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14/10/2025

Face aux attaques des colons contre les Palestiniens, l’interposition non-violente des volontaires internationaux

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Pendant que Trump vante son plan de paix pour Gaza, en Cisjordanie, les attaques de colons contre des Palestiniens se poursuivent. Face aux violences, des volontaires internationaux et israéliens tentent de soutenir villageois et cultivateurs.

par Anne Paq pour Basta

Rashid Khidiry est au téléphone avec une militante internationale du groupe ISM, pour "International Solidarity Movement". Ensemble, ils planifient la répartition des équipes de bénévoles, venus du monde entier, pour aider concrètement les Palestiniens, au sein des différents villages de la vallée du Jourdain, l’une des zones les plus vulnérables aux attaques de colons israéliens.

« Les besoins sont énormes, et nous ne sommes pas assez nombreux face à la recrudescence des attaques de colons », explique Rashid Khidiry. L’organisation crée en 2001 vise à « soutenir et à renforcer la résistance populaire palestinienne en étant immédiatement aux côtés des Palestiniens », notamment dans les endroits « où les Palestiniens sont constamment harcelés ou attaqués par les soldats et les colons ». ISM est guidée par les principes de non-violence. Des centaines de volontaires s’y engagent chaque année en Cisjordanie, pour quelques jours, quelques semaines, voire plusieurs mois.

Un dispositif dissuasif contre la brutalité

Les mobilisations citoyennes ainsi que les pressions diplomatiques se concentrant sur la situation à Gaza, bombardée, affamée et sous blocus intégral. La Cisjordanie est reléguée au second plan sur la scène internationale. Le territoire palestinien est également le grand oublié du « plan de paix » proposé par Donald Trump, qui a pour le moment permis un cessez-le-feu à Gaza, la libération des vingt otages israéliens encore en vie et de près de 2000 prisonniers palestiniens.

Pourtant, la colonisation israélienne s’y est accélérée depuis le 7 octobre 2023, notamment dans la vallée du Jourdain, qui marque la frontière avec la Jordanie, où de nombreuses communautés bédouines ont été expropriées et déplacées de force.

Depuis le début de l’année, les attaques de colons y atteignent un niveau sans précédent : plus d’un millier d’attaques ont été recensées par le bureau des Nations Unies pour les affaires humanitaires. Face à cette violence coloniale, et l’incapacité de la communauté internationale de la freiner, des groupes de solidarité concrètes, comme ISM, se sont organisés. Ils offrent une sorte de protection civile en envoyant des volontaires israéliens ou internationaux vivre plusieurs semaines auprès des communautés palestiniennes menacées.

Leur présence est censé agir comme un dispositif dissuasif, combinant observation, documentation et accompagnement des communautés ciblées par les colons. Ces militants peuvent s’interposer physiquement entre les colons et les Palestiniens, mais aussi participer aux travaux agricoles ou accompagner éleveurs ou bergers.

« J’en avais marre de juste faire des manifestations »

Rashid Khidiry poursuit ses coups de fils. Il est très inquiet pour Ibziq, l’une des communautés rurales installées dans les collines qui surplombent la vallée du Jourdain. Il y organise une présence constante de militants depuis deux mois, car à la suite de l’établissement d’un avant-poste israélien, les attaques se sont multipliées. Sur les 14 familles qui composaient le village, 13 sont déjà parties.

Tina*, une militante franco-espagnole d’ISM, était présente lorsque plusieurs soldats ont débarqué dans le village, forçant tous les membres de la famille à s’agenouiller. « Alors que nous étions dans la cuisine, deux Palestiniens ont reçu des coups. Quand nous sommes sortis, nous avons été mis à distance. Les Palestiniens n’ont pas voulu que nous filmions par crainte de représailles. L’armée a intimé à la famille de partir sous peine de tout détruire raconte-t-elle. Après qu’Aziz Najawaj’a, le chef de famille, a protesté et réclamé un papier officiel, l’armée leur leur donné dix jours pour partir. Un des soldats a dit : “Tout ça, c’est à moi !“ »

Tina* a été particulièrement choquée par cette scène, mais elle ne regrette pas d’avoir rejoint ISM. « J’en avais marre de juste faire des manifestations. Je voulais quelque chose de concret, alors quand j’ai vu que c’était possible, je suis venue. Je reste trois semaines. » Il faut savoir faire face à des situations « hostiles », et toujours faire preuve d’humilité, dit la jeune femme. « La culture ici est différente. Au début en tant que féministe, c’était assez dur de voir les espaces séparés entre hommes et femmes. Être là, c’est écouter, aider, sans être paternaliste et avec humilité. » L’une de ses activités principales auprès de la communauté est de se rendre à l’école, située près d’un avant-poste israélien, et d’alerter en cas d’attaques ou de manœuvre de harcèlement de la part de colons.

« Nous nous sentons mieux quand ils sont là »

Celles-ci sont fréquentes. « Chaque nuit, nous montons la garde. Ils continuent de nous harceler tous les jours. J’ai dû évacuer mon père trop vieux, et je ne peux plus aller faire paître mes animaux comme avant », témoigne Aziz Najawaj’a. Pour lui, la présence d’internationaux fait malgré tout une différence : « Nous nous sentons mieux quand ils sont là. Les colons ont peur des caméras. L’armée n’aime pas non plus cela. »

Un repas est partagé sous la tente entre la famille et les bénévoles. Parmi les Palestiniens présents, Moath est un jeune volontaire du Palestinian Medical Relief Society (Association palestinienne du secours médical). « Je suis secouriste. C’est mon devoir de venir aider, dit-il. Nous devons rester ici, c’est le dernier espoir pour cette communauté. Il est encore possible d’empêcher leur départ forcé si davantage de personnes soutiennent cette famille. »

Malheureusement, la famille de Aziz n’a pas tenu. Le harcèlement des colons s’est intensifié. L’éleveur a même été battu deux fois par des militaires. Face à l’ultimatum lancé par l’armée israélienne, la famille s’est vue forcée de partir. Le hameau d’Ibziq s’ajoute à la liste des villages et communautés vidées de ses habitants par la violence coloniale.

Plusieurs volontaires internationaux tués

Chaque militant international doit suivre une formation pour se préparer aux situations difficiles comme celle à laquelle Tina a dû faire face, ainsi qu’aux risques, qui sont bien réels. Depuis la création de ISM, plusieurs bénévoles ont été tués par l’armée israélienne : l’États-unienne Rachel Corrie en 2003, le Britannique Tom Hurdall en 2004, et plus récemment la Turco-états-unienne Aysenur Egzi Eygi, tuée d’une balle dans la tête en 2024 lors d’une manifestation à Beita, près de Naplouse. Plus d’une dizaine d’internationaux ont aussi été arrêtés puis expulsés depuis 2023, selon ISM.

Les formations permettent aussi d’éviter les postures de « sauveurs blancs » de la part de militants occidentaux, et de s’assurer que les personnes ne commettront pas d’actions pouvant déclencher des représailles contre les communautés palestiniennes. « Nous sommes ici pour protéger et documenter. Nous n’avons pas besoin de héros explique Rashid Khidiry, le coordinateur d’ISM pour la Vallée du Jourdain. Nous devons agir intelligemment, car les soldats et les colons n’attendent qu’un prétexte pour punir les communautés. »

S’engager « avec nos corps »

À quelques kilomètres au nord de Ramallah, un viticulteur palestinien, Adam Kassis, accueille un groupe venu l’aider à ramasser du raisin sur son vignoble situé près d’un avant-poste israélien. « Si les colons débarquent, on ne leur parle pas. Laissez-nous faire et continuez le travail », précise-t-il aux bénévoles. Le groupe est aussi composé de militants israéliens venus pour la journée. Malgré la proximité des colons armés, l’ambiance est détendue. La trentaine de personnes – travailleurs palestiniens, militants israéliens et internationaux – ramassent le plus vite possible les raisins, tout en gardant l’œil sur les routes alentours.

Mina*, Canadienne et militante d’ISM, nous raconte pourquoi elle s’est engagée : « En tant que petite-fille de survivants de l’Holocauste, on m’a enseigné que la leçon "plus jamais ça" devait être universelle pour avoir un sens. Je me suis engagée dans la solidarité avec la Palestine depuis l’université. Quand la guerre génocidaire s’est intensifiée, j’ai senti que je n’en faisais pas assez et qu’il était nécessaire que ceux d’entre nous qui possèdent des passeports de pays privilégiés et, dans mon cas, le privilège, par rapport à Israël, d’être juive, s’engagent plus directement, avec nos corps. »

La journée se termine tranquillement par un repas partagé sous un olivier. De retour chez elle après trois semaines sur le terrain, Mina peut tirer le bilan. Elle évoque les difficultés, notamment le sentiment d’impuissance qu’elle a éprouvé lorsqu’elle a assisté au départ forcé d’une famille palestinienne à la suite d’attaques répétées de colons.

Mina revient aussi sur ce que ce séjour lui a apporté : « En 24 heures sur le terrain, j’ai appris davantage qu’à travers tous les livres et podcasts réunis que j’ai lus ou écoutés. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point la Palestine était belle. Découvrir l’hospitalité palestinienne et des modes de vie qui prennent soin de la terre, voir la manière dont les gens se battent pour maintenir la communauté, constater la brutalité et la déshumanisation dont font preuve les colons… Tout cela met en évidence les enjeux de notre lutte, qui ne concerne pas seulement la Palestine, mais notre avenir à tous. »

Activistes israéliens

À Masafer Yatta, dans le sud de Cisjordanie – une région où les colons sont parmi les plus extrémistes et violents –, de nombreux groupes assurent une protection civile. La région est en « zone C », sous contrôle total israélien (soit 60 % du territoire, les autres zones A et B demeurent sous administration civile palestinienne). Elle est parsemée de villages et hameaux palestiniens, qui vivent traditionnellement de l’agriculture et de l’élevage.

Les démolitions des maisons et infrastructures palestiniennes conduites par l’armée israélienne y sont devenus la routine. Les avants-postes se multiplient ainsi que les attaques de colons. Le 28 juillet, Awdah Hathaleen, un professeur d’anglais et militant pour son village de Umm Al Kheir, était tué par un colon, sans que ce dernier ne soit inquiété.

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Dans ce contexte très difficile, la présence de militants internationaux et israéliens est essentielle. Outre ISM, cette fragile protection est, notamment, assurée par une organisation italienne, Operation Dove et [des groupes de militants israéliens qui viennent à Masafer Yatta depuis plusieurs années, dont Tayyush.

Omri Eran Vardi, 29 ans, est photographe. Il fait partie d’un collectif « d’activistes israéliens non sionistes », explique-t-il, dont les activités consistent à « documenter les atrocités commises par le régime d’apartheid israélien et à faire preuve de solidarité avec les résidents palestiniens ». « C’est plus qu’une motivation, c’est une obligation morale. Je ne peux pas vivre ici sans agir, ajoute-t-il. Ce n’est pas nous qui prenons les décisions, ce sont les Palestiniens, et nous essayons de les soutenir autant que possible. »

Omri et deux autres activistes israéliens passent la nuit aux côtés de la famille d’Haj Ali Sabah et de son épouse Samiha. À la demande de Samiha, visiblement inquiète, ils dorment à la belle étoile devant la maison. La nuit tombée, alors que les chiens aboient un peu trop, Samiha scrute les environ avec sa puissante torche électrique, craignant l’arrivée de colons. Fausse alerte.q

Le lendemain matin, tous partagent le petit déjeuner typique, constitué d’un pain traditionnel fait maison, d’huile d’olive et de Zaatar, un mélange d’épices, avant d’accompagner Haj Sabbah auprès de son troupeau. Sol*, un jeune militant israélien, tient sa caméra prête au cas où.

Lui est un « refuznik » – il a refusé de servir au sein de l’armée israélienne. Haj Sabbah a déjà perdu la moitié de son troupeau, volé l’année dernière par les colons. Il ne fait désormais pâturer ses moutons que très peu de temps le matin et le soir, et doit leur acheter des compléments alimentaires. De retour à la maison, la tranquillité ne dure pas.

Harcèlement quotidien de la part des colons

Un buggy tout terrain s’arrête à une centaine de mètres de la demeure, suivi d’un drone, signes de l’arrivée imminente de colons. Il s’agit d’un jeune, qui mène son troupeau et le fait abreuver sans vergogne dans le puits de la famille palestinienne. Omri filme. Le colon également, avec son portable. Il fait ensuit entrer les animaux dans une petite grange de la famille où Samiha a entreposé patiemment des semis d’aubergines.

Omri intervient pour faire sortir le bêtes avant qu’elles ne détruisent des semaines de travail. Puis le troupeau s’en prend aux branches d’oliviers et aux feuilles de vignes de la propriété. Dans une région aride, où les ressources sont limitées, les familles dépendent non seulement de leur troupeau mais aussi des oliviers et de ce qu’elles peuvent planter pour leur subsistance. La police israélienne est appelée. Lorsqu’elle arrive, le colon est déjà parti. C’est toujours la même histoire, selon Omri : « La police vient trop tard et, de toute façon, ne fait jamais grand chose. »

Combien de temps la famille d’Haj Ali Sabah et de Samiha tiendra-t-elle face à ce harcèlement quotidien ? « Je pense que notre présence fait une grande différence pour les individus, à petite échelle. Mais, au final, cela n’arrête pas le processus de nettoyage ethnique. Cela peut seulement le ralentir dit Omri, amer. La liste des villages et des familles qui réclament que des personnes restent dormir avec eux s’allonge sans cesse. »

Trop peu de bénévoles sont disponibles. Quelques heures plus tard, une attaque brutale de colons se déroule à Qawawis, à quelques kilomètres de là. Des Palestiniens sont roués de coups, ainsi que deux militantes israéliennes, frappées à la tête. L’une d’elles aura le bras et l’épaule fracturés.

Récolte des olives sous tension

La présence protectrice est encore plus cruciale pendant la récolte des olives qui débute. L’olive et son huile constituent un pilier de la fragile économie palestinienne de Cisjordanie et de son identité. Avec l’augmentation de la violence des colons et la multiplication des entraves à la liberté de la circulation depuis le 7 octobre 2023, la récolte risque d’être très difficile. Plusieurs groupes comme ISM en appellent à la solidarité internationale et ont créé une campagne commune, « Olive harveArik Ascherman derrière une barricade précaire, sur une colline

Boîte noire

Pour ce reportage, je suis restée un mois en Cisjordanie, de fin août à fin septembre. Une des difficultés majeures a été les déplacements dû à la multiplication des checkpoints israéliens, et le fait de ne pas pouvoir faire de portraits de nombreux militants par soucis d’anonymat (les prénoms marqués d’un * dans l’article sont des pseudonymes). Le risque d’attaque de colons était omniprésent.

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21/09/2025

Juifs ultra-orthodoxes en Israël : l’exemption de service militaire face à l’épreuve de la guerre

Israel, religieux orthodoxes

Source The Conversation

Depuis la fondation de l’État d’Israël en 1948, les personnes qui consacrent leur vie à l’étude des textes religieux sont exemptées de l’obligation de servir sous les drapeaux. Mais la non-participation à l’effort de guerre de cette communauté, de plus en plus nombreuse (près de 13 % de la population aujourd’hui), suscite de plus en plus de tensions.


La non-conscription des Juifs ultra-orthodoxes (haredim, littéralement « ceux qui craignent Dieu ») constitue aujourd’hui l’une des fractures sociales et politiques les plus profondes d’Israël.

Alors que la majorité des familles – y compris les femmes et les réservistes, dont la mobilisation ne cesse de s’intensifier – participent directement à l’effort de guerre dans lequel le pays est engagé, une minorité en pleine croissance démographique continue de bénéficier d’une exemption qui fait de plus en plus polémique. Le défi est à la fois social, politique et économique.

Un défi social : la cohésion nationale mise à l’épreuve

Depuis le massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, Israël est plongé dans la guerre la plus longue et la plus coûteuse de son histoire récente. Vingt-trois mois plus tard, les dépenses cumulées atteignent environ 253 milliards de shekels (67 milliards de dollars). Pour 2024 seulement, les dépenses militaires représentaient déjà 8,4 % du PIB, contre 5,2 % en 2023.

Des centaines de milliers de réservistes ont été rappelés, certains plusieurs fois, imposant un poids inédit aux familles et à l’économie. Cet effort repose sur le modèle israélien de conscription universelle : hommes et femmes sont appelés à servir. La mobilisation est telle que sur certaines lignes de front, près de 25 % des effectifs sont désormais des femmes.

Dans ce contexte, l’exemption dont bénéficient les haredim apparaît comme une fracture majeure. Rappelons que les haredim sont des Juifs ultra-orthodoxes, centrés sur l’étude de la Torah et une vie religieuse séparée du monde séculier. Seule une minorité d’entre eux est antisioniste ; la majorité reconnaît l’État d’Israël et participe à sa vie politique, tout en refusant le service militaire pour préserver l’étude religieuse.

Alors que plus de 80 % des jeunes Israéliens juifs effectuent leur service, seuls 1 212 hommes haredim ont été incorporés sur 24 000 convoqués en 2024, soit environ 5 %.

Cette disparité nourrit un ressentiment profond : l’immense majorité des familles du pays envoient leurs fils et leurs pères au front, tandis qu’une minorité croissante échappe à l’effort commun. Chaque tentative de conscription déclenche des manifestations violentes dans les quartiers haredim.

Le contraste est frappant avec le cas des minorités non juives : les hommes druzes sont soumis à la conscription depuis 1956 et servent massivement ; les Bédouins et certains Arabes israéliens, bien que non obligés, choisissent volontairement de s’engager, notamment dans les patrouilles de pisteurs. Autrement dit, des groupes minoritaires, parfois marginalisés, participent activement à cet acte fondateur de cohésion et de défense collective, tandis qu’une minorité juive croissante, pour des raisons religieuses, s’en abstient.

À cette dimension morale s’ajoute une dynamique démographique préoccupante. Avec une croissance annuelle de 4 %, les haredim représentaient 13,6 % de la population en 2023 et devraient atteindre 16 % en 2030. Cette évolution rend l’exemption toujours plus insoutenable, au point de menacer le pacte social israélien.

Un nœud politique : entre impératif sécuritaire et survie gouvernementale

Ce décalage entre l’effort de guerre de la majorité et l’exemption persistante des haredim ne se limite pas à une fracture sociale : il alimente aussi une dynamique politique.

La croissance démographique de la communauté ultra-orthodoxe s’est traduite par la consolidation de partis religieux puissants comme Shas (séfarade) et Judaïsme unifié de la Torah (UTJ, ashkénaze), devenus des acteurs incontournables de la Knesset (respectivement 11 et 7 sièges sur 120 à l’issue des dernières législatives, en 2022). Leur poids politique permet de bloquer toute réforme, plaçant la conscription haredie au cœur d’un affrontement où se mêlent impératifs sécuritaires, équité sociale et survie gouvernementale.

La fracture sociale autour de la question de la conscription des haredim s’est ainsi transformée en crise politique et institutionnelle. En juin 2024, la Cour suprême israélienne a rendu un arrêt historique, mettant fin à l’exemption de facto et obligeant le gouvernement à appliquer la conscription, sous peine de couper les financements publics aux yeshivot (écoles d’enseignement religieux supérieur) accueillant des étudiants en âge de servir.

Cette décision s’est aussitôt heurtée à un blocage parlementaire. La coalition de Benyamin Nétanyahou dépend du soutien de Shas et de l’UTJ, et perdre ces alliés reviendrait à perdre sa majorité, au moment même où la guerre devient de plus en plus impopulaire parmi les familles d’otages et une large partie de l’opinion. Shas et l’UTJ ont soutenu la guerre à Gaza, en insistant tout particulièrement sur l’obligation religieuse de tout faire pour obtenir la libération des otages. Ils ont affirmé qu’aucune mitsva (prescription) n’était plus importante que le « rachat des captifs » et ont appuyé les propositions de trêve ou d’accord allant dans ce sens.

En juillet 2025, l’UTJ a annoncé son retrait du gouvernement pour protester contre l’absence de législation garantissant une exemption claire pour les étudiants en yeshivot. Quelques jours plus tard, le Shas a à son tour retiré ses ministres, tout en restant formellement dans la coalition. Ces départs ont réduit la majorité de Nétanyahou à la Knesset à une seule voix, fragilisant encore la position du premier ministre.

La contestation s’est aussi déplacée sur le terrain religieux. Fin juillet 2025, le rabbin Dov Lando, figure du courant lituanien (une branche haredi non hassidique centrée sur l’étude intensive de la Torah et du Talmud dans les yeshivot), a dénoncé « une guerre de l’État contre les étudiants de yeshivot », promettant « une lutte mondiale sans précédent ». Certains de ses proches ont même évoqué une désobéissance civile silencieuse – boycotts économiques, retraits bancaires massifs…

Cette impasse illustre une crispation institutionnelle sans précédent : exécutif paralysé, pouvoir judiciaire exigeant l’égalité et opinion publique de plus en plus hostile au statu quo. Les sondages montrent un soutien massif, dans toutes les composantes du public non-haredi, à l’imposition de sanctions économiques sévères à l’encontre des réfractaires.

Le prix économique de l’exemption

L’exemption haredie représente aussi un coût économique majeur pour l’État. Le taux d’emploi des hommes haredim stagne à 54 %, contre plus de 85 % chez les non-haredim. Les femmes haredies sont plus actives (environ 80 %), mais souvent dans des secteurs peu productifs. Cette disparité réduit l’assiette fiscale, accroît la dépendance aux transferts sociaux et freine la croissance


L’absence de service militaire aggrave encore la situation. L’armée est, pour la majorité des Israéliens, un sas d’intégration vers le marché du travail, en offrant des compétences et des réseaux professionnels dont les haredim restent exclus, ce qui pèse sur la compétitivité nationale

Le coût macroéconomique est estimé à 8,5 milliards de shekels par an, soit environ 1,7 % du PIB. Le ministère des finances a mis en garde contre le prix « très élevé » du maintien de l’exemption, tandis que la Banque d’Israël souligne l’incertitude budgétaire que celle-ci engendre.

09/08/2025

« Le Mystère Cléopâtre » à l’Institut du monde arabe : la reine d’Égypte au-delà des clichés

Cleopatre, exposition

L’Institut du monde arabe accueille une nouvelle exposition consacrée à l’évolution de la représentation de la mythique Cléopâtre VII, reine d’Égypte. Réhabilitation joyeuse et contemporaine d’une figure historique longtemps victime des stéréotypes patriarcaux.

 

Les rumeurs ont la vie dure. Même la reine d’Égypte, Cléopâtre VII, n’y échappe pas. Depuis plus de deux mille ans, la célèbre souveraine est victime d’un discrédit misogyne, qui s’étend aujourd’hui sur tous les continents.

Ses contemporains, d’abord, diffusent de fausses informations à son sujet. Dès l’Antiquité, elles sont reprises par différents historiens peu scrupuleux, puis amplifiées par de nombreux artistes au cours des siècles et désormais par la pop culture.

L’Institut du monde arabe a voulu réhabiliter l’histoire de la pharaonne dans son exposition « Le Mystère Cléopâtre ».

L’événement commence par rappeler que Cléopâtre VII était avant tout une grande dirigeante, motrice de changements et phénomènes de société majeurs. Elle initie entre autres une réforme de la monnaie et des grands chantiers architecturaux.

Ses racines macédoniennes ont par ailleurs encouragé le cosmopolitisme de la société égyptienne, de plus en plus hellénisée. Mais l’Institut du monde arabe ne s’est pas contenté de rétablir la réalité historique, il a aussi tenu à dénoncer l’instrumentalisation dont la descendante des Ptolémées a fait l’objet.

Dénigrement permanent

Diabolisation, orientalisme, colonialisme, misogynie, et hypersexualisation, tout est bon pour dénigrer une monarque qui a pour principal tort d’être femme. Cléopâtre voit des rumeurs sur ses relations sentimentales et sexuelles émerger alors qu’elle est encore en pouvoir.

L’empereur Auguste en est à l’origine, mais elles sont reprises à travers les âges par des figures aussi majeures que Virgile, Shakespeare, Pascal ou Pouchkine. Au-delà de leur caractère calomnieux, ces rumeurs relèvent de ce que les études de genre qualifient aujourd’hui de slut-shaming : stigmatiser une femme à cause de ses vêtements, de son attitude ou de sa sexualité.

Pas étonnant de voir les publicitaires du XXe siècle s’emparer de son image et la transformer en véritable sex symbol. Déjà populaire comme sujet pictural et théâtral, elle investit rapidement sur le petit et le grand écran.

Plus de 1 500 marques la prenant comme égérie sont déposées et environ 220 films, tournés entre 1963 et 2023, la représentent. Des comédiennes aussi importantes que Liz Taylor (Cléopâtre, 1963) et Monica Bellucci (Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, 2002) l’incarnent et pérennisent la « cléomania ».

La légende noire de la souveraine est d’autant plus propagée qu’elle se nourrit de son suicide. Sarah Bernhardt, tragédienne réputée pour son goût du morbide, interprète d’ailleurs elle aussi ce rôle, entre macabre et sensualité.

Redorer la légende

Mais à cette légende noire se superpose une légende dorée. Cléopâtre a vu son image restaurée par de nombreuses personnalités à travers les âges. Parmi les plus importantes, Jean de Nikiou, Ibn ‘Abd al-Hakam ou encore Murtada Ibn al-Khafif.

Plus récemment, des artistes militantes féministes et anticolonialistes sont allées plus loin en refusant le traitement sexiste et raciste à son égard. Les peintres Nazanin Pouyandeh et Cindy Sherman revisitent les codes de représentation cléopâtrins : la reine n’apparaît plus douce et soumise, mais imposante et charismatique.

L’artiste multidisciplinaire Esméralda Kosmatopoulos raille, elle, sa caricature littéraire en corrigeant les textes la mentionnant. Elle travaille également à dénoncer les diktats de beauté contemporains. Elle a pour cela envoyé le portrait de profil de Cléopâtre à des chirurgiens esthétiques, qui lui ont rapporté de nombreuses opérations.

Ironie cinglante qui ne manquera pas de faire rire le visiteur au terme de la visite d’une exposition mêlant art et histoire, peinture et cinéma pour donner un nouveau souffle à une figure familière, celle de la dernière reine ptolémaïque.

Cléopâtre peut aujourd’hui être considérée comme une icône féministe, figure tutélaire du pouvoir politique à l’instar de ses homologues masculins. Plus qu’un décryptage, c’est une déconstruction que propose l’exposition. Surprise : ni son nez, ni sa beauté n’ont changé la face du monde, pour reprendre la célèbre formule de Pascal, à l’inverse de ses décisions.

« Le Mystère Cléopâtre », jusqu’au 11 janvier 2026, à l’Institut du monde arabe, à Paris (5e). https://www.imarabe.org/fr

11:28 Publié dans Actualités, Cinéma, Connaissances, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cleopatre, exposition | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

08/07/2025

Les aides publiques aux entreprises coûtent 211 milliards d’euros à l’État, selon un rapport d’enquête du Sénat

 

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Les subventions, exonérations et allégements en tout genre en faveur des entreprises représentent le premier budget de l’État, selon le premier chiffrage sérieux et consolidé qu’a rendu public ce mardi 8 juillet une commission d’enquête sénatoriale, qui dresse 26 préconisations pour plus de transparence et d’efficacité.

 

Voilà de quoi faire réfléchir François Bayrou et son gouvernement, à une semaine de leurs annonces concernant les 40 milliards d’euros d’économies qu’ils comptent asséner aux dépenses publiques. Le premier budget public n’a ni trait à l’Éducation nationale, ni à la défense, encore moins au service de la dette. Ce qui coûte le plus cher à l’État, ce sont les aides publiques versées aux entreprises.

Après six mois de travaux et d’auditions, dont certaines de grands patrons ont défrayé la chronique, la commission d’enquête sénatoriale sur « l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants » est parvenue à totaliser le montant annuel des subventions, soutiens, exonérations de cotisations et niches fiscales, versées aux grandes sociétés. Pas moins de 211 milliards d’euros leur ont été dévolus en 2023.

  • 88 milliards d’euros en dépenses fiscales
  • 75 milliards en exonérations de cotisations sociales
  • 41 milliards en interventions financières de BPI France, la « banque des entrepreneurs »
  • 7 milliards en subventions aux entreprises (hors compensations pour charges de service public)

« Cette estimation doit être regardée comme un plancher »

« Cette estimation de 211 milliards d’euros pour le coût annuel des aides publiques « au sens large » doit être regardée comme un plancher, dès lors que pour construire cette estimation certaines aides n’ont pas été incluses, faute de données robustes et aisément accessibles, dans le périmètre étudié », souligne le rapporteur de la commission, le sénateur communiste Fabien Gay, par ailleurs directeur de l’Humanité.

Pourraient être ajoutées à ces calculs les aides directes versées par les Régions (2 milliards d’euros par an), celles émanant des communes ou communautés de communes « dont le montant n’est pas aisé à établir selon la Cour des comptes », et les aides de l’Union européenne en gestion indirecte (y compris la PAC), « dont le montant annuel est compris entre 9 et 10 milliards d’euros selon l’Inspection générale des finances et les aides européennes en gestion directe, difficiles à estimer selon le Secrétariat général des affaires européennes. »

Un maquis de 2 200 dispositifs

Car voilà l’autre grand enseignement de ce rapport. Ces aides aux entreprises relèvent d’un maquis de plus de 2 200 dispositifs, mis en place par l’État sur ses budgets propres et sur ceux des organismes de la Sécurité sociale, par les collectivités territoriales et, dans une moindre mesure, par l’Union européenne.

Le flou est si total que le rapport relève, dans ses conclusions, « quil n’existe pas de définition juridique transversale des aides publiques aux entreprises, ni de leur périmètre d’un point de vue économique ». Ce qui rend l’Insee, grand ordonnateur de la statistique nationale, totalement aveugle sur le sujet. Or, cette prolifération d’argent public en faveur des entreprises peut choquer à l’heure « de la multiplication des plans sociaux et des versements de dividendes généreux », note le rapport, qui liste 26 préconisations pour rationaliser ces aides et remédier au manque de transparence sur leurs versements de même qu’au manque de suivi et d’évaluation par l’administration.

19:04 Publié dans Actualités, Connaissances, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!