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06/05/2019

« Faut des idées! » Virginie Martin s’entretient avec Ian Brossat

Virginie Martin.jpgBrossat-3.jpg« Faut des idées! » est la nouvelle rubrique d’entretien politique pour le site de la Revue Politique et Parlementaire, animée par Virginie Martin.

À la veille des élections européennes, la politiste Virginie Martin s’entretient avec l’ensemble des principales têtes de liste. Démocratie, économie, culture : toutes et tous ont répondu sans filtre et très librement à nos questions.

Quand la politique renoue avec les idées… Dès ce Lundi 6 mai, retrouvez le nouveau rendez-vous de la RPP… Ian Brossat, chef de file de la liste PCF pour les élections européennes a bien voulu essuyer les plâtres… Un jour, un entretien.

« Une démocratie qui recule », Ian Brossat, tête de liste PCF, Européennes 2019

Virginie Martin : La démocratie, ou en tout cas, l’idéal démocratique semble être fragile/fragilisé. Quelle est votre lecture de ce « supposé » déficit démocratique ?

 Ian Brossat : Je pense surtout que nous avons aujourd’hui une démocratie qui recule parce que le pouvoir est entre un nombre de mains de plus en plus réduit. Il y a donc un hiatus énorme entre la promesse démocratique qui nous a été faite et la réalité de ce que vivent nos concitoyens. Un recul démocratique à la fois dans la cité et dans l’entreprise.

Dans la cité premièrement parce que, année après année, les pouvoirs qui se succèdent ne respectent pas leurs promesses électorales.

En matière européenne cette logique a été poussée jusqu’à l’absurde notamment après le referendum sur le traité constitutionnel européen qui n’a pas été respecté et qui, malgré le vote négatif des français, leur a été imposé d’une certaine manière du temps où Nicolas Sarkozy était Président de la République puisqu’il est passé par voie parlementaire.

Les français votent, les français s’expriment. Lorsqu’ils s’expriment ils disent souvent leur refus du libéralisme mais finalement malgré leur vote, le libéralisme leur est systématiquement imposé.Et deuxièmement, à l’échelle de l’entreprise cette logique-là est poussée jusqu’à la caricature puisqu’avec la financiarisation de l’économie les salariés n’ont plus du tout voix au chapitre. Ils ne sont en réalité qu’une variable d’ajustement et ce sont eux qui systématiquement payent les pots cassés. C’est une des choses qui me frappe le plus dans cette campagne électorale en discutant avec des salariés en lutte. Je pense aux salariés des fonderies du Poitou, aux salariés d’ASC ou à d’autres. A chaque fois ce qu’ils expriment, c’est évidemment une colère liée à la crainte du licenciement à venir, mais pas seulement. C’est aussi une grande frustration de ne pas avoir été entendu sur les choix stratégiques réalisés par leur entreprise et la conviction qu’ils auraient pu faire des choix plus judicieux s’ils avaient été consultés. Je trouve que c’est une dimension qu’on n’entend d’ailleurs pas suffisamment. Un salarié se bat évidemment pour son emploi mais aussi, bien souvent, pour la défense de son entreprise, l’activité de son entreprise et l’avenir de son territoire. C’est à mon sens ce qu’il y a de plus touchant dans la mobilisation de salariés qui se lèvent un peu partout en France notamment dans le domaine industriel.

Un déficit démocratique à l’échelle de l’entreprise

Donc un déficit démocratique à l’échelle de la cité mais aussi à l’échelle de l’entreprise. Or cette question de la démocratie à l’échelle de l’entreprise est finalement très peu abordée aujourd’hui y compris dans le mouvement des gilets jaunes.

Même en matière de pouvoir d’achat, l’un des déficits de ce mouvement qui par ailleurs a plein de bons aspects c’est qu’il tourne essentiellement son regard vers le pouvoir politique mais finalement très peu vers le patronat et notamment le grand patronat.

C’est d’ailleurs ce qui a permis à Macron dans un premier temps de mettre en place, avec ses premières annonces, les fameux 10 milliards d’euros du mois de décembre. L’essentiel de ces annonces sont des annonces qui puisent dans les recettes de l’Etat avec une augmentation du SMIC qui n’en est pas une en réalité. C’est finalement une aide sociale qu’il va falloir aller chercher à la CAF et le patronat lui, est quasiment exonéré de tout effort. Or, à mon sens, on ne pourra répondre à l’exigence de justice sociale qui monte dans le pays qu’à la condition de mettre à contribution les plus gros revenus.

VM : La prime de fin d’année reste au bon vouloir de l’entreprise…

IB : Exactement. Je discutais tout à l’heure avec un salarié d’Amazon. Amazon n’est quand même pas une entreprise qui est en grande difficulté financière puisque Jeff Besos est l’homme le plus riche du monde. Pourtant Amazon a consenti à une prime de 500 euros estimant que 1000 euros c’était trop. On voit bien là les limites d’une politique gouvernementale qui agit par la contrainte vis-à-vis des ménages modestes et au volontariat lorsqu’il s’agit des gros portefeuilles.

VM : Quelles sont les solutions que vous pouvez préconiser pour combler ce déficit démocratique à la fois dans la cité et dans l’entreprise ?

IB : D’abord je pense que le grand paradoxe de la période dans laquelle nous vivons c’est que nos concitoyens sont de plus en plus formés et devraient être bien davantage qu’hier en capacité de participer aux décisions. Or, dans le même temps leur pouvoir de décision est de plus en plus réduit. On est là au cœur de la contradiction de la période dans laquelle nous vivons. Beaucoup de nos concitoyens auraient des tas de choses intéressantes à dire sur beaucoup de sujets précisément parce que leur niveau de formation a considérablement augmenté au cours des dernières décennies. Mais dans le même temps ils sont frustrés parce que le fonctionnement de nos institutions et des entreprises ne leur permet pas d’intervenir sur les choix stratégiques.

Même si je n’en fais pas un totem, nous portons l’idée d’une VIème république depuis longtemps

Donc je suis favorable à une réforme profonde de nos institutions. Le Parti Communiste porte depuis longtemps l’idée d’une VIème République même si je n’en fais pas un totem nous avons besoin d’une réforme profonde de nos institutions : démocratisation profonde de nos institutions qui de la cité à l’entreprise permette que le pouvoir soit entre un nombre de mains beaucoup plus importante que ça n’est le cas aujourd’hui. Au passage j’ai revu le projet des réformes de nos institutions que nous avions fait dès la fin des années 90 et nous proposions déjà un référendum d’initiative populaire dans le cadre de ce projet de constitution que nous avions commencé.

VM : Aujourd’hui quand on parle justement de référendum d’initiative populaire ou citoyenne la réponse immédiate est : « la peine de mort, l’ivg risquent d’être remises en cause… » Comment répondre à cela ?

IB : D’abord c’est un vrai sujet. Le peuple n’a pas toujours raison et n’a pas par principe raison. Il est vrai que si en 1981 nous avions procédé par référendum il y a fort à parier que la peine de mort n’aurait pas été supprimée.

Je suis favorable à la fois au référendum d’initiative citoyenne mais favorable à ce qu’il soit encadré de telle sorte qu’il ne puisse pas conduire à une remise en cause des droits fondamentaux. La constitution est aussi là pour nous prémunir. Mais la question reste délicate et doit être maniée avec beaucoup de prudence.

Mais je vois ce qui se dessine avec le Président qui doit annoncer ses propositions jeudi. Je vois bien l’idée de limiter la démocratie participative aux enjeux locaux puisque c’est ce qu’il prévoit de faire. Je trouve ça quand même très méprisant et très révélateur d’une manière de considérer qu’au fond nos concitoyens ont le droit de se prononcer sur la configuration de nos ronds-points mais sont incapables de discuter d’enjeux nationaux.

Nos concitoyens ont aussi un avis sur la politique nationale ; la démocratie participative ne peut pas être confinée aux seuls enjeux locaux, c’est très méprisant.

VM : Et dans l’entreprise, plus de démocratie ça passe par quoi ? Quid des syndicats notamment ? Parce que la désyndicalisation est maintenant structurelle. Et avec une désintermédiation généralisée, il n’est pas sûr que cela change vraiment.  

IB : Au-delà même de la question des syndicats, l’enjeu à mon sens c’est celui de la capacité qu’on donne aux salariés d’intervenir sur les choix de leur entreprise. Je serais par exemple favorable à ce que en cas de plan de licenciement, de plan social, les salariés puissent disposer d’un droit de véto de telle sorte qu’avant d’imaginer un plan social les salariés aient toutes possibilités d’envisager des scénarios alternatifs. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui avec des salariés qui sont complètement prisonnier des choix réalisés par les dirigeants des entreprises qui eux-mêmes agissent sous les ordres des actionnaires.

Relativiser la faiblesse des syndicats

Après sur la crise des syndicats, il faut quand même relativiser tout ça. Un syndicat comme la CFDT ou comme la CGT compte plus d’adhérents que tous les partis politiques réunis. Ça nous invite quand même à relativiser tout cela. Puis il y a tout de même une responsabilité des pouvoirs politiques successifs qui depuis les années Sarkozy a consisté à écraser les syndicats et à théoriser le fait que le pouvoir politique devait faire tous les jours la démonstration qu’il était capable de passer en force y compris contre l’avis des syndicats.

Et de ce point de vue, Macron est sans doute celui qui a poussé cette logique jusqu’à l’extrême. Personne ne m’enlèvera de la tête que la popularité et la puissance du mouvement des gilets jaunes est lié au fait que beaucoup de gens se sont dit que les mobilisations syndicales ne permettaient pas d’aboutir. Des mobilisations sociales menées par les syndicats avant les gilets jaunes dans le quinquennat de Macron il y en a eu : une mobilisation très forte des cheminots, des mobilisations de retraités. Le pouvoir en place n’en a tenu aucun compte.

C’est ce discrédit jeté sur les syndicats et entretenu par le pouvoir qui a ouvert la brèche à autre chose et cet autre chose c’est notamment le mouvement des gilets jaunes. Il fallait bien que la colère s’exprime d’une autre manière.

Je trouve d’ailleurs qu’il y a une vraie question qu’on ne s’est pas posée : qu’est-ce qui fait que le mouvement des gilets jaunes est le seul mouvement qui, depuis le début du quinquennat Macron, ait un peu fait reculer le pouvoir ? Ils ont lâché 10 milliards et ils ont renoncé à la fameuse taxe carbone alors même qu’ils n’ont pas renoncé à la réforme de la SNCF malgré la mobilisation des cheminots.

Beaucoup de gens se sont dit qu’il n’y avait que par la violence qu’on se faisait entendre.

Il y a deux choses. Premièrement, le fait que la mobilisation des gilets jaunes, au moins à ses débuts était soutenue de manière très massive par les français (plus de 7 français sur 10) et deuxièmement dans quelle mesure la violence a contribué à faire reculer le pouvoir. Cette peur que le mouvement du même coup a suscitée au sein d’une partie de la bourgeoisie française. Il faut appeler les choses par leur nom. Mais du coup c’est une drôle de leçon politique. Beaucoup de gens se sont dit qu’il n’y avait que par la violence qu’on se faisait entendre. Je ne dis pas que le gouvernement a eu tort de reculer face au mouvement des gilets jaunes mais je pense qu’il aurait pu tenir compte des mouvements sociaux qui s’étaient tenus avant à plus bas bruit exprimant déjà une colère face à l’injustice sociale.

Il a donné le sentiment d’accorder une prime à la violence.

Je pense qu’il y aussi une stratégie assez perverse du pouvoir en place qui consiste à s’adresser à une partie de la France : la France qui s’en sort correctement.

Je crois que Giscard voulait s’adresser à deux français sur trois. Macron, lui, veut s’adresser à un français sur trois : cette France qui se porte correctement. Il s’adresse à eux en considérant qu’avec 30% des voix il a son ticket d’entrée pour le deuxième tour de la présidentielle comme la dernière fois et peut tout à fait remporter la présidentielle une nouvelle fois face à l’extrême droite dans le cadre d’un duel.

Cela pose, à mon sens, deux problèmes.

Premièrement, c’est un vrai problème démocratique d’avoir un Président de la République qui assume quasiment de ne plus être le président de tous les français et qui, de fait, gouverne pour un tiers de la population.

Deuxièmement, c’est une stratégie qui est dangereuse parce que rien ne nous dit qu’au deuxième tour de la présidentielle ce sera lui qui gagnera. Parce que si la colère continue à monter jusqu’en 2022 il n’est pas certain que l’extrême droite soit toujours battue. C’est une stratégie périlleuse mais je pense que c’est la sienne.

VM : Même pour le pluralisme démocratique ce n’est pas très sain…

IB : Exactement, je vois bien comment toute la campagne des élections européennes est construite par Macron autour de cette stratégie-là : c’est nous ou le chaos, les libéraux ou l’extrême droite, progressistes ou conservateurs.

Il n’y a pas la place pour un troisième chemin.

Mais je trouve ce discours très dangereux. Premièrement parce que cela signifie qu’on jette dans les bras de l’extrême droite tous ceux qui ne sont pas d’accord avec les politiques libérales alors que beaucoup de gens sont contre pour des raisons diverses.

En faisant ça on donne quasiment un brevet social à l’extrême droite c’est-à-dire que l’on signifie que la contestation sociale passe par le vote d’extrême droite.

Or l’extrême droite, contrairement à ce que l’on nous raconte, n’est pas du côté des ouvriers et des employés : pas favorable à l’augmentation du SMIC ou au rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune.

Et au Parlement Européen, leurs votes ne vont également pas dans le sens des ouvriers ou des employés : c’est le cas de celui de la directive sur le secret des affaires. Leurs alliés à l’intérieur de l’Union Européenne, notamment leurs alliés autrichiens mettent en place la semaine de 60h de travail.

On ne peut pas laisser passer l’idée que l’extrême droite est du côté des employés et des ouvriers. Je ne dis pas que Macron est le seul responsable de cette bipolarisation de la vie politique. L’incapacité de la gauche à incarner une alternative y est pour beaucoup mais on voit bien qu’il joue sur du velours et qu’il cherche lui, à construire un paysage politique bipartisan qui à mon sens est très dangereux. 

VM : « L’économie de marché », dans son acception classique des années passées, semble être remise en cause par beaucoup. Elle ne semble plus être l’unique ou quasi unique socle des programmes politiques. Quelle est votre regard sur cette critique de plus en plus aiguisée de l’économie de marché ?

IB : Ce qui est sûr c’est que le modèle libéral est de plus en plus contesté. Je suis favorable à une économie puissamment régulée par l’Etat par un développement important des services publics. Cela fait des années maintenant, des décennies, que l’on a vu l’Etat faire reculer les services publics dans nos territoires et dans un certain nombre de secteurs stratégiques.

Notre pays va plus mal depuis que les services publics ont reculé. Après 1945, la France a développé un modèle économique particulier avec un secteur public puissant adossé à des entreprises publiques puissantes qui disposaient d’un monopole dans un certain nombre de secteurs : le secteur de l’énergie, le secteur des transports, le secteur des télécoms… Avec l’idée que ces secteurs-là étaient des secteurs essentiels et que dès lors, ils ne devaient pas relever du marché pour répondre à une logique d’intérêt général. Ce système avait plutôt donné satisfaction. C’est ce qui permettait notamment un équilibre de nos territoires visant à faire en sorte que tout citoyen ait accès aux droits fondamentaux quel que soit ses revenus et quel que soit le lieu dans lequel il habite.

Un secteur public qui recule ; une mise en concurrence non bénéfique 

Ce modèle a été brisé notamment parce que l’Union Européenne avec la complicité de nos gouvernements a décidé qu’il fallait tout mettre en concurrence. C’est aujourd’hui la logique de concurrence qui l’emporte dans ces secteurs clés. Est-ce que cette mise en concurrence a été bénéfique ? Non. Dans le secteur de l’énergie contrairement à ce que l’on nous a dit les prix n’ont pas baissé. Dans le secteur du transport ferroviaire c’est la concurrence depuis 2006 et il y a deux fois et demi de marchandises en moins qui circulent par le train qu’avant. Ce sont autant de marchandises qui circulent par la route. Le bilan de cette libéralisation générale n’est pas positif loin de là et on voit d’ailleurs dans le même temps le service public reculer dans nos territoires. Facteur qui a joué un rôle clé dans la mobilisation des gilets jaunes à laquelle on assiste ces derniers mois. Je suis favorable à un retour de l’Etat dans ce secteur et donc à la présence d’un état plus puissant dans ces secteurs clés. Deuxièmement quand je parle d’une économie régulée cela signifie que sur la question de l’utilisation de l’argent, l’Etat doit être plus présent notamment au travers de la nationalisation d’une banque.

Je pense qu’on aurait besoin d’une banque publique qui permette de contre balancer le rôle des banques privées.

Surtout quand on voit que la Banque Centrale Européenne ouvre en permanence son robinet pour alimenter les banques privées sans condition. Je ne suis pas hostile à ce qu’on prête de l’argent aux banques privées mais prêter sans condition et sans veiller à ce que l’utilisation de cet argent aille vers l’économie réelle cela nous confronte à des problèmes redoutables. Donc le retour de l’Etat dans le domaine économique est essentiel.

VM : C’est un constat que beaucoup de gens partagent néanmoins le modèle libéral semble continuer à s’imposer. Ce sont les GAFA qui, pour faire vite, gagnent encore alors que beaucoup partagent vos constats et vos théories. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

 IB : C’est très paradoxal. Je dirais même contradictoire. Partout dans nos territoires je vois des mobilisations pour les services publics. Il n’y a pas un seul territoire où l’on ne se bat pas au travers un comité de défense pour l’hôpital du coin, la maternité, les chemins de fer, les bureaux de poste ou même pour les centres des impôts.

Des mobilisations, il y en a mais idéologiquement nous sommes faibles et nous avons pour l’instant, perdu la partie. J’ai souvent l’impression d’être dans un match de boxe où les libéraux boxent pendant que nous laissons passer les coups. Sur le terrain en tout cas je pense que la gauche a perdu beaucoup de points et que les libéraux eux, mènent la bataille idéologique de manière bien plus puissante et efficace que nous. Pourtant la partie n’est pas définitivement perdu parce qu’il y a un terrain favorable au retour de ces idées. Mais la gauche n’est pas suffisamment organisée, on se bat de manière très désordonnée.

VM : On finit par donner raison à Gramsci, la bataille culturelle serait perdue de ce point de vue là ? Par ailleurs, l’idée d’un pragmatisme versus une idéologie ne vous nuit pas ?

IB : Oui c’est un mensonge éhonté mais bien sûr qu’ils ont marqué des points avec ça. Ils présentent tout comme une évidence et ça pèse dans la balance mais je pense que la gauche ne regagnera qu’à la condition de mener à nouveau la bataille des idées. Nous sommes peu nombreux à mener cette bataille y compris sur les plateaux de télévision.

Ce n’est pas original comme thèse, comme vous le disiez c’est Gramsci mais c’est une question redoutable à laquelle nous sommes confrontés. Je le dis d’autant plus que je ne suis pas un grand théoricien. Je suis un élu local et je consacre l’essentiel de mon énergie à faire du logement social. Prenons l’exemple d’un secteur comme le logement. Tout ce qu’on nous raconte en nous le présentant comme le bon sens libéral est en réalité contraire à tout ce que je peux constater dans les faits. On nous répète souvent que pour résoudre le problème du logement il faut construire davantage. Dans une ville comme Paris ceux qui nous répètent ça racontent n’importe quoi. À Paris on ne peut plus construire un seul logement. Personne ne nous fera croire qu’on pourra construire à Paris des dizaines de milliers de logement, cette ville est pleine comme un œuf. Le seul moyen pour résoudre le problème c’est d’accepter qu’il faille réguler le marché privé et intervenir sur celui-ci : encadrer le loyer et assumer le fait que les pouvoirs publics ont vocation à intervenir dans ce secteur.

La loi Alur était justement logique et pragmatique, elle a pourtant été critiquée puissamment

Ce qui se présente comme une espèce d’évidence est contraire à la réalité et par ailleurs, assez aisément observable pour n’importe quelle personne qui connait cette ville. Ils ont réussi effectivement à imposer leurs idées. Quand je vois le martyr qu’a subi Cécile Duflot quand elle était ministre alors même qu’elle a mené une politique qui, à mon sens était plutôt juste. En faisant voter la loi Alur elle a été confrontée à une bataille purement idéologique menée par des lobbys qui ont par ailleurs consacré beaucoup d’énergie et beaucoup d’argent pour qu’elle soit finalement désavouée par le pouvoir en place. C’est le bon exemple pour montrer que l’idéologie est parfois plus puissante qu’une politique pragmatique. Contrairement à tout ce qu’on a pu raconter en voulant la faire passer pour une dogmatique, le pragmatisme était du côté de Duflot.

VM : Comment travailler alors à gagner cette bataille culturelle ?  

IB : Le nombre, le nombre ! On est quand même nombreux et majoritaire à avoir intérêt à ce que ça change. Le problème c’est que nous sommes désorganisés.

Une formation politique comme la mienne est aujourd’hui capable de financer une campagne électorale précisément parce qu’elle repose sur des adhérents qui sont généreux et qui sont prêt à donner. Ce sont nos militants notre banque et si nous étions mieux organisés et plus nombreux nous viendront à bout de ce problème. Je suis peut-être naïf mais c’est en tout cas ce que je pense. 

VM : On parle peu d’arts et de culture (« cultivée » ou populaire) dans les débats politiques en général. Quel est votre ressenti sur ces questions ? De votre côté qui vous accompagne sur vos chemins culturels ?

 IB : Je vais être franc avec vous. J’ai fait des études de lettres, hypokhâgne, j’ai été professeur de lettres modernes mais en réalité je crois que je me suis vraiment engagé à plein temps en politique précisément pour me confronter à des questions peut-être plus rugueuses et plus concrètes.

C’est moi qui ai demandé à Anne Hidalgo en 2014 de m’occuper des questions de logement qui finalement étaient éloignées de mes problématiques de départ. J’ai fait de la politique pour sortir de mon milieu social et contrairement à ce qu’on dit souvent, la politique ne m’a pas enfermé ou coupé de la réalité, c’est l’inverse qui s’est produit. Elle m’a permis de m’ouvrir à une réalité sociale que je n’aurais jamais côtoyée si je n’avais pas exercé ce mandat.

J’en reviens à votre question. J’ai fait mon mémoire sur Bret Easton Ellis et c’est une lecture qui m’a beaucoup marquée. Mon mémoire plus précisément était sur la rhétorique du vide, de la vacuité et de la perte de sens. Je trouve que c’est précisément ce qui caractérise pour une bonne part notre période avec cette tendance que nous avons à tout aplatir, à tout mettre au même niveau.

C’était aussi le cas pour Bret Easton Ellis de telle sorte que la mort d’un humain était mise au même plan que l’achat d’une nouvelle veste dernier cri.

La déshumanisation est sans doute ce qui caractérise le plus notre époque. Une période où tout devient marchandise et par conséquent tout est mis au même niveau. Et dès lors que tout est mis au même plan, plus rien n’a de sens. Ce qui contribue à donner du sens c’est précisément la hiérarchisation. Ce n’est pas très classique pour un militant communiste mais en tout cas c’est une lecture qui m’accompagne.

Sources Revue Politique

 

19/04/2019

SUR LA ROUTE DE PARKINSON : UN HYMNE A LA VIE

Claire Garnier.jpg« Vivons notre vie comme une fête sans fin, comme une danse, au son de la musique universelle de l'amour »

Claire Garnier est née en Algérie, un pays magnifique malgré une enfance difficile. Elle a eu un parcours professionnel riche et diversifié. Elle a terminé ce parcours professionnel en devenant directrice des politiques sanitaires et sociales de la mairie d'une grande ville, Evry, avant d'exercer une activité de psychothérapie et de formation, notamment auprès des jeunes en difficulté. Elle anime aujourd'hui des groupes de parole au sein de l'association France Parkinson.

Son livre ne s'adresse pas qu'au centaines de milliers de personnes atteintes de la maladie de Parkinson et à leurs familles, mais à tous, parce c'est un véritable hymne à la vie.

Ce livre obtient une estime grandissante méritée et un succès de librairie exceptionnel. A peine une semaine après sa sortie, la première édition est déjà épuisée et une seconde est en cours.

Elle a accordé à Mosaik Radios un entretien que vous pouvez écouter ici.

 

Claire Garnier sur la route de Parkinson.jpgSUR LA ROUTE DE PARKINSON

Mon chemin vers la guérison

        • De Claire Garnier, Brigitte Schadeck-Guillemaud

  • Éditeur : Albin Michel

  • Parution : 27 mars 2019

"En 2003, le diagnostic de Parkinson me jette à terre. Refusant la perspective de la dépendance, je mets en oeuvre toutes mes ressources pour guérir plutôt que subir. Je décide de comprendre le sens de ma maladie. Je commence par accepter mon histoire personnelle, longtemps niée. M'appuyant sur diverses approches complémentaires, conjuguées à la médecine allopathique, je me relève. En chemin, je regagne ma place dans la lignée, retrouve l'amour de moi et des autres, et reprend le pouvoir sur la maladie...
Au point d'aller mieux maintenant qu'avant son déclenchement ! J'ai écrit ce livre pour tous ceux et toutes celles qui, atteints d'une maladie, ont envie de décider de la place et du rôle qu'elle prendra dans leur vie : partenaire ou ennemie ? C'est une invitation pour le lecteur à trouver des pratiques qui lui conviennent, tout en tenant compte des conseils des spécialistes".

 

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07/03/2019

« La poésie est hors saison, comme un vrai mois de mai »

Le Printemps des poètes 2019.jpgÀ l’occasion du Printemps des poètes 2019 (du 9 au 25 mars), qui a cette année pour thème « La beauté », Serge Pey abat son jeu, constitué d’un grand nombre de cartes brûlantes.

Il est plusieurs façons de se dire ou d’être poète…

serge pey Nous sommes dans un immense carnaval. Surtout ne pas se dire poète, au nom d’une poésie arrêtée et qui imite un langage qui ne bouge plus. La définition du poète est un mouvement permanent, et il est difficile de juger un concept qui recopie ou décalque un mouvement du passé. Mais par ce geste, qui redéfinit le mot poète, on se revendique paradoxalement, mais absolument comme tel. Être poète, c’est revendiquer une intelligence amoureuse.

Il fait être voyageur, dans les mots, marcheur de l’âme, explorateur d’inconnu. Alors oui, en ce sens je suis poète, car j’essaie de mettre en sacrifice tous les aspects du langage unis à la vie. Car, sans ce mouvement de mise à mort provisoire entre justement cette vie et ce langage, le concept même de poète est immobilisé et on assiste à sa mort. Le poète doit réinventer sa liaison à la vie et au langage d’une manière permanente.

Les poètes d’aujourd’hui doivent devenir des êtres témoignant du monde qui les entoure : l’amour, la lutte des peuples, les trous dans les étoiles, les dialogues avec l’invisible. C’est aussi avoir le courage d’une parole singulière contre le bruit dominant. C’est encore écrire des poèmes à contre-courant de la mode et des styles.

Continuer incessamment le sacrifice du langage pour arriver à une parole-pensée jamais entendue. C’est aussi défendre les poètes contre la fausse poésie des bons sentiments et les illusions du langage pourri des médias toxiques. Être poète, c’est savoir aussi être un écrivain public. Mettre son poème au service des opprimés que les pouvoirs réduisent en esclavage. C’est lutter avec ses mots contre le mensonge. Cette menterie qui collabore à la destruction du langage. Nous sommes ainsi obligés, d’une manière permanente, à reconstruire ce langage contre les mercenaires de l’obscurité qui détruisent la vérité.

Chez vous, il y va de l’engagement du corps tout entier…

serge pey La poésie est un morceau de corps pris dans la langue. La langue fait partie du corps et donc la poésie est un corps à part entière. La poésie est la publication de nos corps invisibles, de ces nombreux corps qui cohabitent en nous, ou dans l’ombre de nous-même.

C’est aussi le corps de l’autre, mort ou amoureux. Si la poésie est un corps, il passe dans l’écriture. Nous sommes des êtres de parole, et la poésie est cette extrémité. Il ne faut pas confondre l’oralisation de la poésie avec une corpo-caporalisation scénique. C’est surtout le conflit entre écriture et parole que la poésie incarne et résout. Un poème se récite, mais toute écriture est une oralité qu’il faut entendre même si elle est muette. L’écriture reste la manifestation des oralités qu’on n’entend pas, et qu’on aimerait faire entendre, ou la manifestation des oralités possibles et infinies contenues dans une écriture. La poésie ne se réduit pas à un récitatif, elle est toujours la mise en rituel d’un sacrifice ou d’un travail sur le langage.

Donner de la voix n’est cependant pas la condition d’un rapport au corps. Un poète muet peut être oral, car l’oralité a une infinité de possibilités de se manifester. La poésie est un gueuloir, mais également un murmure et une confidence. La voix ne fait pas un poème, elle est une manière de l’écrire sur un autre support que la page de papier ou le mur. Dire un poème à voix haute est une manière d’écrire dans l’oreille de l’autre. Il faut crier la poésie pour faire exister le monde, car le monde dit des choses à voix haute que beaucoup de gens disent tout bas. Parfois, un poème est la voix d’une liberté. Un engagement radical contre les poètes à gages qui n’ont de poète que leurs noms.

N’est-ce pas question de rythme ?

serge pey La poésie est un rythme. L’être humain à l’image du cosmos est un rythmeur. Réduire la poésie à une pulsation ou à un tempo, c’est omettre qu’elle est une pensée : une manière de penser avec l’immensité du corps et de l’esprit dans toutes ses contradictions. Elle n’est pas uniquement une séduction dansée, même si elle danse. Beaucoup de textes rythmés et rimés n’ont rien à voir avec la poésie.

Ils sont des singeries de poèmes, réduisant la poésie à ses rimes finales ou à quelques allitérations. Elle n’est que la vieillerie ressuscitée de siècles passés, prenant pour modèle ce qui se dit à l’école, souvent par facilité pédagogique. Il ne faut pas confondre la cadence avec un poème, car un jour on pourrait confondre une marche militaire avec de la poésie. Lorsque je disais mes poèmes avec Allen Ginsberg, c’est ce rythme que je pratiquais. Celui de la mélopée, proche parfois de la transe. Je me souviens encore les poèmes accompagnés par Marcel Azzola ou maintenant avec Bernard Lubat, Beñat Achiary, ou encore avec la guitare de Kiko Ruiz, c’est à chaque fois un nouveau monde qui s’ouvre dans l’espace du poème.

Que dire sur la beauté, thème de ce Printemps des poètes ?

serge pey Le mot beauté accolé à celui de poésie est pour un poète inimaginable. Mais il est volontaire, je pense, pour les organisateurs du Printemps des poètes, qui veulent donner à réfléchir sur ces concepts. Ce thème est aussi passe-partout que le nom de Printemps. Non, la poésie n’est pas belle, et ne se fait pas uniquement à cette saison sur un banc public. La poésie n’est pas une saison, elle est hors saison, comme un vrai mois de mai. On le sait, le beau peut être le laid. La beauté n’a rien à voir avec la poésie. C’est un lieu commun de l’idéologie dominante pédagogiste qui veut que la beauté soit liée à la poésie.

En poésie, c’est souvent le laid qui est montré comme Maïakovski nous l’apprend, ou Neruda ou Hikmet. S’il y a beauté, c’est dans sa transmission, dans la manière de tracer le chemin des mots afin que la vie puisse se regarder dans un miroir. Réduire la poésie à la beauté, c’est ne plus faire de poésie. La poésie est un acte de vie, qui peut aussi bien englober la vie des morts que des vivants. Elle est un lieu de résurrection. Radicalement un acte de vie. Notre beauté n’est pas belle. Surtout aujourd’hui.

Faire ce Printemps des poètes au nom de la beauté, c’est insister sur le fait que la beauté n’existe pas, ou paradoxalement qu’il faut défendre l’idée d’une redéfinition de la beauté contre la destruction capitaliste du monde. S’il y a une beauté à revendiquer, c’est celle d’un acte d’amour où l’on peut confondre les deux noms. La libération aussi peut être une beauté, une révolution, la mise en amour de deux mots. Après Rimbaud, il faut dire encore que cette beauté est amère, et qu’il est nécessaire de l’injurier, comme celle qui détruit aujourd’hui notre monde et notre humanité. Contre la beauté fabriquée du capitalisme destructeur, il faut opposer notre beauté et notre mystique du langage que nos ennemis prennent pour de la laideur.

Entre autres œuvres de Serge Pey : Mathématique générale de l’infini (Gallimard), Occupation des cimetières (Jacques Brémond), le Carnaval des poètes (Flammarion). Il est aussi présent dans l’anthologie du Castor astral à paraître.

26/12/2018

Fabien Roussel : "Les Français ne sont pas contre l'impôt"

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Elu secrétaire national du Parti communiste français fin novembre, Fabien Roussel revient pour Paris Match sur l'année écoulée et se penche sur l'avenir de la gauche.

Depuis son élection à la tête du Parti communiste français, Fabien Roussel a passé plus de temps sur les ronds-points aux côtés des «gilets jaunes» et sur les plateaux de télévision que dans son nouveau bureau, au siège historique du PCF, place du Colonel-Fabien à Paris. Mi-décembre, lui qui jure qu’il ne s’était «jamais imaginé» dans le fauteuil autrefois occupé par Georges Marchais, n’avait pas encore eu le temps de défaire ses cartons. C’est donc dans une salle de réunion qu’il nous a reçus, dans les étages du bâtiment emblématique conçu par l’architecte Oscar Niemeyer, que la lumière traverse de part en part. A la fenêtre, le Sacré-Cœur, symbole haï des communards, semble vous toiser depuis sa butte.

A 49 ans, Fabien Roussel a pris les commandes d’un PCF qui n’est plus que l’ombre de ce qu’il était lorsque, jeune lycéen engagé au milieu des années 1980, il milita contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. A l’époque, se souvient-il, Nelson Mandela n’était pas encore devenu un symbole politique universel, courtisé bien au delà des rangs de la gauche révolutionnaire. Cette participation des communistes au combat contre le racisme d’Etat sera rappelée, assure Fabien Roussel, au moment du centenaire du PCF, en 2020. Cet anniversaire «sera l’occasion pour nous de montrer le rôle qu’a joué le parti dans l’Histoire de France», souligne-t-il. Interrogé par Match à l’issue d’une année intense, le nouveau secrétaire national espère trouver, dans le tumulte, le temps pour réfléchir, et pas seulement réagir. L’enjeu est vital, car dans une gauche en mutation, le risque est grand que le PCF ne soit bientôt rien de plus qu’un symbole du passé.

Paris Match. Le mouvement des «gilets jaunes» a bousculé la majorité et l’exécutif. Il a sans doute été un moment de rupture dans le quinquennat d’Emmanuel Macron. Qu’a-t-il signifié pour la gauche?
Fabien Roussel. Il signifie que pour nous à gauche, c'est le moment de montrer que c'est possible de mieux répartir les richesses, de redonner du pouvoir d'achat aux retraités et d'augmenter les salaires. Pour moi, Macron est maintenant identifié comme le président des riches mais aussi comme celui qui mène une politique clairement à droite en faveur du capital. Cette politique-là, ça fait 40 ans qu'on la subit. Il ne faut pas plus de capitalisme, mais un nouveau modèle économique qui respecte l’humain et la planète.

Vous avez soutenu sans ambiguïté les «gilets jaunes». Que répondez-vous à ceux qui, au sein de ce mouvement, réclament un régime plus autoritaire, incarné par exemple par des personnalités militaires?
Je ne crois pas que la réponse soit liée à une personnalité, quelle qu'elle soit. Il faut, là aussi, changer de modèle, car actuellement, on peut changer de président de la République tout en conservant la même politique. Il faut qu’aboutisse une prise de conscience, qui a été accélérée par le mouvement des «gilets jaunes». Certains disent : «Il nous faut un homme d’autorité». Mais il y a aussi une envie d’être entendus et respectés. C’est contradictoire, mais il faut prendre ce mouvement avec ses excès et ses contradictions, même si on ne partage pas tout.

"Il faut découpler les législatives de la présidentielle"

Vous défendez régulièrement le rôle des partis dans la vie politique. La popularité du référendum d’initiative citoyenne, auprès des «gilets jaunes», n’est-elle pas une mise en cause directe de ces partis?
Je défends l'idée d'une démocratie véritable avec des élus représentants du peuple, en lien avec le peuple et respectueux du peuple. Le référendum, ça peut être l'occasion de solliciter l'avis du pays sur une question qui se pose à un moment donné. Mais ça ne résoudra pas tout. Il faut aussi élire des sénateurs et des élus respectueux du choix des Français.

La démocratie ne s’est-elle pas exprimée en juin 2017, lorsqu’après la victoire d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, les électeurs ont donné à son parti une large majorité à l’Assemblée nationale?
C’est le problème de nos institutions actuelles : il faut découpler les législatives de la présidentielle pour sortir de ce piège. La dernière présidentielle a été l’occasion d’un appauvrissement de la démocratie : ce n’était plus le choix d'un projet de société, mais un vote pour l’un afin de faire barrage à l’autre. Il faudrait qu’après une victoire dans de telles circonstances, le président soit obligé de tenir compte des prochaines élections susceptibles de remettre les compteurs à zéro.

En 2020, à l’occasion du centenaire du Parti communiste français, vous avez l’intention de rappeler la place du parti dans l’Histoire de France. Quelles leçons en tirez-vous pour le présent?
Cette histoire illustre ce qu’est le PCF, notre manière de travailler. Nous ne regardons pas l'étiquette de ceux qui sont en face de nous pour dire : «Travaillons ensemble.» Quand nous avons participé à la Résistance, nous étions avec d'autres forces, car c'était dans l'intérêt du pays. Quand nous avons rebâti la France avec le général De Gaulle, c'est parce qu'il y avait un programme issu du Conseil national de la Résistance, que nous avions construit et écrit ; et avec lui, nous l’avons mis en œuvre. C’est cela aussi, l’héritage du Parti communiste français.

Vous qualifiez parfois le ministre de l’Action et des comptes publics Gérald Darmanin de «camarade». Est-ce l’illustration de cette capacité à travailler avec vos adversaires?
On se connaissait avant. Il connaît la problématique économique du bassin minier : cela permet d’avoir des contacts directs. Par ailleurs, je ne connais pas Bruno Le Maire, mais nous avons travaillé de manière étroite sur le dossier de l’aciérie Ascoval. Je dis toujours que nous ne sommes pas un parti d’opposition mais de propositions. Je n’attaque pas les personnes, je combats les idées. Je soutiens par exemple la suppression de la hausse de la CSG pour une partie des retraités.

Il y a vingt ans, les communistes participaient à la gauche plurielle. Le PCF relevait alors de la «gauche de gouvernement». Aujourd’hui, on peine à imaginer que ce qualificatif, souvent employé pour désigner le centre-gauche ou la gauche libérale, puisse s’appliquer à vous. Comment l’expliquez-vous?
Le Parti socialiste, qui était hégémonique et qui a eu le pouvoir, a déçu. Malgré les 35 heures et les avancées importantes obtenues à l’époque, on n’est pas sorti du modèle économique dominant. La gauche doit se fixer pour objectif d’en inventer un nouveau et ça n’a pas été fait sous Jospin. A l’époque, j'ai été le conseiller de la ministre du Tourisme : je l’ai vécu de l’intérieur. On avait un ministre de l’Economie qui s’appelait DSK et qui, pour bien des grandes mesures, disait : ça n’est pas euro-compatible. Il fallait s'inscrire dans les clous des traités européens et donc dans le modèle libéral.

"L'impôt, c'est le prix à payer pour vivre dans un monde civilisé"

Vous prônez le changement de modèle économique. Au cœur des inquiétudes contemporaines en matière d’économie se trouve le sujet de la dette, souvent présentée avant tout comme un fardeau pour nos enfants. Quelle réponse y apportez-vous?
Une réponse simple. Le déficit de la France, c’est 70 milliards d’euros. Si l’on s’attaque à l’évasion fiscale et si l’on augmente les recettes de l’Etat, on peut faire rentrer 100 milliards d’euros. Et je parle de l’évasion fiscale mais il faut considérer les mesures récentes de ce gouvernement : la suppression de l'ISF, de l’exit tax, la flat tax… Cela représente 12 milliards d’euros de cadeaux fiscaux! Comment voulez-vous qu’ils nous parlent de déficit? Ils le creusent eux-mêmes. Ils ne peuvent plus demander d’efforts aux Français.

Une expression est arrivée dans le lexique politique durant le mandat de François Hollande : le «ras-le-bol fiscal». Cette idée est au cœur du mouvement des «gilets jaunes». N’y a-t-il pas un problème en France autour de la question du consentement à l’impôt?
Il y a un problème à cause de ces grandes fortunes et de ces «grosses têtes», comme on dit dans le peuple, qui ne payent pas l'impôt comme tout le monde. Les Français ne sont pas contre l'impôt. Ils sont pour un impôt juste et pour que tout le monde paie. D'ailleurs, nous disons, nous les communistes, que l'impôt, c'est le prix à payer pour vivre dans un monde civilisé. Les «gilets jaunes» que j'ai reçus récemment m'ont dit : «Mais nous on veut payer l'impôt sur le revenu. On veut gagner suffisamment pour le payer.» Ils ne réclament pas «zéro impôt». Certains réclament une baisse des taxes sur les produits de première nécessité pour augmenter le pouvoir d’achat. Cela, nous le défendons aussi.

Député, vous vous êtes particulièrement attaqué aux paradis fiscaux, au cœur des mécanismes d’optimisation fiscale. Bruno Le Maire a récemment indiqué sa volonté de faire payer les géants du web. N’est-ce pas une avancée?
Il se trouve dans l’impasse! Quand Bruno Le Maire annonce qu’il va taxer les multinationales dont le siège se trouve dans les paradis fiscaux, de quels paradis fiscaux parle-t-il? Sa liste est bidon! Quelle multinationale a son siège au Botswana ou à Niue (île de l'Océan pacifique, Ndlr)? Ce sont pourtant ces Etats qui figurent sur la liste française.

Les relations entre les communistes et la France insoumise sont un des sujets importants pour l’avenir de la gauche. Lorsque Jean-Luc Mélenchon et son parti ont fait l’objet de perquisitions à l’automne dernier, vous lui avez apporté votre soutien. Pourquoi?
Concernant cette perquisition, j’ai trouvé les moyens démesurés par rapport au sujet. C’est donc ce que j’ai dit. Mais je n’aurais pas eu le même comportement que Jean-Luc Mélenchon : nous sommes différents. Sa colère explose, moi j’ai un autre tempérament.

Sources Paris Match

20:13 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fabien roussel, pcf | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!