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22/09/2019

Nucléaire et climat pour les nuls

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D’après une enquête IPSOS 75% des personnes se déclarant le plus hostiles à l’électricité nucléaire croient que les centrales nucléaires contribuent « beaucoup » à l’effet de serre alors que scientifiquement c'est archi faux et que c'est exactement le contraire.

Produire son électricité avec des centrales nucléaires présente un bilan très contrasté d’avantages et d’inconvénients. D’un côté la nécessité de maîtriser le risque d’une perte de contrôle des réacteurs, la difficile gestion des déchets radioactifs, et pour ceux qui ne fabriquent pas eux-mêmes réacteurs et combustibles une dépendance absolue vis à vis des fournisseurs. De l’autre une électricité abondante et pilotable, aux coûts qui peuvent être très compétitifs… ou non en fonction des situations. Une grande économie de matières premières et d’espace. Des centrales pratiquement dénuées d’émissions de particules ou de gaz nocives pour la santé et l’environnement. Une balance à jauger en fonction des besoins et caractéristiques des pays et systèmes électriques, ce qui peut aboutir à dire oui ou non à cette technologie.

outefois, un aspect de l’énergie nucléaire semble sans contestation possible : le fait qu’il permette l’accès à une électricité à très faible impact sur le climat – comparable, voire meilleure au MWh produit, à l’éolien, au solaire ou à l’hydraulique. Un avantage massif, au regard du charbon et du gaz, source de près de 70% de l’électricité mondiale et dont la combustion émet du CO2, le gaz à effet de serre n°1 des émissions anthropiques provoquant le changement climatique en cours. Dans les scénarios énergétiques, ceux examinés par le GIEC ou d’autres experts, le nucléaire fait donc partie des mix électriques envisagés pour atténuer la menace climatique.

L’ignorance des hostiles

Mais cet aspect est-il un fait connu, partagé, permettant un débat public informé sur le sujet ? Une étude sociologique réalisée par IPSOS pour le compte d’EDF depuis 2012 chaque année semble montrer que non. Dans une mesure pour le moins alarmante pour qui souhaite une décision citoyenne sur le sujet énergétique. A partir d’une enquête réalisée par internet (1), confirmant les ordres de grandeurs d’autres études, il est permis d’affirmer que l’ignorance règne plus que la connaissance de ce fait. Que nos concitoyens sont victimes d’une grande tromperie qui pèse sur leur réflexion.

L’ignorance est massive, puisque si l’on additionne les « beaucoup » (44%) et les « un peu » (34%), on frôle les 80% des sondés attribuant aux centrales nucléaires une responsabilité dans l’élévation de la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre, et donc dans le changement climatique. Même une vision optimiste – pour l’état des connaissances de nos concitoyens – parvient quand même à constater que près de la moitié de la population se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

Je crois donc je sais

l’un des résultats les plus frappant de l’enquête est la dépendance à l’opinion de la diffusion d’une connaissance pourtant robuste, celle qui explique pourquoi le système électrique français est « décarboné » à près de 90%. Un peu comme la situation américaine où le vote Démocrate ou Républicain permet de prédire votre opinion sur la cause ou la réalité du changement climatique. L’enquête relie la position la plus hostile à l’usage de l’électricité d’origine nucléaire avec l’ignorance la plus massive : 75% des sondés se déclarant « tout à fait contre » l’utilisation du nucléaire croient que les centrales nucléaires contribuent « beaucoup » à l’effet de serre. La seule option de politique énergétique qui rassemble des personnes majoritairement informées de la véritable liaison entre nucléaire et climat est celle qui se déclare « tout à fait pour » cette source d’électricité. Les opinions moins tranchées se distribuent entre ces deux extrêmes.

Un psycho-sociologue y verrait une magnifique illustration du « biais de confirmation » qui encourage les individus à écarter toute information susceptible de mettre en cause leur croyance. Si l’on croit que l’énergie nucléaire, c’est mauvais, alors il faut qu’elle soit mauvaise aussi pour le climat… que l’on veut préserver.

Le souci climatique est très fort

Ce n’est pas par négligence du dossier climatique que les sondés en arrivent à partager massivement cette ignorance d’une des caractéristiques principales de l’électricité d’origine nucléaire. Ils sont en effet plus de 90% à considérer le changement climatique comme « très préoccupant » ou « assez préoccupant ». Plus encore : ils sont près de 90% à considérer que pour choisir les énergies à utiliser « lutter contre le changement climatique » est soit « très important » (49%) soit « plutôt important ». On pourrait donc s’attendre à ce que nos concitoyens fassent l’effort nécessaire pour comprendre l’origine première du problème – l’émission massive de gaz à effet de serre issus de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz. Et donc se rendre compte de ce qu’une centrale nucléaire ne fait pas partie du problème mais, éventuellement, de sa solution.

Il convient toutefois de noter que cette enquête, après d’autres, confirme que la population française n’est pas dans l’unanimité à ce sujet. Une grosse majorité affirme, en accord avec les climatologues, que nous vivons un changement climatique anthropique, causé par l’homme, mais ils ne sont que 67% en 2017 (et n’étaient que seulement 55% en 2012).

Plus on est jeune et plus on ignore

L’analyse du détail par tranche de population fait percevoir une dégradation de la culture scientifique inversement proportionnelle… à l’âge. Plus on est jeune et plus on se trompe. Entre 18 et 24 ans, 63% de la population est persuadée du caractère climaticide des centrales nucléaires. Et encore 55% des 25 à 34 ans. Curieusement, les jeunes sont aussi plus massivement convaincus que les vieux (75% des moins de 25 ans contre 50% des plus de 65 ans) du caractère anthropique du changement climatique. Autrement dit, la préoccupation climatique ne conduit absolument pas à la connaissance de la physique du climat, laquelle nous dit qu’une centrale nucléaire n’est pas une cause du changement climatique.

Les femmes se distinguent mal, avec un score de 57% persuadées que les centrales nucléaires émettent « beaucoup » de gaz à effet de serre, mais c’est là un résultat qui trouve sa source dans… l’hostilité qu’elles marquent puisqu’elles sont 51% à se déclarer tout à fait  contre ou contre leur utilisation, alors que seuls 39% des hommes sont dans ce cas.

Le bilan des « pour/contre » l’utilisation du nucléaire pour l’électricité est proche du match nul, avec 46% de contre contre 42% de pour. Les raisons invoquées par les uns et les autres pour choisir les énergies à utiliser sont diverses : emplois, protection de l’environnement, santé publique, coût… et lutter contre le changement climatique. Mais peut-on considérer que cette dernière raison est envisagée à bon escient lorsque tant de citoyens se trompent aussi lourdement sur la relation entre centrales nucléaires et émissions de gaz à effet de serre ? Le graphique ci-dessus montre en effet que les citoyens les plus soucieux de lutter contre le changement climatique sont également les plus opposés au nucléaire. Une opinion qui serait tout à fait respectable si elle ne s’accompagnait pas d’une ignorance largement partagée sur la véritable relation entre nucléaire et climat.

Blog le Monde

22/07/2019

"Ayez le courage de dire non" : Nicolas Hulot exhorte les députés à ne pas ratifier le Ceta

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À la veille du vote solennel à l'Assemblée nationale du Ceta, le traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, Nicolas Hulot met la pression sur les députés. "Ayez le courage de dire non", lance le président d'honneur de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme et ancien ministre de la Transition écologique et solidaire dans une tribune publiée lundi 22 juillet en exclusivité sur le site de franceinfo.

Le Ceta prévoit de supprimer notamment les droits de douanes sur 98% des produits échangés entre l'UE et le Canada. En France, il suscite de nombreuses réticences à droite comme à gauche, le texte a déjà donné lieu à de vifs débats entre les députés lors d'une première discussion mercredi 17 juillet.


Lettre ouverte aux députés

Demain chacun de vous aura plus de pouvoir que tous les ministres de l’écologie réunis. Demain chacun de vous sera libre de voter contre la ratification du Ceta et exiger ainsi la réouverture des négociations. Demain la voix forte d’un pouvoir législatif unanime pourra éclairer utilement un exécutif qui agit comme si ratifier le Ceta allait de soi.

Ayons collectivement l’honnêteté de dire que la réalité de cet accord est beaucoup plus complexe

Il était essentiel à l’origine de démontrer que les craintes de certains étaient non fondées. Mais reconnaissons que cela n’a jamais été possible. Le plan d’action, que j’ai moi-même endossé à l’automne 2017, n’a pas produit les résultats escomptés et les attentes légitimes n’ont pas été comblées. Nous avons échoué à apporter les garanties nécessaires sur le veto climatique, les farines animales, les nouveaux OGM, la sauvegarde du principe de précaution à l’européenne...

Nous avons échoué à réformer la politique commerciale européenne. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Sourde à nos attentes, l’Union européenne a préféré conclure rapidement des accords avec le Japon ou le Viêtnam et un accord catastrophique avec le Mercosur. Et délivrer des nouveaux mandats de négociation avec les États-Unis de Donald Trump, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sans faire plus de cas de nos alertes.

Des "premiers effets en matière de coopération alimentaire"

Pourtant ces accords commerciaux de nouvelle génération, le Ceta étant le premier d’entre eux, emportent toutes nos batailles et leurs conséquences dépassent largement nos frontières. Le gouvernement a dû finalement reconnaître que les normes qui s’appliquent sur le sol européen et celles qui s’appliquent à l’importation ne sont pas les mêmes en matière sanitaire et phytosanitaire. Ainsi, le Ceta produit déjà ses premiers effets concrets en matière de coopération réglementaire. Pour permettre l’accès au marché intérieur européen à des produits canadiens, la Commission Européenne a commencé à relever nos limites maximales de résidus (LMR) autorisées pour certaines substances et produits. En les multipliant par 10 par exemple pour la clothianidine, un pesticide néonicotinoïde interdit en Europe, utilisé au Canada sur les pommes de terre.

Le Parlement européen a bien fait une première objection mais la Commission n’a pas désarmé et compte revenir à la charge. De la même façon, elle se prépare à relever les LMR pour le 2,4-D, un herbicide entrant dans la composition de l’agent orange, considéré en France comme perturbateur endocrinien, et qui devrait en théorie être interdit en Europe suite à la définition adoptée en 2017.

La convergence vers le haut a du plomb dans l’aile. Il suffit de visionner les comptes rendus succincts des comités de suivi du Ceta pour constater que si le Canada est à l’offensive quant à la rigueur de nos normes, l’Union européenne ne montre aucune volonté de questionner l’utilisation par le Canada de 46 substances interdites en Europe.

Perturbateurs endocriniens

Le Canada ne fait lui pas mystère de ses intentions. S’il utilise déjà à son avantage les mécanismes peu transparents associés au Ceta, il n’a pas hésité non plus à s’allier au Brésil et aux États-Unis pour demander le 4 juillet devant l’OMC des comptes à l’Union européenne sur son application du principe de précaution quant aux perturbateurs endocriniens et autres substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Ce n’est pas nouveau. Déjà en 2016, le Canada avait fait pression avec succès sur la Commission européenne pour affaiblir sa proposition de définition des pesticides perturbateurs endocriniens. Car ce qui se joue est immense. Dans la continuité des actes précédents, l’Union européenne doit aujourd’hui faire évoluer sa doctrine de tolérance à l’importation pour aller vers une logique de tolérance zéro résidu pour les substances les plus dangereuses. Et c’est là tout l’enjeu car le marché européen est structurant pour de nombreux pays exportateurs.

Quand nous interdisons des substances dangereuses en France et a fortiori en Europe pour protéger la santé de nos populations, nous portons plus largement atteinte aux intérêts de BASF, Bayer-Monsanto, Syngenta, Dow Chemicals etc. qui, pour pouvoir vendre leurs pesticides, doivent garantir aux agriculteurs exportateurs brésiliens, américains ou canadiens que leurs produits pourront pénétrer le marché intérieur européen. Toujours prompts à défiler dans les ministères pour expliquer combien ils investissent, créent de l’emploi et pourraient le faire partout ailleurs, ce sont ces firmes qui font pression pour que l’Europe abandonne son approche unique au monde, qui considère que les substances les plus toxiques doivent être interdites sans autres considérations que leur danger intrinsèque.

Aujourd’hui, et je l’ai expérimenté, être ministre de l’écologie et vouloir faire respecter le principe de précaution est une lutte de tous les instantsNicolas Hulotà franceinfo

Quand tous les lobbys essayent déjà d’enfoncer la porte, pourquoi leur donner un bélier avec le Ceta ? Demain, ces firmes qui ont toutes des filiales au Canada pourront menacer de recourir directement à l’arbitrage. Mais alors pourquoi et pour qui ratifier le Ceta ? Pourquoi maintenant ? Pas pour notre santé, pas pour nos agriculteurs ni pour le climat, on l’aura compris.

Parce que les Canadiens sont nos amis ? S’ils le sont vraiment, pourquoi ne pas renégocier politiquement cet accord avec eux pour en supprimer les risques dispensables ? Ces accords de nouvelle génération sont loin du commerce comme facteur de concorde entre les peuples. Parce que quelques centièmes de points de croissance sont en jeu ? Parce que le commerce c’est important et qu’il faut être bon élève en Europe ? En réalité, au-delà des éléments de langage, qui sait vraiment pourquoi il faut ratifier absolument et maintenant le Ceta ?

Demain, comme le voudraient tant de Français, ayez le courage de dire non. Faisons enfin preuve de cohérence.

10:32 Publié dans Actualités, Connaissances, Entretiens, Planète, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hulot, ceta | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

07/03/2019

« La poésie est hors saison, comme un vrai mois de mai »

Le Printemps des poètes 2019.jpgÀ l’occasion du Printemps des poètes 2019 (du 9 au 25 mars), qui a cette année pour thème « La beauté », Serge Pey abat son jeu, constitué d’un grand nombre de cartes brûlantes.

Il est plusieurs façons de se dire ou d’être poète…

serge pey Nous sommes dans un immense carnaval. Surtout ne pas se dire poète, au nom d’une poésie arrêtée et qui imite un langage qui ne bouge plus. La définition du poète est un mouvement permanent, et il est difficile de juger un concept qui recopie ou décalque un mouvement du passé. Mais par ce geste, qui redéfinit le mot poète, on se revendique paradoxalement, mais absolument comme tel. Être poète, c’est revendiquer une intelligence amoureuse.

Il fait être voyageur, dans les mots, marcheur de l’âme, explorateur d’inconnu. Alors oui, en ce sens je suis poète, car j’essaie de mettre en sacrifice tous les aspects du langage unis à la vie. Car, sans ce mouvement de mise à mort provisoire entre justement cette vie et ce langage, le concept même de poète est immobilisé et on assiste à sa mort. Le poète doit réinventer sa liaison à la vie et au langage d’une manière permanente.

Les poètes d’aujourd’hui doivent devenir des êtres témoignant du monde qui les entoure : l’amour, la lutte des peuples, les trous dans les étoiles, les dialogues avec l’invisible. C’est aussi avoir le courage d’une parole singulière contre le bruit dominant. C’est encore écrire des poèmes à contre-courant de la mode et des styles.

Continuer incessamment le sacrifice du langage pour arriver à une parole-pensée jamais entendue. C’est aussi défendre les poètes contre la fausse poésie des bons sentiments et les illusions du langage pourri des médias toxiques. Être poète, c’est savoir aussi être un écrivain public. Mettre son poème au service des opprimés que les pouvoirs réduisent en esclavage. C’est lutter avec ses mots contre le mensonge. Cette menterie qui collabore à la destruction du langage. Nous sommes ainsi obligés, d’une manière permanente, à reconstruire ce langage contre les mercenaires de l’obscurité qui détruisent la vérité.

Chez vous, il y va de l’engagement du corps tout entier…

serge pey La poésie est un morceau de corps pris dans la langue. La langue fait partie du corps et donc la poésie est un corps à part entière. La poésie est la publication de nos corps invisibles, de ces nombreux corps qui cohabitent en nous, ou dans l’ombre de nous-même.

C’est aussi le corps de l’autre, mort ou amoureux. Si la poésie est un corps, il passe dans l’écriture. Nous sommes des êtres de parole, et la poésie est cette extrémité. Il ne faut pas confondre l’oralisation de la poésie avec une corpo-caporalisation scénique. C’est surtout le conflit entre écriture et parole que la poésie incarne et résout. Un poème se récite, mais toute écriture est une oralité qu’il faut entendre même si elle est muette. L’écriture reste la manifestation des oralités qu’on n’entend pas, et qu’on aimerait faire entendre, ou la manifestation des oralités possibles et infinies contenues dans une écriture. La poésie ne se réduit pas à un récitatif, elle est toujours la mise en rituel d’un sacrifice ou d’un travail sur le langage.

Donner de la voix n’est cependant pas la condition d’un rapport au corps. Un poète muet peut être oral, car l’oralité a une infinité de possibilités de se manifester. La poésie est un gueuloir, mais également un murmure et une confidence. La voix ne fait pas un poème, elle est une manière de l’écrire sur un autre support que la page de papier ou le mur. Dire un poème à voix haute est une manière d’écrire dans l’oreille de l’autre. Il faut crier la poésie pour faire exister le monde, car le monde dit des choses à voix haute que beaucoup de gens disent tout bas. Parfois, un poème est la voix d’une liberté. Un engagement radical contre les poètes à gages qui n’ont de poète que leurs noms.

N’est-ce pas question de rythme ?

serge pey La poésie est un rythme. L’être humain à l’image du cosmos est un rythmeur. Réduire la poésie à une pulsation ou à un tempo, c’est omettre qu’elle est une pensée : une manière de penser avec l’immensité du corps et de l’esprit dans toutes ses contradictions. Elle n’est pas uniquement une séduction dansée, même si elle danse. Beaucoup de textes rythmés et rimés n’ont rien à voir avec la poésie.

Ils sont des singeries de poèmes, réduisant la poésie à ses rimes finales ou à quelques allitérations. Elle n’est que la vieillerie ressuscitée de siècles passés, prenant pour modèle ce qui se dit à l’école, souvent par facilité pédagogique. Il ne faut pas confondre la cadence avec un poème, car un jour on pourrait confondre une marche militaire avec de la poésie. Lorsque je disais mes poèmes avec Allen Ginsberg, c’est ce rythme que je pratiquais. Celui de la mélopée, proche parfois de la transe. Je me souviens encore les poèmes accompagnés par Marcel Azzola ou maintenant avec Bernard Lubat, Beñat Achiary, ou encore avec la guitare de Kiko Ruiz, c’est à chaque fois un nouveau monde qui s’ouvre dans l’espace du poème.

Que dire sur la beauté, thème de ce Printemps des poètes ?

serge pey Le mot beauté accolé à celui de poésie est pour un poète inimaginable. Mais il est volontaire, je pense, pour les organisateurs du Printemps des poètes, qui veulent donner à réfléchir sur ces concepts. Ce thème est aussi passe-partout que le nom de Printemps. Non, la poésie n’est pas belle, et ne se fait pas uniquement à cette saison sur un banc public. La poésie n’est pas une saison, elle est hors saison, comme un vrai mois de mai. On le sait, le beau peut être le laid. La beauté n’a rien à voir avec la poésie. C’est un lieu commun de l’idéologie dominante pédagogiste qui veut que la beauté soit liée à la poésie.

En poésie, c’est souvent le laid qui est montré comme Maïakovski nous l’apprend, ou Neruda ou Hikmet. S’il y a beauté, c’est dans sa transmission, dans la manière de tracer le chemin des mots afin que la vie puisse se regarder dans un miroir. Réduire la poésie à la beauté, c’est ne plus faire de poésie. La poésie est un acte de vie, qui peut aussi bien englober la vie des morts que des vivants. Elle est un lieu de résurrection. Radicalement un acte de vie. Notre beauté n’est pas belle. Surtout aujourd’hui.

Faire ce Printemps des poètes au nom de la beauté, c’est insister sur le fait que la beauté n’existe pas, ou paradoxalement qu’il faut défendre l’idée d’une redéfinition de la beauté contre la destruction capitaliste du monde. S’il y a une beauté à revendiquer, c’est celle d’un acte d’amour où l’on peut confondre les deux noms. La libération aussi peut être une beauté, une révolution, la mise en amour de deux mots. Après Rimbaud, il faut dire encore que cette beauté est amère, et qu’il est nécessaire de l’injurier, comme celle qui détruit aujourd’hui notre monde et notre humanité. Contre la beauté fabriquée du capitalisme destructeur, il faut opposer notre beauté et notre mystique du langage que nos ennemis prennent pour de la laideur.

Entre autres œuvres de Serge Pey : Mathématique générale de l’infini (Gallimard), Occupation des cimetières (Jacques Brémond), le Carnaval des poètes (Flammarion). Il est aussi présent dans l’anthologie du Castor astral à paraître.

17/12/2018

Gilles Balbastre « Le film dénonce trente ans de dérégulation néolibérale »

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Coproduit par la Fédération des mines et de l’énergie (FNME) de la CGT et « Là-bas si j’y suis », site d’information de Daniel Mermet, « Main basse sur l’énergie » dresse le bilan accablant des privatisations dans l’électricité. Entretien avec son réalisateur.

Pourquoi votre documentaire n’est-il que sur Internet ?

Depuis mon film « les Nouveaux Chiens de garde », sorti en 2012, je suis tenu à l’écart de la télévision. Mais ce n’est pas la seule raison. La télé se resserre de plus en plus, autant sur la forme que sur le fond. Beaucoup de documentaires diffusés au cinéma le sont parce qu’ils ne trouvent plus leur place sur le petit écran. La télé nous parle plus volontiers de faits divers que de véritables enjeux citoyens. Elle préfère s’étendre sur l’héritage de Johnny ­Hallyday plutôt que sur le bradage au privé d’un bien public comme les barrages hydrauliques, l’un des sujets abordés dans « Main basse sur l’énergie ».

Comment est né votre film ?

La CGT énergie, qui avait beaucoup fait circuler « les Nouveaux Chiens de garde » par le biais des centres de vacances de la CCAS, m’a suggéré de faire un film sur la casse du service public de l’énergie. Il se trouve que je connaissais bien le sujet pour avoir déjà réalisé « EDF, les apprentis sorciers », à l’époque où se mettait en place la dérégulation du secteur. Et donc, ils ont fait une levée de fonds, sous forme de souscription, auprès de leurs syndiqués, pour financer le film.

Qui est à la manœuvre, dans ce hold-up que vous dénoncez ?

Comme le mouvement des gilets jaunes, le film dénonce trente ans de dérégulation néolibérale. Dans les télécoms, les transports ou l’énergie, cette dérégulation permet la création de grandes fortunes. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve Xavier Niel (Free) et ­Patrick Drahi (SFR) dans les dix premières fortunes françaises, pour ne parler que des télécommunications. La même chose se met en place dans l’électricité. Prenez celui qui a acheté l’hebdomadaire « Marianne » et est entré au capital du « Monde », le milliardaire tchèque ­Kretinsky : il a fait fortune avec la dérégulation de l’énergie dans les pays de l’Est. On voit bien que le capital a la ferme volonté d’aller chercher partout l’argent public pour le transformer en argent privé. Et donc, depuis trente ans, via l’Union européenne, il n’a eu de cesse de casser les services publics.

Pouvez-vous préciser la responsabilité de l’Europe ?

Le début de la dérégulation de l’énergie, c’est une directive européenne datant de 1996. Il faut comprendre qu’un certain nombre de gens ont ouvert les portes aux tenants du capital. Ceux-ci n’ont pas fait le casse tout seul, mais à coups de lois, promulguées par des partis de droite et des sociaux-libéraux. C’est une sorte de casse légal, en somme.

Votre film montre bien l’absurdité de vouloir confier l’énergie au privé...

Si, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des services publics de l’énergie ont vu le jour un peu partout dans le monde, avec ce qu’on appelle des monopoles intégrés, prenant en charge la production, le transport et la commercialisation, ce n’est pas tant pour des raisons idéologiques que techniques. Avant-guerre, les coupures géantes étaient monnaie courante et les prix explosaient. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’énergie est à la base un marché hautement spéculatif. Je le montre aussi dans « EDF, les apprentis sorciers », avec l’exemple de la Californie confrontée à des black-out (coupures générales) au début des années 2000. La société Enron faisait monter les prix en jouant sur le fait qu’on ne sait toujours pas comment stocker l’énergie, et que en conséquence, lorsqu’il y a un pic de consommation, il est nécessaire de produire les quantités demandées, sans quoi c’est le black-out. Mais, à force de jouer sur le risque de black-out pour gonfler les tarifs, le réseau a fini par s’effondrer. Aujourd’hui, ce sont les mêmes pratiques spéculatives qui menacent l’hydraulique en France, à travers sa privatisation en cours.

Les énergies renouvelables sont instrumentalisées pour détourner l’attention de cette casse. Pour autant, leur développement n’est-il pas nécessaire ?

Personne n’est contre les énergies renouvelables. Simplement, s’il n’y a pas assez de soleil ou de vent, et que cela se produit à un moment où on a besoin de 100 % de nos moyens de production, comment fait-on ? Pour éviter les black-out, et tant qu’on n’a pas trouvé comment stocker l’énergie, on est bien obligé de doubler le renouvelable par des énergies dites pilotables : le nucléaire, les centrales thermiques et l’hydraulique. Par ailleurs, il faut parler de la façon dont ces énergies sont mises en place. Prenons l’exemple de l’éolien. Au dos de ses factures EDF, le consommateur peut constater qu’il paie une contribution au service public de l’électricité (CSPE), représentant 16 % de la facture. Cette CSPE permet en fait à EDF de payer les promoteurs de l’éolien et ce, quel que soit le besoin réel en électricité ! Le tarif est fixé à 82 euros le mégawatt. C’est une rente pour le privé, un véritable hold-up.

entretien réalisé par laurent Etre pour l'Humanité