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18/01/2022

André Chassaigne : « Il est illusoire d’espérer être au second tour »

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ENTRETIEN. Le député communiste refuse de céder aux sirènes de la candidature unique et appelle la gauche à se recentrer sur ses fondamentaux.

Voilà bientôt vingt ans qu’André Chassaigne promène sa silhouette et sa moustache blanche dans les travées de l’Assemblée nationale. À la tête du groupe de la Gauche démocrate et républicaine depuis 2012, le député communiste du Puy-de-Dôme, qui se représentera en juin, affiche aussi un long parcours d’élu local commencé en 1977 à la mairie de Saint-Amant-Roche-Savine.

En vieux briscard, cet ancien professeur d’histoire-géographie, qui a été candidat à la présidentielle en 2012 face à Jean-Luc Mélenchon, porte un regard acéré sur le paysage politique national. Et s’il regrette l’état dans lequel gît aujourd’hui la gauche, il se félicite du discours parfois décapant du candidat de son cher Parti communiste, Fabien Roussel.

Le Point : Le climat général de la France n’est pas au beau fixe. On sent une défiance généralisée vis-à-vis des élus, vis-à-vis des institutions et même de la communauté scientifique. Comment analysez-vous cette séquence ?

André Chassaigne : Le rejet de la parole politique, qui se double d’un manque de confiance dans la parole scientifique, est un phénomène ancien. Cela vient du fait que la politique a perdu de son éthique. Trop souvent la politique est faite de promesses, notamment pendant les campagnes électorales, de petites phrases et de choix à court terme. Elle ignore les fondamentaux qui consistent à répondre aux besoins des gens. La parole politique ne se concrétise plus par des actes qui prennent en compte les réalités du quotidien. C’est ce qui s’est manifesté, en particulier avec le mouvement des Gilets jaunes, qui est l’expression d’une souffrance du quotidien, et qui témoigne aussi d’une blessure, car une partie de la population se sent méprisée et rejetée.

Pourquoi la gauche n’arrive-t-elle pas à apporter une réponse politique à cette colère et à cette défiance ?

Parce que la gauche a oublié ses fondamentaux. Entre 2012 et 2017, avec la loi El Komry et aussi la loi Macron, François Hollande a conduit une politique à contresens de celle qu’il avait annoncée. Et ça, cela laisse des traces. C’est rédhibitoire. Alors qu’il avait dit qu’il lutterait contre la finance, il a mené une politique qui ne se différencie guère de celle qu’auraient pu conduire des libéraux s’ils avaient été aux manettes.

L’union de la gauche est-elle possible à nouveau ?

Je vais séparer deux choses pour ne pas tomber dans le piège de la question. Il y a d’abord la présidentielle, et ensuite les législatives. Il faut comprendre que le système de la Ve République avec son élection présidentielle suivie des élections législatives entraîne une personnalisation du pouvoir forte. Résultat, le parti qui ne participe pas à la course présidentielle disparaît du paysage politique. L’élection présidentielle, c’est une trappe à petits partis, c’est aussi une trappe à idées qui ne peuvent pas être défendues sous le prétexte de vote utile.

Il était donc impensable, cette fois-ci, de ne pas avoir de candidat communiste comme en 2012 et 2017… Vous regrettez ces choix ?

En 2012, j’étais favorable au Front de gauche et à la candidature unique de Jean-Luc Mélenchon. Je me suis présenté contre lui car je ne voulais pas d’un candidat autoproclamé. Mais on était dans une dynamique et je l’ai soutenu. En 2017, je me suis battu au sein du Parti communiste pour qu’il y ait un candidat communiste. Le vote interne a choisi de soutenir une fois encore Jean-Luc Mélenchon. Ce soutien s’est fait sans programme commun. Résultat : aux élections législatives, l’une des priorités de La France insoumise a été de plumer la volaille communiste. Leur objectif était qu’il y ait le moins de députés communistes possible. Voilà pourquoi je considère qu’en 2017, c’était une erreur de ne pas avoir de candidat qui porte nos orientations politiques, qui sont différentes de celles des socialistes et des Insoumis. L’élection présidentielle est un canal pour développer nos idées, essayer de mettre des graines dans les consciences afin de permettre une transformation de la société.

Vous n’êtes donc pas favorable à une candidature unique de la gauche pour la présidentielle ?

Je considère comme illusoire, trompeur, artificiel de dire que l’on peut avoir une candidature unique de la gauche. Pourquoi ? Parce que cela reposerait sur une personnalité et pas sur un programme. Aussi même s’il y avait l’espoir de gagner, ce qui n’est pas le cas, ce serait pour faire quelle politique ? Je sais qu’il y a une demande du peuple de gauche pour une candidature unique. Mais même si on y arrivait et si on gagnait, ça pourrait avoir des effets à moyen terme et à long terme désastreux. Notamment si nous n’étions pas capables de mettre en œuvre une politique de transformation de la société. Le deuxième élément, c’est que la gauche est aujourd’hui tellement affaiblie qu’il est illusoire d’espérer être au second tour. Le fait de se rassembler n’y changera rien.

Ne serait-il pas urgent de préparer l’Union pour les législatives pour avoir une opposition capable de faire entendre sa voix ?

Je le crois. Le conseil national du parti a pris la décision de travailler à un socle de propositions. Il y a déjà des contacts qui sont pris. Passée la présidentielle, il va falloir qu’on réfléchisse, car quel que soit le président ou la présidente de la République élu(e), tout ne sera pas joué. La gauche peut retrouver des forces au niveau du Parlement. Je ne suis pas pour un accord national, mais il serait pertinent d’en nouer sur certains territoires pour être au second tour et pour avoir une chance de gagner des circonscriptions.

D’où viendra alors le salut de la gauche ?

Il faut aller chercher ceux qui s’abstiennent et ceux qui votent en faveur de l’extrême droite. Or, on n’ira pas chercher cet électorat-là en se contentant d’avoir une candidature de rassemblement, surtout si elle apparaît artificielle. Pour aller le chercher, il faut des organisations politiques avec des candidats qui développent leurs propres thèses. Ainsi et seulement ainsi, on pourra reconquérir l’électorat populaire qui est parti.

Comment le Parti communiste a laissé s’échapper cet électorat populaire ? Et comment le Rassemblement national, lui, s’est-il imposé auprès de lui ?

Il faut que je pèse mes mots. Je suis obligé de me censurer un peu. On a abandonné, au nom d’une forme de boboïsation intellectuelle, ce que j’appelle nos fondamentaux. Le Parti communiste a perdu ses bases ouvrières parce qu’il a délaissé la valeur travail. Comme nous avons participé à la création de la sécurité sociale en 1946, il nous faut aujourd’hui défendre la mise en œuvre d’une sécurité du travail. L’idée est de garantir un travail ou une formation rémunérée à toute personne qui rentre dans la vie active, et cela jusqu’à la retraite. Nous défendons aussi l’idée que le revenu du travail soit plus élevé que les aides sociales. Et ça, c’est un discours qui décape. Mais je pense que le peuple comprend ça. Le travail a été délaissé par les communistes : on était plus sur une posture sociétale.

Est-ce la seule erreur commise par les communistes, qui ont du mal à dépasser la barre des 5 % aux élections ?

Nous n’avons pas eu le courage politique de porter des propositions qui pouvaient heurter une majorité de citoyens. Ainsi, pendant plusieurs années, on a pris des gants pour dire qu’on était favorable à l’énergie nucléaire. Parce que s’était développé dans le pays un mouvement qui consistait à dire que c’était assassin d’être favorable à l’énergie nucléaire. Aujourd’hui, Fabien Roussel dit clairement que l’énergie nucléaire est indispensable pour notre développement économique. Bien sûr, nous sommes favorables aux énergies renouvelables, mais par pitié arrêtons de créer une illusion avec ces dernières : on ne pourra pas mettre des éoliennes, des panneaux photovoltaïques et de la géothermie partout.

Enfin, nous avons délaissé la qualité de la vie et du quotidien des gens. Je suis issu d’un territoire rural et j’ai découvert les difficultés du quotidien dans la ville en arrivant à l’Assemblée nationale en 2002. J’ai été effaré quand les députés m’ont raconté qu’il y avait des quartiers entiers qui étaient abandonnés. Cela pour vous dire que par rapport aux questions de sécurité, nous n’avons pas été assez fermes dans nos propos, comme si nous étions gênés, voire tétanisés, de parler de cela. Les élus de terrain dans ces quartiers difficiles ont fait le boulot, mais je pense que dans nos propositions nationales, nous n’avons pas été suffisamment offensifs en défendant une politique plus sécuritaire. Et dire qu’il faut plus de force de police, une police de proximité, qu’il faut mettre les moyens par rapport à ça, ce n’est pas être fasciste.

Qu’est-ce que c’est qu’être un communiste en 2022 ?

Je suis fils d’ouvrier et j’ai le sens des choses. Pour moi, être communiste, ce n’est pas admirer le modèle soviétique – ça l’a été quand j’étais jeune, je ne veux pas le nier car il y avait ce regard admiratif sur ce système alimenté par une propagande vantant les évolutions industrielles, la culture, la démocratie et les kolkhozes. Mais tout ça a volé en éclat rapidement. Être communiste, c’est se battre pour plus de justice sociale et faire que les gens vivent mieux. C’est en finir avec l’argent roi et cette financiarisation scandaleuse et excessive qui fait que certains vivent sur un tas d’or et que d’autres à côté n’arrivent pas à vivre dignement. Je pense qu’il faut transformer la société. Notre difficulté est qu’on a du mal à montrer ce que serait la société que nous défendons. Ça a tellement été un gâchis dans les pays dits socialistes qu’aujourd’hui cette perspective d’une autre société, plus juste, plus humaine, on a du mal à la faire imaginer.

Fabien Roussel ne décolle pas dans les sondages. Comment expliquez-vous cela ?

Même si cela ne se traduit pas encore dans les enquêtes, les remontées que j’ai sur le terrain au sujet de sa campagne sont bonnes. On me dit qu’il parle clairement et simplement.

Certes… Mais il reste en dessous des 3 %…

Fabien Roussel est un député de terrain, qui est dans la vraie vie. Il n’a pas une approche idéologique et intellectuelle, il part du concret. En plus, il a une personnalité séduisante. La question qui se pose, c’est comme pour une imprimante : quand on met le papier, est-ce que cela va imprimer ou pas ? Même si cela ne se traduit pas dans les sondages, je suis assez optimiste sur le fait qu’il va y avoir un décollage. Ce n’est pas de la méthode Coué. Car au-delà de sa personnalité, les gens commencent à dire que les idées qu’il défend ne sont pas celles des autres candidats de gauche… Ce qui peut imprimer, c’est son courage de porter des idées contraires à l’air du temps, avec transparence et clarté.

Est-ce que vous craignez la primaire populaire ?

Fabien Roussel n’a pas été retenu, mais je ne la crains pas car elle n’a de sens que si elle s’appuie sur un programme, sur des objectifs partagés.

Et la candidature de Christiane Taubira ?

J’ai beaucoup d’estime pour Christiane Taubira. C’est quelqu’un que j’apprécie. Mais là, elle débarque à un mois de l’officialisation des candidatures, sans programme, uniquement sur la base de sa personnalité… Sa candidature ne va pas résoudre les difficultés. Cela va juste amener une candidate de plus.

Quels sont vos points de divergence avec La France insoumise et avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon ?

On a des différences au niveau des idées notamment sur le nucléaire et sur le rapport au travail. Nous ne sommes pas pour le revenu universel. Mais aussi sur la façon de faire. Je vous donne un exemple : les Insoumis ont porté une proposition de loi pour arrêter l’utilisation du glyphosate au 1er janvier prochain. Nous sommes évidemment d’accord, mais nous avons conscience que cela ne peut pas se faire d’un coup de baguette magique et qu’il faut accompagner les agriculteurs. Souvent, ils ont une approche idéologique qui est à l’opposé de notre culture. Ils ne tiennent pas compte des réalités du terrain. Ils sont dans une logique tribunitienne, ils vont préférer d’emblée rejeter un texte alors que nous, nous aurons tendance à vouloir le discuter pour l’amender. Leur discours ne s’adresse pas à ceux qui sont dans l’hémicycle mais à ceux qui sont à l’extérieur. C’est leur parti pris. Nous sommes moins dans la violence verbale et l’attaque. Je me sentirais mal dans leur groupe. Nous ne visons pas seulement la prise de pouvoir, nous cherchons aussi à être utiles aux gens que nous représentons. Cela se voit aussi sur le terrain, lors des grèves, on essaie d’accompagner les gens pour trouver des solutions concrètes. Jamais je ne suis allé devant une usine avec un mégaphone pour gueuler et lever le drapeau rouge. Je préfère demander à rencontrer le chef d’entreprise et essayer de faire avancer les choses.

L’urgence climatique est là et elle est visible. Comment les communistes y répondent-ils ?

La priorité, c’est de suivre les recommandations du Giec. Il s’agit d’une urgence absolue pour la planète et les humains, car c’est une question de vie ou de mort à moyenne échéance. Aussi la mesure prioritaire est évidemment de décarboner l’économie. C’est d’ailleurs un argument supplémentaire en faveur du nucléaire. Un autre domaine sur lequel il faut mettre les moyens : la rénovation énergétique des logements. Il faut aller plus loin que ce qui se fait aujourd’hui. Il ne faut pas opposer la lutte contre le changement climatique et la question sociale. Il y a de gros investissements à faire dans le public, sur le transport, sur les logements. J’ai défendu une proposition de loi qui visait à sortir du déficit toutes les dépenses faites pour lutter contre le réchauffement climatique. Ça a été recalé, mais l’idée fait son chemin. Pendant la crise sanitaire, on a laissé de côté le Pacte de stabilité. Je dis : faisons de même pour la crise écologique.

La gauche n’est-elle pas gênée avec le discours des Verts sur la sobriété et la décroissance ?

Aujourd’hui, on considère que les réponses aux problèmes de la planète relèvent des comportements individuels. Je ne dis pas qu’il ne faut pas changer nos habitudes, mais il faut aussi des actions politiques fortes sur l’obsolescence des produits, sur le recyclage… Notre mode de vie doit évoluer, mais la sobriété ne s’accompagne pas forcément d’une décroissance, car il y a des besoins à satisfaire au niveau de la population.

Il y a un autre sujet de fracture à gauche, c’est tout ce qui concerne la cancel culture… Le wokisme a tendance à prendre le pas sur la lutte sociale…

Pendant toute une période, le Parti communiste a été sur des luttes spécifiques : les sans logement, les sans-papiers, les sans travail, les exclus, les femmes… Je ne dis pas qu’il ne faut pas défendre ces causes, mais cela entraîne une fragmentation des messages. Je suis convaincu qu’il faut qu’on ait une approche globale en considérant que tous ces problèmes sont les conséquences d’un système libéral où l’argent l’emporte sur tout.

Quel bilan faites-vous de cette mandature ?

Je déplore les effets néfastes d’une majorité pléthorique. Le Parlement ne remplit pas son rôle car il est à la solde de l’exécutif. On a besoin d’un Parlement plus frondeur. Quand je les vois se lever comme un seul homme pour applaudir un ministre qui dit des contre-vérités ou qui fait de la communication, je me dis : mais qu’est-ce que c’est que ce Parlement ? Les mardis après-midi, c’est terrible : on a affaire à des ministres qui ne reconnaissent aucune erreur. Sauf, parfois, Jean Castex. Ils nous chantent tous la même chanson : « Tout va très bien, madame la Marquise… » Ils ont la queue du renard qui sort de la gueule, mais ils assurent qu’ils ne l’ont pas croqué. Olivier Véran est le spécialiste : on peut lui donner la Légion d’honneur dans ce domaine. Quand j’étais député sous une majorité de droite, et que je portais un amendement, s’il était correct, il était retenu. Aujourd’hui, aucun respect de l’opposition. Vous présentez un amendement, ils le récupèrent et le recyclent pour qu’il leur soit attribué.

La victoire d’Emmanuel Macron est-elle inéluctable ?

Autant je le croyais, il y a un an, autant je ne le crois absolument plus. Même lui doute… Ce n’est pas pour rien qu’il a fait sa sortie dans Le Parisien : il essaye d’alimenter les clivages pour redonner du souffle à l’extrême droite. Il avait beaucoup misé sur un second tour avec Marine Le Pen, mais, aujourd’hui, il a compris qu’il pourrait se trouver face à un autre candidat. Et là qui peut prédire le résultat ? Personne ! Les jeux sont beaucoup plus ouverts.

Est-ce que vous serez candidat aux élections législatives ?

Oui. Je ne suis pas tout jeune, mais j’aime le travail que je fais à l’Assemblée et j’ai envie de continuer. J’avais un suppléant qui aurait dû prendre ma suite, mais il est devenu conseiller départemental et ça lui plaît. Je vais donc me représenter avec un nouveau suppléant plus jeune qui j’espère un jour me succédera. J’attends avec gourmandise de faire campagne électorale. Parce que depuis deux ans, on n’est plus en lien avec la population comme avant. Moi, j’étais toutes les fins de semaine sur le terrain dans les communes, les manifestations et sur les marchés… Cela me manque énormément.

Source le Point

 

15/12/2021

Jean-Claude Gayssot : « La haine nourrie par l’extrême droite gangrène la République »

jean claude gayssot

L’ancien député et ministre communiste estime que la loi de 1990 qui porte son nom devrait être « universalisée », tout en rappelant que la lutte contre le racisme se gagne aussi par la bataille des idées.

La loi contre le racisme, l’anti­sémitisme et la xénophobie qui porte son nom s’est récemment invitée dans le débat public à l’occasion de l’examen à l’Assemblée nationale d’une résolution défendue par Fabien Roussel. L’ancien ministre et député communiste Jean-Claude Gayssot, qui soutiendra le candidat PCF à la présidentielle, revient sur la genèse de cette loi qui avait suscité de vifs débats et sur la surenchère haineuse à laquelle se livrent actuellement la droite et l’extrême droite.

Vous qui êtes à l’origine de la loi Gayssot de 1990, comment réagissez-vous à la résurgence du racisme et du négationnisme dans le débat public ?

Jean-Claude Gayssot Cette loi porte mon nom parce que j’étais le premier signataire de la proposition déposée par le groupe communiste, lors des élections législatives de 1988, suite à la demande de plusieurs associations de renforcer les lois existantes, notamment la loi Pleven de 1972. J’ai été réélu dans la circonscription de Bobigny-­Drancy en Seine-Saint-Denis, puis Michel Rocard, devenu premier ministre, a accepté qu’elle soit débattue et votée. Concernant le négationnisme, un article a été ajouté par la commission des Lois et le gouvernement socialiste. Nous étions alors en pleine poussée du révisionnisme : Le Pen père qualifiait la Shoah de « détail de l’histoire » et ce farfelu d’historien Faurisson niait même l’existence des chambres à gaz. Aujourd’hui, une haine est en train de grandir à l’égard des réfugiés de la guerre, de la répression et de la misère. Elle pousse à la division, à la confrontation entre les Français et les immigrés même s’ils sont en situation régulière, même s’ils sont réfugiés. L’extrême droite est dangereuse, elle mine notre pays, notre démocratie. Et la droite pour obtenir une place au second tour de la présidentielle reprend ces thèmes. Cette haine gangrène la République.

Le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, a récemment défendu à l’Assemblée nationale une résolution pour une application plus stricte des dispositions d’inéligibilité à l’égard des condamnés pour incitation à la haine ou à la discrimination. Cela peut-il permettre de lutter contre cette surenchère que vous dénoncez ?

Jean-Claude Gayssot Dans la dernière période, Fabien Roussel a donné le la face aux propos de l’extrême droite contre les musulmans, face à Zemmour qui justifie Pétain, la collaboration et les rafles des dizaines de milliers d’enfants, de mamans, de vieillards, d’adultes qui partirent de Drancy dans des wagons plombés. Qu’on ait pu tuer des gens pour la seule raison qu’ils étaient nés, c’est l’abomination de l’abomination. Face à la haine que l’extrême droite dirige aujourd’hui contre les musulmans, il faut appliquer cette loi, qui a été validée par le Conseil constitutionnel, dans toute sa dimension et dans toute sa rigueur. Elle permet en effet l’inéligibilité. Il faudrait aussi l’universaliser afin qu’elle soit utile, y compris sur les réseaux sociaux où se déverse le racisme, et que les responsables puissent être condamnés. Elle est plus que jamais d’actualité.

Dans ce combat, les dispositions législatives n’ont-elles pas leur limite ?

Jean-Claude Gayssot Quand Nelson Mandela est venu en France rencontrer François Mitterrand, il a tenu à passer au siège du Parti communiste. Il nous a alors parlé de sa loi qu’il avait réussi à faire adopter pour garantir le principe « une personne, une voix » et mettre un terme à l’apartheid. Il nous a aussi dit, à cette occasion, qu’aucune loi ne suffira jamais pour faire disparaître les a priori bornés, les préjugés et toutes les formes d’intégrisme. Il faut mener la bataille d’idées et le combat pour l’éducation, la formation… C’est tout le rôle du militantisme et des rencontres avec les citoyens. Les porteurs de haine sont les faiseurs de violence et les fossoyeurs du vivre-ensemble. Plus la gauche et les progressistes porteront ce message, mieux ce sera.

Que répondez-vous à ceux qui arguent de la liberté d’expression ? Cela fait-il écho au fort débat qui avait entouré l’adoption de votre loi ?

Jean-Claude Gayssot La liberté d’expression, j’y tiens par-dessus tout. Mais le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie sont des délits, ce ne sont pas des opinions comme les autres. La diffamation est condamnable, tout le monde le comprend bien et est d’accord. Le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie constituent une forme de diffamation collective qui peut conduire au pire. À l’époque de l’examen de la loi, c’est l’extrême droite qui a été la plus virulente : Le Pen père assistait même aux débats à l’Assemblée nationale parce qu’il se sentait menacé, vu ses déclarations. Mais il existait également un vrai débat avec des historiens, des gens compétents, qui craignaient que ce soit la loi qui écrive l’histoire. Je les ai rencontrés, Pierre Vidal-Naquet, Madeleine Rebérioux… Je ne dis pas que je suis contre les lois mémorielles, mais la loi Gayssot n’en est pas une. Si elle fait référence à Nuremberg et au tribunal de Londres, c’est parce que cela définit le crime contre l’humanité qu’est la Shoah, et comme l’ONU considère le négationnisme comme un vecteur majeur de l’antisémitisme, il est passible de condamnation. C’est essentiel pour comprendre.

L’immigration est au cœur de cette surenchère haineuse. En 2018, comme président du port de Sète, vous vous êtes dit prêt à accueillir l’ Aquarius bloqué en Méditerranée. Depuis, les drames se sont poursuivis, comme fin novembre, dans la Manche. Quel rôle devrait jouer la France pour l’accueil des migrants ?

Jean-Claude Gayssot Quand j’ai pris cette décision, cela a fait couler beaucoup d’encre. Des centaines d’hommes, de femmes, d’enfants étaient dans le bateau de sauvetage de SOS Méditerranée, et personne ne voulait les accueillir. En tant que président du port, avec ma sensibilité humaniste, je ne pouvais que mobiliser pour qu’on mette l’humain par-dessus tout et pas par-dessus bord. Lorsque j’ai fait cette proposition, on m’a dit à l’Élysée que le président Macron faisait tout pour que Malte les accueille. C’est ce qui s’est passé quarante-huit heures après. L’honneur de la France et de l’Europe avait été sauvé lui aussi. Désormais, la condamnation des passeurs fait l’unanimité. Et il faut vraiment en finir avec ces exploiteurs de la misère et de l’oppression. Mais si on se contente de cela, sans réponse réelle à l’échelle européenne, les drames se poursuivront. Il s’agit de passer au concret pour l’accueil des réfugiés, et de passer également de l’aide à la coopération, notamment avec les pays d’Afrique.

Cette semaine est aussi celle de l’anniversaire de la loi SRU que vous avez portée au début des années 2000 et que la loi 3DS, en cours d’examen, modifie. Alors que des communes ne respectent pas le taux de logements sociaux prévu, faut-il désormais aller plus loin ?

Jean-Claude Gayssot J’ai été à l’initiative de cette loi avec le gouvernement Jospin, celui de la gauche plurielle. Elle permet que près de 70 % des ménages français puissent accéder à un moment de leur vie à un loyer modéré. Il ne s’agit donc pas d’y concentrer uniquement les plus pauvres, mais de permettre la mixité. Dès l’origine, l’obligation de 20 % de logements sociaux dans les villes de plus de 1 500 habitants en région parisienne et de plus de 3 500 en province a été contestée par la droite. Et elle a, par la suite, failli arriver à ses fins. S’il n’y avait pas eu l’abbé Pierre, Xavier Emmanuelli (fondateur du Samu social – NDLR) et Claude Chirac auprès de son père, cette disposition aurait été supprimée par amendement sous le gouvernement Raffarin. Quant à ces maires qui refusent d’appliquer cette disposition uniquement parce qu’ils ne veulent pas « de ces gens-là », je suis favorable à ce que la loi soit renforcée pour permettre de les poursuivre et que leur éligibilité puisse être contestée.

Au-delà du logement, le quinquennat Macron est marqué par les inégalités. Comment s’y opposer au printemps prochain ?

Jean-Claude Gayssot Le combat contre les inégalités et les injustices est celui de toute ma vie. Ce combat du pouvoir d’achat et des salaires doit mobiliser sans attendre les échéances électorales. Fabien Roussel porte cette lutte, je le soutiens et le soutiendrai au printemps prochain. Il n’empêche que, dès aujourd’hui, nous devrions travailler avec les autres forces de gauche pour construire un projet qui vise à éradiquer non seulement la misère, mais qui s’attaque sérieusement et efficacement aux trois dérèglements majeurs que notre pays, l’Europe et la planète connaissent : dérèglements climatique, démocratique et social.

Julia Hamlaoui, l'Humanité

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24/03/2021

Fabien Roussel : entretien accordé à Ouest France

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ENTRETIEN. Fabien Roussel (PCF) : « Ma volonté n’est pas de prendre des voix aux Insoumis »

Candidat à l’élection présidentielle, le secrétaire national du parti communiste espère être adoubé par les militants le 9 mai 2021, tout en appelant à un « un pacte de gauche » aux régionales et aux législatives. Une stratégie qu’il assume.

Il sera fixé le 9 mai 2021, jour où les quelque 50 000 militants du parti devront choisir leur candidat à la présidentielle parmi trois prétendants, dont Emmanuel Dang Tran et Grégoire Munk. « C’est le jour du 40e anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Mitterrand, je n’ai pas fait exprès », fait remarquer Fabien Roussel. Cette date symbolique n’a pas échappé au député du Nord, secrétaire national du PCF, et autre candidat déclaré depuis le 13 mars. Pour la première fois depuis 2007, le PCF pourrait donc avoir son propre candidat et ne pas s’allier avec les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon. De passage à Caudan (Morbihan), où il est venu soutenir la manifestation des salariés de la Fonderie de Bretagne, il s’est aussi entretenu avec les militants morbihannais, à Lanester.

Une candidature communiste à la présidentielle, ça n’était pas arrivé depuis 2007, avec Marie-George Buffet. Jean-Luc Mélenchon ne serait plus, à vos yeux, le candidat idéal pour incarner cette partie de la gauche ?

Il y a eu un espoir avec son score de 19 % en 2017. Mais cette force, qu’il a incarnée avec nous, ne s’est pas traduite par des dizaines de députés insoumis et communistes à l’Assemblée nationale. Ça n’a pas abouti à des conquêtes sociales, ni à des rassemblements larges lors des élections qui ont suivi. J’ai ce regret. Ma volonté n’est pas de prendre des voix aux Insoumis, mais d’aller convaincre ceux qui n’y croient plus.

Votre ennemi, c’est d’abord l’abstention ?

Elle est de plus en plus forte dans le pays. Parmi ceux qui ne votent pas, beaucoup sont issus du monde de travail et de l’électorat de gauche, l’ouvrier des usines, le cheminot, l’enseignant, l’agriculteur, le fonctionnaire catégorie C. La gauche est faible à cause de ça. Je souhaite redonner envie de voter pour une formation de gauche sincère, authentique, qui n’a jamais trahi ses idéaux, et que les gens connaissent. Je veux susciter le désir de rendre majoritaires les valeurs de gauche (fraternité, solidarité, humanisme) dans mon pays. La solution de facilité, ce serait la candidature commune.

On vous reproche cette incohérence : prôner l’union de la gauche aux régionales et aux législatives, mais jouer en solo pour la présidentielle…

Pour moi, ça ne s’oppose pas. L’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme, d’une femme, d’un projet avec le pays. Je le redis : les propositions que nous allons faire ont vocation à convaincre ceux qui n’y croient plus. Moi, je suis neuf. Je suis un député modeste du Nord, qui a une vie normale. Je n’habite pas à Paris, mais je ne suis pas anti-Parisien. Je veux conserver ce lien direct que j’ai avec les gens pour porter leur colère, leurs espoirs et leurs envies de changement.

Au-delà de l’exemple donné par les Hauts-de-France, l’union des gauches aux régionales est-elle possible ailleurs ?

C’est encore possible en Normandie, Grand Est et Paca. On espère même avoir deux têtes de liste avec Cécile Cukierman en Auvergne Rhône-Alpes et Sébastien Jumel en Normandie. C’est notre souhait aussi en Corse. Dans les autres régions, nous soutenons soit une tête de liste socialiste, soit une tête de liste verte, soit une tête de liste insoumise. Le PCF est un parti de rassemblement et l’a toujours été.

Justement, les régionales ne pourraient-elles pas servir de laboratoire et prouver que l’union est souhaitable aussi pour la présidentielle ?

Nicolas Sarkozy peut-il encore revenir en politique ?

Les deux modes de scrutin sont différents. Et puis, on verra le résultat. Ma crainte, pour les régionales, c’est que les forces de gauche unies plafonnent à un niveau qui ne sera pas assez élevé. Ça ne me réjouit pas. Dans la région Hauts-de-France, les sondages créditent les cinq forces de gauche à 25 %. 25 % seulement ! Si on ne s’attaque pas au problème de fond qu’est l’abstention, on va désespérer le peuple.

Source Ouest France

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08/11/2020

Le sénateur communiste Eric Bocquet propose une taxe exceptionnelle pour contraindre Amazon à la solidarité avec les commerces de proximité

amazon.jpgLe sénateur communiste Éric Bocquet détaille la proposition d’une « contribution de solidarité » imposée aux « grands gagnants » de la crise qu’il a défendue au palais du Luxembourg cette semaine. Entretien.

Vous avez proposé cette semaine au gouvernement une taxe exceptionnelle sur Amazon. Quel serait son objectif ?

Eric Bocquet : Il s’agit d’alimenter un fonds d’aide d’urgence aux commerces de proximité impactés par la pandémie. Car, à l’inverse de ces derniers, les grands groupes du numérique bénéficient du confinement, notamment Amazon s’agissant de la distribution de marchandises, les livres, mais pas seulement.

Les résultats d’Amazon sont absolument astronomiques cette année : 73 % de valorisation boursière depuis janvier 2020, pour atteindre les 1 650 milliards de dollars, l’équivalent du PIB de la Russie. Au premier trimestre, ses rentes ont augmenté de 26 %.

L’idée est donc d’instaurer un principe de vases communicants. Une régulation est nécessaire : il faut solliciter la minorité de grands gagnants de cette pandémie pour soutenir la majorité de ceux qui en sont les perdants. Concrètement, il serait aisé pour l’État d’évaluer le chiffre d’affaires d’Amazon, puisqu’il paie la TVA. Il ne resterait qu’à définir un taux et une assiette pour mettre en œuvre cette contribution de solidarité que nous proposons.

La mobilisation s’accroît contre l’implantation de nouveaux entrepôts notamment dans le Grand Est. Quelle est l’ampleur de la distorsion par rapport au commerce de proximité ?

Eric Bocquet : Le deuxième scandale est fiscal : les trois quarts des bénéfices d’Amazon ne sont soumis à aucune imposition parce que l’entreprise a implanté deux filiales au Luxembourg.

Le tout, évidemment, avec l’accord bienveillant de ce pays qui pratique, au cœur de l’Europe, la concurrence fiscale à l’extrême. Amazon a d’ailleurs été désigné par les spécialistes comme l’entreprise du numérique qui a la politique fiscale la plus agressive. Comme l’Union européenne (UE) ne veut pas se mettre d’accord sur la taxation des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon - NDLR) et laisse chacun jouer son propre plan fiscal, on est de fait dans une logique de compétition pour attirer les capitaux, les grands groupes en proposant des montages scandaleux qui créent une distorsion incroyable.

L’hypocrisie de l’UE touche à son comble avec beaucoup de discours sur cette question ou celle de la taxation des transactions financières, mais jamais rien qui avance. Le prétexte est toujours le même : ce serait trop compliqué. Les règles du jeu doivent changer, en particulier celle de l’unanimité. Sans remettre en cause la souveraineté fiscale des États, une majorité d’entre eux devrait pouvoir imposer des règles justes et équitables y compris aux multinationales.

Il est plus que tant d’ouvrir le chantier de l’harmonisation fiscale, sans lequel la règle de la concurrence libre et non faussée restera de mise. Le résultat est là : les financiers sont gagnants, les États et les peuples, eux, sont perdants.

Le gouvernement répond qu’il travaille à une taxe Gafa au niveau européen, qui, à défaut d’accord, serait instaurée en France. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, est même allé jusqu’à les considérer comme « des adversaires des États ». Pourquoi cela ne vous paraît pas suffisant ?

Eric Bocquet : Il ne faudrait pas s’arrêter au discours. Les prises de position volontaristes de Bruno Le Maire, nous les avons déjà entendues : on allait voir ce qu’on allait voir. Mais quand l’Allemagne dit non et que les États-Unis menacent de rétorsions les exportations françaises, on capitule. L’OCDE n’y arrive pas, le G20 non plus, l’UE ne veut pas y arriver.

Depuis 10-15 ans on nous raconte les mêmes sornettes et la situation s’aggrave. Il faut engager le rapport de force. L’opinion – le consommateur, le contribuable, l’électeur – doit s’emparer de ces sujets parce qu’on ne fera pas bouger les États sans volonté populaire forte d’avancer vers la justice fiscale. L’UE, et ses 500 millions d’habitants, n’est pas une petite entité dans le monde. Si elle décide d’entrer unie dans cette bagarre qu’est l‘économie, elle peut peser mais encore faut-il vouloir mener ce combat ensemble et dans l’intérêt général.

 Je suis en revanche d’accord avec Bruno Le Maire lorsqu’il dit que ces grands groupes sont dangereux pour les États. Amazon investit dans la santé, Google s’intéresse à l’éducation… Ces groupes-là ont la puissance financière de beaucoup de pays, l’étape politique suivante est un monde où les affaires de 7 milliards d’humains sont gérées en direct – et sans impôts – par une centaine de multinationales en fonction, bien sûr, de leurs intérêts et non pas de l’intérêt général. C’est un enjeu politique et démocratique de fond.

Entretien réalisé par Julia Hamlaoui, l'Humanité

12:30 Publié dans Actualités, Economie, Entretiens, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eric bocquet, amazon, commerce | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!