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01/12/2009

Renaud. Vagabondage irlandais

renaud2.jpgDepuis la Ballade nord-irlandaise, 
en 1991, on savait que Renaud aimait l’Irlande. Aujourd’hui, il sort l’album Molly Malone, 
et nous invite 
à une promenade 
en terres celtes 
en reprenant treize chansons traditionnelles témoignant de l’histoire de ce pays.

Vous sortez, Molly Malone, un album entièrement consacré aux musiques irlandaises. À quand remonte votre passion pour l’Irlande  ?

Renaud. Cela doit faire plus de vingt ans, quand je suis allé avec une équipe de Canal Plus tourner une émission dans le Connemara. J’ai été bouleversé par les paysages, séduit par les gens. C’est un des peuples les plus sympathiques d’Europe. Cette fraternité, cette joie de vivre. On l’a vu notamment récemment à l’occasion d’un match de football où d’autres supporters qu’eux auraient tout cassé, semé la terreur dans la banlieue du stade de France, à Saint-Denis. Je connais l’histoire et un peu la géographie de ce pays, mais ce qui m’a guidé là-bas, c’est son folklore et ses chansons traditionnelles.

Qu’aimez-vous précisément 
de la culture irlandaise  ?

Renaud. Elle est très riche. Quand je vais là-bas, je sens que les gens sont attachés à leur terre, leur patrie, leur pays, leurs racines, à leurs légendes. Cela me touche infiniment.

Vous avez failli vous installer 
à Londres. Pourriez-vous vivre en Irlande  ?

Renaud. Je crois que, définitivement, je suis fait pour vivre en France, quitte à voyager à l’occasion en pays étranger. Je suis attaché, moi aussi, au moins à ma ville.

Quand on écoute votre nouvel album on se dit que vous auriez pu naître dans ces terres de vent, de bruyère, de tourbe et de bière tellement vous vous êtes imprégné de ces ambiances…

Renaud. Parce que j’aime ces chansons traditionnelles que j’ai écoutées pendant vingt ans. Il y avait plus de trois cents chansons en stock, j’en ai gardé treize. Quand j’étais à Londres en 1991 pour l’album Marchand de cailloux, j’ai écumé les disquaires au rayon musiques irlandaises. J’allais des plus anciens aux plus modernes, des Pogues jusqu’aux Dubliners. J’ai découvert des joyaux et j’en ai délaissé certains. Mon répertoire n’est pas très éloigné de la chanson irlandaise, laquelle a émigré aux États-Unis pour devenir le folksong et un peu la country. Tous ces répertoires ont influencé le mien dans une certaine mesure. Qu’est-ce qui vous fait vibrer dans 
les musiques celtiques  ? Renaud. À la fois la mélancolie et la joie de vivre qui s’en dégagent. Quand les Irlandais ont l’occasion de jouer en public, la fraternité autour d’une Guinness pour écouter cette musique et chanter en chœur, c’est formidable.

Vous avez d’ailleurs eu l’occasion 
de jouer là-bas dans des pubs…

Renaud. J’ai produit moi-même financièrement une tournée qui m’a coûté les yeux de la tête, avec sept musiciens, la sono, les voyages, les hôtels, les cachets. Je suis parti en 1997 pour quinze jours en Irlande, une douzaine de villes dont Shannon, Cork, Galway, Limerick, Dublin, Belfast… Un souvenir inoubliable. Chanter dans des pubs archibondés, noirs de monde irlandais. J’avais tout à offrir et à démontrer, alors que quand je chante ici, j’ai un public plutôt acquis d’avance, même si ce n’est jamais le cas. Là-bas, j’avais tout à prouver et je me suis décarcassé sur des scènes improbables, parfois sans estrade où on chantait au ras du sol, avec des gens presque assis sur nos genoux. Vous chantiez en français  ?

Renaud. Oui et je faisais les présentations en anglais dans mon anglais approximatif avec l’accent de Maurice Chevalier  ! (rires)

renaud.jpgComment avez-vous adapté 
ces chansons traditionnelles pour 
les traduire au mieux  ?

Renaud. Les traductions sont d’Henri Loevenbruck, un ami écrivain qui a travaillé sur les textes, une trentaine. Moi, j’ai choisi les musiques qui me séduisaient le plus. J’en ai délaissé des magiques. C’est toujours un choix difficile car choisir, c’est renoncer. Il fallait ensuite que le sujet m’inspire soit en restant fidèle aux paroles, soit en dérivant vers d’autres sujets.

En quoi ces chansons traditionnelles restent-elles d’actualité  ?

Renaud. Elles sont d’actualité parce qu’elles parlent du chômage, de l’exil, d’émigration, de difficultés économiques, de misère, de conflits, d’antimilitarisme, notamment dans Willie McBride, une chanson sur la guerre de 1914-1918. Je ne sais pas toujours de quand elles datent, si elles sont du XIXe ou du XXe siècle ou plus anciennes pour certaines, mais je trouve que ce disque est vraiment les deux pieds dans l’actualité, très marqué par son époque.

Avec toujours un côté insoumis 
que l’on retrouve dans vos choix…

Renaud. Dans les chansons irlandaises, s’il est un peuple insoumis, c’est bien le peuple irlandais. Mais il y a aussi des chansons d’amour, Je reviendrai, la Fille de Cavan, Molly Malone…

Qui est Molly Malone  ?

Renaud. Une figure légendaire, mythique de Dublin, qui a sa statue dans cette ville. C’était une marchande de poissons qui vendait des coques et des moules à la criée sur un chariot. Une femme qui vendait aussi ses charmes à l’occasion, qui est morte d’une maladie d’amour.

Vous qui venez d’un milieu relativement privilégié, comment expliquez-vous que vous chantiez avec autant de justesse les gens 
du peuple, le monde ouvrier, 
les usines qui ferment  ?

Renaud. Parce que j’y suis sensible, parce que ça me touche infiniment, me bouleverse. Cela me révolte de voir des pans entiers d’industries, les filatures, les chantiers navals, les mines de charbon, les aciéries, qui ferment, licencient et mettent sur le carreau et à la rue des familles entières, des milliers d’individus. Je viens des classes moyennes, mais je suis sensible au destin parfois tragique de la classe ouvrière.

Vous sentez-vous une âme 
de « vagabond », à l’image 
de la chanson qui ouvre l’opus  ?

Renaud. Non, mais j’ai de l’admiration pour ces gens qui marchent le long des voies ferrées, prennent des trains au hasard pour aller de ville en ville, espérant trouver un emploi. Les vagabonds, les sans-emploi, les migrants, les routards de la misère…

Comment l’auteur d’Hexagone ressent-il le débat sur l’identité nationale  ?

Renaud. Je n’y comprends rien. Je ne saurais même pas dire ce que c’est que l’identité nationale, à mes yeux. À part vivre ici et avoir du respect pour son prochain. J’ai l’impression que ce débat a été ouvert par la droite, par un ex-mec de gauche qui plus est, pour séduire l’électorat du Front national aux prochaines échéances électorales. C’est une spécialité sarkozyenne. Je trouve que le problème ne se pose pas. Ce n’est pas l’immigration qui pose un problème à l’identité nationale. Je ne crois pas que dans les autres pays d’Europe, il y ait de tels projets de loi. Il y a des relents de xénophobie. Chasser les immigrés, chasser les sans-papiers, les sans-abri – et dieu sait s’ils sont nombreux –, se refermer sur soi-même au lieu de s’ouvrir aux autres. C’est un rejet absolu de ce que j’aimais en France, cette tradition de terre d’asile et d’exil pour les réfugiés économiques ou politiques du monde entier.

Des sujets qui pourraient faire l’objet d’un prochain album  ?

Renaud. Probablement d’une chanson. Mais les chansons, je les espère touchant des sujets plus universels que des problèmes franco-français. Je suis plus sensible au problème du milliard d’individus qui n’ont pas accès à l’eau potable qu’au problème de l’identité nationale. Mais, au passage d’un couplet ou d’un refrain, j’aurai sûrement quelques coups de griffes à adresser à ce gouvernement.

Justement, vous parlez dans Vagabonds d’un système qui détruit 
nos rêves…

Renaud. Un système qui s’écroule aujourd’hui et fait s’écrouler les rêves de toute une vie. Il y a huit millions de personnes en France, près de 15 % de la population, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Je trouve ça scandaleux. Dans un pays riche, moderne, huit millions de personnes sans emploi, sans avenir, des gens qui du jour au lendemain perdent leur emploi et, qui faute de pouvoir honorer des crédits, se retrouvent dans une caravane ou dans une voiture. Je vois ça à travers le prisme de ma télévision et ça me choque, me met en colère, me bouleverse.

Vous reprenez une nouvelle fois 
la Ballade nord-irlandaise, qu’est-ce qu’elle dit au fond, cette chanson  ?

Renaud. Elle parle de fraternité, notamment dans le conflit qui oppose protestants et catholiques en Irlande du Nord, elle parle d’amour à travers le symbole d’un arbre (un oranger) qui symboliserait la liberté, comme on en a planté un à la Révolution française.

Envisagez-vous des concerts dans 
les pubs  ?

Renaud. Je l’ai fait avec mes chansons, mais avec les leurs, j’ai peur qu’ils ne fassent trop la comparaison. Le seul regret que j’ai avec cet album, même si je me fais reprocher de-ci, de-là sur des blogs ma voix pourrie alors qu’elle ne l’est pas tant que ça, c’est que ces chansons, elles sonnent infiniment mieux en anglais qu’en français. La langue anglaise est plus mélodique. C’est comme si un chanteur irlandais inconnu venait en France interpréter Brassens en français. Je n’ai pas prévu avec cet album de faire de scène. Le public est toujours fidèle et amoureux des anciennes chansons. Il réclame Hexagone et Mistral gagnant. Je vais attendre que ces chansons irlandaises fassent partie de leur mémoire, qu’elles renvoient à des souvenirs de leur vie et qu’elles soient bien ancrées dans leur cœur. Pour qu’ils aient du bonheur à les écouter et qu’il les chante en chœur avec moi plutôt que de les applaudir du bout du doigt poliment parce que ce sont de nouvelles.

Vous dites que vous vous faites accrocher sur votre voix…

Renaud. Violemment. Je n’ai jamais été un grand chanteur, mais qu’est-ce que je dérouille  !

Comment vivez-vous cela  ?

Renaud. Je sais que j’ai des problèmes vocaux, je dois avoir une inflammation des cordes vocales, même quand je parle. C’est comme à la télévision où le trac tétanise mes cordes vocales. Je vis assez mal les critiques sur ma voix. Quand on dit que je chante moyennement, c’est supportable, mais dire que je chante « atrocement mal », je trouve ça dégueulasse, surtout dans cet album-là où j’ai vraiment fait des efforts. J’ai travaillé et retravaillé, chanté et rechanté à l’aide parfois de cures de cortisone pour dégager les cordes vocales. Je trouve cet album tout à fait audible et vocal. C’est ma voix, et en plus c’est exactement les chansons interprétées en chœur dans les pubs.

Entretien réalisé par Victor Hache, pour l'Humanité

14:10 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : renaud, ballade irlandaise | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!