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25/02/2007

LADY CHATTERLEY

medium_lady.jpgPascale Ferran : « La joie pourrait être le manifeste du film »

Cinéma . Pascale Ferran réalise un Lady Chatterley magnifique d’intelligence et de sensualité. Un film d’amour virtuose à voir absolument.

Chef-d’oeuvre : le mot ne vient pas plus facilement sous la plume que le sentiment afférent ne vous saisit à l’issue d’une projection. On remonte dans l’histoire du cinéma et la raison résonne. On interroge ses propres impressions et la timidité s’insinue. Chef-d’oeuvre, pourtant, nous avons envie de conserver le terme tant le film de Pascale Ferran fait litière des clichés attachés au célèbre roman de D.H. Lawrence, tant la cinéaste fait écho à l’écrivain à hauteur de création, revivifiant la force de l’amour, sa subversion intrinsèque et cet état de joie qui transforme l’être humain au plus profond. Rencontre admirative.

Qu’est-ce qui, dans l’oeuvre de Lawrence, vous a frappée au point de provoquer un désir de cinéma dont l’intensité est palpable à l’écran ?

Pascale Ferran. J’ai découvert D. H. Lawrence relativement tard. Je ne l’ai pas lu adolescente et personne ne me l’avait signalé comme un auteur important. Ce sont les textes de Deleuze sur la littérature anglaise qui m’ont donné envie de le découvrir. Je ne l’ai pas fait par le biais des chefs-d’oeuvre mais par la bande. Concernant Lady Chatterley, ce qui m’a frappée d’emblée, c’est la profondeur de l’écart entre ce que je percevais du livre et les clichés qu’il véhicule. Comme si on en avait retenu à la fois une histoire de transgression sociale qui illustre aujourd’hui encore toute liaison d’une bourgeoise avec un plombier ou un maçon, et une histoire de cul. Or le roman est sidérant, notamment la seconde version (Lawrence en a écrit trois) que j’ai choisi d’interpréter. Ce Lady Chatterley et l’homme des bois, centré sur la relation entre Constance, lady Chatterley, et Parkin, le garde-chasse, est avant tout une incroyable, magnifique histoire d’amour. Elle raconte le processus d’apprentissage, d’apprivoisement, qui va amener deux personnes à construire une relation très puissante. À partir d’un attachement physique, ils vont parvenir à créer un monde dans lequel les classes sociales, les codes sociaux, les rapports entre hommes et femmes ne sont plus les mêmes. C’est l’amour comme un processus de possibilité d’une vérité intime. Il y a là la charge politique d’une utopie concrète.

Votre film atteint souvent la grâce, singulièrement dans les différentes scènes d’amour physique entre les deux personnages principaux. Dans une époque ou l’on dit volontiers que l’on peut tout montrer, ce qui n’évite pas les ellipses les plus puritaines, comment avez-vous abordé cette représentation ?

medium_pferran.jpgPascale Ferran. Il s’agit là aussi d’un processus, de strates où vont se mêler instincts et points de vue pour trouver les bons gestes, la forme de chaque détail du film. Si l’on atteint la grâce, c’est en surplus, comme un accident miraculeux. Le travail avec les comédiens était un enjeu crucial. Les scènes d’amour racontent chaque fois quelque chose de très important dans la relation des personnages. Chaque fois, ils en sortent transformés. Dans le livre, c’est décrit très précisément, avec cette crudité qui a fait scandale. J’ai modifié certaines scènes, j’en ai conservé d’autres. Surtout, les comédiens et moi avons travaillé plusieurs mois avant le tournage. Je n’imaginais rien de pire que se retrouver sur un plateau pour une scène d’amour et leur intimer : « Maintenant, allez-y. » Nous avons abordé ces scènes comme on le ferait de dialogues difficiles. Ces dialogues devaient émerger de la pensée. C’est un trajet qu’accomplissent les personnages. Quel type de sensations, de mémoire des corps peuvent faire que lproduise un « objet » qui va rejaillir sur l’autre ? Nous nous sommes livrés à un travail de recherche passionnant, un peu comme au théâtre. Il a créé de la confiance entre nous. Marina Hands et Jean-Louis Coulloc’h ont appris à se toucher peu à peu, comme des danseurs. Chacun de nous mettait un temps particulier à prononcer certains mots, ce qui est aussi le cas pour Constance et Parkin. Débarrassés du phénomène d’inspiration, nous pouvions arriver sur le tournage de ces séquences en ayant moins peur, en étant capables de nous jeter dans le présent. Nous pouvions ainsi espérer que la grâce advienne, in fine. Ces scènes sont les plus saturées de significations, ce qui permettait aussi d’envisager qu’elles soient réussies même si la grâce ne devait pas arriver. Il me semble que raconter cette histoire arrive pile dans l’histoire du cinéma, à trois ou quatre ans près. Il ne s’agit pas de la question de la transgression, mais d’un partage d’expérimentation entre spectateurs et personnages. Pour ce qui est de la nudité, de la sexualité, j’avais envie que les spectateurs ne soient pas placés dans le voyeurisme. Je voulais qu’eux aussi aient envie de courir nus sous la pluie dans ce geste enfantin et libérateur, le plus loin possible de l’image d’Épinal qui occulte le propos du livre.

Avez-vous dialogué avec le fantôme de Lawrence ?

Pascale Ferran. Nous avons beaucoup parlé. Je n’aurai pas adapté sa troisième version de Lady Chatterley, dans laquelle il fait beaucoup plus intervenir la révolution industrielle. Il s’y montre plus théorique, thématise beaucoup, commente énormément par la voix de ses personnages. C’est très symphonique et j’ai préféré le quatuor, la musique de chambre. Lady Chatterley et l’homme des bois n’est pas un objet clos, ce qui m’a donné le droit de me le réapproprier. J’ai croisé peu d’oeuvres littéraires qui donnent un tel sentiment de liberté. Il y a sept ou huit ans, j’avais essayé d’écrire un scénario mettant en scène un homme et une femme dans un huis clos qui commençait également par une attraction physique. Je n’y suis pas arrivée. C’est très difficile d’écrire ce type de récit en voulant parler à d’autres tout en se fondant sur sa propre histoire. Là, j’ai pu me dévoiler aussi profondément que possible tout en me cachant derrière le fait que ce n’est pas un scénario original.

À propos d’orchestration, comment le travail cinématographique s’est-il accompli ?

Pascale Ferran. Dans le cadre de cette alchimie nécessaire à la mise en scène, j’ai mis beaucoup d’énergie à trouver les personnes les plus justes à chaque endroit, comme pour partager les responsabilités. Nous étions une petite équipe sans la hiérarchie très forte, parfois presque militaire, du cinéma. Cela peut aboutir à une colonisation des lieux de tournage. Nous avons dans chaque registre essayé l’inverse. Par exemple, nous nous sommes beaucoup appuyés sur les gens du coin. Tout cela a été décisif pour le film. J’avais souvent le sentiment d’une sorte de dissolution de la notion d’auteur. J’étais très ouverte aux propositions de collaborateurs dont il me semblait qu’ils savaient sur le film des choses que j’ignorais. Je crois que ce climat d’atelier confortait mon impression de faire un film vivant.

La nature est très présente dans le film et on sent que vous prenez plaisir à la filmer. Que représente-t-elle à vos yeux de cinéaste ?

Pascale Ferran. J’adhère à tout ce qui, dans la notion de nature, participe de la joie et de la liberté. S’il s’agit, comme pour Lawrence, d’y ancrer la question des origines, je m’en méfie. Moi qui suis très citadine, je jardine depuis une dizaine d’années et je suis devenue très férue de botanique. J’ai donc été ravie de filmer la nature en conservant du livre cette double transformation des saisons et de ce que vivent les personnages, ces interactions qui ouvrent des horizons. On dit que l’amour rend bête. Je crois que l’amour ou l’amitié rendent intelligent. L’autre, par un mot, un geste, ouvre une porte. C’est ce que le film a essayé de capter.

La joie, vous voulez bien nous en parler ?

Pascale Ferran. La joie, ce pourrait être le manifeste du film. « Nous sommes dans un monde essentiellement tragique, refusons de le prendre au tragique. » Ce qui était vrai au sortir de la Grande Guerre lorsque Lawrence écrivait, dans les années vingt, je le ressens très fortement aujourd’hui. Je ressens donc également comme une nécessité absolue la tentative de proposer un récit qui dise que la joie est encore possible entre deux personnes et qu’elle ne fait qu’un avec ce processus de vérité intime et d’abandon à l’autre.

Entretien réalisé par Dominique Widemann, pour l'Humanité

CINQ OSCAR POUR LADY CHATTERLEY

A l’image de la consécration de L'Esquive en 2005, c’est de nouveau un film d’auteur qu’ont souhaité récompenser cette année les professionnels du cinéma français, en offrant à l’œuvre de Pascale Ferran Lady Chatterley cinq prix dont les prestigieux César du meilleur film et de la meilleure actrice pour Marina Hands.

13:10 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : césat, Lady Chatterlay, Pascal Ferran | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

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