19/03/2025
Député depuis 2002, le communiste André Chassaigne va quitter l'Assemblée
Après presque 23 ans à l'Assemblée nationale, André Chassaigne, élu député du Puy-de-Dôme sans discontinuer depuis 2002, a décidé de passer la main. A 74 ans, redevenu maire adjoint de son petit village de Saint-Amant-Roche-Savine, situé en Auvergne, il quittera le Palais-Bourbon le 31 mars. Il sera remplacé par son suppléant Julien Brugerolles. Et c'est Stéphane Peu qui lui succèdera à la présidence du groupe Gauche démocrate et républicaine.
C'est l'une des moustaches les plus connues de l'Assemblée nationale. Voilà près de 23 ans que le communiste André Chassaigne arpente les couloirs du Palais-Bourbon en tant que député de la 5e circonscription du Puy-de-Dôme. Mais, à 74 ans, l'Auvergnat a décidé de passer la main, avant même la fin de la législature : il l'a officialisé, ce mardi 18 mars, lors du point de presse hebdomadaire du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qu'il préside depuis 2012. Il posera sa dernière question au gouvernement le 25 mars et quittera la représentation nationale le 31 mars.
Je remercie le conseil municipal, j'essaierai d'être utile, à ma place, rien qu'à ma place. André Chassaigne
Pour quoi faire ? André Chassaigne va regagner ses pénates locales. Vendredi dernier, il a été élu adjoint au maire de Saint-Amant-Roche-Savine, dans le Puy-de-Dôme, un village dont il a été l'édile pendant 27 ans, de 1983 à 2010, à la quasi unanimité (11 voix pour, un blanc). "Je remercie le conseil municipal, j'essaierai d'être utile, à ma place, rien qu'à ma place" pour "faire le travail qui peut être nécessaire pour la commune en toute humilité, tranquillement, en bon père de famille en quelque sorte. Encore une fois merci", a-t-il déclaré en réaction au vote, sous l'œil d'une caméra de LCP.

Un retour aux sources pas anodin, puisqu'il lui permet d'éviter que son départ de l'Assemblée nationale n'entraîne une élection législative partielle. En effet, le code électoral interdit le cumul d'un mandat de député avec celui de membre d'un exécutif local. Entre les deux, André Chassaigne choisit donc le second. Par conséquent, son suppléant et collaborateur Julien Brugerolles, de 32 ans son cadet (il est né en 1982), siègera à sa place dans l'hémicycle, à partir du 1er avril.
Quant à la présidence du groupe GDR, elle sera assurée par le député de Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu, en binôme – comme c'était déjà le cas depuis juillet dernier – avec l'élue de la Réunion Emeline K/Bidi.
Une vie dédiée au militantisme et à la politique
C'est une page qui se tourne. "Il est temps que je cède ma place à un député d'une autre génération", expliquait fin janvier à l'AFP celui qui a été élu six fois au Palais-Bourbon. Ce qu'il répétait début mars, avec humour, dans l'émission Légi'stream de LCP : "Vous allez dans un magasin de brocante ou une antiquité, (...) les vieux meubles ça ne se vend plus, les jeunes n’en veulent plus. Il faut faire un peu de moderne." Une décision qu'il explique aussi par le "manque" qu'il éprouvait de ne plus exercer de mandat local. Et par sa volonté de "finir [sa] vie politique en toute humilité" en revenant aux mêmes fonctions qu'il occupait à 27 ans.
Car son engagement politique a débuté il y a fort longtemps : fils d'un ouvrier de l'usine Michelin à Clermont-Ferrand, André Chassaigne est entré aux Jeunesses communistes à l'âge de 16 ans. Ensuite, "dès que je suis arrivé à l'école normale d'instituteur [il fut professeur, puis principal de collège, ndlr.], j'ai fait un cercle de Jeunesses communistes, j'ai créé une cellule du PCF, j'ai été délégué syndical. J'étais extrêmement impliqué", se remémorait-il en mai 2019 dans l'émission Emois & moi.
Ce parcours, son militantisme, son village de Saint-Amant-Roche-Savine, André Chassaigne l'évoquait aussi, aux côtés de Marie-George Buffet, dans le documentaire "Histoires communistes" diffusé sur LCP en 2020. "Il correspond beaucoup à l'idée du parcours ouvrier, il y a quelque chose de très coco dans son ascension", témoigne Elsa Faucillon (GDR) qui, malgré des "échanges un peu costauds" sur la ligne interne au parti, voit dans "cette histoire sociale" quelque chose de "fort". Et d'ajouter, notant l'affaiblissement actuel du mouvement communiste : "J'aimerais qu'on soit en capacité de le produire davantage."
Avant d'être élu et réélu député à six reprises, "Dédé" s'y est repris à de – très – nombreuses reprises pour devenir député : candidat pendant 24 ans sur la même circonscription, il décroche enfin la victoire en 2002 face au prétendant socialiste. "Election après élection, je progressais. (...) C'est assez extraordinaire aujourd'hui où certains sont élus députés alors qu'ils n'étaient même pas inscrits sur les listes électorales un an avant !", racontait début mars celui qui a aussi été conseiller général à 29 ans et conseiller régional d'Auvergne pendant plusieurs années. Aux législatives de 2002, André Chassaigne est le seul à conquérir une nouvelle circonscription, quand le PCF perd quatorze sièges à ce scrutin.
"André Chassaigne, j'ai appris à le découvrir à la télévision, en regardant les séances à l'Assemblée et les Questions au gouvernement", se rappelle le député Générations Benjamin Lucas (Ecologiste et social), élu pour la première fois en 2022. "C'est une voix, une présence, un charisme particulier et des convictions", poursuit-il, évoquant une personnalité "qui prouve que la démocratie n'est pas l'absence de conflit" et "qu'on peut être en désaccord et se respecter".
Une figure respectée de l'Assemblée
La majorité de ceux qui l'ont côtoyé, même parmi ses adversaires politiques, disent leur respect pour un collègue reconnu pour son franc-parler et son engagement en faveur des territoires ruraux. "C'est une figure de l'Assemblée, pas simplement par sa longévité, mais par son art oratoire, très passionné", estime Charles de Courson (LIOT), député depuis… 1993 ! "C'est un vrai républicain, quelqu'un de pragmatique, pas quelqu'un de sectaire, quelqu'un avec qui on peut dialoguer, ça devient rare", poursuit le député de la Marne, qui parle d'André Chassaigne comme d'un "grand nounours".
Il est l'un des personnages les plus respectés et appréciés de l'Assemblée. Ses prises de parole ont le mérite d'être marquées du sceau de la sincérité. Yannick Favennec (député Liot, membre d'Horizons)
Yannick Favennec, lui aussi député LIOT et membre d'Horizons, partage le même avis. "Il fait l'unanimité. C'est l'un des personnages les plus respectés et appréciés" du Palais-Bourbon, "d'une part par ses prises de parole, qui ont le mérite d'être toujours claires et marquées du sceau de la sincérité, et parce que c'est quelqu'un qui a énormément d'empathie". Pourtant "assez loin" de l'Auvergnat sur l'échiquier politique, l'élu membre du parti d'Edouard Philippe dit son "respect" et même son "admiration" pour l"homme, "encore plus depuis 2017, où sont arrivés des gens hors sol qui ne connaissaient pas les codes de l'Assemblée et qui ont cru pouvoir donner des leçons aux anciens".
En juillet 2024, tout juste réélue à la présidence de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Ensemble pour la République) lance dans l'hémicycle à l'intention de ses concurrents, au rang desquels le communiste, qui avait été choisi par la gauche pour être le candidat du Nouveau Front populaire au Perchoir : "Je veux remercier et féliciter tous les députés qui se sont présentés aujourd'hui. En premier, Monsieur le président Chassaigne, qui sait à quel point je le respecte et apprécie." Ce que ne manque pas de railler un jeune élu insoumis. "Ceux qui disent tout leur respect aujourd'hui sont les mêmes qui refusaient de voter pour un stalinien à la présidence de l'Assemblée !", lâche-t-il, tout en indiquant que le départ de l'Auvergnat ne lui ni chaud ni froid : "Il fait ce qu'il veut, je m'en moque." Un commentaire qui illustre les relations tendues entre le chef de file des députés PCF et le parti de Jean-Luc Mélenchon.
Lois Chassaigne 1 et 2 sur les retraites agricoles
Député jugé actif – il a même été auréolé du titre de meilleur élève de la législature 2012-2017 selon un classement établi par Capital –, André Chassaigne laissera son nom sur deux textes de loi : la revalorisation des pensions de retraites agricoles votée à l'unanimité en 2020, dite "Loi Chassaigne 1", son "meilleur" souvenir dans l'hémicycle et l'aboutissement d'un "combat conduit sur plusieurs années". Suivra une proposition de loi actant une hausse des pensions agricoles "les plus faibles", celles des conjoints et des aidants familiaux, adoptée en 2021.
Pas plus tard que lundi soir, André Chassaigne s'est réjoui, dans l'hémicycle, de terminer son mandat sur une mesure qui lui tenait à coeur : "Depuis 20 ans, je me bats, sur chaque proposition de loi sur l'agriculture, sur les coefficients multiplicateurs. Je n'avais pas penser qu'à deux semaines de la fin de mon mandat parlementaire, j'allais remporter une victoire aussi considérable."
Resteront également en mémoire plusieurs coups de gueule retentissants : son "Honte à vous !" lancé en novembre 2024 au gouvernement, qui avait fait répondre son ministre de la Mer et de la Pêche, sur les morts de migrants en mer ; son "Vous êtes sur le point de commettre l'irréparable" en décembre 2023 à l'adresse d'Elisabeth Borne, alors Première ministre, sur la loi immigration. "On n’en peut plus de ce déni de démocratie, c’est une véritable mascarade !", s'était aussi indigné André Chassaigne, en 2015, quand Manuel Valls avait déclenché le 49.3 sur la loi Macron. Sur ce même texte, il avait défendu un amendement en 25 secondes. En juillet 2018, c'est l'élu Auvergnat qui avait porté la motion de censure de la gauche sur l'affaire Benalla, qualifiant les députés de La République en marche de "simples 'digéreurs', intestins silencieux de la bouche élyséenne". L'année suivante, lors d'un débat sur le Ceta, il dénonçait un accord commercial basé sur "une théorie du XIXe siècle qui bousille les individus et la planète".
Devancé par Jean-Luc Mélenchon
Outre sa tentative d'accéder au Perchoir, André Chassaigne s'est positionné deux fois en vue de l'élection présidentielle. Sans finalement se lancer dans la course à l'Elysée. En vue du scrutin de 2012, le député se porte candidat à la candidature pour représenter le Front de gauche, affirmant ne pas vouloir que la politique "soit réservée aux spécialistes", mais s'incline lors du vote des militants communistes qui préfèrent se ranger derrière Jean-Luc Mélenchon. A l'époque, c'est la première fois, depuis 1974, que le PCF n'a pas de candidat à la présidentielle. Cinq en plus tard, en 2017, André Chassaigne se dit "disponible" si son parti voit en lui "une bonne solution". Mais les choses se dérouleront encore différemment. Contrairement aux cadres du Parti communiste, les adhérents se prononcent pour rallier Jean-Luc Mélenchon plutôt que pour une candidature autonome.
En novembre 2016, le jour de l'ouverture du vote, l'Auvergnat estimait sur LCP qu'un tel choix serait "un coup fatal" porté au PCF. "Nous n'aurons plus le droit à la parole dans cette campagne présidentielle", or "je crois qu'on a encore besoin dans ce pays d'un Parti communiste". En vue des élections législatives à suivre, il dit regretter que "tous ceux qui s'élèvent contre le candidat autoproclamé Jean-Luc Mélenchon [soient] considérés comme étant des ennemis à abattre".
En 2018, lors du 38e congrès du PCF, le texte d'orientation intitulé "Pour un manifeste du Parti communiste du XXIe siècle" porté par André Chassaigne et Fabien Roussel – qui deviendra dans la foulée secrétaire national du parti – met en minorité la proposition de base commune présentée par le dirigeant sortant Pierre Laurent. Ils appellent à une "réorientation stratégique" et "le développement d'une ambition communiste". "Nous voulons conjurer le risque d’effacement. (...) Notre affaiblissement n'est pas une fatalité", peut-on également lire.
"J'ai un sentiment de travail accompli, je n'ai pas honte de ce que j'ai fait", commente aujourd'hui André Chassaigne, l'œil dans le rétroviseur, "sans en tirer de glorioles". Mais avec lucidité : "J'arrive à 75 ans et j'arrive dans un monde qui est à l'opposé de ce que j'aurai voulu construire", confiait-il récemment sur LCP. Et une certitude malgré tout réaffirmée : "Plus que jamais aujourd'hui, on peut être communiste. (...) Le communisme, c'est le bonheur pour le plus grand nombre."
11:50 Publié dans Actualités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré chassaigne | |
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