12/10/2008
USA RETRAITES
« Imaginez qu’on annonce, du jour au lendemain, une baisse de 30 % des retraites »
La crise financière prouve combien le système de retraite par répartition est préférable à celui par capitalisation, selon Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Le système de retraite par capitalisation ne montre-t-il pas ses limites ?
Henri Sterdyniak. Depuis vingt ans, des voix s’élèvent en Europe, face au vieillissement de la population, pour que nous passions à un système de retraite par capitalisation ou avec une forte dose de ce système. L’idée est que les placements sur les marchés financiers sont très rentables et permettent d’avoir une retraite satisfaisante en épargnant relativement peu. L’exemple américain montre que c’est totalement illusoire. Les placements financiers ont une rentabilité extrêmement instable, donc cela ne peut pas servir de base à une retraite telle que souhaitée par les travailleurs, c’est-à-dire une retraite assurée qui évolue comme les salaires. Dans les pays anglo-saxons, deux systèmes existent. Soit l’entreprise capitalise pour ses salariés, et ceux-ci sont alors en très grand péril, parce que leur entreprise peut faire faillite ou, en cas de crise boursière, peut se retrouver étranglée et dans l’impossibilité de faire face à ses engagements. Soit le salarié prend les risques et sa retraite peut se réduire drastiquement en cas de crise boursière.
Le système par répartition nous a-t-il protégés de cette crise ?
Henri Sterdyniak. L’avantage de cette crise, aujourd’hui, c’est qu’elle prouve qu’en France aucun salarié de cinquante, cinquante-cinq ans n’a été victime directement de la crise, alors qu’aux États-Unis, elle a frappé fortement les futurs retraités. La Bourse américaine a chuté de 30 %. Les gens qui comptaient sur leurs placements boursiers pour financer leur retraite ont vu leur perspective de retraite baisser d’autant. Imaginez qu’en France, on annonce, du jour au lendemain, que les futures retraites vont baisser de 30 %. Aux États-Unis, la menace est extrêmement forte sur les conditions de vie des ménages. Les possibilités de consommation des gens dépendent de façon importante de ce qui se passe en Bourse. Quand elle chute de 30 %, c’est la catastrophe.
La crise ne prouve-t-elle pas la pertinence du système par répartition ?
Henri Sterdyniak. Cette crise montre que le système par répartition est beaucoup plus sûr, beaucoup moins traumatisant pour les individus qui n’ont pas besoin de lire les pages de la Bourse pour savoir quel sera le montant de leur retraite. Le système financier se montre d’une telle instabilité qu’on s’aperçoit qu’il vaut mieux loger les gens en HLM plutôt que les endetter à mort et ensuite découvrir qu’ils ne pourront pas rembourser. Il vaut mieux une université gratuite avec des impôts élevés plutôt qu’un système où chacun doit épargner pour que son enfant aille à l’université, à condition qu’il n’y ait pas de krach boursier. Il vaut mieux un système de santé plus ou moins public, plutôt que la santé dépende de l’épargne des gens. On peut espérer que la crise va permettre de réévaluer l’avantage respectif du système libéral et du système « social-démocrate ».
Entretien réalisé par Dany Stive, pour l'Humanité
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14/09/2007
Bernard Thibault : « Le syndicalisme va être présent et visible »
Après le vote du paquet fiscal, un sondage a montré que le gouvernement n’est pas très crédible aux yeux de l’opinion sur le pouvoir d’achat. Cela vous étonne-t-il ?
Bernard Thibault. Certaines décisions du gouvernement promettent déjà des désillusions. Je pense à l’évolution du pouvoir d’achat. On prépare l’opinion publique à une augmentation des prix dans la grande distribution. Les trois postes essentiels qui pèsent sur les budgets familiaux, le logement, le transport et la santé, sont en hausse. Mais les salaires ne suivent pas et le nouveau dispositif sur les heures supplémentaires ne changera rien pour le plus grand nombre. Nous venons de rencontrer le ministre de la Fonction publique. Il ne possède aucune marge de manoeuvre budgétaire pour satisfaire les revendications salariales. Dans le secteur privé, la ministre de l’Économie prépare une conférence qui devait, à l’origine, porter sur l’emploi et le revenu. Elle vient d’y ajouter le coût du travail. Cela signifie qu’une fois de plus, cette conférence cherchera à culpabiliser les salariés coûtant trop cher aux entreprises. Rien à l’horizon ne permet de dire que les choses vont s’améliorer. Il faut donc, dans chaque entreprise, créer les conditions pour agir et changer la situation.
La stratégie de Nicolas Sarkozy consiste à réformer de front et rapidement des pans entiers du contrat social. Cette frénésie de réformes ne vise-t-elle pas à prendre de court toute capacité de mobilisation sociale et syndicale ?
Bernard Thibault. On est dans les tout premiers jours de septembre. Je ne connais pas beaucoup d’années ou une mobilisation d’ampleur s’est exprimée en septembre. En général, les rendez-vous sociaux d’importance commencent en octobre. Il est vrai que cette rentrée n’est pas comparable aux précédentes. Au motif de vouloir changer bien des aspects de la société française, le président de la République s’empresse d’enfourcher les revendications du MEDEF. L’accélération du rythme des réformes vise à noyer les salariés sous un flot de mesures dont ils n’ont pas le temps de comprendre les conséquences. La CGT s’efforce de les informer très régulièrement. Nous comptons déjà plusieurs points d’appui sectoriels qui peuvent imposer au gouvernement de revoir ses positions. Les organisations syndicales de la fonction publique envisagent des actions unitaires. Une démarche similaire est en cours dans le secteur de l’énergie, avec deux niveaux de riposte, celle des personnels de GDF, Suez et EDF et celle des citoyens, car la privatisation de GDF est d’une portée qui vabien au-delà des seules conséquences sociales pour les personnels. Nous faisons circuler une pétition nationale. Un processus unitaire se précise aussi chez les cheminots sur une base revendicative large, puisque la loi sur le service minimum, qui restreint l’exercice du droit de grève, a été adoptée, qu’un plan de plusieurs milliers de suppressions d’emplois dans le fret ferroviaire s’installe au moment même où le gouvernement organise une conférence sur le développement durable et que leur régime de retraite est dans le collimateur. Un certain nombre d’initiatives locales commencent aussi à se dessiner. Tout cela me fait dire que le syndicalisme va être présent et visible dans la prochaine période.
Mais pouvez-vous échapper au calendrier que cherche à vous imposer le gouvernement et faire prendre en compte vos propres priorités ?
Bernard Thibault. Nous sommes les premiers à attendre des réformes. Certaines sont de la responsabilité du gouvernement. Ce sont les contenus qui posent problème. Nous ne sommes pas naïfs. Nous rencontrons des ministres mais les annonces unilatérales continuent. Personne ne nous a demandé notre avis sur l’élargissement du travail du dimanche alors que le Conseil économique et social y est hostile. Pas de consultation avant d’annoncer la dépénalisation du droit des affaires que le président de la République a promis aux employeurs ! Saisir toutes les opportunités de porter nos revendications fait partie de notre rôle. Mais nous ne devons pas entretenir la confusion. Nous devons jouer la clarté, même si le gouvernement tente de nous prendre de vitesse ou de semer la confusion. Les syndicats doivent faire preuve de beaucoup de réactivité. Si les attentes des salariés ne sont pas entendues, nous devons créer les conditions de leur intervention. C’est l’orientation de la CGT. Nous remplissons nous aussi le calendrier. Nous appelons par exemple à une manifestation nationale le 13 octobre, à Paris, avec deux associations, la FNATH et l’ANDEVA, sur les conditions de travail et leurs conséquences sur la santé des salariés, le refus des franchises médicales, pour d’autres moyens de financement de la Sécu, pour faire reconnaître la pénibilité du travail par des départs en retraite.
La question du financement des régimes de retraite et celle d’une pénibilité qui aurait disparu sont les deux arguments avancés par le gouvernement pour remettre en cause les régimes spéciaux. Sont-ils valables, selon vous ?
Bernard Thibault. Ce gouvernement a profité du mois de juillet pour faire adopter des mesures qui bénéficient à ce que moi j’appelle les vrais privilégiés. Certains grands patrons bénéficient de parachutes dorés de millions d’euros et, aujourd’hui, on nous présente quelques milliers de salariés comme étant les privilégiés de la société française ! Ce gouvernement est quand même gonflé. Il a offert 15 milliards de cadeaux fiscaux à quelques milliers de familles aisées et il ose parler de justice sociale ! Rien ne justifie la précipitation avec laquelle il engage cette réforme. Elle est utilisée à des fins politiques. Si les cheminots sont ciblés, c’est par esprit de revanche et pour préparer une nouvelle étape, celle des sacrifices qui vont être demandés à tous les salariés sur les retraites, à l’occasion du rendez-vous de çoit que le mécontentement social risque de s’amplifier. Il est tenté de mettre de l’huile sur le feu pour les cheminots afin de masquer que sa politique aura des conséquences sociales négatives pour tous les salariés.
Vous avez vous-même, à plusieurs reprises, menacé le gouvernement d’un conflit dur en cas réforme des régimes spéciaux. Est-ce que vous vous faites comprendre de l’opinion publique ?
Bernard Thibault. Il faut rétablir des vérités. La CGT est pour l’égalité mais l’amalgame qu’opère le gouvernement sur les régimes spéciaux n’a aucun sens. Par exemple, il est faux de marteler l’idée que le régime des électriciens représente un fardeau pour la collectivité. Au contraire, il reverse au régime général. En revanche, il est vrai que, sans la solidarité nationale, les actifs des mines ne pourraient plus financer les retraites des mineurs, tout simplement parce que les mines ont fermé, qu’il n’y a plus assez de cotisants en activité. Les cheminots comptent aujourd’hui 320 000 retraités pour 166 000 actifs, du fait des réductions d’emplois. Les régimes spéciaux représentent 5 % des retraités et ils font partie du contrat social de chacune des professions concernées. Dire qu’il suffirait d’aligner ces régimes sur les autres pour qu’il n’y ait plus de problème de retraite est totalement faux. Nous voulons hausser les termes du débat. Dans l’approche du gouvernement, l’équité signifie nivellement pas le bas. Pourquoi s’arrêter à la retraite, pourquoi ne pas supprimer les CE puisque tout le monde n’en a pas ou la couverture complémentaire de santé ? Au nom d’une telle logique, il va nous être proposé de généraliser les contrats précaires, le CDI devenant un privilège exorbitant ! Notre conception de l’égalité est radicalement différente.
Mais est-ce possible, compte tenu du papy-boom, de continuer à financer les retraites avec le seul système par répartition ?
Bernard Thibault. Oui. La CGT lance une campagne pour préparer le rendez-vous de 2008. Si nous ne parvenons pas à reconstruire des règles de départs en retraite en consolidant le système par répartition, les solutions individuelles vont s’amplifier. Les jeunes intègrent déjà l’idée qu’ils n’auront pas droit à la retraite. La population âgée va progresser. Pour nous, le débat doit s’organiser autour d’un droit au départ à soixante ans. Compte tenu de la précarité du travail, il est de plus en plus difficile d’obtenir les trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein. Mais on nous présente comme inéluctable un allongement de la durée de cotisation. Cela entraînerait une diminution drastique du niveau des pensions. Au contraire, il faut repenser la mécanique d’obtention de droits. Pour assumer un droit au départ à soixante ans des salariés, avec un niveau de pension convenable pour vivre, notre pays devrait consacrer, à l’horizon 2020, 3% du PIB au financement des retraites. Cela représente une progression de 0,2 % chaque année de la part des richesses produites consacrée à la retraite. Franchement, cela ne nous paraît pas être un choix de société aberrant. Car il s’agit bien de cela. Penser avoir droit à une nouvelle page de la vie après soixante ans, débarrassée des contraintes de la condition salariale, c’est un beau projet, non ?
Allez-vous, entre syndicats, parvenir à parler un peu plus d’une même voix ?
Bernard Thibault. Je ne vois pas un seul syndicat applaudir à la multitude de sujets sur lesquels le gouvernement prétend avoir la vérité révélée. Les syndicats doivent faire respecter leur indépendance, notamment quand le politique cherche à leur imposer par avance des résultats de négociations. Il n’est pas normal que le président de la République se permette de prendre fait et cause pour la solution patronale alors que nous sommes en train de négocier sur le contrat de travail. Les employeurs veulent individualiser la relation du travail en laissant penser qu’un salarié et un patron sont deux parties égales. C’est un marché de dupe ! Rares sont les salariés qui sont en position de force vis à-vis d’un employeur. Nous, nous cherchons à obtenir une coresponsabilité des entreprises dans la reconnaissance des droits que les salariés obtiendraient individuellement dans leur parcours professionnel. C’est ce que nous appelons une sécurité sociale professionnelle.
Nicolas Sarkozy annonce un discours important sur les questions sociales mardi prochain. Vous avez un message à lui délivrer…
Bernard Thibault. Il aurait tort de continuer à opposer sa légitimité politique au débat nécessaire à tenir pour tout ce qui touche à l’évolution des droits sociaux, ce que l’on appelle la démocratie sociale. S’il ne prend pas conscience du besoin de dialogue et de négociation, on va vers des situations de blocage. Il devrait aussi cesser de considérer que l’entreprise est exclusivement incarnée par les seuls chefs d’entreprise. Les salariés ont une certaine expertise de leur métier et de leur entreprise. Ils ont un avis autorisé sur l’organisation du travail, sur ce qu’il convient ou non de faire pour assurer la pérennité de leur entreprise. Leur avis doit être respecté et pris en compte.
Entretien réalisé par Pierre Laurent et Paule Masson (l'Humanité)
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