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06/12/2013

Camarade Nelson Mandela : L'homme tranquille contre l'apartheid

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En 1991, lors de son voyage en France, Nelson Mandela aujourd'hui disparue,  accordait une interview exclusive à « l’Humanité ». Des extraits sont publiés dans l’Humanité Dimanche du 12 février 2010. Voici l’intégral de l’entretien.

L’homme tranquille contre l’apartheid

Hôte de la France, et plus précisément de son ministère des affaires étrangères, le vice-président du Congrès national africain (ANC) a reçu hier les journalistes de « l’Humanité » dans une de ses possessions « diplomatiques » du gouvernement français en région parisienne, le château de la Celle-Saint-Cloud. Aucune solennité cependant. Ni mythe ni symbole, c’est l’hôte, l’homme tranquille à la taille imposante, préservée, dont la main large et forte rappelle une jeunesse tumultueuse sur les rings de boxe pour amateurs condamnés à devoir prouver toujours plus qui pose la première question : « Où voulez-vous que je m’assoie ? »

Une question en appelant toujours une autre, et chacun d’entre nous ayant participé d’une manière ou d’une autre au combat pour la libération de Nelson Mandela ainsi qu’aux campagnes de solidarité avec le peuple sud-africain, nous ne pouvons que demander, plutôt émus :

 

Les journalistes de « l'Humanité » Claude Kroës  et José Fort accueillent Nelson Mandela pour l'interviewer en 1991.

José Fort et Claude Kroës. Pouvons nous vous appeler camarade ?

 

NELSON MANDELA. Oui, tout à fait. Vous savez, je suis le camarade de Georges Marchais.

 

J. F. et C. K. Alors, la première vraie question. Il y a seize mois, vous étiez enfin libéré après plus d’un quart de siècle de prison. Quel regard portiez-vous sur ce que vous avez découvert au moment de votre libération ? Et quel regard portez-vous aujourd’hui sur le monde ?

 

N. M. Ce n’est pas facile à dire. Il n’est pas très facile pour moi de dire quel était mon regard il y a un an et demi. Il y a toujours un risque de spéculation dans ce genre de déclaration. Mais ce qui m’a frappé, c’est l’amélioration des rapports entre l’Est et l’Ouest, l’amélioration des rapports entre l’Union soviétique et les États-Unis d’Amérique, les pourparlers et les traités sur le désarmement et sur la réduction des armes nucléaires.

À mon avis, le premier ministre britannique, Mme Margaret Thatcher, a joué un rôle significatif dans le rapprochement entre Gorbatchev et Reagan pour favoriser les discussions sur la paix mondiale. Ce fut mon impression dominante. Et deuxièmement, il y a le problème de la lutte anti-apartheid dans le monde entier. En particulier en Grande-Bretagne, en Europe, en Asie, aux États-Unis, au Canada et en Amérique du Sud.

La voix des forces de libération et de progrès vers la démocratie et vers la suppression de la tyrannie s’est très fortement fait entendre. Je suis heureux de constater que les forces de paix sont si fortes, que la tendance en faveur d’une réduction des tensions dans le monde s’exprime toujours avec la même puissance et, bien sûr, que le mouvement anti-apartheid pèse toujours du même poids dans le monde entier.

 

J. F. et C. K. Camarade Mandela, croyez-vous que les réformes annoncées dans votre pays conduiront à l’élimination de l’apartheid ? Et pensez-vous que le poids de l’opinion publique internationale, qui s’est fortement exprimée pour exiger votre libération, puisse encore avoir un rôle décisif, alors que vous, démocrates sud-africains, êtes entrés dans une phase de négociation ?

 

N. M. Les réformes annoncées par le gouvernement sud-africain sont très encourageantes. Certains progrès ont été enregistrés dans le sens du démantèlement de l’apartheid et le chemin qui mène vers une Afrique du Sud unie et démocratique est en voie de construction. Mais nous sommes encore très loin de la satisfaction des revendications que nous avons avancées, parce que le contenu principal des réformes voulues, c’est la possibilité pour le peuple sudafricain de s’exprimer par le vote.

 

J. F. et C. K. Vous voulez dire « one man, one vote » ?

 

N. M. Oui, bien sûr, et dans la situation actuelle, moi, je ne peux toujours pas voter. Ça, c’est l’élément essentiel. Mais, indépendamment de ce qu’a annoncé le gouvernement sud-africain, nous sommes encore loin d’une situation où la majorité du peuple sud-africain pourrait se déterminer lui-même sur son avenir. C’est la raison pour laquelle nous demandons le maintien des sanctions par la communauté internationale et c’est la raison pour laquelle nous regrettons la décision prise en décembre 1990 par la Communauté européenne. (…)

 

J. F. et C. K. A propos de cette décision de lever les sanction, vous avez rencontré mardi Jacques Delors, à Bruxelles. Quelle appréciation portez-vous sur votre conversation avec le président de la Commission européenne et avez-vous le sentiment d’avoir été entendu ?

 

N.M. Mr Delors est un homme qui soutient la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud et je souhaite pouvoir croire, surtout après notre rencontre d’hier, qu’il acceptera de faire connaître aux chefs d’Etats de la CEE les positions de l’ANC. Mais nous discutons d’un problème qui sera soumis aux chefs d’Etat, et il ne serait pas opportun que j’entre dans les détails sur cette question.

 

J. F. et C. K. Les images montrant les affrontements entre Noirs marquent beaucoup la population française. Est-ce qu’il est possible d’arrêter ces massacres ? Quel avenir pour l’Afrique du Sud ? Etes-vous prêt à gouverner avec les Blancs et dans quel cadre législatif ? Pouvez-vous nous dire quelques mots du Congrès de l’ANC, prévu à Durban, au début du mois prochain ?

 

N. M. D’abord au sujet de la violence : elle a été présentée comme un affrontement entre noirs. Or, ce n’est là qu’un élément de cette violence. Il y a d’autres éléments qui incitent à la violence. Il y a actuellement des escadrons de la mort, organisés par le gouvernement sud-africain, qui font beaucoup plus de mal à des victimes innocentes que la violences entre Noirs.

 Et puis il y a aussi la connivence du gouvernement dans cette violence. Si le gouvernement utilisait la capacité qu’il a de mettre un terme à la violence et de maintenir l’ordre, il pourrait le faire le plus aisément du monde. C’est la raison pour laquelle nous l’avons menacé de ne pas poursuivre les pourparlers sur la Constitution future, aussi longtemps qu’il n’aura pas mis un terme à cette violence.

Mais nous sommes optimistes quant au fait que nous réussirons à contraindre le gouvernement à arrêter la violence. Celle-ci ne continue que parce que le gouvernement le souhaite.

 

J. F. et C. K. Et le devenir de l’ANC, dans ce contexte changeant et difficile ?

 

N. M. En ce qui concerne le congrès de l’ANC en juillet, nous sommes très optimistes. Les mass média, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Afrique du Sud, ont essayé de faire croire à l’existence de factions. C’est parfaitement mensonger. C’est la même propagande que celle qui a eu cours par le passé, avant la première conférence consultative légale de l’ANC de décembre dernier. Bien sûr, il y a des divergences qui s’expriment sur tous les sujets, divergneces qui existent aussi dans d’autres congrès, dans d’autres organisations, ailleurs. Mais les décisions que nous avons prises ont été unanimes et saines.

 

J. F. et C. K. Etes-vous prêt à gouverner avec les Blancs et dans quel cadre législatif ?

 

N. M. Notre politique est favorable à une Afrique du Sud non raciste, véritablement démocratique et, à cet égard, le mérite personnel sera pour nous le seul critère pertinent. Ce qui signifie que nous sommes prêts à travailler avec tous les groupes nationaux, avec les Noirs et avec les Blancs. Et malgré les problèmes que nous rencontrons, les choses avancent très bien.

 

 

J. F. et C. K. Vous avez rencontré François Mitterrand et le premier ministre Édith Cresson. Avez-vous maintenant un message à faire passer au peuple français ?

 

N. M. Eh bien, notre message est très simple : nous demandons au peuple français de continuer à soutenir la lutte anti-apartheid parce que notre lutte repose sur les principes démocratiques que sont l’égalité, la liberté et la fraternité humaines. Et ces valeurs ont été répandues en Europe par les philosophes français, Voltaire, Montesquieu et d’autres… Et nous espérons donc que le peuple français continuera à soutenir notre lutte.

Propos recueillis par José Fort et Claude Kroës

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 Derniere photo, Nelson Mandela avec la chanteuse Whitney Houston disparu le 11 février 2012