Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/05/2019

« Faut des idées! » Virginie Martin s’entretient avec Ian Brossat

Virginie Martin.jpgBrossat-3.jpg« Faut des idées! » est la nouvelle rubrique d’entretien politique pour le site de la Revue Politique et Parlementaire, animée par Virginie Martin.

À la veille des élections européennes, la politiste Virginie Martin s’entretient avec l’ensemble des principales têtes de liste. Démocratie, économie, culture : toutes et tous ont répondu sans filtre et très librement à nos questions.

Quand la politique renoue avec les idées… Dès ce Lundi 6 mai, retrouvez le nouveau rendez-vous de la RPP… Ian Brossat, chef de file de la liste PCF pour les élections européennes a bien voulu essuyer les plâtres… Un jour, un entretien.

« Une démocratie qui recule », Ian Brossat, tête de liste PCF, Européennes 2019

Virginie Martin : La démocratie, ou en tout cas, l’idéal démocratique semble être fragile/fragilisé. Quelle est votre lecture de ce « supposé » déficit démocratique ?

 Ian Brossat : Je pense surtout que nous avons aujourd’hui une démocratie qui recule parce que le pouvoir est entre un nombre de mains de plus en plus réduit. Il y a donc un hiatus énorme entre la promesse démocratique qui nous a été faite et la réalité de ce que vivent nos concitoyens. Un recul démocratique à la fois dans la cité et dans l’entreprise.

Dans la cité premièrement parce que, année après année, les pouvoirs qui se succèdent ne respectent pas leurs promesses électorales.

En matière européenne cette logique a été poussée jusqu’à l’absurde notamment après le referendum sur le traité constitutionnel européen qui n’a pas été respecté et qui, malgré le vote négatif des français, leur a été imposé d’une certaine manière du temps où Nicolas Sarkozy était Président de la République puisqu’il est passé par voie parlementaire.

Les français votent, les français s’expriment. Lorsqu’ils s’expriment ils disent souvent leur refus du libéralisme mais finalement malgré leur vote, le libéralisme leur est systématiquement imposé.Et deuxièmement, à l’échelle de l’entreprise cette logique-là est poussée jusqu’à la caricature puisqu’avec la financiarisation de l’économie les salariés n’ont plus du tout voix au chapitre. Ils ne sont en réalité qu’une variable d’ajustement et ce sont eux qui systématiquement payent les pots cassés. C’est une des choses qui me frappe le plus dans cette campagne électorale en discutant avec des salariés en lutte. Je pense aux salariés des fonderies du Poitou, aux salariés d’ASC ou à d’autres. A chaque fois ce qu’ils expriment, c’est évidemment une colère liée à la crainte du licenciement à venir, mais pas seulement. C’est aussi une grande frustration de ne pas avoir été entendu sur les choix stratégiques réalisés par leur entreprise et la conviction qu’ils auraient pu faire des choix plus judicieux s’ils avaient été consultés. Je trouve que c’est une dimension qu’on n’entend d’ailleurs pas suffisamment. Un salarié se bat évidemment pour son emploi mais aussi, bien souvent, pour la défense de son entreprise, l’activité de son entreprise et l’avenir de son territoire. C’est à mon sens ce qu’il y a de plus touchant dans la mobilisation de salariés qui se lèvent un peu partout en France notamment dans le domaine industriel.

Un déficit démocratique à l’échelle de l’entreprise

Donc un déficit démocratique à l’échelle de la cité mais aussi à l’échelle de l’entreprise. Or cette question de la démocratie à l’échelle de l’entreprise est finalement très peu abordée aujourd’hui y compris dans le mouvement des gilets jaunes.

Même en matière de pouvoir d’achat, l’un des déficits de ce mouvement qui par ailleurs a plein de bons aspects c’est qu’il tourne essentiellement son regard vers le pouvoir politique mais finalement très peu vers le patronat et notamment le grand patronat.

C’est d’ailleurs ce qui a permis à Macron dans un premier temps de mettre en place, avec ses premières annonces, les fameux 10 milliards d’euros du mois de décembre. L’essentiel de ces annonces sont des annonces qui puisent dans les recettes de l’Etat avec une augmentation du SMIC qui n’en est pas une en réalité. C’est finalement une aide sociale qu’il va falloir aller chercher à la CAF et le patronat lui, est quasiment exonéré de tout effort. Or, à mon sens, on ne pourra répondre à l’exigence de justice sociale qui monte dans le pays qu’à la condition de mettre à contribution les plus gros revenus.

VM : La prime de fin d’année reste au bon vouloir de l’entreprise…

IB : Exactement. Je discutais tout à l’heure avec un salarié d’Amazon. Amazon n’est quand même pas une entreprise qui est en grande difficulté financière puisque Jeff Besos est l’homme le plus riche du monde. Pourtant Amazon a consenti à une prime de 500 euros estimant que 1000 euros c’était trop. On voit bien là les limites d’une politique gouvernementale qui agit par la contrainte vis-à-vis des ménages modestes et au volontariat lorsqu’il s’agit des gros portefeuilles.

VM : Quelles sont les solutions que vous pouvez préconiser pour combler ce déficit démocratique à la fois dans la cité et dans l’entreprise ?

IB : D’abord je pense que le grand paradoxe de la période dans laquelle nous vivons c’est que nos concitoyens sont de plus en plus formés et devraient être bien davantage qu’hier en capacité de participer aux décisions. Or, dans le même temps leur pouvoir de décision est de plus en plus réduit. On est là au cœur de la contradiction de la période dans laquelle nous vivons. Beaucoup de nos concitoyens auraient des tas de choses intéressantes à dire sur beaucoup de sujets précisément parce que leur niveau de formation a considérablement augmenté au cours des dernières décennies. Mais dans le même temps ils sont frustrés parce que le fonctionnement de nos institutions et des entreprises ne leur permet pas d’intervenir sur les choix stratégiques.

Même si je n’en fais pas un totem, nous portons l’idée d’une VIème république depuis longtemps

Donc je suis favorable à une réforme profonde de nos institutions. Le Parti Communiste porte depuis longtemps l’idée d’une VIème République même si je n’en fais pas un totem nous avons besoin d’une réforme profonde de nos institutions : démocratisation profonde de nos institutions qui de la cité à l’entreprise permette que le pouvoir soit entre un nombre de mains beaucoup plus importante que ça n’est le cas aujourd’hui. Au passage j’ai revu le projet des réformes de nos institutions que nous avions fait dès la fin des années 90 et nous proposions déjà un référendum d’initiative populaire dans le cadre de ce projet de constitution que nous avions commencé.

VM : Aujourd’hui quand on parle justement de référendum d’initiative populaire ou citoyenne la réponse immédiate est : « la peine de mort, l’ivg risquent d’être remises en cause… » Comment répondre à cela ?

IB : D’abord c’est un vrai sujet. Le peuple n’a pas toujours raison et n’a pas par principe raison. Il est vrai que si en 1981 nous avions procédé par référendum il y a fort à parier que la peine de mort n’aurait pas été supprimée.

Je suis favorable à la fois au référendum d’initiative citoyenne mais favorable à ce qu’il soit encadré de telle sorte qu’il ne puisse pas conduire à une remise en cause des droits fondamentaux. La constitution est aussi là pour nous prémunir. Mais la question reste délicate et doit être maniée avec beaucoup de prudence.

Mais je vois ce qui se dessine avec le Président qui doit annoncer ses propositions jeudi. Je vois bien l’idée de limiter la démocratie participative aux enjeux locaux puisque c’est ce qu’il prévoit de faire. Je trouve ça quand même très méprisant et très révélateur d’une manière de considérer qu’au fond nos concitoyens ont le droit de se prononcer sur la configuration de nos ronds-points mais sont incapables de discuter d’enjeux nationaux.

Nos concitoyens ont aussi un avis sur la politique nationale ; la démocratie participative ne peut pas être confinée aux seuls enjeux locaux, c’est très méprisant.

VM : Et dans l’entreprise, plus de démocratie ça passe par quoi ? Quid des syndicats notamment ? Parce que la désyndicalisation est maintenant structurelle. Et avec une désintermédiation généralisée, il n’est pas sûr que cela change vraiment.  

IB : Au-delà même de la question des syndicats, l’enjeu à mon sens c’est celui de la capacité qu’on donne aux salariés d’intervenir sur les choix de leur entreprise. Je serais par exemple favorable à ce que en cas de plan de licenciement, de plan social, les salariés puissent disposer d’un droit de véto de telle sorte qu’avant d’imaginer un plan social les salariés aient toutes possibilités d’envisager des scénarios alternatifs. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui avec des salariés qui sont complètement prisonnier des choix réalisés par les dirigeants des entreprises qui eux-mêmes agissent sous les ordres des actionnaires.

Relativiser la faiblesse des syndicats

Après sur la crise des syndicats, il faut quand même relativiser tout ça. Un syndicat comme la CFDT ou comme la CGT compte plus d’adhérents que tous les partis politiques réunis. Ça nous invite quand même à relativiser tout cela. Puis il y a tout de même une responsabilité des pouvoirs politiques successifs qui depuis les années Sarkozy a consisté à écraser les syndicats et à théoriser le fait que le pouvoir politique devait faire tous les jours la démonstration qu’il était capable de passer en force y compris contre l’avis des syndicats.

Et de ce point de vue, Macron est sans doute celui qui a poussé cette logique jusqu’à l’extrême. Personne ne m’enlèvera de la tête que la popularité et la puissance du mouvement des gilets jaunes est lié au fait que beaucoup de gens se sont dit que les mobilisations syndicales ne permettaient pas d’aboutir. Des mobilisations sociales menées par les syndicats avant les gilets jaunes dans le quinquennat de Macron il y en a eu : une mobilisation très forte des cheminots, des mobilisations de retraités. Le pouvoir en place n’en a tenu aucun compte.

C’est ce discrédit jeté sur les syndicats et entretenu par le pouvoir qui a ouvert la brèche à autre chose et cet autre chose c’est notamment le mouvement des gilets jaunes. Il fallait bien que la colère s’exprime d’une autre manière.

Je trouve d’ailleurs qu’il y a une vraie question qu’on ne s’est pas posée : qu’est-ce qui fait que le mouvement des gilets jaunes est le seul mouvement qui, depuis le début du quinquennat Macron, ait un peu fait reculer le pouvoir ? Ils ont lâché 10 milliards et ils ont renoncé à la fameuse taxe carbone alors même qu’ils n’ont pas renoncé à la réforme de la SNCF malgré la mobilisation des cheminots.

Beaucoup de gens se sont dit qu’il n’y avait que par la violence qu’on se faisait entendre.

Il y a deux choses. Premièrement, le fait que la mobilisation des gilets jaunes, au moins à ses débuts était soutenue de manière très massive par les français (plus de 7 français sur 10) et deuxièmement dans quelle mesure la violence a contribué à faire reculer le pouvoir. Cette peur que le mouvement du même coup a suscitée au sein d’une partie de la bourgeoisie française. Il faut appeler les choses par leur nom. Mais du coup c’est une drôle de leçon politique. Beaucoup de gens se sont dit qu’il n’y avait que par la violence qu’on se faisait entendre. Je ne dis pas que le gouvernement a eu tort de reculer face au mouvement des gilets jaunes mais je pense qu’il aurait pu tenir compte des mouvements sociaux qui s’étaient tenus avant à plus bas bruit exprimant déjà une colère face à l’injustice sociale.

Il a donné le sentiment d’accorder une prime à la violence.

Je pense qu’il y aussi une stratégie assez perverse du pouvoir en place qui consiste à s’adresser à une partie de la France : la France qui s’en sort correctement.

Je crois que Giscard voulait s’adresser à deux français sur trois. Macron, lui, veut s’adresser à un français sur trois : cette France qui se porte correctement. Il s’adresse à eux en considérant qu’avec 30% des voix il a son ticket d’entrée pour le deuxième tour de la présidentielle comme la dernière fois et peut tout à fait remporter la présidentielle une nouvelle fois face à l’extrême droite dans le cadre d’un duel.

Cela pose, à mon sens, deux problèmes.

Premièrement, c’est un vrai problème démocratique d’avoir un Président de la République qui assume quasiment de ne plus être le président de tous les français et qui, de fait, gouverne pour un tiers de la population.

Deuxièmement, c’est une stratégie qui est dangereuse parce que rien ne nous dit qu’au deuxième tour de la présidentielle ce sera lui qui gagnera. Parce que si la colère continue à monter jusqu’en 2022 il n’est pas certain que l’extrême droite soit toujours battue. C’est une stratégie périlleuse mais je pense que c’est la sienne.

VM : Même pour le pluralisme démocratique ce n’est pas très sain…

IB : Exactement, je vois bien comment toute la campagne des élections européennes est construite par Macron autour de cette stratégie-là : c’est nous ou le chaos, les libéraux ou l’extrême droite, progressistes ou conservateurs.

Il n’y a pas la place pour un troisième chemin.

Mais je trouve ce discours très dangereux. Premièrement parce que cela signifie qu’on jette dans les bras de l’extrême droite tous ceux qui ne sont pas d’accord avec les politiques libérales alors que beaucoup de gens sont contre pour des raisons diverses.

En faisant ça on donne quasiment un brevet social à l’extrême droite c’est-à-dire que l’on signifie que la contestation sociale passe par le vote d’extrême droite.

Or l’extrême droite, contrairement à ce que l’on nous raconte, n’est pas du côté des ouvriers et des employés : pas favorable à l’augmentation du SMIC ou au rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune.

Et au Parlement Européen, leurs votes ne vont également pas dans le sens des ouvriers ou des employés : c’est le cas de celui de la directive sur le secret des affaires. Leurs alliés à l’intérieur de l’Union Européenne, notamment leurs alliés autrichiens mettent en place la semaine de 60h de travail.

On ne peut pas laisser passer l’idée que l’extrême droite est du côté des employés et des ouvriers. Je ne dis pas que Macron est le seul responsable de cette bipolarisation de la vie politique. L’incapacité de la gauche à incarner une alternative y est pour beaucoup mais on voit bien qu’il joue sur du velours et qu’il cherche lui, à construire un paysage politique bipartisan qui à mon sens est très dangereux. 

VM : « L’économie de marché », dans son acception classique des années passées, semble être remise en cause par beaucoup. Elle ne semble plus être l’unique ou quasi unique socle des programmes politiques. Quelle est votre regard sur cette critique de plus en plus aiguisée de l’économie de marché ?

IB : Ce qui est sûr c’est que le modèle libéral est de plus en plus contesté. Je suis favorable à une économie puissamment régulée par l’Etat par un développement important des services publics. Cela fait des années maintenant, des décennies, que l’on a vu l’Etat faire reculer les services publics dans nos territoires et dans un certain nombre de secteurs stratégiques.

Notre pays va plus mal depuis que les services publics ont reculé. Après 1945, la France a développé un modèle économique particulier avec un secteur public puissant adossé à des entreprises publiques puissantes qui disposaient d’un monopole dans un certain nombre de secteurs : le secteur de l’énergie, le secteur des transports, le secteur des télécoms… Avec l’idée que ces secteurs-là étaient des secteurs essentiels et que dès lors, ils ne devaient pas relever du marché pour répondre à une logique d’intérêt général. Ce système avait plutôt donné satisfaction. C’est ce qui permettait notamment un équilibre de nos territoires visant à faire en sorte que tout citoyen ait accès aux droits fondamentaux quel que soit ses revenus et quel que soit le lieu dans lequel il habite.

Un secteur public qui recule ; une mise en concurrence non bénéfique 

Ce modèle a été brisé notamment parce que l’Union Européenne avec la complicité de nos gouvernements a décidé qu’il fallait tout mettre en concurrence. C’est aujourd’hui la logique de concurrence qui l’emporte dans ces secteurs clés. Est-ce que cette mise en concurrence a été bénéfique ? Non. Dans le secteur de l’énergie contrairement à ce que l’on nous a dit les prix n’ont pas baissé. Dans le secteur du transport ferroviaire c’est la concurrence depuis 2006 et il y a deux fois et demi de marchandises en moins qui circulent par le train qu’avant. Ce sont autant de marchandises qui circulent par la route. Le bilan de cette libéralisation générale n’est pas positif loin de là et on voit d’ailleurs dans le même temps le service public reculer dans nos territoires. Facteur qui a joué un rôle clé dans la mobilisation des gilets jaunes à laquelle on assiste ces derniers mois. Je suis favorable à un retour de l’Etat dans ce secteur et donc à la présence d’un état plus puissant dans ces secteurs clés. Deuxièmement quand je parle d’une économie régulée cela signifie que sur la question de l’utilisation de l’argent, l’Etat doit être plus présent notamment au travers de la nationalisation d’une banque.

Je pense qu’on aurait besoin d’une banque publique qui permette de contre balancer le rôle des banques privées.

Surtout quand on voit que la Banque Centrale Européenne ouvre en permanence son robinet pour alimenter les banques privées sans condition. Je ne suis pas hostile à ce qu’on prête de l’argent aux banques privées mais prêter sans condition et sans veiller à ce que l’utilisation de cet argent aille vers l’économie réelle cela nous confronte à des problèmes redoutables. Donc le retour de l’Etat dans le domaine économique est essentiel.

VM : C’est un constat que beaucoup de gens partagent néanmoins le modèle libéral semble continuer à s’imposer. Ce sont les GAFA qui, pour faire vite, gagnent encore alors que beaucoup partagent vos constats et vos théories. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

 IB : C’est très paradoxal. Je dirais même contradictoire. Partout dans nos territoires je vois des mobilisations pour les services publics. Il n’y a pas un seul territoire où l’on ne se bat pas au travers un comité de défense pour l’hôpital du coin, la maternité, les chemins de fer, les bureaux de poste ou même pour les centres des impôts.

Des mobilisations, il y en a mais idéologiquement nous sommes faibles et nous avons pour l’instant, perdu la partie. J’ai souvent l’impression d’être dans un match de boxe où les libéraux boxent pendant que nous laissons passer les coups. Sur le terrain en tout cas je pense que la gauche a perdu beaucoup de points et que les libéraux eux, mènent la bataille idéologique de manière bien plus puissante et efficace que nous. Pourtant la partie n’est pas définitivement perdu parce qu’il y a un terrain favorable au retour de ces idées. Mais la gauche n’est pas suffisamment organisée, on se bat de manière très désordonnée.

VM : On finit par donner raison à Gramsci, la bataille culturelle serait perdue de ce point de vue là ? Par ailleurs, l’idée d’un pragmatisme versus une idéologie ne vous nuit pas ?

IB : Oui c’est un mensonge éhonté mais bien sûr qu’ils ont marqué des points avec ça. Ils présentent tout comme une évidence et ça pèse dans la balance mais je pense que la gauche ne regagnera qu’à la condition de mener à nouveau la bataille des idées. Nous sommes peu nombreux à mener cette bataille y compris sur les plateaux de télévision.

Ce n’est pas original comme thèse, comme vous le disiez c’est Gramsci mais c’est une question redoutable à laquelle nous sommes confrontés. Je le dis d’autant plus que je ne suis pas un grand théoricien. Je suis un élu local et je consacre l’essentiel de mon énergie à faire du logement social. Prenons l’exemple d’un secteur comme le logement. Tout ce qu’on nous raconte en nous le présentant comme le bon sens libéral est en réalité contraire à tout ce que je peux constater dans les faits. On nous répète souvent que pour résoudre le problème du logement il faut construire davantage. Dans une ville comme Paris ceux qui nous répètent ça racontent n’importe quoi. À Paris on ne peut plus construire un seul logement. Personne ne nous fera croire qu’on pourra construire à Paris des dizaines de milliers de logement, cette ville est pleine comme un œuf. Le seul moyen pour résoudre le problème c’est d’accepter qu’il faille réguler le marché privé et intervenir sur celui-ci : encadrer le loyer et assumer le fait que les pouvoirs publics ont vocation à intervenir dans ce secteur.

La loi Alur était justement logique et pragmatique, elle a pourtant été critiquée puissamment

Ce qui se présente comme une espèce d’évidence est contraire à la réalité et par ailleurs, assez aisément observable pour n’importe quelle personne qui connait cette ville. Ils ont réussi effectivement à imposer leurs idées. Quand je vois le martyr qu’a subi Cécile Duflot quand elle était ministre alors même qu’elle a mené une politique qui, à mon sens était plutôt juste. En faisant voter la loi Alur elle a été confrontée à une bataille purement idéologique menée par des lobbys qui ont par ailleurs consacré beaucoup d’énergie et beaucoup d’argent pour qu’elle soit finalement désavouée par le pouvoir en place. C’est le bon exemple pour montrer que l’idéologie est parfois plus puissante qu’une politique pragmatique. Contrairement à tout ce qu’on a pu raconter en voulant la faire passer pour une dogmatique, le pragmatisme était du côté de Duflot.

VM : Comment travailler alors à gagner cette bataille culturelle ?  

IB : Le nombre, le nombre ! On est quand même nombreux et majoritaire à avoir intérêt à ce que ça change. Le problème c’est que nous sommes désorganisés.

Une formation politique comme la mienne est aujourd’hui capable de financer une campagne électorale précisément parce qu’elle repose sur des adhérents qui sont généreux et qui sont prêt à donner. Ce sont nos militants notre banque et si nous étions mieux organisés et plus nombreux nous viendront à bout de ce problème. Je suis peut-être naïf mais c’est en tout cas ce que je pense. 

VM : On parle peu d’arts et de culture (« cultivée » ou populaire) dans les débats politiques en général. Quel est votre ressenti sur ces questions ? De votre côté qui vous accompagne sur vos chemins culturels ?

 IB : Je vais être franc avec vous. J’ai fait des études de lettres, hypokhâgne, j’ai été professeur de lettres modernes mais en réalité je crois que je me suis vraiment engagé à plein temps en politique précisément pour me confronter à des questions peut-être plus rugueuses et plus concrètes.

C’est moi qui ai demandé à Anne Hidalgo en 2014 de m’occuper des questions de logement qui finalement étaient éloignées de mes problématiques de départ. J’ai fait de la politique pour sortir de mon milieu social et contrairement à ce qu’on dit souvent, la politique ne m’a pas enfermé ou coupé de la réalité, c’est l’inverse qui s’est produit. Elle m’a permis de m’ouvrir à une réalité sociale que je n’aurais jamais côtoyée si je n’avais pas exercé ce mandat.

J’en reviens à votre question. J’ai fait mon mémoire sur Bret Easton Ellis et c’est une lecture qui m’a beaucoup marquée. Mon mémoire plus précisément était sur la rhétorique du vide, de la vacuité et de la perte de sens. Je trouve que c’est précisément ce qui caractérise pour une bonne part notre période avec cette tendance que nous avons à tout aplatir, à tout mettre au même niveau.

C’était aussi le cas pour Bret Easton Ellis de telle sorte que la mort d’un humain était mise au même plan que l’achat d’une nouvelle veste dernier cri.

La déshumanisation est sans doute ce qui caractérise le plus notre époque. Une période où tout devient marchandise et par conséquent tout est mis au même niveau. Et dès lors que tout est mis au même plan, plus rien n’a de sens. Ce qui contribue à donner du sens c’est précisément la hiérarchisation. Ce n’est pas très classique pour un militant communiste mais en tout cas c’est une lecture qui m’accompagne.

Sources Revue Politique

 

25/04/2019

Elections européennes : Ian Brossat veut redonner de l’oxygène au PCF

Ian Brossat liste.jpg

A 39 ans, la tête de liste du Parti communiste français incarne un nouvel espoir pour ses militants qui veulent sortir de l’ombre de La France insoumise.

Ian Brossat n’en démord pas : avec sa liste à 50 % ouvrière, que le communiste vient de déposer, il veut que le Parti communiste français (PCF) retrouve sa place. « Si je peux contribuer à redonner un peu de fierté aux militants communistes… », avance-t-il. Avec le souvenir encore vif des deux campagnes présidentielles de 2012 et 2017, derrière Jean-Luc Mélenchon, la tête de liste PCF aux Européennes ne compte plus s’effacer à une élection.

Mercredi 24 avril, dans les halles Martinot, à Rennes (Ille-et-Vilaine), M. Brossat vient présenter son programme « pour l’Europe des gens, contre l’Europe de l’argent ». Mais derrière, il y a aussi ce fol espoir de faire réexister le parti de Fabien Roussel.

Le premier débat télévisé des élections européennes sur France 2 et France Inter a redonné des ailes à l’adjoint au logement de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Il avait alors crevé l’écran et surpris même ses concurrents par son argumentation simple et efficace. Depuis il a enchaîné les interviews où il lâche ses réparties et construit son image de gauche sans complexe. Dopés par cette petite éclaircie, alors que, relégués à rester dans l’ombre de La France insoumise (LFI), ils broyaient du noir, les militants sont partis en campagne en tentant de se déployer partout.

« Il nous redonne de l’oxygène. Cela fait tellement longtemps qu’on n’a pas attiré autant de monde ! », s’émeut Jean-Claude, vieux militant bardé d’autocollants. M. Brossat joue le jeu, enchaînant trois meetings par semaine. Dans les grandes métropoles, comme ce mercredi soir, ou dans des villes plus modestes mais emblématiques de l’implantation du parti, comme Denain (Nord) ou Le Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), comme ceux prévus dans les semaines à venir.

Lire aussi A Marseille, le Parti communiste lance ses combats contre une Europe libérale et nationaliste

Le gouvernement « n’entend pas la grande colère »

Peu importent les sondages qui lui donnent encore à 2 % à 2,5 % des voix. « Nos arguments et les atouts de notre liste sont encore peu connus de nos électeurs. Beaucoup vont se décider dans les quinze derniers jours, avec les trois prochains grands débats télévisés », assure le communiste. D’ici là, il va déployer son programme sans tirer dans les pattes de ses adversaires à gauche, s’engage-t-il : « On est déjà très divisés, il n’est pas nécessaire d’ajouter des bisbilles à la dispersion. Car il faut qu’on se reparle à gauche après le 26 mai. »

Mais il avertit : « Personne ne peut jouer les gros bras », en allusion aux déclarations de M. Mélenchon invitant la gauche à une « fédération populaire » autour de son programme, s’il est devant au soir du 26 mai.

Devant quelque six cents personnes, le candidat ne s’est en revanche pas privé de taper sur le gouvernement « qui n’entend pas la grande colère » qui s’exprime dans le pays. « Comme réponse, il veut nous imposer une journée de travail gratuit ! On a affaire à des génies », lance-t-il, faisant référence aux propositions de financement de la dépendance, dans les cartons d’Edouard Philippe. Lui veut proposer « une journée du patrimoine des plus riches », soit 3 milliards d’euros prélevés sur les « ultra-riches ».

Un SMIC à 1 400 euros net

Pour Ian Brossat, il faut en finir avec la règle des 3 % et « une vie qui se dégrade dans nos territoires ruraux comme dans nos quartiers populaires ». « L’Europe des gens » que la tête de liste veut promouvoir, passe par l’harmonisation sociale avec un « smic européen » – pas celui de Nathalie Loiseau qui est « en dessous du seuil de pauvreté » – mais à 1 400 euros net. Il entend aussi porter la « rupture avec la machine de guerre européenne contre les services publics » : cela passe par une « clause de non-régression sociale » permettant aux gouvernements nationaux de refuser les directives de libéralisation, assène-t-il.

Enfin le communiste veut une autre utilisation de l’argent de la Banque centrale européenne (BCE) pour financer la transition écologique, un grand plan ferroviaire, ou encore un « service public dédié à la rénovation des bâtiments ». M. Brossat se permet même de fixer une priorité à ses députés : faire de la lutte contre la fraude fiscale « la grande cause des parlementaires communistes ». Car l’élu en est persuadé, « on peut atteindre les 5 % qui nous permettront d’envoyer des députés au Parlement européen ». « Il nous reste un mois pour y arriver », conclut-il. Reste à convaincre les électeurs.

Sylvia Zappi Le Monde

18:27 Publié dans Actualités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ian brossat, européennes | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

27/02/2019

Impôt sur le revenu, taux marginal et taux moyen : la grande confusion de Jean-Jacques Bourdin

ian brossat,bourdin,impôts

Un face-à-face tendu a opposé le candidat communiste aux européennes Ian Brossat et le journaliste Jean-Jacques Bourdin, lundi sur BFM-TV.

En France, comme dans nombre de pays, l’impôt sur le revenu est progressif : le taux d’imposition augmente en fonction de ses revenus. Ce principe n’est pas nouveau, ni unique ; il demeure difficile à comprendre pour beaucoup.

Dernier exemple en date : lundi 25 février, les auditeurs de RMC et BFM-TV ont probablement eu du mal à suivre l’échange animé entre le journaliste Jean-Jacques Bourdin et le candidat du Parti communiste aux européennes, Ian Brossat, autour de la question des tranches d’imposition.

Voici leur dialogue retranscrit :

« Ian Brossat : Il faut taxer à 80 % [au-delà de 10 000 euros de salaire mensuel], ça me paraît légitime et ça ne mettra personne sur la paille.

Jean-Jacques Bourdin : 80 % au-delà de 10 000 euros ? Vous savez que 2 % des Français payent 41 % de l’impôt sur le revenu et c’est normal. Et 10 % des foyers fiscaux plus de 70 % de l’impôt sur le revenu, c’est bien cela ?

Ian Brossat : C’est ça.

Jean-Jacques Bourdin : Donc 80 % au-delà de 10 000 euros, c’est-à-dire que celui qui paie… euh… 10 000 euros d’impôts [sic] est prélevé de 8 000 euros tous les mois ?

Ian Brossat : Eh bien, ça me paraît tout à fait…

Jean-Jacques Bourdin :… et il lui reste 2 000 euros ?

Ian Brossat : Non, mais pas du tout.

Jean-Jacques Bourdin : Ah pardon, Ian Brossat… Alors que celui qui gagne 4 000 euros, combien lui reste-t-il ?

Ian Brossat : Non, mais ça ne fonctionne pas comme ça… Il faudrait faire le calcul, je ne peux pas l’improviser de cette manière-là.

Jean-Jacques Bourdin : Vous me dites, au-delà de 10 000 euros par mois, c’est 80 % d’impôts. Impôts prélevés à la source, 80 %, pour moi, ça fait 8 000 euros. Donc il lui reste 2 000 euros. Celui qui gagne 10 000, il lui reste 2 000 !

Ian Brossat : Non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, je vous promets que je vous ferai le calcul. »

Pourquoi cette séquence est du n’importe quoi ?

Les tranches, un concept toujours aussi mal compris

Ian Brossat, tête de liste du Parti communiste pour les élections européennes, souhaite que de nouvelles tranches d’impôt soient mises en place pour que les très hauts revenus contribuent davantage aux finances publiques. Ian Brossat souhaite donc que soit instaurée une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu (IR), à 80 % au-delà de 10 000 euros mensuels.

M. Bourdin confond le taux marginal et le taux moyen de l’impôt sur le revenu. L’IR obéit à un barème progressif, ce sont les fameuses tranches selon lesquelles on subdivise son revenu annuel imposable. Dans le barème actuel :

  • la fraction de revenus comprise entre 0 à 9 964 € n’est pas imposée ;
  • la fraction de revenus comprise entre 9 965 et 27 519 € est imposée à 14 % ;
  • la fraction de revenus comprise entre 27 520 et 73 779 € est imposée à 30 % ;
  • la fraction de revenus comprise entre 73 780 et 156 244 € est imposée à 41 % ;
  • la fraction de revenus supérieure à 156 245 € est imposée à 45 %.

Prenons le cas cité par Jean-Jacques Bourdin, soit X, une personne célibataire et sans enfants dont le revenu annuel est de 120 000 euros ; celui-ci est diminué de 10 %, au nom de la déduction forfaitaire, soit 108 000 euros.

Le taux marginal de l’IR appliqué aux revenus de X est de 41 %, ce qui ne veut pas dire qu’il paiera 41 % de ses revenus en IR.

Pour calculer le taux moyen de son IR, il faut appliquer le barème, tranche par tranche, à son revenu. Son IR se décompose comme suit :

  • 0 € pour la première tranche de 0 à 9 964 € ;
  • 2 457 € pour la deuxième tranche [(27 519 - 9 965) × 14 %] ;
  • 13 877 € pour la troisième tranche [(73 779 - 27 520) × 30 %] ;
  • 14 030 € pour la quatrième tranche [(108 000 - 73 780) × 41 %] ;
  • 0 € pour la dernière tranche.

Donc un total de 30 365 euros, soit un taux moyen d’imposition de 25,3 % [(30 365/120 000) × 100]

Cette confusion est assez répandue. Il est courant qu’un gain de salaire soit accompagné de la crainte de « passer dans la tranche du dessus ». Une augmentation de revenus, aussi minime soit-elle, peut faire changer le taux marginal appliqué, si l’on se trouve près des seuils. Mais l’impact sur le taux moyen d’imposition sera minime.

Et avec une tranche à 80 % ?

Que se passerait-il si on ajoutait une tranche à 80 % au-delà de 120 000 euros annuels ?
Tous les revenus au-delà de 120 000 euros annuels seraient imposés à 80 %.

Le barème serait le suivant :

  • la fraction de revenus comprise entre 0 à 9 964 € n’est pas imposée ;
  • la fraction de revenus comprise entre 9 965 et 27 519 € est imposée à 14 % ;
  • la fraction de revenus comprise entre 27 520 et 73 779 € est imposée à 30 % ;
  • la fraction de revenus comprise entre 73 780 et 119 999 € est imposée à 41 % ;
  • la fraction de revenus supérieure à 120 000 € est imposée à 80 %.

Dans le cas de X qui a ému M. Bourdin, cela ne changerait rien concernant les revenus qu’il évoque (10 000 euros par mois, 120 000 euros par an). Avec 10 000 euros net par mois, la personne n’est en réalité pas concernée par une tranche à 80 % qui commence à partir de cette somme.

Prenons le cas de Y, célibataire et sans enfants à charge, qui gagne 12 000 euros par mois, soit 144 000 euros annuels. Son revenu est abaissé de 10 %, soit 129 600 € :

  • 0 € pour la première tranche de à 9 964 € ;
  • 2 457 € pour la deuxième tranche [(27 519 - 9 965) × 14 %] ;
  • 13 877 € pour la troisième tranche [(73 779 - 27 520) × 30 %] ;
  • 18 949 € pour la quatrième tranche [(119 999 - 73 780) × 41 %] ;
  • 7 680 € pour la dernière tranche [(129 600 - 120 000) × 80 %].

Au total, Y paiera 43 143 euros d’impôt sur le revenu, soit un taux moyen d’imposition de 29,95 %. Ce qui est toujours très inférieur aux 80 % évoqués par M. Bourdin.

Une tranche à 80 %, est-ce réaliste ?

La proposition de M. Brossat pose cependant question. On se souvient que François Hollande avait voulu imposer une tranche à 75 % pour les revenus situés au-delà d’un million d’euros annuels, soit 83 000 euros par mois, huit fois le seuil que propose M. Brossat. Or François Hollande avait été contraint de reculer. Dans un premier temps, l’exécutif d’alors n’avait pas voulu prendre le risque d’une censure du Conseil constitutionnel, qui aurait pu considérer cet impôt, additionnée à l’Impôt sur la fortune et à la CSG, comme confiscatoire. Une solution avait été trouvée, mais finalement censurée par le Conseil constitutionnel. Une troisième version de cette taxe, payée par les entreprises, avait finalement vu le jour, avant d’être abandonnée en 2015.

Jonathan Parienté , Samuel Laurent et Jérémie Baruch pour le Monde

17:33 Publié dans Cactus, Economie, Pour les nuls | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ian brossat, bourdin, impôts | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

13/09/2018

Ian Brossat : "La gauche anti-migrants, ça n'existe pas, c'est comme un lion végétarien"

Ian Brossat, immigration

Le chef de file du Parti communiste aux élections européennes déplore l'évolution du discours de Jean-Luc Mélenchon sur la question des migrants.

La gauche veut-elle toujours accueillir des migrants ? Dans quelles conditions et dans quelles proportions ? En Allemagne, le débat enflamme le parti Die Linke depuis que l'une de ses figures, Sahra Wagenknecht, a lancé "Aufstehen", un mouvement à la tonalité anti-migrants. L'égérie de la gauche radicale allemande dit toujours défendre le droit d'asile et le devoir d'accueillir des réfugiés. Mais alors que l'extrême droite prospère depuis qu'Angela Merkel a ouvert les frontières du pays en 2015, Sahra Wagenknecht appelle à en finir avec la "bonne conscience de gauche sur la culture de l'accueil" et assure que les immigrés concurrencent les travailleurs allemands et tirent leurs salaires vers le bas.

En France, Jean-Luc Mélenchon tient un argumentaire similaire depuis la dernière présidentielle. En matière d'immigration, le leader de La France insoumise propose d'une part "d'assumer le devoir d'humanité" envers les réfugiés et d'autre part de "lutter contre les causes des migrations". Lors de son discours de rentrée à Marseille, il a aussi repris l'idée selon laquelle le recours à l'immigration est un moyen pour le patronat de faire pression sur les salaires : "Oui, il y a des vagues migratoires. Oui, elles peuvent poser de nombreux problèmes aux pays d'accueil. Elles posent de nombreux problèmes quand certains s'en servent pour faire du profit sur le dos des malheureux. [...] Et nous avons toujours réagi de cette manière. Si vous lisez Jean Jaurès et les penseurs du socialisme, ils ont toujours dit : 'Vous vous servez de l'immigration pour abaisser le coût des salaires ; vous vous en servez pour lutter contre les acquis sociaux.'"

Pour l'adjoint au logement à la mairie de Paris et chef de file du parti communiste pour les élections européennes, Ian Brossat, ce discours est ambigu.

Que vous inspire les mots d'ordre du nouveau mouvement lancé en Allemagne par Sahra Wagenknecht ?

J'observe que le parti Die Linke a majoritairement choisi de maintenir une ligne d'accueil des réfugiés. Sahra Wagenknecht est une dissidente, elle a été mise en minorité au dernier congrès. Elle a décidé de créer son propre mouvement qu'elle décrit comme une gauche anti-migrants. Or de mon point de vue, la gauche anti-migrants, ça n'existe pas, c'est comme un lion végétarien.

La solidarité à l'égard des plus déshérités est dans l'ADN de la gauche et ceux qui flanchent et cèdent à l'extrême droite sur un sujet pareil n'ont plus rien à voir avec la gauche. Partout en Europe, l'extrême droite porte son venin xénophobe et raciste. En cet instant, certains nous expliquent qu'il faudrait que la gauche courbe l'échine.

Je suis convaincu que les combats perdus sont ceux qu'on ne mène pas parce qu'on considère qu'ils sont perdus d'avance. Moi je n'ai pas la gauche honteuse sur ce sujet. On a aujourd'hui l'impression d'être dans un match de boxe. Sur le ring, l'extrême droite boxe avec une énergie incroyable et on nous explique que la gauche ne devrait pas porter les coups. Il faut au contraire porter nos valeurs.

En 2012, vous aviez fait campagne derrière Jean-Luc Mélenchon sous le slogan "L'immigration n'est pas un problème". Désormais, le leader de La France insoumise veut mener une "politique raisonnable" conjuguant "devoir d'humanité" et "lutte contre les causes des migrations". Pourquoi jugez-vous cette position ambiguë ?

Disserter sur les causes de l'immigration, c'est une manière d'esquiver le sujet. Evidemment qu'à moyen terme, il faut faire reculer la misère, le réchauffement climatique et abattre les dictatures. Personne ne peut imaginer qu'on résoudra ces problèmes d'un claquement de doigts. On sait que ça prendra du temps.

Il reste que la question qui nous est posée aujourd'hui c'est comment on accueille, quels moyens on se donne pour organiser un accueil digne, équitablement réparti au sein de l'Union européenne. Je crois qu'aujourd'hui toute l'énergie de la gauche devrait être consacrée à ça. Or ceux qui dissertent en permanence sur les causes de l'immigration le font pour ne pas traiter cette question-là.

Dans l'évolution de Jean-Luc Mélenchon, il y a sans doute une part de marketing politique. Je ne peux que le regretter. Mais pour nous les communistes, il n'est pas question de flancher sur une question aussi essentielle, surtout dans le contexte que traverse l'Europe en ce moment.

Les travailleurs immigrés tirent-ils les salaires des travailleurs européens vers le bas ? Faire croire que les immigrés seraient responsables de la paupérisation des Européens est une absurdité totale.

Regardons la réalité : depuis dix ans, le produit intérieur brut des pays de l'Union européenne est passé de 15.000 milliards à 17.000 milliards d'euros. En attendant, le pourcentage de travailleurs pauvres est passé de 7 à 10%. La faute à qui ? Pas aux réfugiés.

Aux actionnaires qui se sont enrichis sur le dos des salariés. Donc faire des immigrés le bouc émissaire dans cette affaire est à la fois injuste et dangereux, c'est une manière de ne pas parler des vrais responsables que sont les actionnaires et un certain nombre de patrons gloutons qui ont fait le choix de s'enrichir au détriment de la grande majorité.

C'était pourtant ce qu'affirmait Georges Marchais au début des années 1980. Dans un discours le 6 janvier 1981, le premier secrétaire du PCF appelait à "stopper l'immigration officielle et clandestine" car elle "constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d'aggraver le chômage, les bas salaires..."

Si certains n'ont rien d'autre à faire que de déterrer des citations des années 1980 sorties de leur contexte, je ne peux rien pour eux et je les laisse vaquer à leur occupation d'archéologues. Le Parti communiste a depuis une vingtaine d'années des positions extrêmement claires sur le sujet et personne ne peut nous faire reproche de ne pas avoir été au cœur de toutes les mobilisations en faveur des réfugiés.

S'ils veulent vraiment regarder la cohérence des uns et des autres, je veux bien qu'on regarde les déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur le traité de Maastricht en 1992, mais ça n'a pas grand intérêt.

Concrètement, quelle est cette politique d'accueil que vous défendez ?

Je pars d'un constat concret que je vis à Paris. De toute façon, les réfugiés, ceux qui fuient la misère et la guerre, finiront par arriver.

La question n'est pas de savoir s'il faut accueillir ou pas, c'est de savoir si nous mettons des moyens en place pour que cet accueil se passe correctement. Une bonne politique en matière d'immigration et d'accueil des réfugiés est une politique qui organise d'une part des voies légales de migrations − qui de fait aujourd'hui n'existent pas, ce qui ouvre un marché aux passeurs. Et d'autre part, une clé de répartition à l'échelle de l'Union européenne, qui permette que cet accueil se fasse de manière équilibrée.

Quand on regarde dans le détail : depuis le début des années 2000, les pays de l'Union européenne ont investi 15 milliards d'euros dans la mise en place de frontières extérieures. De fait, ça n'a pas marché puisque les réfugiés sont arrivés quand même. Cet argent serait mieux investi si on s'en servait pour créer des conditions d'accueil sur le territoire européen. Ce qui n'a pas été le cas et qui provoque les campements qu'on voit un peu partout.

Cette politique ne risque-t-elle pas d'entraîner un appel d'air, comme semble le penser le gouvernement ?

Je suis favorable à la régularisation de tous les réfugiés qui sont actuellement sur le territoire français, qu'ils aient l'asile ou non. Ce qui crée l'appel d'air, c'est la situation que vivent ces pays, c'est la misère, la guerre et les dictatures. De toute façon, les réfugiés finiront par arriver. La question est de savoir s'ils dorment sur le trottoir ou si nous créons des conditions pour qu'ils puissent être hébergés chez nous et accompagnés socialement.

Propos recueillis par Rémy Dodet pour le Nouvel Observateur

 

12:24 Publié dans Actualités, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ian brossat, immigration | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!