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14/02/2014

A Touch of Sin. Jia Zhang-ke "Les dialectes sont une réalité de la diversité de la Chine"

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La violence et sa source A Touch of Sin, de Jia Zhang-ke, Chine. 2 h 9. Le titre original appelle le film le Choix du ciel, tellement plus beau que A Touch of Sin. Ce prix du scénario à Cannes est un film magnifique. Entretien avec Jia Zhang-ke.

Unité de temps mais pas de lieu. Quatre personnages et autant de provinces mais un seul et même reflet de la Chine contemporaine, celui d’une société au développement économique brutal peu à peu gangrenée par la violence. Pas de nuit câline ici, mais le portrait désabusé quoique impressionnant d’une société déboussolée, perdue entre campagnes et migration urbaine, au travers des portraits d’un mineur exaspéré, d’un travailleur migrant, d’une hôtesse d’accueil dans un sauna et d’un salarié en perte de qualification. Du Jia Zhang-ke au meilleur de sa forme, primé par le jury cannois 
au titre du scénario.

Votre film raconte quatre histoires, toutes situées en divers endroits de la Chine. Mais comment identifier les lieux ?

Jia Zhang-ke. Pour vous aider à identifier les lieux, il faut comprendre que la première histoire, celle de Dahai, jouée par la comédienne Jiang Wu, se passe dans le Shanxi, la région où je suis né, située dans la Chine du nord-est (Shanxi veut dire « à l’ouest de la montagne » et fait référence aux montagnes Taihang). La capitale provinciale en est Taiyuan et il s’agit d’une grande province agricole. L’histoire suivante se déroule dans la ville de Chongqing, au sud-ouest du pays, au bord du fleuve Bleu, près du barrage des Trois-Gorges. C’est une ville construite dans les années 1990, entre autres pour recueillir les personnes déplacées à cause de la construction du barrage, pour devenir un pôle économique majeur de la Chine intérieure, dans le Sichuan, qui comporte dix-huit millions d’habitants dont huit dans la zone urbaine, la surface de la commune étant égale à celle de l’Autriche. L’histoire suivante nous emmène dans le Hubei, donc la province aux mille lacs, province dont le chef-lieu est Wuhan, au nord du lac Dongting. C’est là que fut fondée la première République de Chine, en 1912, sur ce qui fut un comptoir français du temps de la colonisation. Quant à la dernière histoire, elle a pour décor Dongguan, huit millions d’habitants qui vivent dans le delta de la rivière des Perles, une ville de la province du Guangdong sise sur la côte du sud-est dans ce que nous appelons « la zone économique spéciale », passage obligé entre Canton et Hong Kong. Ajoutons que j’ai tenu à mettre en avant les différences, même si tout est unifié, y compris les différences dans les parlers employés, ce que vous ne pourrez pas discerner dans les sous-titres, y compris par exemple à Dongguan, où l’on entend le dialecte local qui est une variante du cantonais. J’ai ainsi voulu, en balayant le territoire chinois, me rapprocher de ces panoramas comme en a connu la peinture de paysages traditionnelle. Tel a été mon vœu, vous faire comprendre à travers ces quatre paysages ce qu’on peut considérer comme une représentation d’ensemble de la Chine. Voici pourquoi il ne faut pas être obnubilé par les détails dont j’ai conscience qu’ils vous échapperont obligatoirement.

Quatre films en un. Pourquoi quatre plutôt que trois ou cinq ?

Jia Zhang-ke. Les quatre histoires sont issues de faits divers chinois particulièrement dramatiques s’étant réellement déroulés et qui représentent quatre facettes de la violence. Dans la première histoire, je montre combien la violence d’un individu est soumise à la pression sociale, dans la deuxième ce qui se passe dans la tête d’un villageois reculé, soit comment le mal-être débouche sur la violence, la troisième nous montre le moment précis du passage à l’acte, soit la tentative de retrouver sa dignité, la quatrième histoire est vraiment différente des trois autres puisqu’il s’agit du choix de s’autodétruire. J’avais vraiment besoin des quatre histoires et il n’y en a pas de cinquième que je voulais raconter, ne serait-ce que parce qu’il fallait le temps de développer chacun de ces récits et que je voulais rester dans le cadre d’un long métrage.

Une de ces histoires vous est-elle plus proche ou en avez-vous une préférée ?

Jia Zhang-ke. Pour moi, je me suis davantage identifié à la quatrième, qui reflète quelque chose. Je m’y suis confronté à la mondialisation, à la migration de la campagne vers les villes. C’est actuel et c’est ce qui m’attache.

D’où cette importance attachée au son, aux dialectes ?

Jia Zhang-ke. Pour moi, c’est très important, même si le public local ne le saisit pas. Les quatre langues sont très différentes. Le dialecte distingue seul l’identité des Chinois et c’est pour cela que j’y ai tenu même si, en Chine, le public ne comprend pas les dialectes, cela participe des réalités de la diversité de la Chine.

Et vous-même, vous comprenez tout ?

Jia Zhang-ke. J’en comprends deux et, pour le reste, je fais confiance au langage des acteurs, comme si j’avais besoin d’un temps de réaction.

La réaction risque-t-elle d’être la même pour tous les Chinois, je veux dire y compris ceux de Taïwan, de Hong Kong et de Macao ?

Jia Zhang-ke. Il y aura un accueil différent dans le sens, même si les histoires s’adressent à tous les publics. Pourtant, la différence viendra de la lecture portée sur la société du continent.

Vous avez obtenu à Cannes le prix du scénario. Est-ce pour vous le prix approprié, au moins en ce qui concerne les prix catégoriels ?

Jia Zhang-ke. Je ne me suis pas posé la question. Avoir un prix est une reconnaissance, quel que soit le prix, mais je suis d’accord avec celui du scénario.

Entretien réalisé par Jean Roy

11/02/2014

Appel de la gauche du PS: "Non à la politique de l’offre !"

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27 membres du bureau national du PS sur 72 ont signé un appel pour une autre politique. Non à la politique de l’offre ! Non à la baisse du «coût du travail» disent-ils. "Si 35 % de la direction du parti signe, cela, on peut penser que, à la base, c’est bien plus que la majorité des adhérents tellement le mécontentement est grand" écrit Gérard Filoche, également signataire.

  • Texte de l’appel :

La période est instable. De l’extrême droite qui se rassemble derrière des slogans racistes et antisémites à la droite radicalisée qui remet en cause la légitimité du Président de la République à gouverner, un front des conservatismes se constitue. Cette situation appelle une réaction forte. Une réaction essentielle pour reprendre la main, faire reculer le chômage et engager pleinement la transition écologique. Et ne pas donner l’impression que, malgré́ l’arrivée de la gauche au pouvoir, les droites et leurs « valeurs » sont en dynamique.

De toutes nos forces nous voulons que la gauche réussisse. Dix ans de politique de droite ont profondément abimé notre pays. La crise a dévasté nombre de territoires, plongé des millions de familles dans l’angoisse de la précarité ou du chômage.

A l’occasion de la campagne présidentielle, François Hollande a, à juste titre, pointé la responsabilité historique du monde de la finance dans les difficultés que traversent notre pays et notre continent. Il avait porté haut et fort l’exigence d’une réorientation de la construction européenne, en dénonçant le caractère néfaste des politiques d’austérité. Pour sortir le pays du chômage de masse, il avait proposé une feuille de route qui n’oppose pas la production à la redistribution, l’offre à la demande, l’efficacité́ économique à la justice sociale.

Cette feuille de route, c’est toujours la nôtre.

Cinq ans après la chute de Lehman Brothers, l’Union européenne subit toujours la crise et ses conséquences. Trois pays se trouvent encore sous assistance financière, le chômage atteint 12% dans la zone euro et la croissance est en berne.

C’est pourquoi nous continuons de penser qu’il est nécessaire de faire vivre la promesse de réorientation de la politique Européenne. Plus que jamais, la France doit créer les conditions d’un rapport de force favorable aux politiques de sortie de crise. La situation impose de nous dégager de la logique trop restrictive liée aux normes budgétaires et monétaires européennes.

La réduction des déficits préconisée par la Commission européenne a provoqué des coupes sombres dans des dépenses publiques et sociales essentielles. Surtout, ces «efforts» imposés aux populations n’ont pas permis de réduction de la dette publique. Elle est passée pour l’Union européenne à 27 de 62% du PIB en 2008 à 85% quatre ans plus tard. Loin de réduire la dette, l’austérité contribue à l’augmenter davantage.

Aujourd’hui, les critiques convergent pour remettre en cause des politiques socialement dangereuses et économiquement inefficaces. Les citoyens, mais aussi de grandes institutions comme le FMI, l’OCDE, le BIT, pointent l’urgence d’une relance coordonnée en Europe.

Dans ce contexte, les élections européennes revêtent une importance particulière. Refonte de la politique commerciale, instauration d’une taxe sur les transactions financières, lutte contre les paradis fiscaux, politique monétaire au service de l’économie réelle, harmonisation sociale et fiscale, relance de l’investissement par la transition énergétique notamment, meilleure répartition du travail, smic européen : les socialistes porteront ces exigences en mai prochain.

Mais nous serons d’autant plus crédibles pour le faire si nous avons administré la preuve, en France, qu’il n’y a pas qu’une seule politique possible.

Or en dépit de la salutaire rupture avec l’ère Sarkozy, l’orientation en matière de politique économique suscite des désaccords et des inquiétudes dans nos rangs.

Nous ne nous reconnaissons pas dans le discours qui tend à faire de la baisse des « charges » et du « coût du travail » la condition d’un retour de la croissance. Il n’y a pas de « charges » mais des cotisations sociales qui sont en réalité du salaire différé.

Et nous sommes inquiets quand nous découvrons que la baisse des cotisations promise aux entreprises s’accompagne d’une réduction de 50 milliards d’euros des dépenses publiques en trois ans, sans même savoir quels sont ceux qui en supporteront les conséquences. Ce qui risque de rogner sur le modèle social français dont les grands principes ont été établis à la Libération.

La focalisation exclusive sur la baisse du « coût du travail » ne constitue pas une réponse adaptée

Comme l’ensemble de l’Union européenne, la France souffre de la crise. Les libéraux, dont le patronat se fait le porte-­‐parole, associent cette crise à un problème global de compétitivité engendré par une explosion du « coût du travail ». Cette lecture nous semble contestable.

Depuis le début des années 90, des centaines de milliards d’aides, d’exonérations, de subventions ont été́ distribuées sans aucun effet sur l’emploi et la compétitivité de nos entreprises. Pire, elles ont alimenté la rente au détriment des salaires et de l’investissement. Entre 1999 et 2008, alors que les firmes allemandes ont réduit leur taux de dividendes versées de 10%, leurs homologues françaises l’ont augmenté de près de 50%. Le « coût du capital » n’a jamais été aussi élevé.

L’industrie française se délite et les politiques libérales de ces 20 dernières années n’ont fait qu’en précipiter la chute, croyant pouvoir créer une « France sans usine », renonçant à toute politique industrielle ambitieuse. Le renouveau industriel nécessite un renforcement de notre « compétitivité hors-coût » qui ne sera rendue possible que par des aides ciblées et d’une réorientation des bénéfices de la rente vers l’investissement productif.

Or, on ne peut que constater la victoire de la finance sur la production. C’est la conséquence de la concentration de la richesse entre les mains d’un nombre de plus en plus petit. Aujourd’hui, alors que 10 % de la population concentre 60 % du patrimoine, les banques imposent aux entreprises des règles qui donnent la priorité́ à l’accroissement systématique des marges. Dès lors, il ne faut pas s’étonner du mouvement de concentration du capital (les quatre premières banques françaises ont un bilan équivalent à 400 % du PIB) et de financiarisation de l’économie.

Enfin, ne nous voilons pas la face. La finitude des ressources naturelles, la hausse inéluctable du prix des énergies fossiles dont notre modèle de production et de consommation est dépendant, la stagnation de nos taux de croissance déconnectés du bien-être humain, nous obligent à imaginer un nouveau modèle de développement. De même, l’évolution des gains de productivité́ rend indispensable de réfléchir à une nouvelle répartition du travail. Mais ce nouveau modèle de développement est par définition antagoniste des logiques libérales, court-termistes, à l’œuvre de nos jours.

Pour nous, la priorité doit donc être la suivante: favoriser l’emploi et l’investissement productif aux dépens de la rente.

Les préconisations avancées jusqu’à présent sont déséquilibrées.

Les socialistes se sont toujours refusés à opposer offre et demande, production et redistribution, bonne gestion des comptes publics et relance de l’économie. Les propositions contenues dans le « pacte de responsabilité́ » semblent s’écarter de cette position d’équilibre.

  • 1) L’objectif de baisse accélérée des dépenses publiques comporte des risques majeurs.

Le Président de la République s’est engagé à ne pas toucher au modèle social français. Néanmoins, la priorité́ accordée aux 50 milliards d’euros d’économies en trois ans, nous fait craindre une réduction du périmètre d’intervention de l’Etat, nuisible aux politiques sociales existantes et au fonctionnement des services publics.

  • 2) le redressement n’est pas possible sans la justice

A trop se focaliser sur « l’offre » et la « baisse des charges », le « pacte de responsabilité́ » risque de comprimer l’activité́ économique.

Par ailleurs, elle réduit considérablement nos marges de manœuvres pour mener à bien des politiques ambitieuses dans le domaine de l’éducation, du logement ou de la culture. Comment continuer à soutenir l’effort de réinvestissement de l’Etat dans le domaine éducatif mené́ depuis le 6 mai, si les baisses de crédits y sont massives ? Comment soutenir l’exception culturelle si, pour la troisième année consécutive nous baissons le budget du ministère de la culture. Enfin, comment les collectivités territoriales pourront-elles continuer à être le premier investisseur public de notre pays, si elles doivent réaliser des coupes budgétaires massives ?

Notre pays doit partir de ses atouts : qualité de la main d’œuvre, de ses services et infrastructures publics. Agir pour notre compétitivité, c’est penser dès maintenant le monde de demain et notre modèle de développement.

C’est donc d’abord agir sur nos capacités productives (montée en gamme, sobriété énergétique de notre appareil productif, investissement dans les énergies renouvelables, utilité́ sociale) et sur nos infrastructures. Ainsi en 2011, les importations énergétiques pesaient 88% du déficit de notre balance commerciale, entamant d’autant la création d’emplois et les capacités d’investissement de nos entreprises.

L’investissement dans l’éducation, la formation, la recherche, la transition énergétique, sont autant de leviers pour une stratégie de développement durable à moyen et long terme. L’enchainement des crises ces vingt dernières années témoigne d’un système court-termiste à bout de souffle, qui ne répond plus au double impératif d’efficacité́ économique et de justice sociale. Cette option volontariste d’investissement que nous proposons est un moyen d’en sortir.

Mais cet effort serait vain si, faute de consommation, bon nombre d’entreprises n’avaient pas de carnets de commande remplis, si faute de « planification » les industriels n’avaient aucune vision de l’avenir, et si faute d’anticipation ils n’étaient pas au rendez-­‐vous d’une reprise française et internationale.

Dès lors, nous pensons que, dans la mobilisation générale pour l’emploi décrétée par l’exécutif, la consommation populaire doit prendre toute sa place. Elle passe notamment par une réforme fiscale de grande ampleur, comme l’a d’ailleurs proposé le Premier ministre. Loin de s’opposer, redressement et justice vont de pair.

Obtenir un compromis social favorable au monde du travail

La social-démocratie suppose que le parti majoritaire à gauche soutienne les syndicats de salariés pour arracher un compromis au patronat.

Si le Président a été́ très clair sur les avantages accordés aux entreprises, les contreparties demandées restent floues. Il faudra plus qu’un « observatoire » pour imposer amélioration des conditions de travail, discussion sur les salaires, partage du travail ou multiplication des embauches. D’autant que le MEDEF, par la voix de son président, refuse de rentrer dans une logique de « donnant-­‐donnant » qui serait pourtant la moindre des choses. En lien avec les déclarations présidentielles, nous insistons sur la double nécessité́ de ne pas alimenter la rente pour servir l’investissement productif et de faire bénéficier les salariés, par le biais de la rémunération notamment, d’une part de cette aide.

Il n’y aura pas de « compromis social » favorable aux salariés sans mobilisation du parti, des parlementaires, du mouvement social. Salaires, embauches, réduction et partage du temps de travail, droits des salariés, contrôle des licenciements abusifs, modalités de remboursement des aides en cas de non-respect des engagements, politique de redistribution des dividendes : dans tous ces domaines nous devons porter des exigences fortes.

Oui, nous devons les porter, et en toute liberté́. Sachons-nous désintoxiquer des institutions de la Vème République. Tout ne peut procéder d’un seul homme. Les débats politiques ne se règlent pas en brandissant la menace de mesures disciplinaires ou en mettant les parlementaires au pied du mur.

Le PS doit jouer pleinement son rôle. Pour la réussite de la gauche au pouvoir, il faut un Parti autonome, force de propositions, relais des aspirations mais aussi des mécontentements. C’est une des conditions de la réussite commune.

Cette réussite passe aussi par l’implication de la gauche dans toute sa diversité́. Il n’y a aujourd’hui de salut pour la gauche française que dans la construction de convergences entre les forces politiques et sociales qui la composent. Au moment où une partie de la droite radicalisée fait jonction avec une extrême droite plus menaçante que jamais, le rassemblement de la gauche est une ardente obligation.

Signataires
27 membres du Bureau National du Parti socialiste (sur 72) : Pouria Amirshahi, Tania Assouline, Guillaume Balas, Marie Bidaud, Sandrine Charnoz, Pascal Cherki, Laurianne Deniaud, Stéphane Delpeyrat, Antoine Détourné, Julien Dray, Henri Emmanuelli, Anne Ferreira, Gérard Filoche, Olivier Girardin, Jérôme Guedj, Liêm Hoang-­‐Ngoc, Frédéric Hocquard, Régis Juanico, Marie Noelle Lienemann, Marianne Louis, Fréderic Lutaud, Delphine Mayrargue, Emmanuel Maurel, Jonathan Munoz, Nadia Pellefigue, Paul Quiles Roberto Romero, Jean-­‐François Thomas, Isabelle Thomas

06/02/2014

Monique Pinçon-Charlot : « La violence des riches atteint les gens au plus profond de leur esprit et de leur corps »

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Qui sont les riches aujourd’hui ? Quel impact ont-ils sur la société française ? Pour la sociologue Monique Pinçon-Charlot, les riches font subir au reste de la société une violence inouïe. Une violence banalisée grâce à un renversement du langage : les riches seraient des victimes, menacées par l’avidité du peuple. Elle dénonce un processus de déshumanisation, une logique de prédation, une caste qui casse le reste de la société. Et invite à organiser une « vigilance oligarchique » : montrer aux puissants que leur pouvoir n’est pas éternel.

Basta ! : Qu’est-ce qu’un riche, en France, aujourd’hui ?

Monique Pinçon-Charlot [1] : Près de 10 millions de Français vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté. Celui-ci est défini très précisément. Mais il n’existe pas de « seuil de richesse ». C’est très relatif, chacun peut trouver que son voisin est riche. Et pour être dans les 10 % les plus riches en France, il suffit que dans un couple chacun gagne 3000 euros.

Nous nous sommes intéressés aux plus riches parmi les riches. Sociologiquement, le terme « riche » est un amalgame. Il mélange des milieux très différents, et regroupe ceux qui sont au top de tous les univers économiques et sociaux : grands patrons, financiers, hommes politiques, propriétaires de journaux, gens de lettres... Mais nous utilisons délibérément ce terme. Car malgré son hétérogénéité, ces « riches » sont une « classe », mobilisée pour la défense de ses intérêts. Et nous voulons aujourd’hui contribuer à créer une contre-offensive dans cette guerre des classes que mènent les riches et qu’ils veulent gagner.

Pourquoi est-il si difficile de définir cette classe ?

La richesse est multidimensionnelle. Bourdieu parlait très justement de capital – capital économique, culturel, symbolique –, c’est ce qui donne du pouvoir sur les autres. A côté de la richesse économique, il y a la richesse culturelle : c’est le monde des musées, des ventes aux enchères, des collectionneurs, des premières d’opéra... Jean-Jacques Aillagon, président du comité des Arts décoratifs, vient d’être remplacé par un associé-gérant de la banque Lazard. Dans l’association des amis de l’Opéra, on retrouve Maryvonne Pinault (épouse de François Pinault, 6ème fortune de France), Ernest-Antoine Seillière (ancien président du Medef, 37ème fortune de France avec sa famille) [2]...

A cela s’ajoute la richesse sociale, le « portefeuille » de relations sociales que l’on peut mobiliser. C’est ce qui se passe dans les cercles, les clubs, les rallyes pour les jeunes. Cette sociabilité mondaine est une sociabilité de tous les instants : déjeuners, cocktails, vernissages, premières d’opéra. C’est un véritable travail social, qui explique la solidarité de classe. La quatrième forme est la richesse symbolique, qui vient symboliser toutes les autres. Cela peut être le patronyme familial : si vous vous appelez Rothschild, vous n’avez pas besoin d’en dire davantage... Cela peut être aussi votre château classé monument historique, ou votre élégance de classe.

Il existe aussi une grande disparité entre les très riches...

Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, est en tête du palmarès des grandes fortunes professionnelles de France, publié chaque année par la revue Challenges. Il possède 370 fois la fortune du 500ème de ce classement. Et le 501ème est encore très riche ! Comparez : le Smic à 1120 euros, le revenu médian à 1600 euros, les bons salaires autour de 3000 euros, et même si on inclut les salaires allant jusque 10 000 euros, on est toujours dans un rapport de 1 à 10 entre ces bas et hauts salaires. Par comparaison, la fortune des plus riches est un puits sans fond, un iceberg dont on ne peut pas imaginer l’étendue.

Malgré l’hétérogénéité de cette classe sociale, les « riches » forment, selon vous, un cercle très restreint.

On trouve partout les mêmes personnes dans une consanguinité tout à fait extraordinaire. Le CAC 40 est plus qu’un indice boursier, c’est un espace social. Seules 445 personnes font partie des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Et 98 d’entre eux détiennent au total 43 % des droits de vote [3] ! Dans le conseil d’administration de GDF Suez, dont l’État français possède 36 % du capital, il y a des représentants des salariés. Ceux-ci peuvent être présents dans divers comités ou commissions, sauf dans le comité des rémunérations. Cela leur est interdit. Qui décide des rémunérations de Gérard Mestrallet, le PDG ? Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, notamment. C’est l’entre-soi oligarchique.

Cela semble si éloigné qu’on peut avoir l’impression de riches vivant dans un monde parallèle, sans impact sur notre vie quotidienne. Vous parlez à propos des riches de « vrais casseurs ». Quel impact ont-ils sur nos vies ?

Avec la financiarisation de l’économie, les entreprises sont devenues des marchandises qui peuvent se vendre, s’acheter, avec des actionnaires qui exigent toujours plus de dividendes. Selon l’Insee, les entreprises industrielles (non financières) ont versé 196 milliards d’euros de dividendes en 2007 contre 40 milliards en 1993. Vous imaginez à quel niveau nous devons être sept ans plus tard !

monique pincon charlot,richesNotre livre s’ouvre sur une région particulièrement fracassée des Ardennes, avec l’histoire d’une entreprise de métallurgie, qui était le numéro un mondial des pôles d’alternateur pour automobiles (les usines Thomé-Génot). Une petite entreprise familiale avec 400 salariés, à qui les banques ont arrêté de prêter de l’argent, du jour au lendemain, et demandé des remboursements, parce que cette PME refusait de s’ouvrir à des fonds d’investissement. L’entreprise a été placée en redressement judiciaire. Un fonds de pension l’a récupéré pour un euro symbolique, et, en deux ans, a pillé tous les savoir-faire, tous les actifs immobiliers, puis fermé le site. 400 ouvriers se sont retrouvés au chômage. C’est un exemple parmi tant d’autres ! Si vous vous promenez dans les Ardennes aujourd’hui, c’est un décor de mort. Il n’y a que des friches industrielles, qui disent chaque jour aux ouvriers : « Vous êtes hors-jeu, vous n’êtes plus rien. On ne va même pas prendre la peine de démolir vos usines, pour faire des parcs de loisirs pour vos enfants, ou pour planter des arbres, pour que vous ayez une fin de vie heureuse. Vous allez crever. »

Comment s’exerce aujourd’hui ce que vous nommez « la violence des riches » ?

C’est une violence inouïe. Qui brise des vies, qui atteint les gens au plus profond de leur corps, de leur estime, de leur fierté du travail. Être premier dans les pôles d’alternateur pour automobiles, c’est faire un travail de précision, c’est participer à la construction des TGV, à l’une des fiertés françaises. Casser cela est une violence objective, qui n’est ni sournoise ni cachée, mais qui n’est pas relayée comme telle par les politiques, par les médias, par ces chiens de garde qui instillent le néolibéralisme dans les cerveaux des Français. Pour que ceux-ci acceptent que les intérêts spécifiques des oligarques, des dominants, des riches, deviennent l’intérêt général.

Comment cette violence objective se transforme-t-elle en assujettissement ?

C’est une forme d’esclavage dans la liberté. Chacun est persuadé qu’il est libre d’organiser son destin, d’acheter tel téléphone portable, d’emprunter à la banque pendant 30 ans pour s’acheter un petit appartement, de regarder n’importe quelle émission stupide à la télévision. Nous essayons de montrer à quel système totalitaire cette violence aboutit. Un système totalitaire qui n’apparaît pas comme tel, qui se renouvelle chaque jour sous le masque de la démocratie et des droits de l’homme. Il est extraordinaire que cette classe, notamment les spéculateurs, ait réussi à faire passer la crise financière de 2008 – une crise financière à l’état pur – pour une crise globale. Leur crise, est devenue la crise. Ce n’est pas une crise, mais une phase de la guerre des classes sans merci qui est menée actuellement par les riches. Et ils demandent au peuple français, par l’intermédiaire de la gauche libérale, de payer. Et quand on dit aux gens : « Ce n’est quand même pas à nous de payer ! », ils répondent : « Ah, mais c’est la crise »...

Pourquoi et comment les classes populaires ont-elles intégré cette domination ?

C’est une domination dans les têtes : les gens sont travaillés en profondeur dans leurs représentations du monde. Cela rend le changement difficile, parce qu’on se construit en intériorisant le social. Ce que vous êtes, ce que je suis, est le résultat de multiples intériorisations, qui fait que je sais que j’occupe cette place-là dans la société. Cette intériorisation entraîne une servitude involontaire, aggravée par la phase que nous vivons. Avec le néolibéralisme, une manipulation des esprits, des cerveaux, se met en place via la publicité, via les médias, dont les plus importants appartiennent tous à des patrons du CAC 40.

Sommes-nous prêts à tout accepter ? Jusqu’où peut aller cette domination ?

Dans une chocolaterie qu’il possède en Italie, le groupe Nestlé a proposé aux salariés de plus de cinquante ans de diminuer leur temps de travail [4], en échange de l’embauche d’un de leurs enfants dans cette même entreprise. C’est une position perverse, cruelle. Une incarnation de ce management néolibéral, qui est basé sur le harcèlement, la culpabilisation, la destruction. Notre livre est un cri d’alerte face à ce processus de déshumanisation. On imagine souvent que l’humanité est intemporelle, éternelle. Mais on ne pense pas à la manipulation des cerveaux, à la corruption du langage qui peut corrompre profondément la pensée. Le gouvernement français pratique la novlangue : « flexi-sécurité » pour ne pas parler de précarisation, « partenaires sociaux » au lieu de syndicats ouvriers et patronat, « solidarité conflictuelle ». Le pouvoir socialiste pratique systématiquement une pensée de type oxymorique, qui empêche de penser. Qui nous bloque.

Les riches entretiennent une fiction de « surhommes » sans qui il n’y aurait pas travail en France, estimez-vous. Menacer les riches signifie-t-il menacer l’emploi ?

Cette menace est complètement fallacieuse. Dans la guerre des classes, il y a une guerre psychologique, dont fait partie ce chantage. Mais que les riches s’en aillent ! Ils ne partiront pas avec les bâtiments, les entreprises, les autoroutes, les aéroports... Quand ils disent que l’argent partira avec eux, c’est pareil. L’argent est déjà parti : il est dans les paradis fiscaux ! Cette fiction des surhommes fonctionne à cause de cet assujettissement, totalitaire. Quand on voit le niveau des journaux télévisés, comme celui de David Pujadas, il n’y a pas de réflexion possible. En 10 ans, les faits divers dans les JT ont augmenté de 73 % !

Certains se plaignent d’une stigmatisation des « élites productives ». Les riches ont-ils eux aussi intériorisé ce discours, cette représentation ?

Notre livre s’ouvre sur une citation extraordinaire de Paul Nizan [5] : « Travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il est nécessaire [à la bourgeoisie] de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle-même doit le croire. M. Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui ». C’est pour cela que cette classe est tout le temps mobilisée : les riches ont sans cesse besoin de légitimer leur fortune, l’arbitraire de leurs richesses et de leur pouvoir. Ce n’est pas de tout repos ! Ils sont obligés de se construire en martyrs. Un pervers narcissique, un manipulateur, passe en permanence du statut de bourreau à celui de victime, et y croit lui-même. C’est ce que fait l’oligarchie aujourd’hui, par un renversement du discours économique : les riches seraient menacées par l’avidité d’un peuple dont les coûts (salaires, cotisations...) deviennent insupportables. On stigmatise le peuple, alors que les déficits et la dette sont liés à la baisse des impôts et à l’optimisation fiscale.

Depuis que le parti socialiste est au pouvoir, qu’est-ce qui a changé ? Y a-t-il eu des améliorations concernant cette violence des riches que vous dénoncez ?

On ne peut pas parler d’amélioration : nous sommes toujours dans un système oligarchique. Nos dirigeants sont tous formés dans les mêmes écoles. Quelle différence entre Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy ? Je ne suis pas capable de vous le dire. L’histoire bégaye. Un exemple : le secrétaire général adjoint de l’Élysée est actuellement Emmanuel Macron, qui arrive directement de la banque d’affaires Rothschild. Sous Nicolas Sarkozy, ce poste était occupé par François Pérol, qui venait aussi de chez Rothschild. Les banques Lazard et Rothschild sont comme des ministères bis [6] et conseillent en permanence le ministre de l’Économie et des Finances. La mission de constituer la Banque publique d’investissement (BPI) a été confiée par le gouvernement à la banque Lazard... Et la publicité sur le crédit d’impôt lancé par le gouvernement a été confiée à l’agence Publicis. Qui après avoir conseillé Nicolas Sarkozy conseille maintenant Jean-Marc Ayrault. On se moque de nous !

Pierre Moscovici et François Hollande avait promis une loi pour plafonner les salaires de grands patrons [7]. Ils y ont renoncé. Pierre Moscovici a annoncé, sans rire, qu’il préférait « l’autorégulation exigeante ». Des exemples de renoncement, nous en avons à la pelle ! Le taux de rémunération du livret A est passé de 1,75 % à 1,25 %, le 1er août. Le même jour, Henri Emmanuelli, président de la commission qui gère les livrets A [8], a cédé au lobby bancaire, en donnant accès aux banques à 30 milliards d’euros supplémentaires sur ces dépôts. Alors qu’elles ont déjà reçu des centaines de milliards avec Nicolas Sarkozy ! Elles peuvent prêter à la Grèce, au Portugal, avec un taux d’intérêt de 8 ou 10 %... Avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), entré en vigueur le 1er janvier 2013, c’est encore 20 milliards d’euros de recettes fiscales en moins chaque année, offerts aux entreprises, et qui plombent le déficit public de façon absolument considérable.

Le Front national a un discours virulent contre les « élites » françaises. N’avez-vous pas peur que votre analyse soit récupérée par l’extrême-droite ?

Nous ne disons pas que les politiques sont « tous pourris », comme le fait le FN. Nous proposons une analyse en terme de classes, pour donner à voir des mécanismes sociaux. Nous cherchons à dévoiler le fonctionnement de cette caste qui casse le reste de la société, dans une logique de prédation qui va se poursuivre dans une spirale infernale. Le Front National désigne comme bouc émissaire l’immigré ou le Rom, donnant en pâture ce qui est visible. Le Rom est d’ailleurs devenu un bouc émissaire transversal à l’échiquier politique, depuis la gauche libérale avec Manuel Valls jusqu’au Front National. Si on doit pointer précisément un responsable à la situation actuelle, c’est plutôt une classe sociale – les riches – et un système économique, le néolibéralisme. Puisqu’il faut des formules fortes : le banquier plutôt que l’immigré !

Vous parlez dans votre ouvrage d’une guerre des classes qui n’est pas sans visage. N’y a-t-il pas un enjeu justement à « donner des visages » à cette classe, comme vous le faites ?

C’est une nécessité absolue. Il faut s’imposer d’acheter chaque année ce bijou sociologique qu’est le palmarès du magazine Challenges. Et s’efforcer d’incarner, de mettre des visages sur cette oligarchie... C’est une curiosité nécessaire, les gens doivent être à l’affût de cette consanguinité, de cette opacité, de la délinquance financière. Nos lecteurs doivent se servir de notre travail pour organiser une « vigilance oligarchique » : montrer aux puissants que leur pouvoir n’est pas éternel, empêcher ce sentiment d’impunité qu’ils ont aujourd’hui, car ils savent que personne n’ira mettre son nez dans leurs opérations financières totalement opaques.

Nous avons aussi expérimenté des visites ethnographiques dans les quartiers riches, pour vaincre nos « timidités sociales ». Se promener dans les beaux quartiers, leurs cinémas, leurs magasins, leurs cafés, est un voyage dans un espace social. Il faut avoir de l’humilité pour accepter d’être remis à sa place, ne pas se sentir à l’aise, se sentir pauvre car vous ne pouvez pas vous payer une bière à six euros. Mais c’est une expérience émotionnelle, existentielle, qui permet des prises de conscience. Une forme de dévoilement de cette violence de classe.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux, pour Basta

(@AgnesRousseaux)

Photo de une : complexe de Paraisópolis, à proximité d’une favela, au sud de São Paulo (Brésil) / Tuca Vieira

03/02/2014

Chronique de la Robe Rouge : Lumpenproletariat

sophia.jpgLa seule raison pour laquelle j’en veux profondément à l’école de la République, c’est de ne pas m’avoir prévenue d’une chose. Du moins, d’avoir omis de nuancer son propos concernant un sujet précis: il n’y a en réalité pas d’ascenseur social. Non. Il y en a deux.

L’un pour les riches, l’autre pour les pauvres L’un qui est un immense cylindre en verre un peu comme on pourrait voir dans les gratte-ciel dernier cri à Hong-Kong; l’autre est un ascenseur cabossé d’un HLM des années soixante du quartier le plus dépravé de Corbeil-Essonnes et qui fonctionne une fois sur deux : je suis gentille.

L’ascenseur bourgeois est beau, il y a du jazz en musique de fond et vous emmène étage par étage, exactement là où vous voulez aller. Celui du lumpenproletariat débloque grave : si vous avez la chance que la porte s’ouvre, vous êtes un gros veinard (hum, hum!) Et puis surtout, très souvent, il se bloque, ne monte pas bien haut, il sent l’urine de chien et grince quand il veut bien grimper.

En fait, on vous fait croire que vous êtes chanceux. On vous fait croire que "mais c’est super! Tu devrais être reconnaissant-e, tu as une bien meilleure condition que tes parents". En effet, ce n’est pas bien compliqué de faire mieux que ces parents malades, analphabètes ou sachant à peine lire, dépressifs immigrés, ouvriers, sans-papiers et je vous passe les autres allègres dotations initiales.

Oui, depuis toujours et de tout temps nous sommes éduqués à nous satisfaire de situations qui en soi sont loin d’être satisfaisantes sous prétexte que "ça aurait pu être pire". Bah oui ma fille! Estime toi heureuse, tu ne seras pas une incubatrice sur pattes, contrairement à ta mère tu as la contraception et l’IVG.

Ah booooon…?

L’Espagne, oui tu sais nos voisins de pallier, européens, l’OCCIDENT Gary! Un pays du Nord, civilisé, un moralisateur et donneur de leçons, l’un des précurseurs des Droits de l’Homme. Pardon, avec un petit "h" en réalité. Sexe masculin, blanc, chrétien, hétéro, en CDI et partisan de la croissance et du libéralisme. Et si tu ne fais pas partie de cette catégorie… je ne parle pas aux sous-prolétaires.

L’Espagne donc, n’a pas hésité à reculer sur ce droit, un grand bon en arrière, ce qui a suscité de vives réactions chez nous en France réveillant les aspirations obscurantistes de nos chers copains les pro-vie (ou plutôt les anti-choix). Evidemment, en France il n’y a ni chômage, ni pauvreté, ni précarité, ni austérité, ce qui pose problème c’est que des femmes choisissent de ne pas poursuivre une grossesse. Ah ça! C’est TE-RRIBLE! Aucune morale ces bonnes femmes qui n’assument pas leur fonction de reproduction. T’as vu j’parle comme Le Pen père (regarde ici si tu ne me crois pas).
Le pire c’est que pas plus tard que lundi, j’ai ouï dire par l’un de mes enseignants, qu’en France, il n’y avait pas de patriarcat. Le genre de trucs qu’il faut vraiment s’abstenir de prononcer devant moi. Pour parler de patriarcat il faut être lapidée sur la place du village, sinon, oh rien de méchant, la femme qui meurt tous les deux jours sous les coups de son compagnon: BAGATELLE. Celle qui a compétence égale gagne 30% de moins: que nenni, point de patriarcat. Que des hommes achètent les faveurs sexuelles d’une femme: ne vous offusquez point tout est marchandise chez Mr Capitalisme, même les humains, surtout les femmes.

Je vous disais donc que je regrette sincèrement de ne pas avoir été prévenue que Bourdieu disait vrai à propos de ces histoires de capital social. Déçue de ne pas pouvoir emprunter le même ascenseur que la nana de mon âge qui vit à Neuilly, je veux écouter du jazz moi aussi, merdum.
Lorsque je vous parlais de riches et de pauvres, ce n’est pas un raccourci facile et naïf. Depuis toute petite j’ai cette intuition que celui qui est riche n’est pas seulement celui pars en vacances deux fois par an, une fois au ski et une fois sur la Côte d’Azur, c’est également celui qui a un bon carnet d’adresse et qui d’un coup de téléphone peut se débrouiller pour avoir un entretien d’embauche, celui qui dans l’année sera régulièrement allé au cinéma, au théâtre, voir des expositions, qui possède en somme une connaissance pointue de l’histoire, de la littérature et du patrimoine. On reconnaît le pauvre lui, à ses arbitrages entre aller chez le dentiste ou se payer une nouvelle paire de chaussures, à sa nature écolo-forcé économisant intempestivement l’électricité et le chauffage (c’est pas malin d’ailleurs parce que du coup il tombe malade et se retrouve face à un nouveau dilemme).

On nous endort donc avec de bien curieuses préoccupations, aujourd’hui le problème c’est l’IVG, une soi disant théorie du genre enseignée aux enfants, le mariage homosexuel, "les juifs et les arabes", et plus du tout notre avenir. Quelqu’un va-t-il enfin se préoccuper du fait que continuer à austéritériser va finir par nous tuer? Oui, oui, vous avez bien entendu, l’austérité tue à petit feu par la précarité énergétique, un accès au soins réduit et cette fichue médecine à eux vitesses, l’exclusion sociale (c’est sûr que c’est tellement simple de s’intégrer, immigré ou pas, lorsque l’on te coince dans ta cité dépourvue de tout accompagnement au logis) et la précarité financière en générale.

Laissez-nous disposer de notre corps librement bon sang, laissez nous faire des enfants lorsque l’envie nous prend et surtout ces enfants, épargnons leur une éducation sexuée, donnons-leur simplement une bonne éducation, inculquons leurs de bonnes valeurs : celles de la tolérance, de la fraternité, du partage, de la curiosité… il y a tellement de choses à apprendre à des enfants plutôt que leur rappeler que le rose c’est pour les filles et le bleu pour les garçons.

Bizarrement, lorsqu’il s’agit de protester afin de payer un taux marginal d’imposition moins important que celui de Liliane B., on n’entend plus personne. Hé oui… Nous adorons et nous prosternons devant les détenteurs du Dieu Suprême: Argent.

Révolutionnairement vôtre,

la Robe Rouge.

12:13 Publié dans Cactus, La Robe rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chronique, la robe rouge, société | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!