10/05/2024
Alpes. Des assises de la montagne face au réchauffement climatique
Le PCF organisait le 4 mai dernier des assises de la montagne avec le concours de chercheurs scientifiques, de syndicalistes, d’élus et de militants des différents massifs dauphinois et savoyards. Avec une conclusion : face aux évolutions climatiques, des adaptations sont nécessaires et une montagne vivante ne se construira pas sans ses habitants.
« Le panier de dépenses d’un skieur est quatre fois supérieur à celui d’un touriste hors ski. » Le constat émane de Emmanuel Briant, ancien directeur de la station de Villard-de-Lans. Certes, à l’échelle de tous les massifs de l’hexagone, le chiffre d’affaires touristique estival approche celui de l’hiver. Mais pas dans les vallées alpines où le ski est une industrie. « L’Oisans compte dix mille habitants et 100 000 lits en stations », témoigne Michelle Pelletier, du Secours populaire de Bourg-d’Oisans. Des lits occupés l’hiver par des touristes « rentables », des lits beaucoup moins occupés le reste du temps et par des touristes qui dépensent quatre fois moins.
Michelle Pelletier, Bourg d’Oisans.
Penser l’après ski, mais aussi gérer les conflits d’usage générés par le réchauffement climatique. « L’été dernier, les agents d’EDF qui gèrent le barrage de Serre-Ponçon ont dû faire face le même jour à deux rassemblements de mécontents : les agriculteurs qui travaillent dans la vallée de la Durance en aval du lac réclamaient l’ouverture des vannes tandis que les professionnels du tourisme sur le lac exigeait le maintien de l’étiage à un niveau compatible avec leurs gagne-pain », indique François Simon, cheville ouvrière de l’organisation de ces assises de la montagne. Deux exemples, parmi de nombreux autres des questions débattues le 4 mai à la maison du tourisme de Grenoble.
Avec une question transversale, celle de l’avenir d’une montagne qui chauffe et qui chauffe plus vite que le reste du territoire national.
Préserver la montagne pour ceux qui y résident… et tous les autres
Gilles Rotillon, professeur à l’université Paris Ouest Nanterre et conseiller scientifique du service d’observation et de statistiques du ministère de l’Environnement, décrivait le processus. « Pour rester sous deux degrés de réchauffement planétaire, il ne faut pas émettre plus de 900 milliards de tonnes de C02 supplémentaires ; nous en rejetons aujourd’hui près de 60 milliards par an et, en 2022, nos émissions étaient supérieures de 2,9 % à celles de 2019. Faites le calcul, nous aurons atteint notre quota pour une planète vivable dans une quinzaine d’années, si rien ne se passe d’ici là. »
Gilles Rotillon, université de Paris Ouest Nanterre, et Laurent Jadeau, co-organisateur des assises.
Un réchauffement dont les conséquences sont multiples. Au delà du phénomène maintenant bien connu de la disparition en cours des glaciers alpins, sont concernées les forêt, l’agriculture, la viabilité des routes en montagne (la route de Briançon est en travaux après le Bourg-d’Oisans du 13 mai au 5 juillet), le ski, mais aussi l’alpinisme. « Nombre des courses que j’ai faites sont aujourd’hui impraticables, témoigne Gilles Rotillon, alpiniste chevronné, et le téléphérique de l’aiguille du Midi, à Chamonix, vit ses dernières années avant la ruine complète de l’aiguille. »
Autant dire que nous sommes devant un choix vital. François Simon cite le glaciologue Bernard Francou et la climatologue Marie Antoinette Mélières. Dans le livre dont ils sont co-auteurs, Coup de chaud sur les montagnes, ces derniers écrivent : « On a le choix entre développer sans discernement un territoire sous prétexte qu’il va être malmené par le changement climatique – c’est par exemple la fuite en avant des stations de ski qui veulent s’étendre vers le haut au détriment des espaces protégés – ou cultiver un patrimoine dont les futures générations, résidant en montagne ou pas, auront le plus grand besoin dans un monde devenu globalement hostile ». Ce que François Simon reprend en ces termes : « soit on choisit de perpétuer la présence des hommes sur la totalité du territoire, ce qui signifie, en zone de montagne, maintenir et developper un tissu vivant et productif, soit on opte pour un réseau de grands métropoles qui concentrerait l’essentiel de l’activité humaine, en laissant à l’abandon plus de la moitié du pays : le sort réservé aux services publics de proximité constitue un baromètre édifiant des choix politiques opérés ».
Marc-Jérôme Hassid, du Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes.
Pour les JO, le train de Genève à Nice ?
De fait, la tendance actuelle est plutôt à la concentration/désertification. Les difficultés de la ligne SNCF Grenoble Gap en attestent. « La première annonce de fermeture remonte à 1976, rappelle Marc-Jérôme Hassid, du Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes, ce n’est que grâce à la mobilisation des cheminots, des habitants et des élus que cette ligne a pu être maintenue en activité et que des travaux ont pu être récemment obtenus. » Une ligne qui pourrait être l’épine dorsale des jeux olympiques de 2030, avec des trains Genève Nice qui ont circulé jusqu’à la fin des années 80 avant la fermeture à la circulation d’une vingtaine de kilomètres avant Digne. JO écolos ? Chiche !
Services publics en déshérence avec les fermetures de bureaux de poste, la dévitalisation des hôpitaux, celui de la Mure par exemple, les fermetures de classes et d’écoles mais aussi plus largement des difficultés du quotidien comme la possibilité de se loger ou l’accès aux soins. « Nous n’avons plus de dentiste au Bourg-d’Oisans », relève Michelle Pelletier. « Nous avons du mal à recruter à la mairie ; les agents ne peuvent se loger et les transports vers l’agglomération sont insuffisants », constate Stéphane Falco, maire d’Engins. La contradiction est frontale : « Pour maintenir la population, il faut qu’elle puisse avoir accès à un minimum de services et c’est la possibilité de vivre en montagne qui assurera l’avenir de ces territoires et la possibilité qu’ils demeurent un atout pour la population de tout le pays », note François Simon.
La fuite en avant sous la pression du profit
Dès lors, comment faire ? Des débats ressortait une double exigence : construire avec les habitants et ne pas céder à la pression du court terme. Ce que Gilles Rotillon rapproche plus globalement de la crise du capitalisme : « Pour faire face à la baisse des gains de productivité, la stratégie est de mettre en exploitation de nouveaux gisements, là où il reste des activités que l’on pourra vendre – la privatisation de l’enseignement, par exemple – et dont les activités de loisirs font partie : « venez voir la Mer de glace tant qu’elle existe », c’est l’un des derniers slogans publicitaires pour vendre plus cher ».
Marie-Noëlle Battistel, députée socialiste de l’Isère.
Le court terme, c’est la fuite en avant des grands groupes qui gèrent le ski. A force de campagne de communication et de soutiens financiers de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ils martèlent une idée : le ski a de longues et belles années à vivre. En mettant en avant des résultats : la Compagnie des Alpes et la Sata (l’Alpe-d’Huez et les 2 Alpes), les deux groupes qui gèrent l’essentiel des grandes stations alpines, sortent d’une belle saison : plus 15 % de chiffre d’affaires pour la Sata. En oubliant de dire que ces chiffres résultent de l’absence de neige à plus basse altitude et d’un apport massif d’une clientèle fortunée recrutée à l’étranger – 50 % des skieurs en janvier en Oisans. Ce qui fonctionnera encore quelques années – le temps que la limite pluie neige remonte à 3000 mètres en janvier – avec comme corollaire une spéculation immobilière qui rend le logement inaccessible aux habitants à l’année.
Un fonds pour la remise en état des sites
D’où l’idée énoncée lors des débats préparatoires à la tenue de ces assises, celle de la création d’un fonds alimentés par les bénéficies des industriels du ski pour financer la déconstruction à venir des remontées mécaniques devenues inutiles et la remise en état des sites. Idée qui a récemment été reprise par la Cour des comptes et dont Marie-Noëlle Battistel, députée socialiste de l’Isère, se proposait au cours de débat de se faire la porte-parole à l’Assemblée nationale.
Remettre en cause la pression du profit à court terme, c’est également une question majeure dans la gestion de la forêt. Ce dont témoignait abondement Erik Salvatori, technicien du triage Oisans Matheysine et syndicaliste CGT à l’Office national des forêts, en soulignant que les essais en cours pour adapter la forêt à la montée des températures et aux sécheresses ne pouvaient s’envisager que sur plusieurs décennies. « Le morcellement de la forêt privée est un obstacle à ce niveau et cela demande une évolution législative », indiquait-il. Tout comme la dévitalisation de l’Office national des forêts qui perd des agents chaque année au profit de sociétés forestières privées dont les exigences de rentabilité ne se conçoivent pas sur le temps long – sans oublier les conditions de travail de leurs salariés.
Les droits des salariés
Damien Ferrier, secrétaire de l’union régionale CGT de agroalimentaire et de la forêt, évoquait d’ailleurs les conditions de vie et de travail de l’ensemble des salariés de l’agriculture et de la forêt. « La durée légale maximale du travail est de 48 heures hebdomadaire, avec des dérogations, notamment pour les saisonniers agricoles, les patrons que représente la FNSEA peuvent obtenir 66 heures, et jusqu’à 72 heures hebdomadaires ; ils vont jusqu’à organiser, avec le concours de l’État, des recrutements au Maroc et en Tunisie notamment, pour pouvoir imposer ces horaires et les conditions de travail qui vont avec. » Une situation qui concerne moins la montagne, encore que, mais que l’on retrouve dans certains alpages. Horaires non pris en compte dans les rémunérations, logement parfois indigne, équipements professionnels à la charge des bergers… Le pastoralisme est pourtant une activité essentielle à l’entretien de la montagne qui demande aujourd’hui un savoir faire pointu, dans le contexte de la raréfaction de l’eau et de la présence du loup, entre autres.
D’où la question plus générale de la participation des habitants aux décisions qui les concernent. « La mutation de la montagne ne se réalisera pas sans services public de proximité et sans que les habitants soient parties prenantes d’un projet pour l’avenir », insiste François Simon. Ces assises de la montagne ont mis au jour une proposition, celle de la création de conseils de massifs, associant élus locaux, acteurs socio-professionnels et représentants de la population. Des conseils qui pourraient examiner les projets de développement et prévenir les conflits d’usage : un lieu de débat permanent qui permettrait tout à la fois de donner un cadre à l’expression des habitants et de vitaliser ainsi la démocratie locale aux côtés des assemblées communales et intercommunales ; de quoi guider la nécessaire intervention de la puissance publique.
Au final, une très riche journée de réflexion qui sonnait comme un point de départ bien plus qu’un aboutissement.
Une proposition de loi
Ces assises de la montagne ont été organisées par un groupe de travail associant des militants et des élus communistes des massifs dauphinois de l’Isère et des Hautes-Alpes ainsi que de Savoie. Il se réunit depuis septembre 2022, associe à ses réflexions des acteurs du mouvement syndical et associatif, et croise ses analyses avec les expertises scientifiques et les propositions d’élus politiques de toutes sensibilités ayant travaillé sur ces dossiers.
L’objectif de ces travaux est de formuler des propositions d’action immédiates et à long terme débouchant sur une proposition de loi contenant des mesures concrètes, applicables dès maintenant, susceptible d’être soumise au vote du Parlement.
Huit grands ensemble de propositions sont d’ores et déjà définis. Elles portent sur la création d’un fonds pour la reconversion du ski, la reconduction des contrats de saisonniers du tourisme, l’amélioration de leur protection sociale, le logement, le transport en montagne, les droits des salariés, l’accès à la montagne pour les écoliers du pays et l’organisation de séjours en montagne à l’attention de personnes dont l’état de santé le nécessiterait.
par le Travailleur Alpin ,
19:50 Publié dans Actualités, Economie, Planète | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : montagne, pcf, assises | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
01/05/2024
Agriculture : ces nouvelles maladies qui fragilisent les élevages
En lien avec le changement climatique et transmise par un moucheron, la « maladie hémorragique épizootique », coûte cher en frais de vétérinaire et fait souffrir les vaches et leurs veaux. Par ailleurs, alors que le « H5N1 » ne semblait concerner que les volailles en Europe (1), cette infection, également nommée « grippe aviaire », touche désormais les vaches laitières aux Etats-Unis et quelques personnes à travers le monde.
Il existe en France deux types d’élevage de bovins. D’un côté, les vaches laitières passent deux fois par jour en salle de traite. De l’autre, les vaches des races à viande comme la charolaise, la limousine et la blonde d’Aquitaine allaitent leur veau pendant huit à dix mois. Dans les deux cas, nous avons montré ces dernières semaines que les éleveurs ont de plus en plus de mal à tirer un revenu de leurs longues semaines de travail. Comme un malheur n’arrive jamais seul, les frais de vétérinaire sont en train d’augmenter là où la « maladie hémorragique épizootique » (MHE) est apparue depuis septembre 2023. Il s’agit d’une maladie infectieuse transmise par un moucheron comme celui qui transmet la fièvre catarrhale ovine chez les moutons.
Au début du mois de mars 2024, on comptait un peu moins de 4.000 foyers de MHE en France avec une concentration en Occitanie et dans le sud de la région Nouvelle Aquitaine. Mais la contamination gagne du terrain dans toute la moitié ouest du pays. Présente en Amérique du nord, en Australie, en Afrique et en Asie, cette maladie progresse surtout au sud de l’’Europe, à commencer par l’Italie et l’Espagne.
De lourds et coûteux traitements vétérinaires
C’est surtout depuis l’Espagne qu’elle arrive en France. Selon le ministère de l’Agriculture, « les premières enquêtes de terrain montrent que 10 à 15% des bovins expriment des signes cliniques en cas de contamination d’un élevage par la MHE. L’atteinte des animaux se traduit notamment par de la fièvre, des ulcérations du mufle, du jetage (le nez qui coule) et des boiteries requérant parfois des traitements lourds et prolongés prodigués par l’éleveur en lien avec son vétérinaire traitant. De plus, malgré les soins prodigués, les bovins restent susceptibles de décéder des conséquences de la maladie ». Toutefois, le taux de mortalité dans les élevages contaminés ne serait que de 1% selon le ministère de l’Agriculture.
Concernant l’origine et la transmission de la maladie, on relèvera ce commentaire de Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire: « Nous le savions, l’intensification des flux d’animaux et de personnes entre les continents tout comme le dérèglement climatique seront des moteurs pour l’apparition de nouvelles maladies comme la MHE sur notre territoire. Nous devons collectivement nous préparer. Comme je m’y était engagé, le soutien financier auprès des éleveurs touchés vient sécuriser le présent et permet à la filière de se projeter sur l’avenir ».
Une progression rapide dans la moitié des départements
Partant de ce constat, mieux vaudrait que la France intervienne avec force auprès de la Commission européenne pour s’opposer aux négociations en cours sur des accords de libre-échange avec des pays tiers comme l’Australie et qu’elle s’oppose fermement à la ratification de celui signé entre la Commission européenne et les pays du Mercosur en 2019 . On sait aussi que la France vend chaque année beaucoup de ces jeunes bovins de dix mois que sont les «broutards » en Italie et en Espagne pour l’engraissement. Si la maladie prend de l’ampleur dans nos élevages de bovins allaitants, les débouchés des broutards reculeront et les prix baisseront.
Il reste aussi à voir comment la maladie progressera dans notre pays. Le ministère de l’Agriculture a publié une carte de France faisant apparaître les risques de diffusion de la MHE dans des départements d’élevage bovin à l’ouest d’une courbe qui va des Pyrénées-Orientales jusqu’en Bretagne en passant par des départements comme la Lozère, l’Aveyron, la Corrèze, l’Allier, la Haute Vienne, la Creuse, la Vendée.
Le vendredi 26 janvier, lors de son déplacement sur la ferme de Jérôme Bayle, dont le troupeau a été contaminé par la MHE en Haute-Garonne, le Premier ministre avait annoncé une enveloppe de 50 millions d’euros pour aider les éleveurs à payer les frais de vétérinaire, les remboursements pouvant passer de 80% à 90% de la facture. Cette somme a été confirmée la semaine dernière. Mais limiter les aides aux frais de vétérinaire ne suffira pas pour améliorer le revenu des éleveurs alors que le prix de la viande au départ de la ferme ne couvre pas les coûts de production daznsd beaucoup d’exploitations.
Quand la grippe aviaire frappe aussi les vaches laitières
Connue sous le sigle « H5N1 » une autre maladie contagieuse a causé d’énormes pertes dans les élevages de volailles, dont les palmipède à foie gras ces dernières années. Elle est surtout transmise par les oiseaux sauvages en migration et désignée de ce fait par les mots « grippe aviaire». Mais voilà que 889 cas de grippe aviaire transmise aux humains ont été enregistrés dans le monde entre janvier 2023 et avril 2024. Depuis deux mois, le « H5N1 » a touché plusieurs élevages de vaches laitières aux Etats-Unis. Il se dit que ces bovins ont pu être contaminés par des déjections d’oiseaux sur l’herbe des prés qu’ils broutent. Mais « il y a probablement eu des contaminations d’un troupeau à l’autre par la suite » estime Gilles Salvat, directeur de la recherche de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Avec le changement climatique, les pandémies ont tendance à se répandre à travers le monde. Mieux vaudrait donc produire l’essentiel de notre alimentation en France plutôt que d’importer une partie croissante de notre nourriture pour réduire le prix de revient de chaque repas pour des millions de salariés et de retraités dont le pouvoir d’achat recule. Surtout quand les actionnaires de Stellantis votent une rémunération de 100.000 € par jour à leur PDG en échange d’une forte hausse des dividendes sur les profits encaissés en 2023.
- Voir l’entretien avec le virologue Bruno Lina en pages 6 et 7 dans l’Humanité du 29 avril
Source Gérard Le Puill l'Humanité
12:14 Publié dans Actualités, Connaissances, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : élevage, maladie | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |