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31/01/2015

Thierry Marx" Il n'existe pas de quartiers ni de personnes faits pour l'échec"

chefmarx_0.jpgLe chef milite pour valoriser la formation professionnelle et la cuisine de qualité, vectrice d’ascension sociale. Idée qu’il applique dans ses écoles de la seconde chance, Cuisine mode d’emploi(s). Thierry Marx : « Il n’existe pas de quartiers ni de personnes faits pour l’échec »

Vous êtes un chef atypique. En constatant que 54 000 emplois n’étaient pas pourvus en 2010 dans le milieu de la restauration, vous avez décidé d’ouvrir des formations gratuites destinées aux personnes au chômage et aux jeunes sans diplôme. Pourquoi ?

THIERRY MARX Avec cette formation, nous proposons l’apprentissage, en douze semaines, de 80 gestes de base et de 90 recettes. Et cela marche : nous avons 90 % de retour à l’emploi. Cette formation du personnel est essentielle pour la sauvegarde du métier de cuisinier. Si vous ne transmettez plus ce savoir-faire, il meurt tranquillement.

Pour cela, je développe trois principes essentiels qui sont rigueur, engagement et régularité. L’engagement est une posture, pas une simple signature qui engage un individu corvéable. Mon but est d’en faire des hommes libres.

Faire naître l’envie d’apprendre est au départ de tout. « Former les hommes, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu », disait Aristophane (poète grec du Ve siècle avant J.-C. – NDLR).

Pour être un bon cuisinier, il faut la maîtrise du geste, du feu et du temps. Et tout commence par le respect du produit et de l’identité de chacun. Le client n’achète pas ce que fait un cuisinier mais pourquoi il le fait. Ce sont de belles et simples valeurs ouvrières que tout le monde est capable de comprendre. Les histoires de recettes, elles, sont des fantasmes de la gastronomie.

Vous défendez l’idée que la cuisine garde une fonction d’ascenseur social. Il n’existe plus beaucoup de secteurs où c’est encore le cas…

THIERRY MARX On a répété à l’envi, à toute ma génération, l’idée d’ascenseur social, qui n’a jamais existé. Dans nos cités, l’ascenseur était l’endroit le plus pourri, que nous ne prenions jamais. L’escalier social, lui, en revanche, existe.

La responsabilité d’un État est de faire en sorte que les marches soient au même niveau pour tous. Personne ne demande des passe-droits. Par ailleurs, force est de constater que l’abandon de la scolarité se fait parfois à douze ans, qu’officiellement le taux d’illettrisme est de 7 %. Pourquoi ?

Parce qu’à notre époque un illettré engendre un illettré. Or, du temps de mon grand-père, un illettré était embauché. De telles situations créent des quartiers qui deviennent des silos, sans perspectives, alors que ces mêmes quartiers regorgent de talents. Ces combats-là, primordiaux, sont environnementaux.

Quand vous laissez des quartiers vivre dans la frustration, des poches extrêmement dangereuses se forment, prêtes à écouter n’importe quel gourou.

Vous êtes probablement le parfait exemple de cette ascension sociale…

THIERRY MARX J’ai été un échec pour l’éducation nationale à treize ans, quand j’ai quitté mon collège parce ce que je n’étais pas bon. En maîtrisant le geste avec les compagnons du Devoir, j’ai été poussé à aller chercher la connaissance pour pouvoir lire correctement les recettes. Ma grand-mère me disait « les riches ont le savoir donc ils ont le pouvoir ». C’est une des premières choses que l’on devrait dire à ces jeunes. Il ne suffit pas juste de lever le poing.

Il faut s’instruire pour lutter avec les bons arguments contre des personnes qui essaient d’en exploiter d’autres. J’estime qu’il n’existe pas de quartiers ni de personnes faits pour l’échec. Amenons de l’excellence dans ces quartiers et ramenons-y la formation professionnelle.

Le citoyen n’est pas seulement un apporteur de bulletin de vote. Aujourd’hui, l’État citoyen et l’état du citoyen, c’est amener des propositions et être acteur de la société.

Est-ce la même démarche quand vous tentez de redonner une place dans la société à des détenus par le biais de cours de cuisine en prison ?

THIERRY MARX La France n’est pas une dictature. Les individus rentrent en prison et en ressortent. Dans l’idéal, meilleurs qu’en y arrivant. Je ne crois pas aux zones de non-droit. Regardons les plans d’une ville : les universités se trouvent toujours loin des prisons. Là aussi, dans ces lieux confinés, il faut amener de l’instruction.

Vous mettez par ailleurs en avant le principe d’« économie de qualité ». Par quoi commence-t-elle ?

THIERRY MARX Une entreprise comme la mienne, c’est 450 emplois non délocalisables. Le luxe n’est pas une insulte à la misère mais à la médiocrité.

Le low cost, littéralement « coût bas », a surtout été un « coup bas » pour les valeurs de l’artisanat. Laisser croire en permanence que le coût du travail impacte uniquement le coût de production, c’est faux. La théorie selon laquelle c’est bien parce que c’est moins cher et que tout le monde y a accès a permis de faire s’installer la médiocrité.

Se fournir chez un artisan boulanger permet de former deux apprentis et d’entretenir une filière. Il faut aider les personnes à sortir de leur extraction sociale pour qu’ils aient accès à la qualité. On fait l’inverse depuis les licenciements massifs des années 1970.

C’est à ce moment-là que nous aurions dû lancer des révisions sur la formation professionnelle. À la place, on a créé des emplois pour la précarité. En somme, des pansements sur des jambes de bois.

Des chefs et des combats
Entretien réalisé par Audrey Loussouarn
Mardi, 23 Décembre, 2014
L'Humanité
 
bio express
Thierry Marx grandit 
dans la cité 
du « 140 Ménilmontant » 
à Paris. Petit-fils d’un réfugié juif polonais communiste, il entre chez les compagnons du Devoir en 1978 et obtient un CAP pâtissier. Après un passage dans l’infanterie marine, puis chez les casques bleus, il deviendra commis de cuisine dans de prestigieux restaurants, chez Ledoyen, Taillevent et Robuchon.
 
Thierry Marx obtient sa seconde étoile en 2012, à son arrivée au Mandarin oriental de Paris. Il intervient en milieu carcéral depuis douze ans pour transmettre son savoir-faire et permet 
aux détenus, depuis 2012, de passer le baccalauréat professionnel restauration. La même année, il ouvre 
à Paris sa première école, Cuisine, mode d’emploi(s), formation gratuite pour devenir commis de cuisine, destinée aux jeunes sans diplôme et aux personnes en reconversion, 
qui débouche sur un certificat de qualification professionnelle. 
Deux nouvelles formations suivront : boulangerie 
et service en salle.
 
Pour retrouver le chemin du goût, mettons-nous, tout d’abord, au fait des bonnes adresses ! Thierry Marx connaît bien Paris, 
lui qui y est né. Il nous promène ici dans les rues de la capitale à la recherche des meilleurs produits. Marchés, épiceries, petits bistrots 
de quartier, bons restos… 
il y en a pour tous 
les goûts. Au milieu de 
ces cent adresses, le chef délivre vingt recettes de cuisine. Son tour d’horizon est sublimé par les photos de Mathilde de l’Ecotais.
 
Paris Marx. Éditions 
Flammarion, décembre 2014, 208 pages, 32 euros.

10:02 Publié dans Connaissances, Economie, Entretiens, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thierry marx, cuisinier | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

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