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31/07/2025

Juillet 1945 : face à la droite et au clergé, comment la gauche a imposé la Sécurité sociale

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Juillet 1945 : face à la droite et au clergé, comment la gauche a imposé la Sécurité sociale pour tous

Le 31 juillet 1945, la majorité de gauche de l’Assemblée consultative provisoire valide un avant-projet d’organisation qui donnera l’ordonnance du 4 octobre. Avant même d’être ministre, le communiste Ambroise Croizat est à la manœuvre

L’ordonnance d’organisation de la Sécurité sociale du 4 octobre 1945 a été le fruit d’un travail de plusieurs mois du Gouvernement provisoire de la République française et de son pendant parlementaire, l’Assemblée consultative provisoire (ACP).

Le 31 juillet 1945, celle-ci est appelée à se prononcer sur l’avant-projet gouvernemental élaboré par le haut fonctionnaire Pierre Laroque. La majorité de gauche CGT-PCF-SFIO fait bloc : le texte est approuvé par 190 voix, contre une seule à droite. Mais 84 délégués, surtout du centre droit (MRP) et du syndicat chrétien CFTC, choisissent de ne pas prendre part au vote.

CGT et PCF en première ligne

Désireux de maintenir les caisses patronales et confessionnelles des assurances sociales d’avant-guerre, aux lacunes pourtant connues, ils s’opposent au principe d’une « caisse unique » de Sécurité sociale. Ce scrutin et l’ACP elle-même ont été négligés, sinon oubliés, par l’historiographie contemporaine. Cette assemblée originale répondait, mais pas seulement, aux craintes anglo-saxonnes d’un possible autoritarisme de De Gaulle.

Elle naît donc à Alger en 1943, quelques mois après le débarquement allié en Afrique du Nord, puis continuera son travail à Paris à l’automne 1944, une fois la capitale libérée. Sa composition est un savant dosage de « délégués » : les députés de 1936 opposés à Vichy en 1940 et ceux des communistes qui avaient été déchus de leur mandat, les représentants des mouvements de résistance, ceux des syndicats membres du Conseil national de la Résistance (CGT et CFTC), et dans un second temps des déportés de retour des camps.

Y compris 16 femmes, les toutes premières parlementaires, même si non élues, de l’histoire de France ! Sans onction électorale complète, l’ACP ne fit, certes pas, œuvre législative. Mais bien proto ou prélégislative. Le droit de vote des femmes y trouve son origine immédiate, via un amendement du communiste Fernand Grenier.

Ambroise Croizat, ouvrier devenu ministre du Travail

Tout comme la création de la Sécurité sociale, le rétablissement de la légalité républicaine et le retour à la démocratie. Excusez du peu. En octobre 1944, le ministre du Travail Alexandre Parodi charge ainsi Laroque d’en élaborer le projet. L’Assemblée provisoire installée à Paris, Ambroise Croizat (1901-1951) en devient en novembre le président de la commission du Travail et des Affaires sociales (CTAS).

Ouvrier dès 13 ans, dirigeant de la puissante fédération des métallos CGT, député communiste du Front populaire, Ambroise Croizat sera ministre du Travail un an plus tard, en novembre 1945.

Mais déjà, en témoignent des documents sur l’ACP consultés aux Archives nationales, il affiche les mêmes priorités qui seront celles de ses dix-huit mois rue de Grenelle : Sécurité sociale, comités d’entreprise, salaires. Dès mars 1945, la CTAS déploie une activité soutenue. Parmi diverses initiatives, Ambroise Croizat confie un rapport sur l’avant-projet gouvernemental de Sécurité sociale à Georges Buisson.

Cégétiste socialiste, résistant, c’est un fin connaisseur des assurances sociales. Son rôle atteste que les positions des cégétistes socialistes et communistes, différentes avant 1936, sont désormais proches. Croizat, un temps, fut contre la cotisation. Au motif de comment cotiser, quand on gagne à peine de quoi nourrir sa famille ?

La droite et le clergé s’opposent à la caisse unique

Mais, une fois entérinée l’existence d’importantes cotisations des employeurs à côté de celles des salariés, et leur gestion confiée aux bénéficiaires de la Sécurité sociale, il en devient l’un des plus ardents partisans.

Le contexte est essentiel pour comprendre ce qui va se jouer : légitimité résistante du PCF, CGT à quelque 5 millions d’adhérents, patronat discrédité par la collaboration et globalement un environnement idéologique solidaire différent d’avant-guerre.

Face aux obstructions de la droite et du clergé, Laroque lui-même souligne dans ses Mémoires que l’accord tacite se fait avec la CGT. « Avec l’appui de la principale organisation syndicale ouvrière, l’administration fait prévaloir sa préférence pour la caisse unique. »

Quand Parodi demande, le 5 juillet, l’avis de l’ACP sur le texte gouvernemental, il acte ainsi « le poids politique que constituerait un avis favorable de sa part », écrit l’universitaire Léo Rosell, en évoquant « l’hégémonie des forces de gauche », à l’époque, dans « le rôle des organisations ouvrières dans la fabrique du régime général de la Sécurité sociale à la Libération » (Histoire @ Politique, revue du centre d’histoire de Sciences-Po, 2025).

Pourtant rejeté par la CTAS, un contre-projet du CFTC Gaston Tessier revient à la session plénière du 31 juillet. Croizat prend la parole, jugeant à demi-mot l’initiative dilatoire : « Je suis persuadé que si (…) la commission du Travail avait exprimé le désir de prolonger sa discussion pendant plusieurs semaines encore, l’opinion de M. Gaston Tessier sur le projet qui nous avait été soumis n’en eût pas été modifiée ».

Prenant acte de l’entente gouvernement CGT-PCF-SFIO, Tessier retire en séance son contre-projet. Celui du gouvernement est alors largement voté. L’une des plus grandes avancées de civilisation du XXe siècle est actée. Devenu ministre, après que le PCF est arrivé en tête des premières élections législatives d’après-guerre, Croizat va la bâtir, concrètement, à partir de fin 1945 et tout au long de l’année 1946.

Ambroise Croizat. Justice sociale et humanisme en héritage, éditions Geai bleu, mai 2025.

Source l'Humanité

11:07 Publié dans Actualités, Histoire, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ambroise croizat | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

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