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13/05/2010

Pourquoi devrait-on encore interviewer M. Alain Minc ?

Docteur Christophe Trivalle, gériatre (*). (*) Auteur de Vieux et malade : la double peine ! 
Éditions l’Harmattan 2010.

chevre.gifLa solidarité face aux dépenses médicales des plus âgés directement remise en question.

Vendredi 7 mai, Alain Minc a donné une grande interview dans l’émission Parlons net de France Info-le Point. Il y a abordé diverses questions d’un point de vue économique (la Grèce, les retraites…), dont celle de la vieillesse qu’il ne voit que comme une charge financière.

Ce passage a été mis en avant sur le site Internet de France Info et a été rediffusé en boucle le samedi 8 mai.

Qu’a-t-il dit ?

Il a pris l’exemple de son père, âgé de cent deux ans, qui a été hospitalisé quinze jours dans un service de pointe pour un coût de 
100 000 euros ! Pour lui, c’est un luxe immense et il trouve aberrant que l’État lui ait fait ce cadeau. Il faudrait voir « comment on récupère les dépenses médicales sur les très vieux en mettant à contribution ou leur patrimoine, quand ils en ont un, ou le patrimoine de leurs ayants droit ». Que faut-il en penser ?

vieux.jpgTout d’abord, en tant que gériatre, on est toujours content de voir des centenaires apparemment en bonne santé, vivant à domicile et, semble-t-il, autonomes. Ensuite, le fait que le père d’Alain Minc soit centenaire augmente les chances de ce dernier de le devenir à son tour (il risque donc d’être encore très souvent interviewé à la radio ou à la télévision). En ce qui concerne l’hospitalisation, il a bénéficié d’une prise en charge adaptée puisqu’il n’est resté que quinze jours, ce qui est plutôt court compte tenu de son âge.

C’est une durée moyenne de séjour très correcte correspondant à un séjour en aigu (onze à douze jours de DMS avec la tarification à l’activité en gériatrie aiguë). Cela veut dire que son papa est probablement en bonne santé, qu’il n’a pas plusieurs maladies associées (polypathologie) et qu’il n’est pas fragile. On est contents pour lui. Cela veut dire aussi qu’il a bénéficié d’une prise en charge adaptée à son état comme un adulte plus jeune, sans aucune discrimination liée à l’âge (il est cependant très probable que son patronyme ait eu une influence). Ce n’est malheureusement pas toujours la règle.

 Ainsi, en 2006, une étude a montré que le risque d’être refusé en réanimation augmentait avec l’âge : 12 % des 18-44 ans, 23 % des 75-84 ans et 36 % des plus de 85 ans, alors même que les patients proposés avaient déjà été sélectionnés par les urgentistes. Dans un autre travail, sur 100 malades âgés ayant des critères pour être admis en réanimation, seuls 13 y étaient effectivement acceptés. Cela renvoie aux propos du vice-président du comité national d’éthique, qui disait en 2008 : « Il vaut mieux correctement prendre en charge un père de famille de quarante ans qui est rentable pour la société qu’une personne de quatre-vingt-un ans qui n’a pas toute sa tête. »

Se pose ensuite la question du coût, évoqué par Alain Minc, de 100 000 euros pour quinze jours ! Soit 
6 600 euros la journée d’hospitalisation ! 
100 000 euros, c’est la somme que réclamait l’hôpital de Metz pour une hospitalisation 
de six ans. Quel service de pointe coûte aussi cher ? Même la réanimation ou une transplantation ne coûte pas ce prix-là. S’agissait-il d’un hôpital public ?

Maintenant, la question de fond : « Il y a un problème dont on ne parle jamais, c’est l’effet du vieillissement sur la hausse des dépenses d’assurance maladie » et sa proposition de faire payer les vieux malades et leurs ayants droit sur leur patrimoine. Tout d’abord, pourquoi uniquement les vieux ? Les malades jeunes et riches pourraient aussi payer. Malheureusement pour Alain Minc, un avis du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, adopté le 22 avril 2010, a justement analysé cette question. Même si certaines conclusions de ce rapport sont discutables, de nombreux points sont particulièrement intéressants.

 Pour le Haut Conseil, le vieillissement de la population française ne représente pas, par lui-même, la menace dominante pour l’évolution globale des dépenses de l’assurance maladie. Il correspond seulement au dixième de la hausse moyenne annuelle de la consommation de soins et de biens médicaux. En fait, ce qui coûte cher, ce n’est pas d’être vieux, c’est d’être malade. Un malade jeune coûte aussi cher qu’un malade âgé. Par contre, avec l’âge, les maladies s’accumulent. Ainsi, les dépenses de santé du jeune âge (moins de dix ans) représentent une somme équivalant à celles du grand âge (quatre-vingt-cinq ans et plus).

 De plus, le reste à charge est plus élevé pour les malades âgés. Au-delà de quatre-vingts ans, la charge moyenne non couverte par l’assurance maladie représente plus du double du chiffre moyen calculé sur l’ensemble de la population. Pour le Haut Conseil, « la solidarité face aux dépenses médicales des plus âgés est une réalité qui ne traduit rien d’autre que la solidarité fondamentale entre bien portants et malades ». Et c’est justement ce qui est remis en question par Alain Minc.

 C’est l’esprit même de notre système de Sécurité sociale où chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Cette idée de récupérer sur le patrimoine n’est pas nouvelle, mais c’est la première fois qu’elle est évoquée pour les soins médicaux. Jusqu’à présent, elle avait surtout été proposée ou utilisée pour la dépendance : prestation spécifique dépendance (échec), tentatives à plusieurs reprises pour l’allocation pour l’autonomie (refusées jusqu’à présent) et mode de financement évoqué pour le cinquième risque.

Le recours sur succession est actuellement utilisé pour l’aide sociale. Mais pour la santé, jamais. Avec ce système, les très riches n’auront aucun problème financier pour se faire soigner, les plus pauvres seront pris en charge par l’État, et les classes moyennes devront hypothéquer leurs biens et faire des crédits pour payer leurs soins médicaux comme c’est le cas aujourd’hui aux États-Unis. Et il trouve cela très progressiste !

Cette proposition est absurde, inacceptable et discriminatoire vis-à-vis des malades âgés.

Alors, pourquoi continuer d’interviewer Alain Minc ?

Article publié par l'Humanité

17:14 Publié dans Cactus | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : minc, vieux, santé | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!