Il y a exactement un an, plus d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement, dont le président français, Nicolas Sarkozy, étaient venus en personne à la conférence de la FAO en pleine crise alimentaire, évoquant une aide massive à l’agriculture des pays les plus pauvres. Un an plus tard, on est bien loin des promesses annoncées. L’Humanité fait le point avec Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation.
Les promesses faites par les grands États lors du sommet de la FAO en juin 2008 ont-elles été tenues ?
Olivier de Schutter. Personne n’est capable de répondre à cette question, et c’est symptomatique : des engagements financiers sont pris mais il n’existe aucun suivi ni contrôle pour savoir s’ils sont traduits en actes concrets. Les États peuvent s’acheter à bon compte une crédibilité. Il est certain que s’ils devaient se justifier tous les six mois, ils seraient beaucoup plus prudents. Mettre en place un tel suivi, encourager la publication et le suivi des comptes figurent parmi les défis actuels.
On assiste quand même depuis un an à un réinvestissement majeur dans l’agriculture.
Olivier de Schutter. Effectivement, il y a eu un renouveau massif de l’intérêt pour l’agriculture avec le déblocage de sommes importantes. Mais l’argent n’est pas le cœur du problème. La question fondamentale est de savoir vers quel type d’agriculture et pour qui ces investissements sont réalisés. Or, beaucoup des investissements récents ont été dirigés vers des projets agro-industriels avec des conséquences dommageables sur la capacité des petits paysans à augmenter leurs revenus. Des efforts très importants ont été faits pour relancer l’offre agricole, et effectivement les récoltes ont été très bonnes en 2008. Le prix des matières premières a beaucoup diminué sur les marchés internationaux. Mais il reste très élevé sur les marchés locaux. Selon une étude de la FAO réalisée dans 58 pays en voie de développement, 80 % des pays connaissent des prix agricoles plus élevés aujourd’hui qu’un an auparavant.
Pourquoi ?
Olivier de Schutter. Parce que personne ne s’est intéressé à l’économie politique de la faim : à savoir que les chaînes de production et de distribution alimentaire sont détenues par des oligopoles, un petit nombre d’opérateurs économiques très peu contrôlés et qui ont profité de la crise. Ils n’ont pas répercuté la baisse internationale sur les marchés locaux. Aujourd’hui, le nombre de personnes qui souffrent de la faim dans le monde a certainement dépassé le milliard. Annoncé par Nicolas Sarkozy lors du sommet de la FAO, un fonds d’investissement pour l’agriculture africaine vient d’être lancé par la France. Que pensez-vous de ce type d’initiative ?
Olivier de Schutter. On revient à la même question : quel type d’investissement veut-on réaliser ? J’ignore à quels projets iront les sommes acheminées par ce fonds mais je mets en garde contre des approches qui visent les « greniers à blé », à savoir des zones fertiles et prometteuses du point de vue de la production, à la recherche d’un retour sur investissement qui soit le plus élevé possible. La logique derrière est que la crise alimentaire serait liée à une offre agricole insuffisante. C’est oublier que les gens ont faim, car ils sont pauvres parce qu’ils vivent dans des zones non fertiles où l’environnement est extrêmement difficile. Ces petits paysans sont les oubliés de ces investissements. Il y a de nombreuses manières d’investir dans l’agriculture qui ne font pas reculer la faim. Je lance donc un appel pour que les États choisissent, parmi les différentes possibilités, ce qui peut le plus réduire la faim et la malnutrition.
Au final, quel bilan faites-vous de l’année écoulée ?
Olivier de Schutter. Je suis très critique. Les véritables problèmes n’ont pas été traités. On n’a pas du tout travaillé sur les causes structurelles de la crise alimentaire. Aucun progrès n’a été fait sur la question des agrocarburants, ni sur le phénomène actuel d’acquisition de terres agricoles à grande échelle dans les pays en développement, où l’avis des populations locales n’est parfois pas pris en compte. Il n’y a pas eu non plus d’avancée sur la lutte contre la spéculation, alors que sa responsabilité dans la dernière crise est reconnue par tous et que des solutions techniques existent. On s’est rassuré à la lecture des chiffres de bonnes récoltes 2008. Je pense nous allons vers de nouvelles crises alimentaires, dès 2010, car les gouvernements n’ont pas pris la situation au sérieux.
Entretien réalisé par Charlotte Bozonnet