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25/06/2013

Emmanuel Todd « Un nouvel élan au rêve français de l’homme universel »

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettNOUVEAU : Version française suivie par la traduction anglaise. (article followed by an English version)

L’historien, démographe et anthropologue Emmanuel Todd vient de faire paraître, avec le démographe Hervé Le Bras, un ouvrage (1) qui s’appuie sur une analyse de 120 cartes de France, à partir de nombreuses études et statistiques. Leur mise en perspective fait tomber nombre d’idées reçues en autant de paradoxes. Le Mystère français constitue un diagnostic puissant.

Dans le Mystère français vous 
présentez un portrait hexagonal 
assez nuancé. Comment faut-il comprendre ce diagnostic ?

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettEmmanuel Todd. Nous avons surtout analysé une contradiction entre la superstructure économique et l’infrastructure mentale. Nos cartes de la déroute industrielle sont parmi les plus inquiétantes qui soient ! Nous mesurons les inégalités de richesse. Nous décrivons les effets de la crise. Mais dans l’éducation, la démographie et la vie familiale, nous constatons un autre mouvement. Le niveau éducatif moyen a progressé.

L’émancipation des femmes se poursuit et s’accélère. La fécondité, sans distinction de classes sociales, atteint un niveau plus que raisonnable. L’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée. Les taux d’homicides et de suicides sont en baisse. Nous sommes là dans le monde réel. Cette contradiction est importante à souligner. Il y a eu deux interprétations dominantes de ce livre. D’un côté, « la France ne va pas si mal ». Et de l’autre, « la France qui va mal et celle qui va bien ». En réalité, c’est un livre qui dit : « Attention, il y a une contradiction entre la vision des classes dirigeantes, qui agissent comme si leur pays n’existait pas et produisent une catastrophe économique, et une réalité vivante dont il faut tenir compte. » La crise du système politique français réside dans cette méconnaissance. C’est un livre dont on pourrait faire un usage révolutionnaire.

Plus de trente ans après l’Invention 
de la France, vous proposez un profil actualisé du pays avec toujours ce que vous appelez 
« la main du passé » ?

Emmanuel Todd. Il y a trente ans, nous nous étions amusés à mettre en avant la diversité persistante de la France. Cette fois-ci, nous aurions pu simplement constater qu’en dépit du changement mental, il existait toujours des zones anthropologiques et religieuses. En fait, nous découvrons que le changement social, et même son accélération sont portés et guidés par les vieilles zones anthropologiques. Les structures familiales et religieuses ne sont pas des éléments qui subsistent mais qui agissent. Prenons l’exemple de l’éducation. Il y a d’abord eu un décollage précoce des zones culturelles de famille souche d’Occitanie. Puis les zones où le catholicisme vient tout juste de s’effondrer, une constellation périphérique, à l’ouest et à l’est, ont atteint des performances maximales. Le catholicisme est mort métaphysiquement mais il est vivant socialement et semble produire des effets. Nous avons utilisé le concept de « catholicisme zombie ».

Vous distinguez deux grandes zones 
qui traversent la France même 
si elles recouvrent une hétérogénéité ?

Emmanuel Todd. Il existe une opposition fondamentale entre deux formes complémentaires. Un long bassin parisien, entre Laon et Bordeaux, et la façade méditerranéenne constituent ensemble la France précocement déchristianisée, marquée par l’idéal révolutionnaire, républicain et laïque. Son cœur est occupé par une famille individualiste égalitaire. Autour, dans la périphérie, il y a la France catholique, une France de la hiérarchie. Il existe des cartes anciennes de cette opposition. Celle de l’Américain Timothy Tackett montre que ces zones apparaissent à l’occasion de l’acceptation ou du refus de la Constitution civile du clergé en 1791.

En partant du diagnostic d’un « catholicisme zombie », vous définissez en creux une « dépression postcommuniste » ?

Emmanuel Todd. C’est l’élément le plus important pour moi. La dépression qui s’est installée dans les régions et les milieux populaires de l’espace idéologique communiste d’après-guerre : difficultés scolaires, taux de chômage élevés, phénomènes de désagrégation sociale. Le communisme était une croyance collective structurante. Il jouait un rôle formidablement positif dans la vie des milieux populaires. Il incarnait l’idée de progrès, un contrôle des mauvais instincts xénophobes. Il avait foi en la culture… Tout cela a implosé, dans la honte, à cause du stalinisme. Il y a donc aujourd’hui un immense vide. Du point de vue de l’anthropologue, je dirai qu’un PS dominé par le catholicisme zombie ne peut pas représenter toute la gauche française. Quelque chose manque dans la culture politique française et la représentation. Le Parti communiste était l’incarnation ultime de la Révolution française, une révolution qui, dans ses principes, n’est pas morte.

Vous montrez que certains changements pourraient engendrer une droitisation idéologique ?

Emmanuel Todd. Dans les années 1950, tout le monde savait lire mais seulement quelques-uns avaient fait des études supérieures. C’était une époque de démocratie en ascension. La masse de la population imitait et contestait la classe supérieure, elle regardait vers le haut et vers l’avant. Le progrès était à l’ordre du jour. Aujourd’hui, parmi les moins de trente-cinq ans, le groupe le plus nombreux est constitué de ceux qui ont fait des études supérieures. Il y a ensuite ceux qui ont suivi des études secondaires et techniques. Enfin, 10 à 12 % des jeunes restent bloqués au niveau du primaire et ont parfois des difficultés de lecture. Nous sommes dans un monde différent. Les diplômés supérieurs regardent vers l’extérieur, vers les espaces infinis de la mondialisation culturelle. Le groupe intermédiaire a peur de retomber. Il regarde avec crainte les 10 à 12 % de non-diplômés. Ce monde-là regarde vers le bas, et vers l’arrière. Il est structurellement orienté à droite. Par ailleurs, la société est en voie de vieillissement, ce qui favorise le conservatisme en politique.

Mystère français là encore, cette droitisation s’exprime de façon paradoxale ?

Emmanuel Todd. Depuis l’écriture du livre, la situation a quelque peu évolué. Pour moi, nous n’en sommes plus maintenant à la droitisation en général, mais à celle du… gouvernement socialiste ! Et je commence à sentir un glissement européiste et libéral du PS qui pourrait nous amener, à notre immense surprise, au-delà de ce dont le sarkozysme a été capable. Car le plus paradoxal dans ce livre est de noter que les bastions du PS se situent maintenant dans les régions qui historiquement croient moins que les autres en la liberté de l’individu, en l’égalité des hommes, ou en l’importance de l’État comme régulateur. On peut se demander alors si le PS ne se trouve pas lui-même marqué par ce basculement.

C’est aussi vrai de la droite, dans un sens opposé. Jérôme Fourquet, de l’Ifop, nous a permis d’accéder à des données difficiles à obtenir, tel le cumul des intentions de vote par catégories socioprofessionnelles et par régions. Les milieux populaires de Champagne-Ardenne, au cœur de la France égalitaire, ont voté majoritairement pour Sarkozy au second tour. Au regard de son implantation locale, l’UMP se retrouve traversée par des tendances égalitaires.

Le pouvoir sarkozyste était décomplexé, c’est le moins qu’on puisse dire, du côté de la xénophobie, fort doué pour la désignation de boucs émissaires, musulmans, immigrés, Roms, corps intermédiaires, professeurs, syndicats… Mais il n’était pas parvenu à déréguler le marché du travail ou à attaquer l’État social comme le PS est en train de le faire, avec l’aide de la CFDT (CFTC déconfessionnalisée), et donc incarnation syndicale du catholicisme zombie.

Au fond, puisque vous dites que le PS et l’UMP sont traversés par de fortes contradictions et que la France est beaucoup plus fragmentée qu’elle n’y paraît, peut-elle repartir en étant en accord avec elle-même, à partir de l’égalité qu’elle a toujours mise en avant ?

Emmanuel Todd. Il y a un élément qui n’est pas dans le livre, mais que le livre peut éclairer. Quid de l’Europe, où les nations divergent encore plus que les provinces françaises ? Dans le contexte de sociétés vivant une crise de l’hyper-individualisme, les gens sont isolés et angoissés et, inévitablement, ils vont, partout, rechercher dans leur histoire, dans leurs traditions, les forces de l’adaptation.

La réalité de l’Allemagne est qu’elle est en phase de renationalisation, phénomène absolument conscient depuis sa réunification. La France, aussi, mais de façon inconsciente, beaucoup plus complexe et lente, parce qu’elle est très diverse. Ses dirigeants, arc-boutés contre l’histoire, pensent qu’ils sont en train de sauver l’Europe, et surtout l’euro, dont la destruction est pourtant comme mécaniquement programmée par la divergence culturelle des nations.

En France, le concept de nation est apparu à gauche avec la Révolution française. Il est passé à droite vers 1900. Dans le vide produit par l’interminable agonie du concept européen, le Front national peut se permettre de proposer une version rétrécie, dégradée, ratatinée, de l’idée nationale. Il en donne une vision sinistre qui exclut et rejette de fait l’universalisme français.

 C’est pour cela que je parle d’un front antinational. Ce dont nous avons besoin en France, c’est d’une renaissance à gauche de l’idée de nation, qui nous permette, libérés de la paralysie européenne, de retrousser nos manches et de résoudre nos problèmes économiques et sociaux.

Vous en concluez à un reflux inévitable du FN ?

Emmanuel Todd. Il est déjà en train de refluer dans toutes les grandes villes et dans la région parisienne. Le FN est parti de l’est de la France, grandement associé à la présence de l’immigration maghrébine. Mais son implantation se déplace régulièrement vers la zone centrale, vers l’espace révolutionnaire. Il décroche alors entièrement de ses bases départementales anti-maghrébines. On pourrait s’inquiéter que le Front national parvienne au cœur de la culture française. En réalité, l’arrivée dans cet espace égalitaire va le mettre au pied du mur.

Un mur qu’il ne peut pas sauter car il fonctionne sur deux dénonciations simultanément : celle des classes dirigeantes, composante égalitaire, celle d’un bouc émissaire étranger, composante inégalitaire et de fait antinationale en France. C’est, il est vrai, la posture habituelle d’un parti fasciste. Mais nous nous dirigeons vers une montée en puissance des phénomènes de classe et de contestation sociale des élites, déjà à l’origine du vote non au référendum de 2005.

 Les difficultés sociales vont se multiplier et mettre plus encore en évidence l’impéritie de l’oligarchie dirigeante. Beaucoup plus qu’à une poussée massive du FN, je crois en une implosion globale de la représentation politique, redistribution générale des cartes, d’un coup et à la surprise de tous.

L’une de vos principales sources pour faire l’analyse critique des mouvements de la société se trouve être Marx ?

Emmanuel Todd. C’est vrai et c’est grâce, notamment, à la longue et permanente discussion que j’entretiens avec mon copain philosophe Bernard Vasseur autour des textes, en particulier ceux du jeune Marx. Pour l’analyse des phénomènes historiques et des conflits de classes, Marx a toujours été la figure totémique, le modèle du chercheur engageant toute sa vie dans sa quête intellectuelle, en dehors des structures universitaires, avec une impressionnante capacité à exprimer les choses cruellement et drôlement. Je ne peux être qu’admirateur de ce Marx-là. Mon livre de base, ici, cité dans Après la démocratie et dans le Mystère français, reste les Luttes de classes en France.

Que peut-on déduire de ce diagnostic 
pour notre avenir commun ?

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettEmmanuel Todd. L’accès de faiblesse du cœur égalitaire résulte de l’état intermédiaire, en ce moment politiquement inactif, de la grande région parisienne. Cette région représente une masse considérable, mais elle est aujourd’hui fragmentée. Les inégalités éducatives et économiques y sont plus fortes qu’ailleurs. Ceux qui ont un niveau éducatif très élevé y sont nombreux. Elle compte aussi beaucoup de jeunes et des immigrés de toutes origines.

Les taux de mariages mixtes y sont élevés. La région capitale constitue ainsi une sorte de chaudron expérimental où se fabrique la future culture centrale dominante de la France. C’est l’une des rares villes monde où soient en train de fusionner des populations de toutes origines religieuses et de toutes couleurs, et cela se fait dans la culture individualiste égalitaire française traditionnelle. Les évolutions sont encore trop récentes pour que le vieux rêve français d’un homme universel y prenne tout de suite un nouvel élan.

Mais dans vingt ou trente ans, lorsque la fusion sera réalisée, la région parisienne sera l’une des merveilles culturelles du monde. Elle reprendra le contrôle du système national. J’admets que les prochaines années vont être dures. Mais, en tant qu’historien et en tant qu’homme de gauche, je suis tout à fait tranquille pour l’avenir un peu plus lointain de mon pays.

(1) Le Mystère français, d’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, coédition Seuil-La République des idées, 2013. 336 pages, 17,90 euros.

Révolution anthropologique. Emmanuel Todd est un historien français, anthropologue, démographe, sociologue et essayiste. Chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), il développe l’idée que les systèmes familiaux jouent un rôle déterminant dans l’histoire et la constitution des idéologies religieuses et politiques.

Élève d’Emmanuel Le Roy Ladurie, son approche historique, basée sur l’histoire de longue durée, est celle de l’École des Annales de Fernand Braudel. Sa formation relève de l’empirisme anglo-saxon. C’est en 1976 qu’Emmanuel Todd publie la Chute finale, son premier livre. Il y annonce « la décomposition de la sphère soviétique ». Ce n’est peut-être pas tant le thème de ce travail qui surprend que la méthodologie historique qui produit une révolution dans les sciences sociales : la puissance de son analyse repose sur une interprétation anthropologique.

Depuis, il a été l’auteur de nombreux ouvrages et essais reprenant cette approche. L’Invention de la France, parue en 1981, voit ce travail d’analyse réalisé conjointement avec le démographe Hervé Le Bras. Il traite du cas français, intéressant parce qu’il est un modèle de diversité anthropologique au sein d’une seule nation.

Entretien réalisé par Pierre Chaillan

"A Fresh Impetus To the French Dream of Universal Man"

Translated Saturday 6 July 2013, by Isabelle Métral

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettHistorian, demographer and anthropologist Emmanuel Todd and Hervé Le Bras have just published a study based on 120 maps of France drawn from a great many studies and statistics, in the light of which many commonplaces are shown to be paradoxes. Altogether, Le Mystère français [1] (The French Mystery) provides a penetrating diagnosis.

HUMA”: In The French Mystery you draw a fairly balanced portrait of our hexagonal mainland. How do you account for this diagnosis?

EMMANUEL TODD: We have mostly analyzed a contradiction between the economic superstructure and the mental infrastructure. Our maps of the industrial rout are most disquieting. We measure inequality in wealth. We describe the effects of the crisis. But in education, demography and family life we find the opposite trend: average educational standards have improved. Women’s emancipation has been going on at a faster rate. The birth rate, irrespective of social class, has reached a more than reasonable level. Life expectancy has never been so high. Homicide and suicide rates are down. These figures give us a real picture. So the contradiction must be underlined.

Roughly, there are two ways of interpreting this book: on the one hand “France is not doing so badly”, and on the other, ”see the great divide between those that are doing badly and those that are doing fine”. In fact the book says: “Careful, there is a contradiction between the ruling class’s vision, those that do as if their country did not exist and lead us to an economic catastrophe, and the real country, the real people who must also be considered.” The crisis of the French political system lies in this blindness. This book could serve revolutionary purposes [2].

HUMA: More than thirty years after The Invention of France, you give us an updated profile of the country but still brushed with what you call “the hand of the past”. Is that it?

TODD: That was thirty years ago, we took pleasure in pointing out France’s persisting diversity. This time, we might have simply registered the fact that the anthropological and religious zones persisted despite changes in our mentality. In fact we find that social change, its acceleration even, are catalyzed and piloted by the old anthropological zones. The old religious or family structures are not simply persistent, but they are still active. Take education for instance. First there was the early lift-off of the cultural zones where the Occitan-speaking family type prevailed. Then those where Catholicism has just collapsed – a peripheral constellation, west and east - achieved top performances. Catholicism is metaphysically dead, but from a social point of view it is still alive and seems to produce effects still. We use the concept of “zombie Catholicism”.

HUMA: Is this what leads you to establish a distinction between two great zones across the country – even if they are somewhat heterogeneous?

TODD: There is a basic opposition between two complementary forms: the long basin around Paris, (“bassin parisien”), between Laon and Bordeaux, together with the Mediterranean front constitute that half of France that was de-Christianized at an early stage, and is characterized by the revolutionary, republican and secular ideal. And home to the individualistic, egalitarian family type. Then all around lies the other, Catholic half. This opposition appears in very old maps. The map drawn by Timothy Tackett, an American, shows that these zones appeared following the adoption of the clergy’s Civil Constitution in 1791, depending on whether it was accepted or refused.

HUMA: Having diagnosed this “zombie Catholicism”, you make out, by contrast, what you call “the post-communist depression” zone?

TODD: To me that is the most important element. The depression that set in in the popular regions and classes of the post-war communist ideological space, with its ailing schools, high unemployment rates, social break-up symptoms. Communism as a collective faith that had a structuring effect. It played an extraordinarily positive part in the life of the common people. It embodied the notion of progress, checked the bad xenophobic instincts. It had faith in culture… All of this imploded, because of Stalinism, leaving a legacy of shame. And so today there is a great void. As an anthropologist I would say that a socialist party under the influence of zombie Catholicism cannot represent the whole of the French Left. Something is lacking in the French political culture and representation. The Communist Party was the ultimate incarnation of the French revolution, a revolution that lives on through its principles.

HUMA: And you find that certain changes might generate a rightist ideological drift?

TODD: In the 1950s everybody could read but only a few had been to university. Those were the times when democracy was in its ascending phase. The masses imitated and challenged the middle class, they looked up to it and to the future. Progress was then the word. Whereas today, among the under-35 age-group a majority has gone to university. Then come those that have been through high school or technical schools. Then comes the 10-to-12% group of those that got stranded at elementary school level and are sometimes poor readers.

Today’s world is completely different. Those with university degrees look out for opportunities abroad, in the infinite spaces of cultural globalization. The middle group is afraid of coming down in the world and is looking down with fear to the 10 to 12% of drop-outs. That middle group looks down to the bottom, to the past. It structurally leans to the Right. Moreover society is ageing, which is a conservative factor in politics.

HUMA: But here again "the French Mystery" lies in the fact that this swing to the right has a paradoxical expression?

TODD: Since I wrote this book the situation has somewhat changed. I believe we have left behind the stage where the Right in general made headway, for now it is the Socialist government that leans to the Right. And I am beginning to perceive a pro-European and neo-liberal evolution of the Socialist Party that, to our great surprise, might take us further than what Sarkozy’s rule was able to achieve. For what is most paradoxical in that book is the finding that the Socialist party’s strongholds are now in the regions that, historically, compared to others, have little faith in the freedom of the individual, in equality between humans, or in the importance of the State as regulator. It is therefore legitimate to wonder if the Socialist Party is not itself affected by this swing.

This is also true of the Right, in the opposite direction. Jérôme Fourquet, who works with IFOP (the French public opinion institute) gave us access to data that are hard to come by, like the sum of voting intentions in each socio-professional categories and region. A majority of the lower-classes in the region of Champagne-Adennes’, at the heart of the equalitarian “half”, voted for Sarkozy in the second round of the presidential election. Because of its local situation, the UMP finds itself under the influence of equalitarian trends.

Whereas Sarkozy’s government had, to say the least, no scruples as regards xenophobia and was very good at designating scapegoats, Muslims, immigrants, Roma, the public or mediating/para-public bodies, teachers, trade-unions, etc. but it did not succeed in deregulating the labour market or in dismantling the welfare state as the Socialist Party is now doing with the help of CFDT (the secularized avatar of the CFTC) which is therefore an instance of zombie-catholicism unionism.

HUMA: Since in your view the Socialist Party and the UMP are laboring under strong inner contradictions and France is much more fragmented than it might seem, would you say that basically France can rebound and be at one with itself, by making equality its first and foremost principle, which it has traditionally been?

TODD: There is an element that is not in the book, but on which the book can shed light: what about Europe, where nations diverge even more than the French provinces? Within the context of societies that are going through the crisis due to hyper-individualism, people are cut off from one another and anxious and lacking the strength adaptation requires, inevitably they turn back to their history and traditions. The truth about Germany now is that it is going through a new nation-building process – an extremely conscious process since its re-unification. So is France, too, but without being aware of it, and in a much more complex and slow way, being so diverse. Its leaders, bracing themselves against the grain of history, believe that they are saving Europe, and especially the euro even though the euro is doomed, its destruction being mechanically programmed, so to speak, by the cultural divergence between the nations. In France, the concept of nation appeared within the Left with the French Revolution. Then it passed over to the Right around 1900. In the void that results from the interminable death throes of the European concept, the National Front is given leeway to propose a stunted, degraded, warped version of the national idea. A sinister vision that excludes and denies French universalism. That is why I call it an anti-national front. What we need in France is a rebirth, within the Left, of the idea of nation, such as can enable us to shake free from the European paralysis and roll back our sleeves and set about solving our economic and social problems.

HUMA: From this you conclude that the tide in favour of the National front is bound to turn?

TODD: It is already ebbing in all the great cities and in the region around Paris. The National Front started in the east; it had narrow links with the presence of immigrants from the Maghreb. But its strongholds have been regularly moving towards the central zone, the revolutionary zone. In the process it has been losing its anti-Maghreb provincial bases. One might worry lest the National Front find its way into the very heart of French culture. But in fact, once it arrives in this equalitarian space it will stand against the wall. And it can’t jump over it, because its rhetoric denounces both the ruling classes (in conformity with the equalitarian stance) and against the foreigners, its scapegoats, , which runs contrary to the equalitarian stance and because of this, also against the French national idea. This, no doubt, is the posture characteristic of a fascist party. But what we can feel rising is the polarization of events around class and the social protest against elites, in which the No vote in the 2005 referendum originated. Social problems are going to multiply and point out the incapacity of the ruling oligarchy. I believe far less in a spring tide in favour of the National front than in a global implosion of political representation, in the general reshuffle, all at once and to everyone’s surprise.

HUMA : One of the main sources you use in you critical analysis fo the movements of society happens to be Marx ?

TODD: True, and that is especially because of my long and endless discussions with my pal, philosopher Bernard Vasseur . About texts, in particular those of the young Marx. Marx has always been the totemic figure for the analysis of historical phenomena and class conflicts. The model of the researcher’s life-long commitment to his intellectual quest, and outside academic structues, with an impressive capacity to express things cruelly and funnily. I can only admire that Marx. My basic book, here, quoted in Après la democracy ("After democracy") and Le Mystère français ("The French Mystery") remains La Lutte des classes en France.

HUMA: What can we draw conclusions from this diagnosis for our common future?

TODD: The current fit of weakness of the equalitarian heart results from the intermediary state, in this politically apathetic time, of the great region around Paris. This region represents a considerable, mass, but today it is fragmented. Inequalities in schools and social inequalities run deeper than elsewhere. There are great numbers of people with extremely good degrees. And great numbers of young people and immigrants of all origins. The rate of mixed marriages is high. The region around the capital is therefore a kind of experimental caldron where France’s future central, dominant culture is brewing. It is one of the very few cities in the world where populations of all religious origins and colours are melting. And this is taking place within the French traditional individualistic, equalitarian. These evolutions are too recent for the old French dream of universal man immediately to make a fresh start. But within twenty or thirty years, when the fusion has taken place, the region around Paris will be one of the world’s cultural marvels. It will gain back control of the national system. I admit the next years are going to be tough. But as a historian and a Leftist, I am not a bit anxious concerning my country’s mid-term future.

[1Le Mystère français, d’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, coédition Seuil-La République des idées, 2013. 336 pages, 17,90 euros.

[2The anthropological revolution : Emmanuel Todd is a French historian, anthropologist, demographer, sociologist and essayist. A researcher with the National Institute of Demographic Studies (Ined), he develops the idea that family systems play a decisive role in the history and constitution of religious and political ideologies. A student of Emmanuel Le Roy Ladurie, his historical approach, based on long-term history is that of Fernand Braudel’s “École des Annales. He is an alumnus of the school of Anglo-Saxon empiricism. In 1976 he published La Chute finale ("The Final Fall"), his first book, in which he announces “the decomposition of the soviet sphere”. What was surprising about this study was not so much its theme as the historical methodology that brought about a revolution in the social sciences: the penetrating force of his analysis rests on an anthropological interpretation. He has since then written many books and essays based on the same approach. In L’Invention de la France ("The Invention of France"), which came out in 1981, the analysis is carried out conjointly with demographer Hervé Le Bras. It studies the French case, the interest lying in its being a model of anthropological diversity within one nation.

Publié par English Huma

04/02/2013

Mariela Castro Espin: «Cuba surprend toujours, même nous, nous surprenons»

Cuba après Fidel Castro, education, droit, cuba, raul castro, fidel castroFille du président Raul Castro et de Vilma Espin, grande figure de la révolution cubaine, aujourd’hui disparue, Mariela Castro Espin, âgée de quarante-neuf ans, est directrice du Centre national d’éducation sexuelle cubain (Cenesex). Rebelle, militante opiniâtre des droits des homosexuels et des transsexuels, longtemps discriminés, elle est à l’origine d’importants changements les concernant. Entretien.

Vous menez depuis plusieurs années un combat en faveur de la liberté d’orientation sexuelle et de l’identité du genre à Cuba. Où en êtes-vous actuellement ?

Mariela Castro. Nous sommes dans un bon moment. C’est le résultat d’un travail de plusieurs années. Depuis la création de la Fédération des femmes cubaines, dans les années soixante, des chemins ont été ouverts et ont permis peu à peu de désarticuler les préjugés liés à la sexualité et au genre. Ce travail nous a permis d’aborder avant de les affronter d’autres formes de discriminations qui existent tous les jours dans notre culture et notre société.

S’agissant de l’homophobie, changer la façon de penser de toute une société n’est pas facile. Mais chaque action peut réussir, par le biais d’une incidence, dans le domaine éducatif, s’appuyant sur les moyens de communication, télévision et radio, dans le cadre d’une stratégie complexe. Il faut être partout. Cela implique la présence d’une volonté politique pour opérer tous ces changements et qu’elle soit exprimée par le biais d’une loi concrète, explicite, qui puisse s’emparer de ce problème.

Vous avez élaboré un projet de loi, avance-t-il ?

Mariela Castro. Une de nos propositions législatives concerne le Code de la famille, code civil approuvé en 1975, à l’initiative de l’organisation des femmes, et largement discuté. Ce Code fonctionne mais, depuis plus de quinze ans, nous participons, en tant qu’institution, au combat de la Fédération des femmes cubaines pour le transformer afin de mieux garantir les droits des femmes, des enfants, des handicapés et des personnes âgées. Dans cette logique, le Cenesex propose un nouvel article incluant la libre orientation sexuelle et l’identité des genres.

Ce n’est pas un Code dont l’accomplissement est obligatoire, mais il sert à établir des valeurs au sein de la famille. J’ajoute que ce Code, une fois qu’il sera voté, devra inclure par la suite d’autres éléments parce que beaucoup d’autres législations vont aussi changer. Avec la nouvelle loi, les transsexuels auront le droit de modifier leurs documents d’identité. Ce qui suppose qu’ils soient soumis à une intervention chirurgicale pour changer de sexe. En 2008, nous avons déjà réussi, sous l’égide du ministère de la Santé, à établir des procédures d’assistance de santé spécialisée dont les personnes transsexuelles ont besoin, y compris pour le changement de sexe.

Ces interventions sont totalement gratuites et rentrent dans le budget de l’État. Nous sommes le seul pays à l’avoir fait complètement. Mais on ne change pas encore les identités, s’il n’y a pas d’intervention chirurgicale. Tel est le projet de loi. Il est rédigé, il ne reste plus qu’à le présenter à la discussion politique.

Ne vous êtes-vous pas heurtée à des obstacles d’ordre politique et religieux ?

Mariela Castro. Les freins ne sont pas les préjugés de toute la population. Dans cette société hétérogène dans laquelle nous vivons, dans les églises, et même dans d’autres structures existantes, des gens nous soutiennent et d’autres pas. Des responsables religieux sont d’accord, d’autres non. Il n’y a pas de confrontation avec le Parti communiste et son département idéologique, ni avec le médiateur qui a été très attentif et respectueux.

Nous leur avons exposé nos arguments et ils ont eux-mêmes dialogué avec les religieux qui n’étaient pas d’accord. Il n’y a pas de malaise, des soucis oui, mais pas de malaise. Nous avons parlé de notre préoccupation à ne pas transgresser les personnes, à ne pas leur porter atteinte. Seul le dialogue peut régler les contradictions. Mais il y a des points sur lesquels nous ne céderons pas, par exemple, les opérations pour le changement de sexe.

Nous le considérons comme un traitement de santé et là, nous ne transigerons pas. Il faut le faire, c’est un droit. Nous savons que, par rapport au mariage des personnes de même sexe, plusieurs églises ne l’approuvent pas. Plutôt que de créer une catégorie avec le mariage homosexuel, ce n’est pas nécessaire, nous proposons une union légale qui puisse garantir les droits des personnes de même genre. Elles ne doivent pas être discriminées, ni exclues.

L’objectif est qu’elles aient les mêmes garanties que les couples hétérosexuels, notamment du point de vue du patrimoine. Notre proposition est l’union consensuelle : les couples de même sexe ont les mêmes droits que les couples de sexe différent. Il n’y a pas de différence. On ne parle pas d’adoption.

"Une société en transition socialiste telle que la société cubaine doit être vigilante à ne pas reproduire les mécanismes de domination préexistants"

Même si on pouvait l’envisager, ce que je pense, les résistances sont là. Au fur et à mesure que notre population avance et qu’elle surmontera ses préjugés, ce ne sera pas un souci. Nous avons observé le processus de progrès législatifs dans d’autres pays, même européens, et ils ont dû procéder de la même manière, commencer par une chose d’abord et passer à une autre.

En ce qui nous concerne, nous ne proposons ni mariage, ni adoption des mineurs. Nous avançons dans la reconnaissance des droits de la population et du genre.

S’agit-il d’une bataille d’émancipation dans le cadre du processus révolutionnaire cubain ?

Mariela Castro. Bien entendu ! C’est la plate-forme, le scénario. Moi, j’ai une formation marxiste qui me permet de comprendre la société dans laquelle je vis et ce que nous entendons par socialisme. Une société en transition socialiste telle que la société cubaine doit être vigilante à ne pas reproduire les mécanismes de domination préexistants.

Je pense que cette bataille pour la dignité pleine des personnes est en cohérence avec un processus de transformation sociale pour l’émancipation des êtres humains qu’est le socialisme. Cette idée, on ne peut pas la perdre de vue. Sans elle, justement, on continue ailleurs à reproduire les mêmes schémas avec les femmes, les homosexuels ou les immigrants.

Pour la première fois dans l’histoire du PCC, dans le document qui sera présenté à la conférence nationale en janvier 2012, on parle des droits à l’orientation sexuelle. On le discute dans toute la population. Nous, au Cenesex, nous avons fait pas mal de suggestions, notamment d’y inclure le concept d’identité des genres et non seulement l’orientation sexuelle. Car, avec cette identité, on a la protection des personnes par rapport au genre.

Vous parlez du respect de la personne humaine et de ses droits pleins et entiers, n’y a-t-il pas aussi d’autres combats à mener sur la liberté d’expression ?

Mariela Castro. Personne ne peut nous empêcher de nous exprimer. Ça, c’est un mythe. Personne ne peut se taire à Cuba. Le système colonial espagnol n’a pas pu nous faire taire, ni le colonialisme nord-américain, pas plus que la dictature militaire imposée par les États-Unis. Nous avons toujours dit ce que nous pensons. Chacun est maître de ce qu’il dit, de ce qu’il fait. Il faut aussi en assumer la responsabilité.

 La liberté, c’est assumer ses responsabilités, de jouer le tout pour le tout, de prendre des décisions. Et c’est vrai partout. Par rapport à la liberté de la presse, je serais tenté de dire que nulle part elle n’existe. Elle dépend de ceux qui maîtrisent les moyens de communication, les propriétaires, les groupes financiers, les actionnaires, les éditeurs, la politique d’État.

À Cuba, il y a un grand nombre de blogs indépendants et des milliers de blogueurs intéressants, courageux dans leurs remises en questions tout en assumant leurs responsabilités, sans apport d’argent d’un pays qui veut nous maîtriser, nous harceler. Certes, un petit nombre d’entre eux reçoivent de l’argent du gouvernement des États-Unis pour inventer des histoires contre Cuba.

"Qui connaît vraiment, autrement que par la déformation, la réalité quotidienne des Cubains et leur capacité d'avancer?"

Depuis plus de cinquante ans, nous subissons une véritable guerre idéologique dans le but d’achever la révolution. La campagne médiatique contre Cuba est de plus en forte. Le département d’État américain y a injecté plus de 20 millions de dollars. Avec cet argent, il paie des blogueurs, des journalistes nord-américains ou européens, pour nous discréditer. Mais qui connaît vraiment, autrement que par la déformation, la réalité quotidienne des Cubains et leur capacité d’avancer ?

Concernant Cuba, je souhaiterais une presse plus critique, qui fasse un vrai travail d’enquête. Et critiquer ne veut pas dire manquer de respect si cela répond à l’éthique journalistique.

Un seul parti dominant la politique cubaine, est-ce suffisant ?

Mariela Castro. Bon ! Celui qui a inventé le parti unique, ce n’est pas Fidel, mais José Marti. Face à la menace étrangère, il n’y avait pas d’autre option que de rallier la volonté des Cubains, ce que Marti appelait le «parti révolutionnaire». Le PCC a hérité de ce parti révolutionnaire créé par José Marti.

Grâce à l’unité dans ce parti unique, on a réussi à gagner l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne, mais elle a été frustrée du fait de l’intervention nord-américaine. Les Cubains se sont encore unis pour accéder à leur souveraineté. C’est pourquoi c’est un parti qui comprend énormément de diversité, inclut les religions et a différentes positions. Mais le principe est très clair sur la souveraineté nationale, la défense de cette souveraineté, le développement du pays sur la base de la justice et de l’équité sociale.

Voilà, c’est ça, le projet. Le peuple cubain a ce qu’il veut. Le PCC ne postule pas aux mandats électifs, c’est le peuple dans les quartiers qui décide et postule.

Quel est le sens de la formule de votre père, Raul Castro, quand il dit : il faut avancer 
« pas à pas » ?

Mariela Castro. Tout changement brusque peut être d’une grande irresponsabilité. Le processus de construction et le changement d’état d’esprit exigent du temps, beaucoup plus qu’une consultation populaire. Quand il dit «pas à pas», c’est consolider chaque pas que l’on fait, ne pas être superficiel et n’oublier personne. Il m’a dit à plusieurs reprises d’essayer d’avoir un point de vue éducatif auprès de la population avant de l’amener sur un projet de loi, sinon celle-ci ne sera jamais votée.

 Ce que nous avons fait en sensibilisant les Cubains, les députés. Lui travaille dans ce sens, je crois que c’est un bon stratège. Des gens aimeraient que Cuba se presse dans les changements. Lui répond : «Je voudrais me presser, mais je ne peux pas imposer.» Il faut trouver un certain consensus, tout au moins, pouvoir compter sur la majorité.

Quelles sont les priorités pour les Cubains aujourd’hui ?

Mariela Castro. Des tas de choses ! Surtout il s’agit de renforcer notre économie pour être autosuffisants. D’une certaine manière, le tourisme peut nous aider à réaliser des progrès. Malgré le blocus économique et commercial envers Cuba, le tourisme nord-américain a augmenté de façon incroyable. Les Nord-Américains ont envie de venir à Cuba, nombreux arrivent par des voies détournées pour ne pas être pénalisés aux États-Unis.

Le fait d’être sanctionnés par la loi du blocus est, au passage, est une violation des droits des citoyens nord-américains et de la Constitution. Alors, oui, il nous faut avancer, créer de nouveaux mécanismes. Et ça vient ! Cuba surprend toujours, même nous, nous surprenons.

À son élection, Obama avait nourri quelques espoirs vis-à-vis de Cuba. Mais rien n’a changé…

Mariela Castro. Obama ne s’est pas acquitté des responsabilités de son programme. Les États-Unis continuent à être hégémoniques. Ils sont la police du monde, ils nous contrôlent tous. Je constate que l’Europe leur a emboîté le pas en établissant une position commune contre Cuba. C’est d’un cynisme ! Cela démontre qu’elle est subordonnée à la politique des États-Unis.

Vous êtes la fille de Raul et la nièce de Fidel. L’héritage n’est-il pas trop lourd à porter ?

Mariela Castro. Parfois oui, parfois non ! Non pour tout ce qu’on vous fait porter de façon symbolique par rapport à l’héritage familial. Certains inventent une responsabilité qu’ils aimeraient me voir endosser, qui ne me correspond pas ; d’autres veulent que, dans l’avenir, je sois présidente de la République. S’ils me connaissaient bien, ils ne le voudraient pas ! Cela n’a rien à voir avec mes aspirations.

D’autre part, j’ai reçu beaucoup de gratifications à Cuba et dans de nombreux pays. On m’a dit des choses très belles, pleines d’admiration, de respect, d’affection et de remerciements. On m’a raconté des anecdotes de mes parents que j’ignorais. Alors je me sens fière de la famille dans laquelle je suis née. Ils m’ont transmis des valeurs, une éthique. Et si je suis rebelle, ce n’est pas de ma faute, c’est de la leur. Ils l’ont été beaucoup plus que moi et continuent de l’être, c’est pourquoi j’ai beaucoup d’admiration. Mais moi, je ne veux pas être comme eux.

À lire :

--> Raul vu par Mariela...

Entretien réalisé par Bernard Duraud pour l'Humanité

 

03/11/2012

Rythmes scolaires : vrai débat ou écran de fumée  ?

education, enseignement, luc chatel, enseignants, vincent peillon, rythmes scolaires, jean-yves rochex, célestin freinet,Présenté comme une priorité par Vincent Peillon, l’aménagement du « temps ­scolaire » est devenu le centre de gravité de toute réflexion sur l’école. Un débat survalorisé qui, pour beaucoup de spécialistes, ne répondra pas aux causes profondes des difficultés des élèves.

Posez-lui la question et Maud, enseignante dans une école de Stains, en Seine-Saint-Denis, vous répondra du tac au tac. « La réforme des rythmes scolaires ? Franchement, je ne comprends pas qu’on s’acharne là-dessus. Pour moi, ce n’est vraiment pas la priorité. » Opinion iconoclaste ? Pas du tout. À ses côtés, Dominique, prof dans ce même établissement de quartier populaire, pense exactement la même chose. Et assure même ne pas ressentir « de difficultés particulières chez les élèves pour tenir les six heures de classe ». L’air lassé, la jeune femme finit par ajouter : « La priorité, si l’on veut lutter contre l’échec scolaire, ce devrait être surtout de s’assurer qu’il y ait déjà bien un enseignant dans chaque classe, ce qui est loin d’être le cas dans notre département… »

Étonnant. Alors que le débat sur le « temps scolaire » est devenu depuis deux ans le centre de gravité de toute réflexion sur l’école, deux profs interrogées au hasard peinent à en voir la pertinence. Elles ne sont pas les seules. Et leur réaction, largement partagée, illustre bien les sérieux doutes qui montent autour de cette réforme annoncée. Certes, elle passionne la plupart des médias, bien des parents et le secteur touristique. Mais elle inquiète aussi pas mal de spécialistes du monde éducatif, agacés de voir la question plus générale de l’échec scolaire réduite à cette simple dimension du temps scolaire. « On a l’impression que c’est un écran de fumée pour ne pas aborder des questions plus sensibles et fondamentales », résume encore Dominique.

Une course contre la montre

education, enseignement, luc chatel, enseignants, vincent peillon, rythmes scolaires, jean-yves rochex, célestin freinet,Évidemment, les chiffres répétés à longueur de rapports ne peuvent nous laisser indifférents. Comparée à ses voisins européens, la France possède, en primaire, le plus petit nombre de jours de classe par an (140) et l’un des plus grands nombres d’heures de cours (817). Moins que l’Espagne (875) ou l’Italie (891), mais bien plus que l’Angleterre (798), l’Allemagne (564) ou encore la Finlande (569), présentée souvent comme un modèle en matière d’éducation. Nos journées d’école sont donc peu nombreuses et extrêmement denses. Une caractéristique aggravée par l’instauration de la semaine de quatre jours, en 2008, et de trente ­minutes quotidiennes d’aide personnalisée, souvent glissées à l’heure du repas ou en fin d’après-midi. Résultat ? Une course contre la montre qui nuit en priorité aux élèves en difficulté.

« C’est sûr, il y a nécessité à desserrer le rythme de la semaine, convient Cédric Turco, secrétaire général adjoint du Snuipp-FSU dans le Var. Mais ce n’est pas ça, non plus, qui va permettre à tous les enfants de réussir. Les effectifs de nos maternelles tournent autour de trente élèves, la scolarisation des enfants de moins de trois ans a fait un bond de vingt ans en arrière, les réseaux d’aide aux enfants en difficulté ont été décimés, 182 collègues ne sont pas remplacés chaque jour dans le département… C’est ça, surtout, qui freine la réussite scolaire et qui nécessiterait de gros moyens humains. Or, pour l’instant, on ne les voit pas venir. »

C’est bien le problème. Depuis des mois, Vincent Peillon, dénonçant la réforme de ses prédécesseurs qui « maltraite » les enfants, a choisi de faire des rythmes scolaires l’un des axes principaux de sa refondation. Laissant penser que si les écoliers français s’ennuient et se désintéressent, c’est qu’ils croulent sous des heures de classe inadaptées à leurs rythmes biologiques. Alléger les journées et s’assurer du « bien-être physique » de l’enfant, ce serait donc la bonne solution pour « lutter contre les inégalités et l’échec scolaire ». Seulement voilà. Jusqu’ici, rien ne vient étayer cette fausse évidence. Aucune étude ne démontre l’influence directe des rythmes scolaires sur les résultats des élèves. Les travaux de Jean-Yves Rochex, professeur en sciences de l’éducation à Paris-VIII, ­incitent même à penser le contraire. Les enfants qui réussissent le mieux viennent non seulement de milieux socioculturels favorisés mais ont surtout des emplois du temps bien chargés avec de nombreuses activités artistiques et culturelles en dehors – et en plus – de l’école. En revanche, les enfants qui échouent sont, en général, ceux qui en ont le moins. « Diminuer les exigences scolaires est une impasse », assure le chercheur.

"cours le matin, sports l’après-midi "

education, enseignement, luc chatel, enseignants, vincent peillon, rythmes scolaires, jean-yves rochex, célestin freinet,Le bilan de l’expérimentation « cours le matin, sports l’après-midi » vient le confirmer. Lancée à la rentrée 2010 par Luc Chatel, cette organisation devait permettre « la réussite des élèves ainsi que l’amélioration de leur bien-être et de leur santé ». 7 000 élèves, dans 120 collèges et lycées volontaires, ont bénéficié chaque semaine de deux heures et demie de pratique sportive et de deux heures de pratique culturelle supplémentaires l’après-midi.

Résultat après un an ? Mitigé. Les élèves ont dit se sentir « mieux dans leur corps » et les parents ont affirmé que « la santé de leur enfant est restée stable ou s’est parfois améliorée ». En revanche, aucune « influence notable » sur la ponctualité, les absences et les sanctions. Ni sur les « capacités de concentration, d’attention, de mémorisation et d’effort ». Quant à la réussite scolaire, la moitié des parents d’élèves ont constaté que les résultats de leur enfant étaient « identiques à ceux de l’an dernier ». Autre exemple : ­l’Allemagne. Présentés comme « modèle », les après-midi sportifs et culturels sont rendus responsables du mauvais classement du pays aux évaluations internationales. Depuis 2004, plus de 4 milliards d’euros ont été investis pour permettre à un tiers des écoles primaires et à un quart des collèges d’offrir une journée complète de classe…

Pour beaucoup, il est ainsi vain et dangereux de chercher à réduire le débat aux caractéristiques individuelles, voire biologiques, des élèves. « Une telle problématique ne se donne guère les moyens de penser le temps scolaire en termes d’activités susceptibles non de s’adapter à ce que sont les enfants – ou supposés être –, mais de leur permettre de transformer ce qu’ils sont », écrit le chercheur. S’il s’agit de lutter contre la lassitude et l’échec scolaire, le vrai défi n’est pas de diminuer la quantité de cours offerts mais d’augmenter leur pertinence pédagogique pour accrocher tous les élèves.

À sa manière, Stéphanie, professeure à Paris, fait le même constat. « On le sait bien, en cours, la fatigue de l’enfant dépend beaucoup de ce qu’il a fait à la maison – s’il s’est couché tôt, s’il a regardé la télé avant de venir – mais aussi de sa motivation, de l’intérêt qu’il va trouver dans ce qu’on cherche à lui apprendre. Moi, ça m’est arrivé de faire des séances de français où on ne voyait pas le temps passer, même si certains dans la classe étaient sûrement crevés avant de venir ! »

Du coup, les préconisations des chronobiologistes, qui situent la « disponibilité optimale » des enfants du primaire entre 9 heures et 11 heures et entre 14 h 30 et 16 heures, apparaissent presque secondaires. Dès 1964, le célèbre pédagogue Célestin Freinet s’insurgeait contre le vrai-faux débat sur la fatigue à l’école. « Il est admis officiellement que le jeune enfant ne peut pas travailler plus de quarante minutes, et qu’il faut ensuite, dans toutes les classes, dix minutes de récréation. Or nous constatons expérimentalement que cette règle scolastique est fausse : lorsqu’il est occupé à un travail vivant qui répond à ses besoins, l’enfant ne se fatigue absolument pas et il peut s’y appliquer pendant deux ou trois heures. » Sans aller jusque-là, Cédric Turco, notre enseignant du Var, partage cette nécessité de repenser les contenus pédagogiques. « Le problème, c’est que ce sujet crucial est caché par celui des rythmes et par les conditions actuelles d’enseignement qui rendent difficile toute réflexion. »

Nécessité de repenser les contenus pédagogiques

Et les mois qui viennent, sur fond d’austérité budgétaire, s’annoncent rudes, tant le débat sur les rythmes se révèle à double détente. Mi-octobre, le gouvernement a fait ses propositions : retour à une semaine de quatre jours et demi, avec école le mercredi matin. Les enseignants assureraient trente minutes de devoirs en classe entre 15 h 30 et 16 heures, tandis que la dernière demi-heure d’activités périscolaires serait à la charge des communes. La proposition ne change pas grand-chose pour les élèves et a déçu les enseignants, sommés de travailler une matinée de plus sans aucune contrepartie. « Où sont passés l’ambitieuse réforme des rythmes scolaires et ses objectifs de réussite pour tous ? » s’interroge le Snuipp-FSU, principal syndicat du primaire.

Pour l’instant, si la réforme est « ambitieuse », c’est surtout en matière de décentralisation. À travers cette refonte des rythmes, le gouvernement cherche à obtenir une implication plus grande des collectivités locales, sans rien préciser des financements qui pourraient rééquilibrer les inégalités territoriales. « Tout cela s’articule avec l’acte III de la décentralisation, alerte Marine Roussillon, animatrice du réseau école du PCF. On risque de se diriger vers un service public plus municipal que national. Avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir en termes de politique scolaire et de creusement des inégalités. » Cette perspective, Cédric Turco la redoute. « Vous imaginez une école primaire dans une municipalité FN ? Le caractère national de l’éducation est l’une des choses que l’on a réussi à sauver sous la droite. Ce serait quand même paradoxal qu’un gouvernement de gauche se serve des rythmes scolaires pour s’y attaquer. »

Rythme. Le rythme veille-sommeil est le principal synchroniseur des rythmes biologiques et biopsychologiques des êtres humains dans la journée et d’une journée à l’autre. Lui-même synchronisé par l’alternance du jour et de la nuit, ce rythme circadien (d’une durée 
de vingt-quatre heures) est endogène, c’est-à-dire produit par notre horloge biologique. En revanche, les chronobiologistes n’ont découvert, chez l’enfant, aucun rythme biologique ou biopsychologique 
dont la période soit 
d’une semaine ou 
d’une année. De quoi relativiser le débat sur 
la semaine de 4,5 jours...

Laurent Mouloud, l'Humanité