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29/07/2014

Ukraine, Palestine, Israël : les ravages de la diplomatie émotionnelle / Politique internationale de la France : chapeau les artistes !

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FIGAROVOX/CHRONIQUE INTERNATIONALE - Alors que la crise ukrainienne et le conflit israélo-palestinien sont traités sur le registre de l'émotion par les politiques et les médias, Renaud Girard rappelle que la diplomatie est avant tout une affaire de sang-froid.

Renaud Girard est grand reporter international au Figaro. Il a couvert les grands conflits des trente dernières années. Il est notamment l'auteur d'un ouvrage sur la guerre en Irak, Pourquoi Ils se battent (Flammarion, 2006) et son dernier ouvrage, Le Monde en marche, a été publié aux éditions CNRS.


De tous temps, la diplomatie a été une affaire de constructions à long terme. Qu'il s'agisse de tracer des frontières, de nouer des alliances, d'édifier des unions douanières, de rédiger des règles internationales, de déléguer partiellement sa souveraineté, l'art diplomatique exige du temps. «Il faut qu'on laisse le temps au temps. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes, et l'échelle de l'histoire n'est pas celle des gazettes», disait le président Mitterrand. Il le savait mieux que quiconque, lui qui avait, avec son ami Kohl, patiemment achevé la construction de la monnaie commune européenne, œuvre commencée vingt ans auparavant par le tandem Giscard-Schmidt.

« Il faut qu'on laisse le temps au temps. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes, et l'échelle de l'histoire n'est pas celle des gazettes. »

François Mitterrand.

La diplomatie demande du temps dans sa préparation, dans ses objectifs (on fait des traités pour trente ans, pas pour une saison), dans son expérimentation. Il y a cinq ans, que n'a-t-on entendu sur la «mort de l'euro»? Maintenant qu'il a traversé avec succès sa crise d'adolescence, l'euro s'est imposé comme une incontournable monnaie de réserve mondiale. Si la justice américaine persiste à vouloir faire prévaloir sur la planète entière les lois votées à Washington, parions que l'euro remplacera bientôt le dollar comme instrument privilégié des transactions commerciales internationales. La monnaie unique européenne est un édifice diplomatique qui, dès le départ, s'est inscrit dans le temps long. C'est une des raisons de sa réussite.

Malheureusement, la vertu de cet exemple ne semble pas s'être imposée à nous. Avec le développement, en Occident, de la démocratie d'opinion - ce régime hybride qui veut que les ministres, dénués d'ambitions à long terme pour leur pays, gouvernent le nez sur le guidon des sondages et les oreilles rebattues par leurs conseillers en com -, la diplomatie du temps long cède progressivement le pas à la diplomatie émotionnelle. C'est une diplomatie du temps court car, par définition, elle ne dure que le temps d'une émotion médiatique.

La diplomatie du temps long cède progressivement le pas à la diplomatie émotionnelle.

Au début de l'année 2011, dans un bel unanimisme, les journalistes occidentaux se sont enthousiasmés pour ce qu'ils appelèrent les «printemps arabes». A les entendre, le «Grand Soir» était venu de la libération des peuples arabes. Vexés de n'avoir joué aucun rôle dans les révolutions tunisienne et égyptienne, hypnotisés par leurs écrans de télévision, mais indifférents aux rapports circonspects de leurs diplomates arabisants, les dirigeants français, anglais et américains se sont précipités pour s'ingérer dans les affaires libyennes et renverser un dictateur avec lequel ils entretenaient les meilleurs rapports trois mois auparavant. Le 23 août 2011, quand tomba à Tripoli le régime de Kadhafi, ils se pavanèrent devant les caméras, souhaitant qu'on voie en eux des stratèges de génie. Bizarrement, on ne les entend plus aujourd'hui, où la capitale libyenne est dans un tel état de chaos que les diplomates français, anglais et américains l'ont fuie, comme des rats quittant un navire en perdition. La diplomatie émotionnelle est toujours extrêmement bruyante à sa phase de lancement ; elle se fait souvent très discrète à l'heure du bilan.

La crise ukrainienne aurait pu se limiter au remplacement en douceur d'un président incompétent et corrompu. C'est ce qui avait été obtenu dans l'accord du 21 février 2014, parrainé par l'Allemagne, la France et la Pologne, et signé par les chefs de tous les grands partis politiques ukrainiens. Mais, hélas, la diplomatie de l'émotion est passée par là et l'on se dirige actuellement vers une longue guerre civile dans l'est russophone du pays, et vers une inutile reprise de la guerre froide entre l'Occident et Moscou. La diplomatie occidentale a été émotionnelle car elle a cru, comme le fait l'objectif d'une caméra de télévision, que Maïdan représentait l'ensemble de la population ukrainienne, ce qui n'était pas le cas. Gavée de propagande télévisuelle nationaliste, la Russie est aussi tombée dans la politique émotionnelle la plus grotesque, incapable aujourd'hui de dire la vérité sur le missile ayant abattu le Boeing malaisien, empêtrée dans ses théories du complot, impuissante à faire le ménage chez elle. Comme l'a montré la récente démission du gouvernement Iatseniouk, l'Ukraine est un pays économiquement failli et socialement profondément malade. Seule une discrète mais intense coopération entre Bruxelles et Moscou pourrait le remettre sur pied et lui forger un avenir. En se montrant incapable de construire une grande diplomatie russe après l'avertissement de la crise géorgienne (août 2008), l'Occident a sottement traité le président Poutine sur le registre de l'émotion ; parallèlement, le tsar Vladimir est devenu «accro» à l'émotion de la popularité dans les sondages que lui confèrent ses bras d'honneur répétés à l'Occident. A la fin de ce petit jeu débile, le grand perdant sera la Russie, suivie par l'Union européenne ; l'Amérique et la Chine n'auront plus qu'à s'en frotter les mains.

La diplomatie émotionnelle est toujours extrêmement bruyante à sa phase de lancement ; elle se fait souvent très discrète à l'heure du bilan.

La politique de l'émotion a également gagné un pays occidental qui, par le passé, nous avait habitués à davantage de sang-froid dans sa prise de décision stratégique. L'assassinat - qu'aucun groupe palestinien n'a revendiqué - de trois adolescents d'une colonie israélienne en Cisjordanie, a relancé le cycle du sang. Qu'a gagné Israël à tuer plus d'un millier de Palestiniens en trois semaines? La fin des tunnels? Bien sûr que non. Tant qu'ils resteront enfermés dans leur ghetto, les résidents de Gaza en creuseront. Un triste fait divers, médiatisé à profusion, a fait dérailler la hiérarchie politique israélienne. En sur-réagissant, elle a inutilement terni la réputation internationale de l'Etat juif et redoré le blason d'un Hamas islamiste qui était en perte de vitesse, chez lui et dans la région.

Comme les centaines de morts sur la route des vacances françaises, les accidents d'avion sont toujours bien tristes. Celui du vol Ouagadougou-Alger ne fait pas exception. Sur l'autel de la politique de l'émotion, un «deuil national» de trois jours a été décrété en France. Allons-nous désormais mettre nos drapeaux en berne, à chaque fois que la télévision aura diffusé un nouveau drame du tourisme de masse dans nos chaumières? Sommes-nous vraiment prêts à devenir, en diplomatie comme en politique intérieure, des Diafoirus de l'émotion?

Publié dans le Figaro

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Politique internationale de la France : chapeau les artistes !

On en reste béat d’admiration. On a même envie de dire: chapeau les artistes. La politique étrangère de la France, hier avec Sarkozy, aujourd’hui avec Hollande restera dans les annales comme exemplaire, forte, créative. A coup sûr, des années fondatrices d’une nouvelle démarche originale et conquérante.

Déjà, avant, tout avait fonctionné à merveille avec l’équipe rapprochée de Sarkozy : l’ancien gauchiste transféré au PS, le Thénardier de la politique, je veux dire Bernard Kouchner aujourd’hui dans le « conseil » aux dictatures africaines, et son copain Bernard Henri Levy, le « philosophe » en panne de lecteurs, reconverti lui aussi dans le « conseil » en matière de géopolitique toujours du côté du manche. Si possible, bien huilé.

Ah, la belle époque, celle où l’on s’extasiait de l’efficacité de Sarkozy dans la crise géorgienne avec comme résultat 20% du territoire de l’ancienne patrie de Staline passant du côté russe. Ah, la formidable construction que cette « Union pour la Méditerranée », un flop se terminant par le printemps arabe et la France généreuse, par la voix de sa ministre des Affaires étrangères, Mme Alliot-Marie, offrant « notre savoir faire en matière de sécurité » à Ben Ali. Que du bonheur, que du succès. Sans conteste, c’est bien l’aventure libyenne qui a marqué la capacité propulsive de la politique internationale française de cette époque. On se souvient du général en chef BHL appelant à l’assaut contre Tripoli du haut des marches de l’Elysée et Sarkozy donnant le top départ aux Rafales. Avec le splendide résultat que nous vivons aujourd’hui et alors qu’un parachutage de BHL sur Benghazi serait du meilleur effet. Pourtant, des diplomates français avaient eu l’outrecuidance de rouspéter dans une tribune publiée dans « Le Monde ». Ils se présentaient comme "un groupe de diplomates français de générations différentes, certains actifs, d'autres à la retraite, et d'obédiences politiques variées". Ils affirmaient : "L'Europe est impuissante, l'Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore". "La voix de la France a disparu dans le monde."

La raison profonde de cet enlisement? "Notre politique étrangère est placée sous le signe de l'improvisation et d'impulsions successives qui s'expliquent souvent par des considérations de politique intérieure" (…) des erreurs auraient pu être évitées, imputables à l'amateurisme, à l'impulsivité et aux préoccupations médiatiques à court terme." Dans leur viseur, pêle-mêle: une Union pour la Méditerranée "sinistrée", une politique au Moyen-Orient "devenue illisible". « Nous sommes à l'heure où des préfets se piquent de diplomatie, déploraient-ils, où les « plumes » conçoivent de grands desseins, où les réseaux représentants des intérêts privés et les visiteurs du soir sont omniprésents et écoutés".

Les signataires ne connaissaient pas encore le parcours d’un « exemple » de la diplomatie sarkoziste, le dénommé Boris Boyon: mafiosi à Bagdad, insultant à Tunis, pour finir trafiquant à Paris en se faisant arrêter Gare du Nord avec près de 400.000 euros en liquide dans les poches. J’oubliais la libération des infirmières bulgares « obtenue » par l’ancienne épouse du président, où plutôt par Claude Guéant qui avait ses entrées sous la tente de Kadhafi et d’amicales relations avec les porteurs de mallettes argentées ainsi que la presque rupture avec le Mexique pour une sombre affaire de rapt. Que du succès, que du prestige. Et rien, rien du tout – pour Salah Hamouri, notre compatriote enfermé sept ans dans les geôles israéliennes pour de simples supputations. En fait, la voix de la France est devenue la risée du monde. On aurait pu se dire « Mais ça, c’était avant. »

Avec l’arrivée de Hollande on allait voir ce qu’on allait voir. Or, ce n’est plus seulement du bling-bling auquel nous assistons, c’est aussi une série d’engagements politiques à faire se retourner dans sa tombe le célèbre et talentueux diplomate Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.

Comme pour la Libye et avec le même « conseiller spécial », le sinistre BHL, alors qu’il fallait écouter et aider l’opposition laïque et démocratique syrienne, les nouveaux chefs de guerre parisiens frémissaient à l’idée de bombarder Damas. Patatras, Washington n’a pas suivi. A Kiev, le très modeste et humble Fabius se vantait d’avoir été le « moteur » d’un accord qui en fait a favorisé l’arrivée au pouvoir du roi du chocolat et sa clique plus réac tu meurs, et une guerre dans l’est de l’Ukraine. Le couple Hollande-Fabius roule des mécaniques devant les Russes, envoie des avions de chasse en Pologne tandis que les rusés Allemands composent une autre musique avec Poutine. Faut-il ajouter l’Afrique et l’enlisement au Mali, la protection du nouveau pouvoir corrompu et répressif en Côte d’Ivoire ; faut-il ajouter l’interdiction de survol du territoire français de l’avion présidentiel bolivien…

C’est surtout l’alignement de la politique française sur celle de Netanyahou qui marquera désormais et pour longtemps la politique internationale de la France : une complicité écrasante avec les massacreurs du peuple de Gaza qui devront un jour où l’autre comparaître pour crimes contre l’humanité.

Les mêmes diplomates français qui sous Sarkozy critiquaient une politique internationale marquée par « l’amateurisme », la qualifient aujourd’hui « d’inaudible ». Inaudible, quand elle se limite à la « retenue » alors que plus de mille Gazaouis parmi lesquels de nombreux enfants sont morts sous les bombes israéliennes ? Inaudible, lorsqu’on laisse des jeunes Français incorporer l’armée de Tel-Aviv ? Inaudible, lorsqu’on accepte que 6000 prisonniers politiques palestiniens croupissent dans les geôles israéliennes ? Inaudible, lorsqu’on refuse d’entendre la voix de Marwan Barghouti, le Mandela palestinien ? Inaudible, lorsqu’on se range derrière les assassins ? Le bruit n’est que trop lourd. On entend la mort…

 José Fort. José Fort est un internationaliste passionné du monde, journaliste, ancien chef du service monde de l’Humanité

Article publié par l'Humanité

16:48 Publié dans Cactus, International, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emotion, libye, gaza, palestine, bhl, france | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

22/04/2014

"La France est de plus en plus perçue comme l’adversaire du monde arabe"

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À Gaza, les enfants tombent malade à cause de la pollution des sources d’eau potable

Journaliste et écrivain palestinien de renommée internationale, né à Gaza, Ramzy Baroud (*) a sillonné pendant plusieurs mois le Proche et le Moyen-Orient, pour le compte de la chaîne Al Jazeera. A l’occasion de sa première visite à Paris, il livre à l’Humanité son regard sur les bouleversements régionaux en cours, et juge avec sévérité le nouveau rôle joué par la diplomatie française.

Comment expliquez-vous la dégradation actuelle, en particulier sanitaire, que connaît la bande de Gaza ?

Ramzy Baroud. L’Etat de siège est perpétuel. Mais effectivement, même selon les « standards » de Gaza, la situation s’est considérablement dégradée. Il n’y a de courant qu’entre 2h et 6h du matin. Les générateurs des hôpitaux ne fonctionnent plus. Les enfants tombent malade à cause de la pollution des sources d’eau potable, les ordures et les eaux usées se déversent dans les rues. Nous sommes au-delà de la logique de punition collective. Il y a selon moi une volonté politique des dirigeants israéliens d’accentuer cette punition afin d’accroître la défiance de la population envers le Hamas, et le rendre responsable de la dégradation des conditions de vie. Avec l’élimination des Frères musulmans en Egypte, le moment est idéal pour marginaliser le Hamas, sa branche palestinienne.

C’est votre premier voyage en France, un pays qui était connu pour sa politique « équilibrée » au Proche-Orient…

Ramzy Baroud. Il y a eu un changement significatif de votre politique étrangère, en particulier vis-à-vis du Proche-Orient : Les Palestiniens considèrent la position de la France comme engagée du côté israélien. Ils ont perdu leurs illusions sur l’équilibre français, sa sympathie supposée pour la cause palestinienne. Après l’intervention militaire en Libye, puis la tentative avortée de bombarder la Syrie, comme j’ai pu m’en rendre compte après un séjour de six mois dans les pays arabes pour le compte de la chaîne Al-Jazeera, la France est de plus en plus perçue comme l’adversaire du monde arabe. Il y a un manque de confiance pour un pays clairement identifié comme faisant partie de l’axe Londres-Washington-Tel Aviv.

Dans votre dernier livre, vous décrivez Benjamin Netanyahu comme un « homme malveillant à l’esprit tordu ». Pourquoi François Hollande lui a-t-il manifesté une telle amitié à l’occasion de son dernier voyage en Israël ?

Ramzy Baroud. Je vais essayer de rester le plus poli possible. Mais je suis obligé d’admettre que j’ai trouvé ce spectacle absolument écœurant. C’est d’autant plus incompréhensible venant du président d’un pays au passé révolutionnaire, qui a connu la brutalité de l’Occupation, qui comprend la violence d’un processus de décolonisation. Et voir François Hollande donner aux dirigeants israéliens cet amour inconditionnel à un moment où même le gouvernement américain atteint le point où il défie l’influence du lobby pro-israélien aux Etats-Unis a quelque chose de profondément choquant. Netanyahu est à l’extrême-droite de l’échiquier politique israélien et il pourrait même être taxé de fasciste selon certains standards politiques internationaux… Peut-être que cette attitude était justifiée par la volonté d’amadouer les dirigeants israéliens sur le dossier du nucléaire iranien, mais faire cela sur le dos des Palestiniens avait quelque chose de révoltant.

Vingt ans après les accords d’Oslo, le Moyen Orient connaît des bouleversements majeurs : l’Iran normalise sa relation avec les Etats-Unis, Israël coopère étroitement avec l’Arabie Saoudite... Quel impact ces évolutions peuvent-elles avoir sur la lutte du peuple palestinien ?

Ramzy Baroud. Il y a un changement de paradigme à l’œuvre dans la région. Dans les décennies à venir, on se souviendra de cette période comme celle qui a changé le visage du Proche et du Moyen-Orient. La raison fondamentale vient des Etats-Unis : ils ont compris après l’Irak qu’ils n’avaient plus les moyens de mener une guerre de grande envergure. En conséquence de cela, d’autres acteurs tentent de combler ce vide. L’autre facteur est l’émergence du peuple arabe en tant qu’entité politique. Les analystes ont à mon avis commis une erreur en considérant que le soulèvement était une victoire en soi. Ce n’était pas le cas. La signification, selon moi, c’est que le Moyen-Orient ne pourra plus être gouverné par cette alliance entre le néocolonialisme occidental et une poignée de dirigeants corrompus et despotiques. Il est néanmoins difficile de définir ce nouvel acteur : ce n’est pas vraiment une « société civile », parce qu’elle est fragmentée et divisée, comme on peut le voir en Libye ou en Egypte, mais c’est incontestablement une émergence populaire. Il n’y a pas vraiment eu de culture de la mobilisation collective dans la région depuis des décennies. Cette conscience sera probablement longue à émerger, que ce soit au Yémen ou à Bahreïn, mais elle finira par redessiner le visage du Moyen-Orient. Prenons le cas de l’Egypte : les puissances étrangères y faisaient et y défaisaient les rois. Aujourd’hui, elles sont obligées d’ajuster leur attitude en fonction de qui la population a permis ou rendu possible l’accession au pouvoir.

L’émir du Qatar a tenté de mettre la main sur le Hamas l’année dernière, avant que son pays ne semble disparaître progressivement de la scène régionale. Que s’est-il passé ?

Ramzy Baroud. Il n’y a pas de réelle dynamique au Qatar. C’est un tout petit pays qui essaie d’apparaître comme influent sur la scène internationale. Mais tout ce qu’il a à offrir, c’est de l’argent. L’argent permet de vous acheter une amitié temporaire, mais certainement pas une influence durable. Vous pouvez acheter des groupes, des militants, et après ? Le chèque signé au Hamas s’inscrivait dans la stratégie de récupération des mouvements politiques islamistes suite au Printemps arabe. Le Hamas était alors dans une position très inconfortable vis-à-vis du conflit syrien, et il fallait l’obliger à s’engager du côté de l’opposition armée soutenue par le Qatar. Les dirigeants du Hamas ont visiblement misé sur le mauvais cheval.

Comment résoudre la défiance grandissante de la population palestinienne vis-à-vis de leurs dirigeants ? La libération d’une figure comme Marwan Barghouti peut-elle changer la donne ?

Ramzy Baroud. La crise est beaucoup trop profonde pour qu’elle puisse être résolue par un seul homme. La classe politique palestinienne dépend du bon vouloir de ses partenaires politiques et financiers, et même d’Israël. Si Israël en venait à considérer que l’autorité palestinienne représente un réel danger pour ses intérêts, elle serait encore d’avantage affaiblie : les Etats-Unis cesseraient par exemple de financer la formation de policiers, lesquels sont entre autres chargés d’empêcher toute forme de lutte armée contre l’occupant israélien. Le problème du Hamas est différent : c’est un parti plus récent, qui est apparu aux yeux de la population palestinienne comme moins corrompu, n’ayant pas renoncé à la lutte armée, et c’est ce qui explique que nombre de chrétiens vivant à Gaza ont voté pour lui. Il ne s’agissait pas de soutenir le Hamas pour ce qu’il est réellement, mais pour ce qu’il représente. C’est le même phénomène qui explique la popularité du Hezbollah au Liban, qui va bien au-delà de la population chiite. Pour revenir à votre question, je pense que la question de la représentation du peuple palestinien sera « naturellement » tranchée lorsque les circonstances politiques permettront à une telle figure d’émerger. Ce n’est pas le cas actuellement.

(*) Dernier ouvrage paru : Résistant en Palestine, une histoire vraie de Gaza, publié aux éditions Demi Lune.

Publié dans l'Humanité

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Propos recueillis par Marc de Miramon