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13/06/2013

C’est parti : le JT de France 2 prépare une nouvelle réforme des retraites

puj1.jpgpar Blaise Magnin, Frédéric Panne, pour Acrimed le 7 juin 2013

Le JT de 20 heures de France 2 du 4 juin 2013 (que l’on peut voir ici consacre deux minutes (de 14’15 à 16’23) au rapport de la commission chargée d’examiner plusieurs hypothèses sur la nouvelle réforme des retraites. Deux minutes d’informations tronquées et faussées.

« L’actualité en France, c’est d’abord, je vous le disais, les premières pistes de la réforme des retraites. La commission chargée d’établir un rapport vient de rendre ses conclusions. Elle évoque de nombreuses possibilités : revenir sur les avantages fiscaux des retraités, augmenter, soit l’âge de départ, soit la durée de cotisation, augmenter aussi les charges patronales, bref, il y en a pour tout le monde. Mais ce qui retient le plus l’attention c’est ce qui concerne l’harmonisation des régimes. La commission suggère de modifier les règles de calcul pour les fonctionnaires. »

« Ce qui retient l’attention ». Mais de qui au juste et pourquoi ? Peu importe : l’attention est focalisée sur la sempiternelle « question » des régimes de retraite des fonctionnaires. Et en quoi est-elle de nature à justifier que le JT s’y intéresse tout particulièrement – plutôt qu’à celle des cotisations patronales, par exemple ? David Pujadas s’abstiendra d’en dire plus, mais le reportage qui suit, réalisé par « Margaux Manière, Didier Dahan, avec notre bureau à Poitiers », permettra peut-être d’y voir plus clair…

Sur fond d’images de fonctionnaires au travail, la journaliste commente, ou plutôt pronostique : « Instituteurs, infirmiers ou encore employés de mairie, leur pension de retraite pourrait baisser. Aujourd’hui le mode de calcul des retraites du public est plus favorable que celui des salariés du privé ; la commission Moreau qui rendra son rapport au gouvernement la semaine prochaine propose de rapprocher les deux systèmes. Une piste qui fait bondir les fonctionnaires... »

Manifestement, la journaliste considère qu’il est inutile de préciser que par « rapprocher les deux systèmes », il ne faut pas entendre aligner les retraites du privé sur celles, dont le mode de calcul serait plus avantageux, du public… Cela va de soi !

La suite du reportage, sans doute censée illustrer à quel point l’idée fait « bondir les fonctionnaires  », propose l’interview d’une femme…

Au téléspectateur de deviner non seulement qui elle est – ni le commentaire, ni aucune incrustation ne l’indiquent – mais aussi quelle question lui est posée – laquelle a été coupée au montage. Et si cette femme, qui est probablement fonctionnaire, retraitée ou non, ne semble pas « bondir », elle est effectivement opposée – quelle surprise – à une baisse éventuelle de sa (future ?) pension : « C’est perdre nos acquis, quelque part, parce que si nous, c’était calculé sur les 6 derniers mois… Il y a beaucoup de prise d’échelon en fin de carrière. C’est quand même plus intéressant.  »

Avec l’infographie qui suit, que redouble le commentaire, la journaliste choisit de présenter les conséquences d’une telle réforme pour « un fonctionnaire » virtuel qui s’avère quelque peu atypique…

« Aujourd’hui, les pensions sont calculées sur les derniers mois de la vie professionnelle. Ainsi un fonctionnaire qui gagne en fin de carrière 4000 euros par mois, touche aujourd’hui 3000 euros de retraite. Mais si la piste évoquée par le rapport était suivie, une période plus longue serait prise en compte, par exemple les 10 dernières années. Et sur cette période, le fonctionnaire n’a pas gagné 4000 euros en moyenne mais seulement 3500. Résultat sa retraite ne s’élèverait plus qu’à 2625 euros, 11 % de moins qu’aujourd’hui. »

On reste perplexe devant cette simulation : en 2009, selon l’INSEE, le revenu moyen des fonctionnaires était d’un peu moins de 2400 euros… Alors qui sont ces fonctionnaires qui finissent leurs carrières à 4000 euros par mois ? Existent-ils ? Combien sont-ils ? De quoi parle-t-on ? Salaire net ou salaire brut ? Celui ou celle qui aurait voulu suggérer que les fonctionnaires sont des nantis ne s’y serait pas pris autrement…

Le reportage enchaîne avec quelques mots d’Éric Aubin, présenté comme le responsable chargé des retraites à la CGT. Là encore, on ne sait quelle question lui a été posée…

« C’est une mesure pour rien. Qui avait fait l’objet d’un débat en 2010 avec Éric Woerth qui avait, à l’époque, abandonné cette mesure parce qu’elle ne sert à rien et elle va crisper, effectivement, les salariés notamment du public. » Des propos si brefs et allusifs, qu’on ne pourra en retenir que son opposition à la mesure. Il aurait par exemple pu être intéressant de savoir pourquoi ce bon connaisseur du dossier affirme à deux reprises que ce serait « une mesure pour rien »... Mais ce n’est pas dans le JT France 2 que le téléspectateur l’apprendra.

En revanche, ledit téléspectateur se voit apporter une nouvelle preuve des privilèges inouïs dont bénéficient les fonctionnaires, avec une nouvelle statistique dont on ne saura pas d’où elle sort, ni ce qui pourrait l’expliquer.

« Aujourd’hui dans le privé la retraite est calculée sur les 25 dernières années. Et elle est moins élevée en moyenne : 1216 € contre 1724 pour le public. » On appréciera le souci de cohérence de la journaliste qui choisit de réfléchir sur une pension de 3000 euros quelques secondes avant d’annoncer qu’elles s’élèvent en moyenne à un peu plus de 1700 euros dans la fonction publique… Quant à savoir si, par exemple, des différences de qualification, et donc de rémunération, entre salariés des secteurs public et privé, ne pourraient pas contribuer à expliquer de tels écarts, ce serait trop demander…

Et la journaliste de préciser que « ce soir, Matignon évoque de simples pistes. Les discussions sur les retraites commenceront réellement le 20 juin. » En plateau, David Pujadas conclut même avec un quasi scoop : « Précision importante il y a quelques minutes. L’entourage de François Hollande a confirmé que le calcul des retraites des fonctionnaires fera bien partie du débat. »

Si la qualité de l’information, dans ce « sujet », fut d’une nullité affligeante, l’équipe de David Pujadas pourra au moins se féliciter d’avoir accompli son travail de « pédagogie »… en esquissant les conclusions de discussions qui n’ont pas commencé.

Frédéric Panne et Blaise Magnin

06/06/2013

Réchauffement climatique. "Des canicules plus fortes et plus récurrentes en France"

Eenvironnement,eads,réchauffement climatique,météo france,laurent terrayNTRETIEN. Laurent Terray, chercheur au CERFACS (Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique) est le co-auteur d’un étude portant sur le réchauffement climatique. L’an dernier, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) faisait la relation entre scénarios climatiques et économiques. Cette fois ci, les prévisions incorporent des notions politiques.

Un an après le rapport du Giec qu’apporte de nouveau votre étude ?
Laurent Terray. Tout d’abord notre étude contrairement à celle du Giec s’est consacrée uniquement sur la France. Nous avons analysé des résultats du XXème siecle pour faire des prévisions sur le XXIème.  L’évolution observée et l’évolution simulée sont très cohérentes.
Deuxièmement, notre étude est basée sur 25 modèles qui simulent l’évolution couplée des océans, de l’atmosphère, de la glace de mer. Ces modèles sont des outils mathématiques et des programmes informatiques qui simulent l’évolution physique de ces composantes. Les résultats sont basés sur des outils venant d’une trentaine de pays.  Ce qui a été publié l’an dernier  par nos collègues de Météo France était basé uniquement sur deux modèles de climat français.

Quelle a été votre méthode ?
Laurent Terray. Suivant les scénarios d’émission de gaz à effet de serre, les projections climatiques sont très différentes. De manière volontaire, on a mis en exergue le scénario le plus sévère mais c'est le scénario qui correspond au maintien des émissions d’aujourd’hui. Depuis une trentaine d’années, les émissions augmentent au rythme de 2 % par ans et dans les dix dernières années, nous sommes passé à une augmentation de 3% par an. Le scénario le plus sévère est basé justement sur le même rythme d’augmentation d’émissions de gaz.

environnement,eads,réchauffement climatique,météo france,laurent terrayLe scénario le plus sévère est donc le plus probable ?
Laurent Terray. On ne peut pas dire cela. On ne peut pas prévoir le futur en termes de comportement politiques, historiques, sociaux et environnementaux. Une prise de conscience va peut être avoir lieu. Mais, si on continue à émettre du gaz comme aujourd’hui, le réchauffement serait de 3 et 4 °C en moyenne à la fin du siècle et sera plus marqué en été qu’en hiver. Il y aura aussi une diminution significative des précipitations en été, particulièrement dans le sud de la France. En termes de météorologie, on peut s’attendre à des canicules plus fortes et plus récurrentes.

Le CERFACS a sept actionnaires dont Total et EADS. N’est-il pas paradoxal pour une étude qui redoute le réchauffement climatique d’être financé par un groupe qui pollue comme Total ?
Laurent Terray. On peut le considérer comme cela mais ce financement nous a permis justement de mener à bien cette étude. De nos jours, un chercheur passe autant de temps à aller chercher des contrats pour financer les recherches qu'à les réaliser. Donc je n’y vois pas de contradictions à partir du moment où cette recherche a été effectué de manière complètement libre. Si Greenpeace faisait des appels d’offres pour faire des recherches sur les changements climatiques, nous accepterions, mais ce n’est pas le cas. Je peux vous affirmer que nous avons souffert d’aucune contrainte.

Entretien publié par l'Humanité

04/06/2013

Villepreux : « Le rugby français risque de perdre son âme »

rugby, toulouse, toulon, castres, VillepreuxVictoire du jeu restrictif, incertitude sportive gommée par la puissance financière, intérêts divergents entre rugby professionnel et équipe de France. L’ex-joueur, entraîneur, sélectionneur et directeur technique national répond aux maux de l’Ovalie.

Pierre Villepreux est certes l’un des plus beaux CV du rugby français (multiple champion de France et vainqueur du tournoi en tant que joueur puis entraîneur du Stade Toulousain et joueur et sélectionneur du Quinze de France). On avait surtout envie de demander à ce promoteur invétéré de l’intelligence de jeu de donner son avis sur la tournure que prend le rugby français. À l’entendre, il y a urgence à secouer l’Ovalie.

Pour parvenir en finale, Castres et Toulon ont éliminé respectivement Toulouse et Clermont, réputés pour leur jeu offensif. Le jeu défensif a-t-il pris le pas, cette saison ?

rugby, toulouse, toulon, castres, VillepreuxPierre Villepreux. Les deux équipes qui étaient en finale n’étaient pas celles qui ont produit le meilleur rugby au cours de la saison. Pour moi et sur l’ensemble du championnat, c’est Clermont. Mais ce rugby n’a remporté ni la Coupe d’Europe ni le bouclier de Brennus. Pourquoi la domination des Auvergnats ne s’est-elle pas traduite par un titre ? Ont-ils évalué toute la complexité du championnat, avec des phases finales qui posent d’autres problèmes que ceux de la saison régulière ? Faut-il, par exemple, changer régulièrement de joueurs alors que les matchs couperet imposent de dégager une équipe type ?

Qu’est-ce pour vous que
le « meilleur rugby » ?

Pierre Villepreux. Si on dit que c’est celui qui gagne, ce n’est pas ma façon de concevoir le sport. Le meilleur rugby est celui qui fait lever les foules, qui offre du spectacle par son intelligence de jeu. C’est celui qui, d’abord, donne envie d’aller voir un match. Ce rugby-là était jusque-là capable de gagner des titres. J’espère que nous ne revenons pas à un jeu restrictif où une défense resserrée et des points pris grâce à des pénalités suffisent à gagner.

Hormis Castres, neuvième budget de Top 14 
(16 millions tout de même), les trois autres places 
de demi-finalistes étaient occupées par les trois plus gros budgets du championnat. Idem en Coupe d’Europe. 
La puissance financière 
est-elle en train de tuer l’incertitude sportive ?

Pierre Villepreux. L’économie est en passe de guider le résultat. Si l’on suit les discours de certains entraîneurs et présidents de club, on prend la direction d’une course à l’armement qui fait peu de place à la formation française. Tout le monde ne parle que d’aller chercher à l’étranger des joueurs qui ont déjà fait leur carrière, parce que les potentiels seraient insuffisants ici. Pour moi, une partie de la solution se trouve dans le jeu lui-même. Il faut lui permettre d’évoluer. Par exemple, en créant des points forts à un point donné, avec plusieurs joueurs qui accompagnent le porteur du ballon afin de lui apporter plusieurs solutions, donc de l’incertitude dans le jeu. Une autre solution se trouve peut-être dans l’évolution des règles. Par exemple, en conférant encore plus de points à un essai qu’à des points pris au pied. Pour la mêlée aussi, c’est l’état d’esprit qu’il faut changer. Aujourd’hui, elle ne sert qu’à obtenir une pénalité, alors qu’elle devrait offrir un lancement de jeu propre. On l’a fait pour la touche, avec la possibilité de lever le réceptionneur. On peut bien le faire pour la mêlée.

Les intérêts de l’équipe de France, dernière du tournoi 2013, et des clubs 
du Top 14, qui triomphent 
en Europe, sont-ils désormais irréconciliables ?

Pierre Villepreux. Nous sommes arrivés à un moment charnière. La course à l’armement des clubs, qui amène toujours plus d’internationaux étrangers en fin de carrière, laisse très peu de place à nos jeunes. La situation n’est pas irrémédiable. Mais l’équipe de France vient de partir avec quatre étrangers pour sa tournée en Nouvelle-Zélande. La tendance peut se poursuivre.

Même Toulouse se pose 
la question du bien-fondé de sa politique de formation…

Pierre Villepreux. Ce serait une évolution très dommageable. Ça changerait la donne. Si le système professionnel tend à cela, il ne faut plus se casser la tête avec la formation. Le rugby français risque d’y perdre son âme. Ce qui est dramatique, c’est de dire que l’on va chercher des joueurs ailleurs grâce à la manne du rugby français. Faire étalage de cet argent est indécent, surtout en cette période de crise.

Entretien réalisé par Stéphane Guérard pour l'Humanité

14:05 Publié dans Connaissances, Société, Sport | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rugby, toulouse, toulon, castres, villepreux | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

28/05/2013

La couleur d’origine / La vie d'Adèle : le point de vue de l'auteure : Julie Maroh

blueadele.jpgVoilà bientôt deux semaines que je repousse ma prise de parole quant à La vie d’Adèle. Et pour cause, étant l’auteure du livre adapté, je traverse un processus trop immense et intense pour être décrit correctement.

Ce n’est pas seulement à propos de ce que Kechiche a fait. C’est un processus à propos de l’idée de la répercussion de nos actes, d’écrire une ridicule histoire l’été de mes 19 ans et d’arriver à… « ça » aujourd’hui.

 C’est un processus à propos de l’idée de prendre la parole et transmettre sur la Vie, l’Amour, l’Humanité en tant qu’artiste, de manière générale. C’est un processus à propos de moi-même et du chemin que j’ai choisi. Donc, oui… je suis traversée d’un sentiment indescriptible à propos de la répercussion. De se lever et de parler, et où cela peut mener.

Moi ce qui m’intéresse c’est la banalisation de l’homosexualité.
Je n’ai pas fait un livre pour prêcher des convaincu-e-s, je n’ai pas fait un livre uniquement pour les lesbiennes. Mon vœu était dès le départ d’attirer l’attention de celles et ceux qui:
- ne se doutaient pas
- se faisaient de fausses idées sans connaître
- me/nous détestaient
Je sais que certains sont dans un tout autre combat: garder cela hors-norme, subversif. Je ne dis pas que je ne suis pas prête à défendre cela. Je dis simplement que ce qui m’intéresse avant tout c’est que moi, celles/ceux que j’aime, et tous les autres, cessions d’être:
- insulté-e-s
- rejeté-e-s
- tabassé-e-s
- violé-e-s
- assassiné-e-s
Dans la rue, à l’école, au travail, en famille, en vacances, chez eux. En raison de nos différences.
Chacun aura pu interprété et s’identifier au livre à sa convenance. Je tenais toutefois à repréciser le point de départ. Il s’agissait également de raconter comment une rencontre se produit, comment cette histoire d’amour se construit, se déconstruit, et ce qu’il reste de l’amour éveillé ensemble, après une rupture, un deuil, une mort. C’est cela qui a intéressé Kechiche. Aucun de nous n’avait une intention militante, néanmoins j’ai très vite pris conscience après la parution du Bleu en 2010 que le simple fait de parler d’une minorité telle qu’elle soit participe à en défendre la cause (ou le contraire, selon.) et que cela nous dépasse complètement.

Le dégradé de la BD jusqu’au film

Kechiche et moi nous sommes rencontrés avant que j’accepte de lui céder les droits d’adaptation, c’était il y a plus de 2 ans. J’ai toujours eu beaucoup d’affection et d’admiration pour son travail. Mais surtout c’est la rencontre que nous avons eue qui m’a poussée à lui faire confiance. Je lui ai stipulé dès le départ que je ne voulais pas prendre part au projet, que c’était son film à lui. Peut-être est-ce ce qui l’a poussé à à me faire confiance en retour. Toujours est-il que nous nous sommes revus plusieurs fois. Je me souviens de l’exemplaire du Bleu qu’il avait sous le bras: il ne restait pas un cm2 de place dans les marges, tout était griffonné de ses notes. On a beaucoup parlé des personnages, d’amour, des douleurs, de la vie en somme. On a parlé de la perte du Grand Amour. J’avais perdu le mien l’année précédente. Lorsque je repense à la dernière partie de La vie d’Adèle, j’y retrouve tout le goût salé de la plaie.

Pour moi cette adaptation est une autre version / vision / réalité d’une même histoire. Aucune ne pourra annihiler l’autre. Ce qui est sorti de la pellicule de Kechiche me rappelle ces cailloux qui nous mutilent la chair lorsqu’on tombe et qu’on se râpe sur le bitume.
C’est un film purement kéchichien, avec des personnages typiques de son univers cinématographique. En conséquence son héroïne principale a un caractère très éloigné de la mienne, c’est vrai. Mais ce qu’il a développé est cohérent, justifié et fluide. C’est un coup de maître.
N’allez pas le voir en espérant y ressentir ce qui vous a traversés à la lecture du Bleu. Vous y reconnaîtrez des tonalités, mais vous y trouverez aussi autre chose.

Avant que je ne vois le film à Paris, on m’avait tellement prévenue à coups de « C’est librement adapté hein, ohlala c’est très très librement adapté », je me voyais déjà vivre un enfer… Chez Quat’Sous Films se trouvait tout le découpage des scènes filmées, épinglé au mur en petites étiquettes. J’ai battu des paupières en constatant que les deux-tiers suivaient clairement le cheminement du scénario du livre, je pouvais même en reconnaître le choix des plans, des décors, etc.

Comme certains le savent déjà, beaucoup trop d’heures ont été tournées, et Kechiche a taillé dans le tas. Pourtant, étant l’auteure du Bleu j’y retrouve toujours beaucoup du livre. C’est le cœur battant que j’en reconnais tout mon Nord natal tel que j’avais tenté de le retranscrire en images, enfin « réel ». Et suite à l’introduction de ma déclaration ici je vous laisse imaginer tout ce que j’ai pu ressentir en voyant défiler les plans, scènes, dialogues, jusqu’aux physiques des acteurs et actrices, similaires à la bande dessinée.
Donc quoi que vous entendiez ou lisiez dans les médias (qui cherchent souvent à aller à l’essentiel et peuvent facilement occulter certaines choses) je réaffirme ici que oui, La vie d’Adèle est l’adaptation d’une bande dessinée, et il n’y a rien de mal à le dire.

Quant au cul

Quant au cul… Oui, quant au cul… Puisqu’il est beaucoup évoqué dans la bouche de celles et ceux qui parlent du film… Il est d’abord utile de clarifier que sur les trois heures du film, ces scènes n’occupent que quelques minutes. Si on en parle tant c’est en raison du parti pris du réalisateur.
Je considère que Kechiche et moi avons un traitement esthétique opposé, peut-être complémentaire. La façon dont il a choisi de tourner ces scènes est cohérente avec le reste de ce qu’il a créé. Certes ça me semble très éloigné de mon propre procédé de création et de représentation. Mais je me trouverais vraiment stupide de rejeter quelque chose sous prétexte que c’est différent de la vision que je m’en fais.
Ça c’est en tant qu’auteure. Maintenant, en tant que lesbienne…

Il me semble clair que c’est ce qu’il manquait sur le plateau: des lesbiennes.
Je ne connais pas les sources d’information du réalisateur et des actrices (qui jusqu’à preuve du contraire sont tous hétéros), et je n’ai pas été consultée en amont. Peut-être y’a t’il eu quelqu’un pour leur mimer grossièrement avec les mains les positions possibles, et/ou pour leur visionner un porn dit lesbien (malheureusement il est rarement à l’attention des lesbiennes). Parce que – excepté quelques passages – c’est ce que ça m’évoque: un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn, et qui m’a mise très mal à l’aise. Surtout quand, au milieu d’une salle de cinéma, tout le monde pouffe de rire. Les hérétonormé-e-s parce qu’ils/elles ne comprennent pas et trouvent la scène ridicule. Les homos et autres transidentités parce que ça n’est pas crédible et qu’ils/elles trouvent tout autant la scène ridicule.  Les seuls qu’on n’entend pas rire ce sont les éventuels mecs qui sont trop occupés à se rincer l’œil devant l’incarnation de l’un de leurs fantasmes.


Je comprends l’intention de Kechiche de filmer la jouissance. Sa manière de filmer ces scènes est à mon sens directement liée à une autre, où plusieurs personnages discutent du mythe de l’orgasme féminin, qui… serait mystique et bien supérieur à celui de l’homme. Mais voilà, sacraliser encore une fois la femme d’une telle manière je trouve cela dangereux.
En tant que spectatrice féministe et lesbienne, je ne peux donc pas suivre la direction prise par Kechiche sur ces sujets.
Mais j’attends aussi de voir ce que d’autres femmes en penseront, ce n’est ici que ma position toute personnelle.

Quoi qu’il en soit je ne vois pas le film comme une trahison. La notion de trahison dans le cadre de l’adaptation d’une œuvre est à revoir, selon moi. Car j’ai perdu le contrôle sur mon livre dès l’instant où je l’ai donné à lire. C’est un objet destiné à être manipulé, ressenti, interprété.
Kechiche est passé par le même processus que tout autre lecteur, chacun y a pénétré et s’y est identifié de manière unique. En tant qu’auteure je perds totalement le contrôle sur cela, et il ne me serait jamais venu à l’idée d’attendre de Kechiche d’aller dans une direction ou une autre avec ce film, parce qu’il s’est approprié – humainement, émotionnellement – un récit qui ne m’appartient déjà plus dès l’instant où il figure dans les rayons d’une librairie.

La palme

Cette conclusion cannoise est évidemment magnifique, à couper le souffle.
Comme évoqué dans mon introduction, tout ce qui me traverse ces jours-ci est tellement fou et démesuré que je ne saurais vous le retranscrire.
Je reste absolument comblée, ébahie, reconnaissante du cours des évènements.
Cette nuit j’ai réalisé que c’était la première fois dans l’histoire du cinéma qu’une bande dessinée avait inspiré un film Palme d’Or, et cette idée me laisse pétrifiée. C’est beaucoup à porter.

Je tiens à remercier tous ceux qui se sont montrés étonnés, choqués, écœurés que Kechiche n’ait pas eu un mot pour moi à la réception de cette Palme. Je ne doute pas qu’il avait de bonnes raisons de ne pas le faire, tout comme il en avait certainement de ne pas me rendre visible sur le tapis rouge à Cannes alors que j’avais traversé la France pour me joindre à eux, de ne pas me recevoir – même une heure – sur le tournage du film, de n’avoir délégué personne pour me tenir informée du déroulement de la prod’ entre juin 2012 et avril 2013, ou pour n’avoir jamais répondu à mes messages depuis 2011. Mais à ceux qui ont vivement réagi, je tiens à dire que je n’en garde pas d’amertume.

Il ne l’a pas déclaré devant les caméras, mais le soir de la projection officielle de Cannes il y avait quelques témoins pour l’entendre me dire « Merci, c’est toi le point de départ » en me serrant la main très fort.

Pour en savoir plus sur le film, vous pouvez télécharger son dossier de presse
Et concernant le porn lesbien, un petit lien
L’ombre du tournage -> http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2013/05/...

Le blog de Julie Maroh