04/09/2013
Retraites : avant de débattre, se débarrasser de sept idées reçues
Si la conjoncture était plus souriante, on n’aurait jamais entendu parler de nouvelle réforme des retraites. Mais voilà, la crise s’est prolongée, contredisant les scénarios du Conseil d’orientation des retraites (COR), et rendant insuffisante la précédente réforme passée dans la douleur sous Sarkozy : le besoin de financement du régime général (minimum vieillesse inclu) s’élèvera à 6,5 milliards cette année.
Et le déficit, si rien n’est changé, devrait atteindre près de 25 milliards en 2020. A l’occasion de la conférence sociale de jeudi, qui doit être suivie d’une « concertation » puis d’une loi, le débat sur les retraites est reparti. Personne n’en nie la nécessité. Mais autant ne pas s’encombrer des habituelles approximations qui l’accompagnent. En voici sept exemples :
En période de quasi-récession, combattre dans l’urgence les déficits induits pas la crise n’est jamais de bonne politique : c’est une politique d’austérité, dont on a vu les méfaits. La question du financement du système des retraites est une question importante, mais une question de long terme.
L’urgence, aujourd’hui, n’est pas de rééquilibrer coûte que coûte le système (par exemple en augmentant brutalement les cotisations ou en baissant les prestations), car cela pèserait sur la consommation, donc sur la croissance, et au final, cela ne ferait qu’accroître les déficits publics et sociaux : le contraire de l’effet visé. L’urgence, c’est de sortir de l’ornière conjoncturelle actuelle.
Le système français des retraites connaît un problème de financement, c’est certain. Mais structurellement, sa viabilité est bien moins menacée qu’ailleurs, notamment du fait du dynamisme démographique propre à notre pays (1,95 enfants par femme contre 1,6 dans le reste de l’Europe) et des mesures déjà adoptées.
Selon les chiffres de l’OCDE, la part du PIB consacrée aux retraites augmentera de seulement 0,5 point en France d’ici 2060, contre 2,6 points en Allemagne (et 15,3 points aux Luxembourg !)
C’est l’OCDE qui le dit : en France comme dans quatre autre pays (Danemark, États-Unis, Italie, Suède) « les dépenses de retraite restent globalement stables pendant toute la période de prévision ».
C’est une étrange proposition. Pour ne pas imposer à « nos enfants » un sacrifice financier (le remboursement d’une nouvelle dette) il faudrait leur imposer un sacrifice peut-être pire encore (quelques années de travail de plus).
Ainsi Laurence Parisot, du Medef, propose de reporter l’âge légal de la retraite à 65 ans en 2040 : ceux qui auront à travailler cinq ans supplémentaires pour « sauver le régime des retraites » ne sont pas les sexagénaires actuels, mais leurs enfants...
La vérité est inverse : une immigration plus forte permettrait de résoudre plus facilement la question des retraites. C’est d’ailleurs une des voies empruntées par l’Allemagne pour alléger le fardeau.
Un solde migratoire positif reflète en effet une augmentation du nombre de cotisants. Ce solde est en France de seulement 0,1%, contre 0,2% dans les autres pays européens.
Globalement, les immigrés aujourd’hui sont contributeurs nets de notre système de protection sociale, comme l’ont montré les économiste Xavier Chojnicki et Lionel Ragot . Cela s’explique essentiellement par leur âge : ils sont plus jeunes. 55 % d’entre eux ont entre 25 et 55 ans, contre 40 % pour l’ensemble de la population... Il y a donc plus de cotisants, et moins de retraités.
Le tableau ci-dessous, dressé par la Commission européenne, permet de se débarrasser de cette idée reçue. Il évalue les effets, en points de PIB, des mesures prises au détriment des retraités entre 2010 et 2060 : recul de l’âge de départ, hausse des cotisations...
Résultat : en France, c’est déjà six points de PIB qui ont été dégagés par les réformes. Contre seulement 3,5 points en Allemagne et 1,9 points en Grande-Bretagne.
L’effort demandé aux retraités (en % du PIB) (Commission européenne, Infogram, Rue89)
Si l’on prend le recul de l’âge de la retraite au cours de la dernière décennie (2001-2010), il a été en moyenne de 1,6 ans dans la zone euro, mais de 2,1 en France.
La pension moyenne touchée par un ancien fonctionnaire est supérieure d’un tiers à celle dont bénéficie un ancien salarié (23 187 euros contre 15 373 euros) a indiqué le Conseil d’orientation des retraites. L’écart devrait s’accroitre d’ici 2060.
Cette comparaison appelle deux remarques à méditer avant de crier au scandale :
1. Il y a plus de personnes de niveau « cadre » dans la fonction publique d’Etat, donc la moyenne des salaires est forcément plus élevée, et par voie de conséquence, le niveau moyen des retraites. Les agents de catégorie A (enseignants, notamment...) représentent la moitié des effectifs de la fonction publique d’Etat.
En 2010, les salaires mensuels nets moyens (traitement + primes et indemnités) étaient de :
- 2 459 euros dans la fonction publique de l’Etat [PDF] ;
- 2 082 euros dans le secteur privé.
2. Il y a plus de primes dans les rémunérations du public. Ce qui est en cause, dans le débat actuel, c’est la différence du mode de calcul du « taux de remplacement » (le niveau des retraites par rapport au niveau des précédents salaires) selon les régimes. Et notamment entre celui de la fonction publique et celui du régime général des salariés.
La pension des fonctionnaires est calculée sur la base des salaires des six derniers mois d’activité, celle des salariés du privée tient compte de ses vingt-cinq dernières années de boulot.
Un salarié (non cadre) de 62 ans touchera ainsi 70% de son salaire alors qu’un fonctionnaire de catégorie B touchera 75% de ce dernier.
Mais ce qu’on oublie souvent de dire, c’est que le volume des primes qui ne sont pas prises en compte pour le calcul des retraites est plus important dans la fonction publique que chez les salariés du privé. Un fonctionnaire de préfecture de catégorie B touchera par exemple en fin de carrière 2 400 euros, dont 400 de primes. Sa retraite sera donc de 1 500 euros (75% de 2 000). C’est à dire moins que celle du salarié du privé, qui, gagnant le même salaire, touchera, 70% de 2 400, soit 1 680 euros.
OK, le régime de retraite français n’est pas le pire du monde. Il a deux qualités :
- l’âge « légal » de la retraite (celui auquel on a le droit de partir à la retraite) est moins élevé que dans les autre pays : il a été fixé en 2010 à 62 ans (à partir de 2017), contre 65 ans en Allemagne, par exemple ;
- le « taux de remplacement » (le ratio pension/derniers salaires) est élevé : 68% en moyenne, contre 51% dans le reste de l’Europe.
Mais les retraités français ne sont pas mieux lotis que les autres si l’on examine d’autres paramètres :
- l’âge donnant le droit à une pension à taux plein (si l’on n’a pas validé la durée de cotisation requise) était en 2012 de 65,5 ans et sera de 67 ans à partir de 2016. En Allemagne l’âge du taux plein est actuellement de 65 ans. Idem au Canada, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ;
- la durée de cotisation pour prétendre à une retraite à taux plein est élevée en France : 41 ans. Selon un pointage réalisé par Alternatives économiques, seuls 4 pays font « pire » : Allemagne, Autriche, Belgique et Italie. Dans la plupart des autres pays, « les personnes ayant eu des carrières incomplètes sont moins pénalisées qu’en France », écrit le mensuel économique. Qui souligne par ailleurs que les systèmes de retraite anticipée sont répandus hors de France, parfois de façon déguisée (le régime invalidité concerne 11% des 20-64 ans en Suède !).
09:59 Publié dans Actualités, Connaissances, Dossier retraites, Economie, Société | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : retraites, dossiers, réforme, démographie, france | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
Commentaires
Je vous applaudis pour votre exercice. c'est un vrai charge d'écriture. Continuez .
Écrit par : MichelB | 13/08/2014
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