, ce qu’avec d’autres nous ne cessons de contester depuis plus de 10 ans, et qui nous a valu les remontrances outragées des princes « indépendants » du journalisme, des experts en feinte complexité et de quelques porte-voix du mouvement altermondialiste, serait devenu subitement vrai avec l’ascension de Nicolas Sarkozy et son accession à la Présidence de la République : la déférence de journalistes à l’égard du pouvoir, les liens personnels des ces journalistes et des propriétaires des médias, les rapports complaisants qui se nouent au sein du microcosme des prétendues « élites » menaceraient l’indépendance de la presse. Pourtant ce n’est pas exactement ce que nous n’avons cessé de dire...

Comment en effet ne pas trouver simplistes toutes ces soudaines prises de conscience qui attribuent les effets d’ interdépendances structurelles aux seuls liens personnels qui ne sont que les révélateurs et les porteurs de cette interdépendance.

Dès septembre 2006, Le Monde diplomatique publiait « M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias » de Marie Bénilde. Les articles qui ont suivi se sont en général bornés à le reprendre ou à l’actualiser, mais en optant pour des explications qui font diversion.

Un sujet recyclé

Ainsi, on a pu lire, entre autres : « Nicolas Sarkozy, vingt-cinq ans d’investissement dans les médias » dans Le Monde (le 19 février 2007) ou, annoncé en « une » des Inrockuptibles le 27 mars 2007, un article - « Comment Sarkozy manipule les médias » - très inspiré par celui du Monde diplomatique . Vous avez dit « manipulation » ?

Même des sommités, qui d’ordinaire clament haut et fort leur indépendance et se portent garants de celle des autres, se sont émues. Dans son éditorial du 4 mai 2007 appelant à voter pour Ségolène Royal, Jean-Marie Colombani soulignait ainsi : « la qualité de la relation que Nicolas Sarkozy entretient avec Martin Bouygues, Arnaud Lagardère ou Serge Dassault est la marque d’une puissance potentielle dans les médias qui appelle une vigilance de tous les instants. » Le 2 mai 2007, son homologue de Libération, Laurent Joffrin, avait critiqué (lui aussi dans son éditorial) un candidat UMP « allergique à trop de liberté dans les médias ». Tout s’expliquerait donc par le rôle d’un individu et par ses relations personnelles.

Dernière en date de ces enquêtes qui recyclent ce qui est désormais largement connu : « Sarkozy tient-il les médias ? ». Sous ce titre, le 31 mai 2007, L’Express s’interroge en « une » et consacre un long article de 7 pages à cette interrogation. À une telle question qui attribue un pouvoir disproportionné au seul Nicolas Sarkozy, la réponse ne peut être que négative tant qu’elle sert à masquer les véritables explications de l’influence indéniable dont dispose le nouveau Président de la République.

Comment expliquer ce soudain engouement pour des questions que l’on s’était employé à éluder pendant des années ? Par un effet de mode ou de circulation circulaire de l’information ? Pas uniquement. Dans le cas de L’Express, un dossier mettant en évidence les relations de courtoisie entretenus par Nicolas Sarkozy avec certains propriétaires de médias français est sans doute d’autant plus simple à publier que l’hebdomadaire n’appartient plus à Serge Dassault (proche du nouveau Président et parlementaire UMP) mais au groupe belge Roularta .

Quels qu’en soient les raisons et les motifs , la « une » de L’Express intervient après une série de faits qui ont mis en évidence les liens du nouveau Président de la République avec les oligarques des médias, ses relations particulières aux journalistes ou les pressions qui s’exerceraient à son avantage sur telle ou telle rédaction.

Une série édifiante

Le soir de son élection, Nicolas Sarkozy fête sa victoire au Fouquet’s avec la fine fleur du patronat médiatique (Bernard Arnault, Martin Bouygues, Serge Dassault, Alain Minc, François Pinault ou Albert Frère, actionnaire de M6 ...) ; dans la semaine qui suit, il part se reposer sur le yacht de Vincent Bolloré propriétaire d’une télévision et d’un journal gratuit [6] ; il revient ensuite en France pour composer un gouvernement dont deux ministres sont mariés à des journalistes vedettes de la télévision publique ; le 13 mai, comme le résume la Société des journalistes du JDD dans une tribune parue la semaine suivante, « un très court article révélant que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté au second tour de l’élection présidentielle n’est pas paru dans Le Journal du Dimanche. Suite à une intervention du propriétaire du JDD [Arnaud Lagardère], qu’il nie, le directeur de la rédaction a finalement décidé de ne pas publier cette information »  ; le 16 mai, Georges-Marc Benamou, éditorialiste à Nice-Matin, est nommé conseiller pour la culture et l’audiovisuel du nouveau chef de l’Etat ; au même moment, Catherine Pégard du Point est également nommée à l’Elysée et Myriam Lévy, qui a suivi la campagne de Ségolène Royal au Figaro, l’est à Matignon ; en sens contraire, Laurent Solly, très proche conseiller, quitte l’équipe de Nicolas Sarkozy pour rejoindre le groupe Bouygues afin de prendre, à terme, un poste à la direction de TF1. Ce « transfert » est, de surcroît, annoncé par un porte-parole de la présidence.

La mise en série est éloquente. Mais qui pourrait s’étonner - à moins de vivre dans une improbable société sans rapports de pouvoir - que les médias et les journalistes soient l’enjeu de luttes d’influence, de tentatives de pressions et de relations de connivence ? La question est moins de savoir si elles existent que de comprendre ce qui les rend possible et ce qui les rend efficaces.

Des explications en trompe l’œil.

La toute puissance de Sarkozy lui-même comme le suggère tant de descriptions qui, sans être infondées, s’en tiennent son comportement et à ses liaisons amicales ? Ainsi de l’article de L’Express, entièrement focalisé sur le personnage du Président, sur ses rapports aux journalistes (« il y a aussi, chez ‘‘ Sarko ’’, la volonté permanente d’instaurer une relation complice avec les journalistes »  ; « s’il sature l’espace médiatique, c’est aussi, et d’abord,un formidable ‘‘ client ’’ » ) ou sur à ses relations personnelles avec certains oligarques (« Pour Serge Dassault, il régla la succession de son père, Marcel. Pour Arnaud Lagardère, il alla négocier à l’Elysée, en février 2004, avec Jacques Chirac : le règlement de la succession de son père, Jean-Luc, était conditionné par la nomination de Noël Forgeard à la présidence d’EADS. Enfin, il fut l’un des conseils de Martin Bouygues lors du raid sur TF 1, en 1998, de... Vincent Bolloré ! ») ? Mais qu’est-ce qui nourrit de telles relations et les transforment en rapports d’influence ? Sans doute - il faudra y revenir - la conception que Sarkozy se fait de l’action politique en lui appliquant les formes de mise en scène importées de la télévision avant de lui être appliquée n’est-elle pas sans effet . Mais encore ?

Des convergences structurelles

Les médias et les journalistes qui travaillent dans ces médias ne sont pas en apesanteur. Comme toutes les entreprises, comme tous les salariés, ils sont la proie et les acteurs de rapports de force politiques, économiques, sociaux, voire culturels... Des connivences, des interventions ? Certes. Mais les connivences personnelles reposent sur des connivences structurelles et les interventions ne sont déterminantes que parce qu’elles dépendent de convergences d’intérêt, consubstantielles à l’ordre médiatique existant. Reste donc à comprendre l’efficacité des interventions et des pressions, autrement dit les effets de la convergence d’intérêts bien compris - cette connivence, voire cette alliance, politico-économique - entre le courant de la droite qui vient de s’emparer du pouvoir et le capital qui détient les entreprises médiatiques.

Celles-ci sont, en effet, des propagandistes de la financiarisation et de la mondialisation capitalistes dont elles bénéficient ou dont elles cherchent à tirer les bénéfices [10]. Pour elles, le programme libéral de Nicolas Sarkozy en fait l’homme de la situation. Il est le porte-parole de leurs intérêts. Elles sont le relais de ses projets. Rappelons qu’à la fin de l’année 2000, la capitalisation cumulée en bourse de TF1, Canal + et M6 était supérieure à celle des groupes automobiles français [11].

Les visés de Sarkozy pour le secteur des médias

Cette convergence résulte, en partie, de la financiarisation de l’économie en général et de celle du secteur des médias en particulier. Une tendance qui favorise à son tour la concentration. Mais, pour Nicolas Sarkozy, il n’y a pas de problème de concentration en France. Sur France Inter, le 18 avril 2007, il déclare : « Si vous regardez aujourd’hui la presse française, dire qu’il y a une concentration entre quelques grands groupes c’est tout simplement le contraire de la vérité. Il y a un service public, (...). Qui peut dire que ce service public n’est pas indépendant. Vous avez Bouygues qui est propriétaire de TF1, Lagardère qui est propriétaire de [inaudible], le groupe Pierson pour Les Echos, Bernard Arnault pour La Tribune, la totalité de la presse quotidienne régionale qui appartient à d’autres familles que ceux-ci,... » Le secteur des médias ne serait donc pas excessivement concentré. En revanche, les entreprises de presse écrite seraient peut-être insuffisamment financiarisées : « le problème (...) de la presse aujourd’hui, c’est absolument pas un problème de concentration, c’est un problème de sous capitalisation. (...) y’ a pas assez de capitaux pour développer les grands journaux, ils font des tirages trop petits [12]. » Plus généralement, pour celui qui n’était alors que le candidat de l’UMP : « Notre industrie des médias a besoin d’avoir des groupes solides qui la structurent et la renforcent. C’est pourquoi l’équilibre doit viser en permanence à conforter le développement des groupes français, tout en préservant le pluralisme et l’indépendance du secteur [13]. »

Préserver le pluralisme en laissant le secteur des médias sous l’emprise des concentrations financiarisées ? On ne peut le croire possible qu’à condition de confondre pluralité mercantile et pluralisme et, d’autre part, en faisant abstraction des intérêts politiques et économiques que servent les concentrations. Possible enfin, et surtout, si l’on considère, comme Alain Lancelot - auteur en 2005 d’un rapport sur « Les problèmes de concentration dans le domaine des médias », rapport libéral auquel Nicolas Sarkozy se réfère - que la presse n’est « pas un fournisseur d’informations, ces sont des supports de publicité ! Et elle ne vit que comme support de publicité  ! »

Organiser le laisser-faire et le laisser-aller

Conséquent et cohérent, le nouveau Président souhaite que la politique organise le laisser faire et le laisser aller qui n’existeraient pas sans elle. Il explique ainsi au Point le 18 avril : « il existe des lois et des instances de contrôle qui limitent la concentration dans les médias et s’assurent de leur indépendance. Je tiens à préciser par ailleurs que jamais la législation sur les marchés publics n’a été aussi stricte et aussi vérifiée qu’aujourd’hui. » Cette approche libérale prévaut aussi pour l’audiovisuel public. Dans le même entretien, il explique : « J’ai une conception exigeante du service public audiovisuel, et je veux renforcer les obligations culturelles et éducatives qui pèsent sur les chaînes. Pour disposer des ressources nécessaires, je ne propose effectivement pas une augmentation de la redevance, car il y a déjà trop de prélèvements obligatoires dans notre pays. Je pense qu’une augmentation des ressources publicitaires et des ressources tirées des produits dérivés est possible, et qu’elle ne dénature pas le service public audiovisuel. »

« Trop de prélèvements obligatoires dans notre pays » ? Peut-être. Mais, en l’espèce, le credo libéral va à l’encontre d’une « conception exigeante du service public audiovisuel » dans la mesure où celui-ci est, à l’évidence, sous-financé. Comme l’explique le syndicaliste Fernando Malverde : « La comparaison avec les moyens des télévisions publiques d’autres grands pays européens est éclairante. En France, le montant de la redevance s’élève à 116 euros par an alors qu’elle atteint 205 euros en Allemagne, 175 euros en Angleterre et 184 euros en moyenne en Europe. En 1998, les recettes globales (redevance et publicité) de la télévision publique française ont été de 25 milliards de Francs alors que les ressources totales des télévisons publiques allemandes approchaient les 50 milliards de Francs ! En 2003, malgré une audience comparable, les ressources de France Télévisions se sont élevées à 2,37 Milliards d’euros contre 3,2 Milliards pour la BBC  »

Sous-financement mais aussi mal-financement que les projets de Nicolas Sarkozy (« une augmentation des ressources publicitaires et des ressources tirées des produits dérivés ») aggraveraient. Dans une lettre ouverte de 1999 impulsée notamment par Acrimed et adressée aux parlementaires, il était déjà expliqué : « I1 faut choisir : une télévision publique financée pour moitié par des recettes commerciales et pour le reste par l’argent de la redevance (ou du budget) est condamnée à maintenir l’ambiguïté des contenus et à perdre sur tous les tableaux : sans parvenir à enrayer la montée en puissance financière des chaînes privées, elle continuera à renoncer à ses vocations spécifiques (informer, éduquer, distraire) pour s’aligner sur les recettes des télévisions commerciales (tunnels de publicité, variétés interchangeables, séries stéréotypées etc.) . »

Libéralisme économique favorable aux oligarques en général et aux oligarques des médias en particulier, accompagnement des concentrations financiarisées et de la détérioration du pluralisme qui en résulte, dégradation de l’audiovisuel public, déni du tiers secteur médiatique  : « la France d’après » ne sera pas celle de la remise en cause de l’ordre médiatique existant.

Présenter le rapport du nouveau pouvoir aux médias dans les termes de la « mainmise » ou du « contrôle », d’interventions intempestives ou de pressions est réducteur et risque de masquer l’essentiel. La réalité du rapport relève sans doute de l’échange de bons procédés. Mais celui-ci repose d’abord sur la convergence d’intérêts politico-économiques, voire sur leur intrication. Dans la mesure où il ne se résume pas à Nicolas Sarkozy (qui « tiendrait » ou non les médias), le problème est ainsi plus profond et ne sera pas résolu par de simples cris d’indignation. La réponse qu’il appelle ? La contestation, la mobilisation et l’élaboration de propositions alternatives dans le cadre d’un nouveau rapport de force autorisé par une autre convergence ; la convergence de tous ceux qui luttent contre l’ordre médiatique existant : syndicats de salariés des médias et des métiers de la culture, tiers secteur médiatique, association de critique des médias, mais aussi l’ensemble des mouvements de contestation de l’ordre libéral. Chiche ?

23:25 Publié dans Cactus | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Sarkozy, médias | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!