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06/10/2013

"Blue Jasmine", 
de Woody Allen. N’être personne de s’être trop pris pour quelqu’un

cinéma,woody allen,cate blanchettBlue Jasmine est une réussite de Woody Allen qui, enfin, remet tout son savoir-faire sur le métier pour un portrait de femme, interprété par Cate Blanchett, tout en profondeur.

 Blue Jasmine, 
de Woody Allen. États-Unis. 1 h 38.

Lorsque nous rencontrons Jasmine (Cate Blanchett), c’est une femme désarticulée. D’emblée, ses vêtements élégants semblent autant de vestiges auxquels s’accrocherait la passagère d’un paquebot embarqué sur un radeau en perdition pour s’empêcher de couler.

Cela tient à une façon de les rassembler, de les habiter d’une grâce dont la posture serait soudain devenue incertaine. Jasmine, de son véritable prénom Janette, s’effraie devant la porte de sa sœur Ginger (formidable Sally Hawkins) demeurée dans la modestie populaire de leurs origines. Pareille à une pouliche à pedigree contrainte aux stalles communes, Jasmine, arrivée tout droit de la côte est, déchoit à San Francisco.

Fauchée, égarée, terriblement seule et non moins exigeante comme si sa riche essence l’imposait, Jasmine, rebaptisée d’après un parfum de luxe, dépare dans le décor. Ginger pourtant l’accueille de toute son affection, rayonne de l’admiration toujours portée au joyau de la famille et partage son foyer avec le naturel de qui sait ramer dans les écueils.

À Jasmine, tout a été donné, de la beauté à l’amour qui la récompense, aux inépuisables cascades d’argent dont le prince charmant l’a inondée. Charmant dans ses limites et prince des escrocs, le mari de Jasmine, Hal (Alec Baldwin), a fini par se faire pincer. Bâtisseur d’un empire de cavalerie financière à la manière d’un Madoff, ou de tant d’autres dont on peut trouver les noms ailleurs qu’outre-Atlantique, il s’est pris les pieds dans le tapis persan.

Woody Allen procède à des flash-back fluides comme une robe de haute couture afin de reconstituer cette vie antérieure qu’ont menée Jasmine et son époux. Il ne cesse d’en enrichir les parcours conjoints des deux sœurs au fil de leurs retrouvailles. Il use de son habituelle maîtrise des décalages amusants sans le poids du procédé. Surtout, de ce qui va émerger de chacune, de leurs fantasmes et aspirations, nous permettra de ne pas nous tenir en surface, au contraire de ses derniers opus.

Outre les deux magnifiques actrices et leurs interprétations sensibles, il faudrait citer toute la distribution. Chili (Bobby Cannavale), prolo tatoué à qui Ginger s’est fiancée, capable de fondre en larmes d’amour, Augie (Andrew Dice Clay), son ex-mari tellement balourd que le couple de Jasmine et Hal a bien cru défaillir de honte sociale lorsqu’ils les ont reçus dans leur mille mètres carrés de Manhattan. Jadis. Augie au moins a survécu, outils en main. Jasmine n’en possède aucun.

Cette femme que l’on pourrait si facilement détester pour son snobisme et son arrogance de milliardaire nous apparaît, en un tour de force continu, aussi dépossédée d’elle-même qu’il est possible. Rien n’est univoque dans le traitement du film, ni dans l’interprétation. Woody Allen et Cate Blanchett parviennent à provoquer une oscillation constante qui interdit le rejet comme l’empathie à bas prix. Un film d’or fin.

Publié par l'Humanité

 

11:08 Publié dans Actualités, ACTUSe-Vidéos, Arts, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, woody allen, cate blanchett | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!