17/06/2021
Exposition. Femmes peintres, peintres femmes
Il est des expériences édifiantes quand on les mène sur soi-même, comme de citer, allez, au moins dix femmes peintres de la Renaissance au début du XXe siècle. Tout bien compté, on y arrive. Ce n’est pas si mal, mais où sont les autres et d’où vient que le musée du Luxembourg, rien que pour la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe en expose trente cinq. Leurs noms sont restés dans le purgatoire des âmes oubliées, vouées aux ténèbres de la mémoire.
Alors allons-y, on connaît de cette époque Élisabeth-Louise Vigée-Le Brun, qui fut la peintre attitrée de Marie-Antoinette. On dit que la reine respectait tellement son talent qu’elle avait elle-même ramassé un pinceau qu’elle avait laissé tomber. À dire vrai, elle la servait bien en sachant habilement atténuer, comme dans son portrait en robe de mousseline (1783), un modèle de fraîcheur et de grâce, le menton un peu trop prononcé des Habsbourg, que l’on dirait aujourd’hui « en galoche »…
Portraitistes talentueuses
On connaît un peu aussi Marie-Guillemine Benoist, pour son admirable Portrait d’une femme noire (1800), au musée du Louvre. Il est remarquable non seulement parce que le hiératisme serein de la pose s’impose au spectateur, mais aussi parce qu’on a le sentiment que s’est installé entre la peintre et son modèle un dialogue de femmes.
En fait, les femmes peintres du XVIIIe siècle excellent dans le portrait. Un critique notera, à propos d’un salon un peu plus tardif en 1810, qu’on a pu remarquer ceux peints par mesdames Auzou, Benoît, Capet, Charpentier, Chaudet, Romance, Godefroy, Lorimier, etc. Un autre critique écrira un peu plus tard qu’en matière de portraits « la balance est en leur faveur ».
La grande peinture leur était refusée
Sans doute, mais il convient d’ajouter qu’elles n’avaient pas vraiment d’autre choix que celui d’exceller dans le genre. La grande peinture, pour l’essentiel la peinture d’histoire ou celle touchant aux grands sujets bibliques et mythologiques, leur était de fait refusée comme ne correspondant pas au caractère féminin, mais aussi parce que, à de très rares exceptions près, elles n’avaient pas accès aux études de nu, par exemple, assez nécessaires dès lors qu’il s’agissait de représenter des corps en bataille ou toute autre action.
Une grande toile d’Angélique Mongez (340 x 449 cm, 1806), intitulée Thésée et Pirithoüs purgeant la Terre des brigands, délivrant deux femmes des mains de leurs ravisseurs, avec chevaux et corps nus ou presque, fait figure d’exception, même si sont exposées également quelques scènes de genre regroupant de nombreux personnages pittoresques comme le Jeu de la main chaude, par Hortense Haudebourt-Lescot, aussi bien que quelques beaux paysages. Naples, vue du Pausilippe, par Louise-Joéphine Sarazon de Belmont, est une grande toile baignée de lumière…
Une robe de mousseline qui fait scandale
On comprend, quoi qu’il en soit, que la plupart d’entre elles se soient concentrées sur les enfants, les proches. Cela correspond aussi, dans les premières années du XIXe siècle à une quête de la bourgeoisie qui s’installe sur la scène de l’histoire en y cherchant son confort. C’en est un peu fini de la grande peinture de l’époque révolutionnaire et de la rigueur d’un David peignant le Serment des Horaces. « Que le pinceau, écrit alors l’auteur d’un Essai sur la dignité des arts, Pierre Jean-Baptiste Chaussard, se repose avec amour sur des scènes attendrissantes »...
On ne trouvera donc pas d’audaces dans le choix des sujets, mais plutôt dans leur traitement. La robe de mousseline évoquée plus haut, dont Vigée-Le Brun revêt la reine, fera scandale. Dans un autre registre, un autoportrait de Constance Mayer (vers 1801) nous interroge tant cette jolie femme semble accablée par un malheur qu’on ignore, peut-être sa relation tenue secrète avec le peintre Pierre-Paul Prud’hon, marié et père de nombreux enfants. On retient aussi le regard direct que nous adresse Marie-Gabrielle Capet, qui s’est représentée elle-même dans un grand tableau d’atelier où Adélaïde Labille-Guiard peint un portrait entourée de douze messieurs et d’une troisième femme. Nous sommes les témoins.
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02/12/2016
Expo. Orsay, un voyage dans l’art et dans le temps
Maurice Ulrich, L'Humanité
L’ancienne gare devenue musée le 9 décembre 1986 rassemble près de 6 000 peintures, de la seconde moitié du XIXe siècle au début du XXe, et des collections exceptionnelles d’arts décoratifs et de sculptures. Regards pour un anniversaire.
C’était le chaînon manquant. Inauguré en 1986, le musée d’Orsay venait combler le vide existant entre le Louvre et le Centre Pompidou. Les collections du Louvre s’arrêtent à Delacroix, Ingres, Corot. Celles du Centre Pompidou s’ouvrent avec les fauves, le cubisme. Que faire donc des impressionnistes, des gloires de l’académisme finissant, des réalistes et naturalistes contemporains de Zola ? Soit quelque cinquante années d’une histoire de l’art en plein mouvement, quand l’ancien, pour reprendre une formule connue, tarde à disparaître et que le nouveau peine à se frayer un chemin.
En conséquence, Orsay serait donc un musée aux collections composites, si ce n’est hétéroclite, avec des questions posées dès son ouverture. Peut-on proposer aux visiteurs, à égalité de statut, même si c’est à quelque distance l’une de l’autre, la séduisante Vénus nacrée de Cabanel et l’Olympia, de Manet, les Romains de la décadence de Thomas Couture et l’Enterrement à Ornans de Courbet. Pire encore, l’allégorie de la Vérité de Jules Lefebvre, peinte en 1870, représentant une femme nue tenant bien haut une lanterne pour éclairer le monde mais au sexe lisse et glabre, peut-elle coexister avec l’Origine du monde, de Courbet, peinte en 1866 ?
Trente ans plus tard, ce sont, au fond, ces jeux multiples de la représentation et du symbole, de la vérité et du mensonge, de l’allégorie et du réel qui font le charme secret d’Orsay, une fois passés les premiers regards sur une collection, ou plutôt des collections exceptionnelles, de peinture, de sculpture, mais qui représentent aussi les arts graphiques, la photographie, l’architecture.
Des grandes toiles et des trésors plus intimes
On savait, à l’époque de son ouverture, qu’Orsay avait été une gare dont le musée a d’ailleurs gardé la grande horloge. Mais la gare avait elle-même été un palais, construit en 1810, accueillant successivement le Conseil d’État et la Cour des comptes, incendié pendant la Commune, abandonné pendant des années, et enfin transformé par Victor Laloux, pour la Compagnie du chemin de fer de Paris et Orléans pour accueillir les délégations étrangères à l’Exposition universelle de 1900.
’est à partir de 1983 que les architectes Renaud Bardon, Pierre Colboc et Jean-Paul Philippon entreprennent sa transformation en musée après avoir remporté, en 1979, un concours d’architecture à cet effet. C’est donc sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing que fut décidée sa création, ce qui vient de donner lieu à une polémique assez cocasse, le Canard enchaîné assurant que François Fillon aurait obtenu le soutien de VGE en échange de la promesse de rebaptiser le musée à son nom.
Peu importe. L’essentiel, c’est évidemment la richesse d’Orsay, sensible dès l’entrée avec cette longue galerie de sculptures où trône l’admirable corps d’Apollonie Sabatier, égérie de Baudelaire et icône « mondaine » sculptée par Auguste Clésinger en 1847, avec un titre en forme d’alibi et d’aveu, Femme piquée par un serpent. Au fond, l’un des groupes de Carpeaux, la Danse, pour l’opéra, Rodin, Camille Claudel.
Mais Orsay c’est surtout une collection de 5 300 peintures, dont près de 500 toiles impressionnistes, les nabis, Gauguin, le Douanier Rousseau avec la toile phénoménale qu’est la Guerre, des grandes toiles et des trésors plus intimes comme d’extraordinaires pastels de marines de Degas. C’est, au rez-de-chaussée, les chefs-d’œuvre de Monet, Manet, Courbet. Dans le même temps, on ne saurait sous-estimer, après les avoir longtemps méprisés, les académiques, voire les pompiers et les naturalistes. On peut certes affirmer que l’on ne rencontrera jamais, où que ce soit, une Vénus flottant sur les eaux entourée d’angelots. Bien sûr, mais le propos de Cabanel, en 1863, c’est l’illustration d’un mythe. Certes, cela sera conflictuel et sous le second Empire Napoléon III lui-même ne se privera pas de fustiger Courbet ou Manet pour exalter à l’inverse la belle peinture, donc, de Cabanel, de Bouguereau, ou encore de Gérôme.
Aujourd’hui nous n’en sommes plus là et Orsay nous permet sans doute de prendre un peu de recul et d’envisager nombre d’œuvres, aussi, comme les témoignages d’une époque, de plusieurs sensibilités. C’est ainsi que l’on peut regarder un tableau émouvant et tragique comme le Rêve, de Detaille, avec ses soldats dormant sous une armée fantôme, la Paye des moissonneurs, de Léon Lhermitte, ou encore l’un des très rares tableaux évoquant alors la condition ouvrière du point de vue de ses luttes : la Grève au Creusot, de Jules Adler, en 1900… Orsay, c’est un magnifique voyage dans l’art et dans le temps.
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21/09/2014
Ceci n’est pas un tableau d’Edward Hopper
Shirley. Visions of Reality, de Gustav Deutsch. Autriche. 1 h 32
Voyage dans la peinture d’Edward Hopper, le film du cinéaste et architecte Gustav Deutsch nous absorbe vraiment à l’intérieur des toiles. Un étonnement enchanteur.
Les tableaux d’Edward Hopper requièrent au plus haut point la personne du spectateur, exigeant sa déambulation.
Ce n’est pas la manière de peindre mais l’essence même de sa démarche picturale qui vous place en voyeur. Force est ensuite d’en enjamber le seuil sous l’impératif de la projection. Puis, l’on reprend sa place initiale, poches emplies d’impalpable, à la façon d’un voleur qui n’aurait rien soutiré, ni dérangé. Qui n’a rêvé la voix des personnages de ses toiles habitées, la mise en mouvement de leur immobilité, quelques fragments de leurs motifs.
Ce fantasme dont la puissance peut nous fixer longtemps au sol, Gustav Deutsch nous offre le loisir, non de le réaliser, ce qui en confinerait l’espace, mais de lui offrir comme un nouveau limon d’imaginaire et de réflexion. Il a choisi treize tableaux dont il a reconstitué décors, lumières, costumes et accessoires.
Neuf ans de travail. Surtout, il a inventé un personnage féminin, Shirley (Stéphanie Cumming), s’emparant de toutes les possibilités ouvertes par Hopper, de tout ce que le peintre ne montre pas.
Dans la première pièce où se tient Shirley, les premiers mots de sa voix intérieure insultaient « l’affreuse lumière » de la chambre d’hôtel parisienne qu’elle a hâte de quitter. Les premiers plans montraient un compartiment de train, des sièges étrangement disposés et la jeune femme se détachant de l’un d’eux en amorce de l’histoire, la sienne, qu’elle va de toile en toile raconter.
Cette femme étant engagée, en art comme en politique, la trame en sera inextricablement tissée à celle du monde. À l’instar d’un roman de Dos Passos, les nouvelles nous en parviennent par bribes radiophoniques, le 28 août de chaque année de 1932 à 1963.
Shirley, souvent seule dans le tableau, est une actrice qui a rejoint le Group Theatre. Elle pense que le quotidien doit alimenter le théâtre et non l’inverse. En miroir de cette mise en scène, Steve (Christoph Bach), son compagnon, photojournaliste qui doit se colleter le réel.
Gustav Deutsch nous invite à une équipée au long cours, trente ans de la vie d’une femme dans l’espace même des œuvres. Grande dépression, chômage, Seconde Guerre mondiale, maccarthysme et trahisons, architectures des plans, géométries des couleurs, le cinéaste n’est pas iconoclaste. Il affirme son propos en se gardant de l’effraction.
Son récit poétique s’ancre dans des contextes d’époques et l’inventivité, d’être déployée d’une main sûre qui use d’audace technologique, ne brise pas pour autant les cadres. Le plan fixe de la toile s’anime des mouvements de caméra.
Le montage permet une articulation inédite à laquelle aucune salle de musée ne pourrait se prêter. La musique de chaque temps adresse ses signes propres. Blues de la grande dépression, Fréhel, Big Mama Thornton ou Joan Baez chantant les droits civiques. Vision de la réalité ou ombres projetées ainsi qu’aux parois de la caverne de Platon, nul besoin de trancher.
Ne restera au fond que l’unique vérité, celle du grand soleil de Van Gogh ou d’Apollinaire. Et trois petites notes de musique
Dominique Widemann, l'Humanité : http://www.humanite.fr/ceci-nest-pas-un-tableau-dedward-h...
09:20 Publié dans Actualités, ACTUSe-Vidéos, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hopper, film, shirley, peinture | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
22/11/2013
Kahlo-Rivera : le face-à-face d’un couple volcanique
Le musée de l’Orangerie, à Paris, présente «Frida Kahlo, Diego Rivera, l’art en fusion». Hommage à ce couple mythique d’artistes mexicains à l’aide de tableaux et de nombreux documents. Jusqu’au 13 janvier 2014.
Suite tardive de l’Année du Mexique en France, le musée de l’Orangerie présente « Frida Kahlo, Diego Rivera, l’art en fusion », entrecroisant un échantillon de tableaux, croquis et photos de ces artistes mexicains jusqu’au 13 janvier 2014.
Une quarantaine de clous s’enfoncent dans sa peau, ses bras, ses seins, son visage. Son corps est ouvert en deux. Découpée maladroitement du cou jusqu’au bassin, sa chair laisse entrevoir une colonne romaine prête à s’effondrer. Elle tient un drap blanc qui entoure sa taille et cache son sexe. La bouche est fermée, les cheveux détachés et des larmes blanches coulent sur un visage dénué d’expression de douleur (la Colonne brisée, 1944). Comme presque toujours dans ses tableaux, Frida Kahlo ne détourne pas le regard. Elle fait face, elle affronte. Ses yeux noirs, entourés d’épais sourcils, se plantent droit dans les nôtres. C’est sans doute ainsi qu’elle a planté, comme un « démon », disait son père, ses yeux dans ceux de Diego Rivera, maître muraliste mexicain de vingt ans son aîné.
Histoire d’amour et de peinture
Le musée de l’Orangerie a donc souhaité la mise en scène de cette histoire d’amour et de peinture devenue mythique. L’art en fusion ? En réalité, les œuvres de Frida Kahlo et Diego Rivera ont du mal à y dialoguer. Trois salles tentent de donner autant de place à l’un qu’à l’autre mais difficile de ramener l’œuvre monumental et mural de Rivera à un petit choix de peintures de jeunesse inspirées par l’Europe ou à quelques portraits et natures mortes. Le défi était presque insurmontable. Ce qui frappe en revanche dans la première salle, c’est la façon dont ces deux êtres libres, passionnés, engagés mais aussi profondément meurtris, prennent littéralement vie, à travers une galerie de photographies (de Muray, Gisèle Freund, Guzman ou Lola Alvarez Bravo) et une vidéo, dont on ne se lasse pas, où on les voit évoluer dans le jardin de la Maison bleue à Coyoacan, puis lorsqu’ils accueillent Trotski et sa femme.
Face-à-face toujours troublant
À ces images disposées comme un album de famille, se mêlent de petites toiles et croquis douloureux. Comme celui de cet accident de bus qui, en 1925, lui brise la colonne vertébrale (Accident, peint en 1926) et la condamne à la stérilité. Le drame de sa vie. On relèvera d’ailleurs qu’une des lithographies sur papier, digne des plus jolies planches de physiologie végétale du XVIIIe, intitulée en espagnol El Aborto, souffre d’un contresens de traduction dommageable puisqu’il ne s’agit pas de « l’Avortement » mais d’une fausse couche… Dans la deuxième salle, on embrasse d’un coup d’œil les modèles modestes que le couple peint essentiellement dans les années 1940 : portraits d’Indien huichol, de paysans, de marchande de fleurs, d’ouvriers, de domestiques et d’enfants de servantes…
L’exposition se termine sur un espace fermé dédié aux toiles de Frida dans lequel on retrouve la Colonne brisée mais aussi le très sanguinolent Quelques Petits Coups de pique, où le corps lacéré d’une femme est étendu sur une planche en bois. Un viol et un meurtre sans doute. Enfin, ce face-à-face, toujours troublant, se prolonge avec la série d’autoportraits et un tout petit tableau, minuscule, peut-être un des plus minimalistes et volcaniques à la fois, peint en 1950, quatre ans avant sa mort. Un tableau qui les contient tous.
Catalogue de l’exposition « L’art en fusion », coéditions Hazan-musée d’Orsay, 224 pages, 35 euros.
13:22 Publié dans Actualités, Arts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : mexique, peinture, frida kahlo, diego rivera | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |