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14/02/2014

A Touch of Sin. Jia Zhang-ke "Les dialectes sont une réalité de la diversité de la Chine"

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La violence et sa source A Touch of Sin, de Jia Zhang-ke, Chine. 2 h 9. Le titre original appelle le film le Choix du ciel, tellement plus beau que A Touch of Sin. Ce prix du scénario à Cannes est un film magnifique. Entretien avec Jia Zhang-ke.

Unité de temps mais pas de lieu. Quatre personnages et autant de provinces mais un seul et même reflet de la Chine contemporaine, celui d’une société au développement économique brutal peu à peu gangrenée par la violence. Pas de nuit câline ici, mais le portrait désabusé quoique impressionnant d’une société déboussolée, perdue entre campagnes et migration urbaine, au travers des portraits d’un mineur exaspéré, d’un travailleur migrant, d’une hôtesse d’accueil dans un sauna et d’un salarié en perte de qualification. Du Jia Zhang-ke au meilleur de sa forme, primé par le jury cannois 
au titre du scénario.

Votre film raconte quatre histoires, toutes situées en divers endroits de la Chine. Mais comment identifier les lieux ?

Jia Zhang-ke. Pour vous aider à identifier les lieux, il faut comprendre que la première histoire, celle de Dahai, jouée par la comédienne Jiang Wu, se passe dans le Shanxi, la région où je suis né, située dans la Chine du nord-est (Shanxi veut dire « à l’ouest de la montagne » et fait référence aux montagnes Taihang). La capitale provinciale en est Taiyuan et il s’agit d’une grande province agricole. L’histoire suivante se déroule dans la ville de Chongqing, au sud-ouest du pays, au bord du fleuve Bleu, près du barrage des Trois-Gorges. C’est une ville construite dans les années 1990, entre autres pour recueillir les personnes déplacées à cause de la construction du barrage, pour devenir un pôle économique majeur de la Chine intérieure, dans le Sichuan, qui comporte dix-huit millions d’habitants dont huit dans la zone urbaine, la surface de la commune étant égale à celle de l’Autriche. L’histoire suivante nous emmène dans le Hubei, donc la province aux mille lacs, province dont le chef-lieu est Wuhan, au nord du lac Dongting. C’est là que fut fondée la première République de Chine, en 1912, sur ce qui fut un comptoir français du temps de la colonisation. Quant à la dernière histoire, elle a pour décor Dongguan, huit millions d’habitants qui vivent dans le delta de la rivière des Perles, une ville de la province du Guangdong sise sur la côte du sud-est dans ce que nous appelons « la zone économique spéciale », passage obligé entre Canton et Hong Kong. Ajoutons que j’ai tenu à mettre en avant les différences, même si tout est unifié, y compris les différences dans les parlers employés, ce que vous ne pourrez pas discerner dans les sous-titres, y compris par exemple à Dongguan, où l’on entend le dialecte local qui est une variante du cantonais. J’ai ainsi voulu, en balayant le territoire chinois, me rapprocher de ces panoramas comme en a connu la peinture de paysages traditionnelle. Tel a été mon vœu, vous faire comprendre à travers ces quatre paysages ce qu’on peut considérer comme une représentation d’ensemble de la Chine. Voici pourquoi il ne faut pas être obnubilé par les détails dont j’ai conscience qu’ils vous échapperont obligatoirement.

Quatre films en un. Pourquoi quatre plutôt que trois ou cinq ?

Jia Zhang-ke. Les quatre histoires sont issues de faits divers chinois particulièrement dramatiques s’étant réellement déroulés et qui représentent quatre facettes de la violence. Dans la première histoire, je montre combien la violence d’un individu est soumise à la pression sociale, dans la deuxième ce qui se passe dans la tête d’un villageois reculé, soit comment le mal-être débouche sur la violence, la troisième nous montre le moment précis du passage à l’acte, soit la tentative de retrouver sa dignité, la quatrième histoire est vraiment différente des trois autres puisqu’il s’agit du choix de s’autodétruire. J’avais vraiment besoin des quatre histoires et il n’y en a pas de cinquième que je voulais raconter, ne serait-ce que parce qu’il fallait le temps de développer chacun de ces récits et que je voulais rester dans le cadre d’un long métrage.

Une de ces histoires vous est-elle plus proche ou en avez-vous une préférée ?

Jia Zhang-ke. Pour moi, je me suis davantage identifié à la quatrième, qui reflète quelque chose. Je m’y suis confronté à la mondialisation, à la migration de la campagne vers les villes. C’est actuel et c’est ce qui m’attache.

D’où cette importance attachée au son, aux dialectes ?

Jia Zhang-ke. Pour moi, c’est très important, même si le public local ne le saisit pas. Les quatre langues sont très différentes. Le dialecte distingue seul l’identité des Chinois et c’est pour cela que j’y ai tenu même si, en Chine, le public ne comprend pas les dialectes, cela participe des réalités de la diversité de la Chine.

Et vous-même, vous comprenez tout ?

Jia Zhang-ke. J’en comprends deux et, pour le reste, je fais confiance au langage des acteurs, comme si j’avais besoin d’un temps de réaction.

La réaction risque-t-elle d’être la même pour tous les Chinois, je veux dire y compris ceux de Taïwan, de Hong Kong et de Macao ?

Jia Zhang-ke. Il y aura un accueil différent dans le sens, même si les histoires s’adressent à tous les publics. Pourtant, la différence viendra de la lecture portée sur la société du continent.

Vous avez obtenu à Cannes le prix du scénario. Est-ce pour vous le prix approprié, au moins en ce qui concerne les prix catégoriels ?

Jia Zhang-ke. Je ne me suis pas posé la question. Avoir un prix est une reconnaissance, quel que soit le prix, mais je suis d’accord avec celui du scénario.

Entretien réalisé par Jean Roy

23/01/2014

Avec "12 Years A Slave", de Steve McQueen, plongée au cœur des plantations d’esclaves en Louisiane

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Avec une histoire vraie qui est vraiment une histoire et des comédiens qui vont de Chiwetel 
Ejiofor à Brad Pitt, cette fresque sur l’esclavagisme, haute de dignité, est magnifique.

La liste des nominations aux oscars n’annonce pas automatiquement celle des vainqueurs mais elle est un indice qui témoigne fortement du goût des votants. C’est ainsi que, après avoir déjà été couronné du trophée du meilleur acteur dramatique (attribué à Chiwetel Ejiofor) lors des récents golden globes, 12 Years A Slave vient d’empocher neuf nominations pour les prochains oscars (verdict le 2 mars prochain), ce qui est pour le moins considérable pour un drame d’époque sans effets spéciaux faisant appel à la connaissance historique, à la sensibilité et non à l’adrénaline. Du poids lourd donc, ce qui n’étonnera pas qui a déjà vu les deux premiers chefs-d’œuvre de l’auteur, Hunger et Shame.

Adaptation littéraire plutôt fidèle du livre de Solomon Northup écrit en 1853

Une nouvelle fois le ton a changé, encore davantage puisque, après avoir côtoyé les grévistes de la faim en Irlande et les yuppies avides de sexe, de coke et de dollars de Wall Street, nous voici immergés dans le Sud profond de l’esclavagisme, film d’époque donc, qui nous renvoie à celle de la guerre de Sécession, de surcroît une adaptation littéraire plutôt fidèle d’un livre bien connu aux États-Unis, pas encore chez nous, pour avoir été le premier témoignage écrit par un Noir – ce qui implique en l’occurrence par quelqu’un sachant lire et écrire – témoignant d’une évidente qualité littéraire. Il s’agit de ce 12 Years A Slave signé Solomon Northup en 1853. Nous voici donc dans le grand sujet, ce sujet fondamental qui a débouché sur des récits créateurs de mythe qui vont de Naissance d’une nation à Autant en emporte le vent, pour ne citer que les plus connus mais qui vont aussi bien de l’Esclave libre, de Raoul Walsh, à Lincoln, de Steven Spielberg.

Un récit qui prend la temps de respirer

L’originalité de l’histoire est que les hasards de la biologie ont choisi de faire naître Solomon Northup dans une famille certes « de couleur » comme on dit à l’époque mais aussi parmi les musiciens new-yorkais donc protégés de l’esclavage… jusqu’au jour où deux négriers le font boire puis l’entraînent en territoire ségrégationniste pour le monnayer, d’où ces douze ans d’esclavage annoncés par le titre, jusqu’au jour où le pauvre hère finira par être pris en pitié par un abolitionniste canadien.

L’histoire est magnifique, haute de dignité, donnant foi en l’homme tout en n’en cachant pas les penchants les plus sordides. Dans ce récit qui prend le temps de respirer, on appréciera aussi la qualité de l’interprétation des protagonistes comme une composition qui laisse au format large sa pleine justification. C’était le moins pour rendre hommage aux quatre millions de descendants d’Africains en provenance d’Europe dont un, et un seul, a pu exprimer ce qui s’avéra être sa tragique condition.

À voir : la making of

Lire aussi :

Shame ou l’homme des vallées éperdues

Entretien avec Steve McQueen pour Hunger en 2008

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Jean Roy

10/01/2014

Le Loup de Wall Steet: rire mordant contre les loups… de la Bourse

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Le Loup de Wall Street, de Martin Scorsese. États-Unis. 3 heures. Une comédie foisonnante dans laquelle Martin Scorsese et son acteur Leonardo DiCaprio pulvérisent l’univers boursier à grand renfort
 de cinéma.

Dès les séquences d’installation, l’implacable satire à laquelle va se livrer Martin Scorsese au travers de la jungle boursière se place sous les signes conjugués du spectaculaire et de l’obscénité, guidés par une incroyable énergie cinématographique. Soit Jordan, « le loup », Belfort (Leonardo DiCaprio), fait comme un rat dans un costume à deux mille dollars, célébrant l’apogée de la firme de traders qu’il préside par un lancer de nains entre les bureaux. Stratton Oakmont pèse ses cinquante millions, apogée d’un périple de voracité dont rien ne nous sera épargné, par les talents conjugués du cinéaste, du scénariste Terence Winter et d’acteurs fabuleusement habités de leurs rôles. Autant de personnages, à très peu près, engloutis corps et âme dans une addiction à l’argent, au fric, au pognon, révélant derrière le lion qui sert d’emblème à leur société des bienveillances de crotales à l’égard de leurs congénères et du reste du monde.

Ce monde des « pue-la-sueur » dans lequel « personne n’a envie de vivre ». Le film s’appuie sur le récit livresque du véritable Jordan Belfort, multimillionnaire à vingt-six ans dont l’ascension viendra se crasher contre un mur de lois qui ne se soucient pas forcément de morale. Même les fameux « marchés » ne survivent qu’au prix d’un ordre qui écarte les têtes brûlées avant de se cramer les ailes en escadrilles. Marché du vent, du rien, d’une économie de la « fugacité » qui ne profite qu’aux profiteurs et laisse hors champ les champs de ruines qu’elle induit, présents en permanence de n’être pas figurés. Ainsi le déclinera en tout cynisme Mark Hanna (Matthew McConaughey, impérial), premier mentor du jeune Belfort quand celui-ci n’était encore qu’un « jeune con cupide », selon ses propres mots, qui, en voix off, seront tenus au fil du film comme une ligne de basses, en l’occurrence de tréfonds. Belfort intègre les codes tribaux, la drogue comme un indispensable étai à qui arnaque son prochain sans entraves, le sexe comme une décharge, des plaisirs de sphincters en relâchement d’où exploseront un jour baraques à blindes d’hectares, yachts et hélicoptères, prostituées à échelles de tarifs, le tout dûment chiffré jusqu’à l’épouse trophée (Margot Robbie) qui elle n’a peut-être pas réalisé une affaire en or.

De Billy Joel en passant par Plastic Bertrand

Pour ce qui est du rock and roll, Scorsese le confie à la bande-son, de Billy Joel à Madness en passant par le Ça plane pour moi de Plastic Bertrand. Belfort avait commencé menu. Trader chez Rothschild, le krach de 1987 lui ferme le clapet mais n’entrave pas ses appétits. De petites sociétés se montent, qui fourguent à de modestes épargnants les bulles bas de gamme non cotées. Le ratissage de ses économies de plombiers rapporte en revanche de grosses commissions. Avec une bande d’escrocs au petit pied de sa connaissance, un frère d’armes, Donnie Azoff (Jonah Hill), Belfort prendra son envol de prédateur vers des paradis artificiels où sentiment rime avec Satan. Quand le FBI, incarné par l’agent Patrick Denham (Kyle Chandler), fourrera son nez dans les trous, les millions iront se faire blanchir ailleurs, chez l’un de ces banquiers suisses corrompus joué par Jean Dujardin. Mauvaise pioche. Une seconde partie du film, à sa moitié, décrira la descente en flammes de Belfort disjoncté aux quaaludes, drogue jadis psychédélique, en deux paliers, l’ensemble toujours regonflé de scènes de bravoure. De cette dépravation de plus en plus mécanique et compulsive, de ses champs lexicaux et visuels fondés sur l’expression « fuck » (baise) qui en résume tout, Scorsese nous offre une intense jubilation, de vrais fous rires aux larmes, une exultation contagieuse. Les deux dimensions de l’écran semblent cadrer à celles d’un billet de mille, fausse monnaie en libre circulation.

15/12/2013

The Lunchbox, les chemins détournés de la séduction

cinéma,ritesh batraThe Lunchbox, de Ritesh Batra. Inde-France-Allemagne. 1 h 42. Ce premier long métrage mêle une délicatesse de romance aux fines épices de l’humour. Sélectionné dans de nombreux festivals avant sa sortie, la rumeur favorable est justifiée.

Les «lunchboxes», boîtes à déjeuner avec lesquelles les courants de la mode nous ont familiarisés, ne sont pas en Inde un élément de folklore. Petites tours de récipients empilés qui contiennent chacun un élément du repas, elles sont transportées par des dabbawallahs. Cette corporation de livreurs surchargent la vélocité de leurs vélos des énormes buissons bariolés que forment les housses des boîtes. Elles sont emplies de la nourriture préparée par les épouses, parfois des traiteurs, vers les lieux de travail des salariés. Les Dabbawallas, par tout un système de codes, ont la réputation de ne jamais commettre d’erreurs. Une sur un million de livraisons, d’après les études de l’université d’Harvard.

Lorsque, au tout début du film de Ritesh Batra, une jeune femme, Ila (Nimrat Kaur), concocte des assemblages de viandes et d’épices, galettes et légumes dont on a l’impression de percevoir le fumet gourmand. Tout à la fois rieuse et un peu mélancolique, Ila, seule avec sa petite fille et les conseils avisées d’une voisine échangés par la fenêtre, est certaine d’adresser un message d’amour quotidien à son époux peu empressé. Dans l’immense bureau collectif de son entreprise, Saajan (Irfan Khan), s’apprête à prendre sa retraite de comptable, une fois éclusée la corvée de former son successeur, Shaikh (Nawazuddin Siddiqui), cordiale nuisance. Ila et Saajan, depuis leurs univers clos, ne se seraient jamais rencontrés où que ce soit. Lui semble confiné dans les contraintes d’un travail accompli avec une rigueur sourcilleuse qu’un rien zèbre d’agacement. Ses routines encadrent le deuil assez récent de sa femme. Ila, enserrée dans une vie domestique qu’elle tente de façonner au mieux, notamment par l’excellence de sa cuisine, n’échappe pas totalement à l’ingratitude d’une existence sans aspérités mais dépourvue d’élans. Une erreur sur un million, donc, qui va tracer d’Ila à Saajan des lignes sensibles, des correspondances fragiles entre solitaires peu aptes à sortir d’eux-mêmes. L’un et l’autre ignoreront un temps le détournement de parcours de la nourriture dont les délices parviennent à un Saajan ébahi, bouleversé d’arômes, renversé d’un plaisir sensoriel qui ensoleille l’austère salle à manger d’entreprise. Un lien va également se tisser à l’aune d’épices et de partages entre le comptable recuit et l’encombrant Saikh, son zèle maladroit d’où percera une capacité d’ouverture à autrui dont les deux autres protagonistes principaux étaient empêchés.

Situé loin de Bollywood, dans les classes moyennes de Bombay, The Lunchbox ravive en demi-teinte les jeux de contrastes d’une modernité à grande vitesse quand elle cohabite encore avec les anciennes manières de vivre. Chansons romantiques, séries de télévision démodées, Ila comme Saajan sont habités du sentiment que le bonheur s’enchâsse dans leurs souvenirs. Leurs échanges, à pas comptés, passeront par l’épistolaire manuscrit des billets d’antan vers l’avenir dont ils choisiront le menu avec une faim ouverte.

19:37 Publié dans ACTUSe-Vidéos, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, ritesh batra | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!