01/01/2013
Cinéma: Sam Karmann dénonce le système des acteurs "bancables"
Les têtes d'affiche du cinéma trop payées? Dans la polémique qui secoue le cinéma français, l'acteur et réalisateur Sam Karmann signe une tribune remarquée en dénonçant le système des acteurs "bancables" sans lesquels les films ne se font plus.
Dans une lettre ouverte publiée sur Lemague.net, Le réalisateur de Kennedy et moi ou de A la petite semaine s'adresse au producteur Vincent Maraval, par qui la polémique est arrivée, pour aller plus loin dans la critique des dysfonctionnements du cinéma français et de la création audiovisuelle.
"C’est ça qui pose problème, relève Sam Karmann, qu’on ne puisse (ou très difficilement) monter un film sans qu’il y ait au moins un "bancable" dans la liste. Combien sont-ils ces bancables? Entre 3 et 5 par génération. Car les autres, tous les autres, les acteurs pas vedettes, les petits, les moyens, les sans grade à l’échelle du box-office, les 20.000 autres, intermittents, qu’ils soient inconnus ou même un peu connus voire reconnus du grand public (comme votre serviteur par exemple), savons que nos cachets ont été divisés pas 2 depuis les années 2000. Et je ne parle pas de l’écrasante majorité des acteurs qui composent les listes artistiques des films et qui sont payés moins de 1000€/jour."
Audimat
L'acteur et réalisateur décrit la dégradation des conditions de travail dans le cinéma comme à la télévision, où "les salaires des rôles principaux (qui) ont servi de variable d’ajustement aux productions qui diminuaient leur coût au fur et à mesure que les diffuseurs diminuaient leurs financement." Concernant les films indépendants, il pointe enfin les salaires "mis pour partie en "participation", c’est à dire payé si le film est amorti… On sait tous ce que cela veut dire."
Cette dérive découle d'une cause essentielle, selon Sam Karmann: "La faute au système bien sûr, qui (...) réclame des "noms" pour monter le financement en sachant pertinemment que ce n’est évidemment pas une garantie du succès du film en salle. Mais qu’il est dans le cahiers des charges des diffuseurs de justifier une promesse -devenue chimérique- d’audimat quand le film passera à la télé."
Financiarisation
Dans sa remise en cause, le réalisateur appelle à ne pas tout casser. "Ne cassons pas ce système extraordinaire qu’est l’intermittence, la redistribution du CNC et l’obligation des diffuseurs de financer le cinéma." Mais, conclut-il, "comme partout dans la société et dans ce monde financiarisé à tout crin, rien ne va plus quand "le patron-vedette" gagne 1 million d'euros tandis que "l’acteur-ouvrier" qui vient lui donner la réplique gagne le smic."
Publié par l'Humanité
18:59 Publié dans Actualités, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, belgique, cinéma français, évasion fiscale, exil fiscal, exception culturelle, gérard depardieu | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
16/08/2012
Une maison hantée… de souvenirs oubliés
Avec ce troisième long métrage en tant que réalisatrice, la comédienne Anne Le Ny nous dépeint une Bretagne qu’elle connaît depuis l’enfance. Une femme se penche sur son passé.
Cornouaille, d’Anne Le Ny. France, 2012, 1 h 35.
Odile est une jeune femme qui aurait tout pour réussir, du travail à ne pas laisser de page vide dans son agenda, un physique avenant, un amant, marié sans doute mais bon, disons que nul n’est parfait.
Un incident survient, si l’on ose qualifier d’incident un décès. Sa tante, qu’elle a connue du temps où l’on passe avec délices son été dans une demeure familiale, est passée de vie à trépas. Voilà Odile héritière, d’où la nécessité de se rendre en Bretagne en aller-retour pour rencontrer le notaire chargé des démarches lui permettant de négocier son bien.
Mais voilà, il ne suffit pas d’une simple pancarte À vendre pour que tout soit automatiquement résolu. Encore faudrait-il se souvenir quelle pierre sert de cachette à la clé ou comment on peut rétablir l’eau. Et puis il y a les voisins, Loïc en particulier, qui l’aborde avec familiarité au nom de leurs souvenirs d’enfance partagés, sinon qu’elle ne se souvient de rien. On sait que les amours ne sont pas toujours réciproques à l’âge adulte. Alors, à cinq ans… Où est la vérité ? Où est le mensonge, l’invention ?
Tout cela commence merveilleusement. Anne Le Ny, qu’on respecte comme comédienne et dont on avait déjà apprécié les deux premières réalisations, Ceux qui restent et les Invités de mon père, titres qui tournaient déjà autour de l’idée de mort, a le sens du lieu. Et pour cause, le film a été tourné dans un rayon de dix kilomètres autour de sa propre maison de vacances familiale, près d’Audierne. Cela se voit.
On ne peut qu’admirer le sens, pictural et dramatique à la fois, de sa saisie d’une Cornouaille quotidienne qui évite les clichés touristiques, comme de son rendu d’une demeure plongée dans l’abandon. C’est là question de vibrations.
Par ailleurs, Anne Le Ny déclare : « Petite fille, je me suis raconté des tas d’histoires en me promenant seule sur la grève. » On sait la terre bretonne riche de mystères, de légendes et de références à des cultures ancestrales. C’est ce qui détermine le récit.
Rien ne va se passer comme prévu, à commencer par la vente de cette maison à laquelle, les jours passant, notre héroïne va progressivement s’attacher.
C’est donc le moment de saluer les comédiens qui, avec les décors, composent le plus visible de l’œuvre. Vanessa Paradis apporte à son personnage d’Odile une fraîcheur cristalline d’une rare transparence, on ne se souvient pas l’avoir trouvée aussi juste depuis des lustres. Pour camper autour d’elle amant, notaire, clients ou voisins, on trouve, entre autres, Samuel Le Bihan, Jonathan Zaccaï, Laurent Stocker ou Aurore Clément. La distribution est harmonieuse comme s’entendent et se complètent comédiens et apports techniques.
19:57 Publié dans Actualités, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, bretagne, vanessa paradis, samuel le bihan | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
25/03/2012
Benoît Jacquot : "Peut-être va-t-on revivre cela au soir du deuxième tour"
Un film magnifique qui se déroule sur trois jours. Les Adieux à la reine se passent hier mais parlent peut-être d’aujourd’hui.
Désolé de commencer ainsi, mais est-ce que les Adieux à la reine, film d’époque donc, est un film cher ?
Benoît Jacquot. Disons qu’il commence à être amorti à 500 000 entrées en France. Du coup, cela entraîne une sortie sur plus de deux cents salles, donc il faut élargir l’offre. Pour autant, connaissant les incidences d’un film comme celui-ci, il me fallait ne rien perdre de mon désir et de ma façon de faire des films. J’ai bénéficié d’un producteur très important de télévision, de la complicité de Jean-Pierre Guérin, qui a déjà obtenu le 7 d’or de la meilleure œuvre de fiction en 1999, puis a décidé de faire du cinéma et qui a produit Mammuth, qui a très bien marché. Du coup, il a décidé de continuer, il est tombé amoureux du livre, qui a obtenu le prix Femina en 2002 qui, pour moi, correspondait à l’idée d’un film que j’avais très envie de voir et de faire. C’est lui qui m’a appelé, mais je ne voyais pas facilement comment le réaliser. Il n’en a pas démordu. Le mariage, si l’on peut dire, est né en 2007. Cela a pris cinq ans entre le moment où j’ai lu le livre à la parution et la mise en production. Puis se sont écoulés encore cinq ans, tant était prégnant le sentiment d’un film à faire. Voilà, il sort maintenant un mois avant le premier tour de la présidentielle et je trouve que cela tombe parfaitement.
Qu’elle était donc votre motivation profonde ?
Benoît Jacquot. Ce qui m’a attaché, c’est l’idée de montrer la fin d’un monde vécu au présent, qui est le centre du monde. De partir de la lectrice de la reine pour arriver au monde clos avec ses rites, la panique provenant des événements, comment elle vit cela, comment son cœur bat plus vite selon ce qui se passe, tout en restant dans le château, comment cette panique s’amplifie, comment sur le rafiot en péril l’équipage se barre avant les touristes. Peut-être, après le Costa Concordia, va-t-on revivre cela au soir du deuxième tour, si l’on coupe la tête de Sarkozy.
Encore faudrait-il la trouver. Parlons du peuple, qu’incarne cette lectrice…
Benoît Jacquot. Elle vient de nulle part. Elle est orpheline. C’est en effet une fille du peuple, comme on a dit un peu ultérieurement, chronologiquement parlant. C’est une gueuse. Elle est dans la servitude volontaire. La particularité du film est que tout est exposé par ce témoin alors que moi, je ne suis pas dans l’addiction. Pour moi, Marie-Antoinette n’est pas la rédemptrice telle que la voyait Alexandre Dumas, ni l’héroïne de Chateaubriand, qui reconnaît son sourire en voyant son crâne dans les Mémoires d’outre-tombe. Il y a une fascination qui règne autour du personnage de Marie-Antoinette. Les Japonais ont acheté le film. Les Américains veulent le sortir le 13 juillet. C’est un personnage fascinant. Elle est au centre, mais moi je commence le film au moment où finit celui de Sofia Coppola. Chez moi, elle passe du stade de princesse capricieuse et libertine à celui de reine de France au destin tragique.
Une polémique a été provoquée ces jours-ci. Des bien-pensants demandent de ne pas toucher à la reine...
Benoît Jacquot. Je veux bien qu’il y ait un culte autour de Marie-Antoinette, même si le film n’en fait pas un personnage diabolique. Elle n’est pas forcément sympathique et c’est tout. Le sujet est comment un lieu de pouvoir panique et peut se sentir atteint. Le sujet est à quel point l’installation au pouvoir est organiquement considérée comme éternelle par qui le prend, quand le contre-balancier vient. La République française est la mère de toutes les révolutions. Le but était de s’approcher de cela sans quitter le château, face aux citoyens qui veulent changer de soleil. Ce sans être dans l’antipathie, posture qui ne me paraît pas très intéressante.
Voyez-vous en ce film une continuité ou une rupture avec vos films précédents ?
Benoît Jacquot. Je suis dans le droit fil de mes films précédents. Mais dans un champ que je n’ai pas beaucoup abordé, dans le détour par un monde reconstitué pour toucher quelque chose qui est très actuel. C’est mon film le plus cher avec Tosca, ses décors monumentaux et tout un bazar technique, disons que c’est un de mes films les plus chers. Ce qui m’importe le plus est que, dans ces mouvements de panique, ce qu’on voit de cette panique provoque une accélération physique de tous les états, y compris physique. Ainsi de la reine. Il est admis qu’elle avait des favorites. J’ai évoqué cette possibilité admise par beaucoup et critiquée par certains. Si l’on pense qu’il n’y a jamais eu d’étreintes, vu les mœurs de la cour, il faut se demander de quoi est constitué l’imaginaire de ceux qui protestent.
Les Adieux à la reine, de Benoît Jacquot. France, 1 h 40. Le 14 juillet 1789 à Versailles, l’insouciance règne. Le roi n’est-il pas allé à la chasse ? Comme ne le rappelle pas le film qui, durant trois jours, donc jusqu’à la fuite, ne quitte pas le château pour se cantonner autour de Marie-Antoinette et de son entourage, cette populace qui se croit parvenue parce qu’elle a le bonheur d’habiter dans les combles insalubres. Avec Léa Seydoux dans le rôle de la lectrice, si proche mais dans le même temps si éloignée de la souveraine (Diane Kruger), qui lui préfère la pulpeuse Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen). Drame intime, affaires publiques. Une sacrée, si l’on peut dire, réussite.
18:35 Publié dans Actualités, Cinéma, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les adieuxà la reine, cinéma, benoit jacquot | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
29/04/2011
La fourmi et le rouleau compresseur japonais
Avec son deuxième long métrage, l’Allemand Florian Gallenberger nous fait revivre le massacre de Nankin en 1937 à travers le portrait d’un héros. John Rabe, le juste de Nankin de Florian Gallenberger. Allemagne. 2 h 10.
Personne en France ne semble connaître l’histoire de John Rabe. Guère plus en Allemagne, tout au moins jusqu’en 2003, date à laquelle cet homme mort dans l’oubli en 1950 a fait l’objet d’un hommage national, amplifié par la sortie de ce film l’an dernier qui, à l’équivalent germanique de nos césars, a obtenu sept nominations débouchant sur quatre statuettes dont celle du meilleur film et celle du meilleur acteur pour Ulrich Tukur, l’admirable interprète de la Vie des autres. En revanche, en Chine, John Rabe serait, affirme le dossier de presse, l’Allemand le plus connu sur place avec Marx et Engels, ce qui, vu le culte porté aux deux autres, serait un sommet absolu. En tout cas, force est de constater que le corps de Rabe a été transféré avec les honneurs de Berlin à Nankin en 1997, que le New York Times l’a surnommé le « Schindler de la Chine » et que, d’après le réalisateur, lui-même a été étroitement surveillé et freiné dans ses initiatives tant les Chinois désiraient être les seuls à apporter leur vision de cette page de l’histoire. Un rappel des faits s’impose donc, tels que vus par le film.
Une véritable hagiographie
Né en 1882 à Hambourg, John Rabe arrive en Chine en 1908, travaille dans la filiale chinoise de Siemens de 1911 à 1938, dont il devient gérant de la société en 1931. Alors que la politique allemande favorise l’alliance avec ce Japon qui va envahir la Chine, Siemens Chine, en charge de la construction d’un générateur gigantesque et d’un barrage, est sur le point de passer sous la férule d’un nazi convaincu quand survient le bombardement de Nankin en décembre 1937. Rabe, à la veille de son éviction de la société et de son rappel à Berlin, est choisi par les diplomates étrangers pour prendre la direction de la zone de sécurité pour civils instaurée afin de protéger la population chinoise. Voici donc un homme qui, pour s’en tenir au tout début du film, va ouvrir les portes de Siemens à la population et l’inviter à se réfugier sous un vaste drapeau nazi afin que les Japonais ne la bombardent pas.
On l’aura compris, ce film est, bien au-delà de la biographie, une véritable hagiographie, ce qu’on peut admettre quand on sait que Rabe (prononcer à la française) a été crédité du salut d’un quart de millions de Chinois. D’où ce succès de l’œuvre, au demeurant explicable. La cause est noble et méritait d’être exhumée. Le budget est impressionnant et la distribution itou, qui réunit Ulrich Tukur (John Rabe), Daniel Brühl, le comédien de Good Bye, Lenin ! (docteur Georg Rosen, juif allemand ayant mené une carrière de diplomate qui va aider Rabe à établir la zone de sécurité), Steve Buscemi (le docteur américain à la tête de l’hôpital de Nankin), Anne Consigny (la directrice de l’université de jeunes filles) et bien d’autres. Les contributions techniques sont exemptes de reproche. De l’académisme à son meilleur, qui devrait largement émouvoir.
Jean Roy, l'Humanité
11:25 Publié dans Actualités, Cinéma, Connaissances, Planète | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinema, japon, chine, john rabe | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |