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15/12/2014

Le face-à-face entre deux projets de société

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Pacte de responsabilité, loi Macron, coût du travail et coût du capital, règles sociales, démocratie et entreprise…

Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, et Pierre Gattaz, président du Medef, confrontent leurs options politiques sur tous les dossiers

Quelques heures après que Pierre Laurent, indigné par les déclarations sur la « souffrance patronale » et la monopolisation par le Medef du discours sur l’entreprise, eut proposé un débat public au patron des patrons, un tweet #gattaz relevait le gant et souhaitait l’Humanité comme champ clos.

La confrontation s’est déroulée hier comme une conclusion aux mobilisations patronales de la semaine dernière et à leur réplique orchestrée par les militants du PCF. Climat courtois, écoute mutuelle mais débat sans concession, animé par le directeur de la rédaction de l’Humanité, Patrick Apel-Muller, et par le chef du service politique, économique et social du quotidien, Sébastien Crépel.

Pierre Gattaz veut afficher un « esprit d’ouverture » afin de « faire avancer la démocratie » et se présente soucieux d’une « économie humaine ».

Pierre Laurent souligne que le travail est à l’origine de toute richesse créée dans l’entreprise et relève leur opposition fondamentale à propos de son accaparement par le capital.

La controverse est lancée ; elle déborde le temps d’abord imparti à cet échange ; elle n’en restera pas là… Jugez-en.

1 le chômage en France, la faute au coût du travail ou au coût du capital ?

gattazhuma.jpgPierre Gattaz : Une entreprise est une communauté d’hommes et de femmes. Il faut donner du travail aux Français, aux jeunes, aux chômeurs. C’est mon obsession. Nous sommes bien évidemment pour donner du salaire net, du pouvoir d’achat à nos salariés. C’est fondamental, il faut que la fiscalité et le coût du travail ne pèsent pas trop sur ces salaires nets. Second constat, il faut impérativement que ce travail soit compétitif, dans une économie ouverte et mondialisée. Sinon les entreprises risquent, qu’elles soient françaises ou étrangères, de partir de France pour s’installer ailleurs, ce que nous ne voulons pas, au Medef.

Lorsque vous évoquez le coût du capital, le sujet est le financement des entreprises. Il y a un coût du capital qui s’appelle dividendes ou plus-values. Cette somme-là est la rémunération d’un risque. On oublie souvent dans mes propos que je suis pour une économie humaine, et mon combat n’est pas de distribuer plus de dividendes aux actionnaires, de vider de leur sens les entreprises. Comment puis-je créer de la croissance, préserver mes usines et au maximum les hommes et les femmes qui y travaillent, et faire que la mondialisation soit vertueuse ? Ce sont ces deux questions qu’au Medef, on se pose pour le pays.

Pierre Laurent : Vous parlez « d’économie humaine », mais c’est incompatible avec le discours permanent de culpabilisation qui est le vôtre sur le coût du travail. Le travail n’est pas un coût, c’est l’origine de toute la richesse créée. Quand vous mettez en cause « les charges » sociales, en prétendant protéger le salaire net, vous attaquez aussi le salaire, parce que ces charges sont des cotisations sociales qui sont du salaire socialisé.

Vous dites : « Il faut du capital pour l’entreprise », mais le problème c’est que, depuis trente ans, le coût de la rémunération de ce capital n’a cessé d’augmenter au détriment du travail. Vous masquez en permanence dans votre discours qu’il y a une confrontation d’intérêts entre la rémunération excessive du capital et une pression sans cesse accrue sur le travail. La France ne se développe pas dans la mondialisation en cherchant à concourir dans les catégories des pays à bas salaires et à emplois précaires. Vous en demandez toujours plus pour le capital, alors que nous devrions investir toujours plus dans les salaires, la formation et la qualification.

Pierre Gattaz : Nous avons beaucoup de points de convergences ! La valeur travail, magnifique, merveilleuse, il faut réhabiliter le travail, c’est au sommet de la pile.

Pierre Laurent : Mais tous vos actes concrets, toutes vos revendications sont à l’inverse !

Pierre Gattaz : Mais non, pas du tout ! C’est là où j’insiste, j’ai géré durant vingt ans ma société Radiall en me posant une unique question : comment garder mes quatre usines françaises dans un marché parti principalement en Chine ? J’ai perdu 40 % de mon chiffre d’affaires entre 2001 et 2002 mais, dix ans après, j’ai cinq usines en France. Mon chiffre d’affaires à l’exportation, c’est 90 %. Mais j’ai préservé le travail, j’ai préservé mes salariés français, et je les ai fait monter en gamme.

Chez Radiall, 75 ou 80 % des profits sont réinvestis dans la technologie, la formation des salariés, dans la recherche-développement, principalement en France. Une boucle vertueuse s’est donc développée pour préserver les usines et les salariés français afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, et ça marche. Deuxième point de convergence, à propos du salaire et du pouvoir d’achat. Je veux des salaires nets les plus élevés possible, mais vous avez une masse de charges qui représente 600 milliards, et que vous nommez salaire différé. Moi, je pense que c’est un bousin qui n’est pas géré. Qui finance cette masse ? Ce sont les impôts que nous payons…

plaurenthuma.jpgPierre Laurent : Il y a un problème sérieux, quoi que vous en disiez, de gâchis dû au coût du capital. Qu’est-ce qui justifie cette augmentation continue des dividendes ? Sûrement pas l’efficacité des entreprises ! Vous répétez sans cesse qu’il faut baisser la dépense publique, mais regardons plutôt l’efficacité de cette dépense, car il y a une dépense inefficace : celle qui consacre de plus en plus d’argent à compenser des exonérations et des niches fiscales sans effet en matière d’emploi… Je récuse donc vos propos sur le coût du travail.

Nous ne rendrons pas les entreprises françaises compétitives en laissant les jeunes à la porte de l’entreprise et en faisant travailler plus longtemps les seniors. Il faut investir dans le travail, la formation et la qualification, et pas seulement dans le haut de gamme. Nous devons cesser de sacrifier des pans entiers de notre industrie avec ses métiers de base, au point d’être devenus complètement dépendants de l’étranger pour la machine-outil et les biens d’équipement.

Il faut aussi changer les règles d marché pour permettre à tous un développement équilibré et des coopérations, faute de quoi nous irons vers des tensions internationales croissantes. Il y a donc une cohérence à changer les choix de gestion dans l’entreprise. Nous devons envisager un autre type de « mondialisation » fondée sur le partage. La France et nos entreprises devraient être actives dans ce domaine.

Pour cela, il faut commencer par reconnaître plus de droits aux salariés. Vous dites que l’entreprise est une communauté humaine, mais aujourd’hui, ceux qui sont les plus nombreux – les salariés – n’ont jamais leur mot à dire sur les choix de gestion.

Pierre Gattaz : Il faut cultiver, par la formation, l’employabilité permanente. Dans le futur, un salarié connaîtra sans doute au cours de sa carrière trois, quatre, cinq, sept métiers. L’important est de ne pas rester au chômage longtemps durant ces transitions. Il y aura des crises, des montées et des baisses de marchés. Le modèle danois de flexisécurité est intéressant sur ce point. Vous évoquez les métiers en tension, il y a 400 000 emplois non pourvus en France face à 3,3 millions de chômeurs. Vous avez raison, ces métiers sont pestiférés, je dirai. Pierre Laurent Comment voulez-vous y arriver avec 84 % d’embauches en CDD ?

Pierre Gattaz : Merci de cette question : pourquoi a-t-on ce taux de CDD ? Parce que le patron, ça va vous faire mal aux tympans, a peur d’embaucher en France. Des petits patrons me disent : « J’ai eu quatre salariés, et bien j’ai eu quatre prud’hommes. Ne comptez plus sur moi pour embaucher. » Il faut impérativement sécuriser ou clarifier les conditions dans lesquelles nous pouvons nous séparer de nos salariés en CDI.

Pierre Laurent : À quel salarié allez-vous faire croire qu’en supprimant toutes les garanties sociales vous allez libérer la possibilité d’embaucher ? Ce que vous allez libérer, c’est la possibilité de licencier. Nous, nous proposons depuis très longtemps de construire une nouvelle branche de la Sécurité sociale qui permettrait aux salariés, quand ils doivent changer d’emploi, de ne pas passer systématiquement par la case chômage. On pourrait très bien, plutôt que de dépenser de l’argent dans une indemnisation du chômage de plus en plus inégale et injuste, investir dans un système de sécurité d’emploi et de formation.

Pierre Gattaz : Sur le constat final, on est à peu près d’accord, mais pas sur le moyen d’y arriver. Il y a deux choses à régler en France : il y a la peur des salariés de se faire licencier et la peur des patrons d’embaucher. Il faut trouver des moyens de les faire baisser. C’est ce que nous avons fait dans l’accord interprofessionnel des partenaires sociaux en décembre : nous avons essayé de pousser des droits supplémentaires, comme le compte personnel de formation. Qu’est-ce que je fais au niveau de Radiall ?

Je fais des classes en entreprise depuis dix ans. J’emmène des professeurs et des classes, une fois par an, trois jours dans mes usines. Ils font classe de français, de philo et de maths avec les profs qui viennent pendant deux heures. Je fais des groupes de 6 élèves et ils vont voir mes salariés, mes décolleteurs. Le décolleteur explique l’amour de son travail, il explique la précision, il décollète à dix microns. C’est une pièce qui va dans l’horlogerie, dans un satellite. Il explique son métier avec passion.

C’est tout ça, la vraie vie. Et au bout de trois jours, vous avez des enfants qui voient des métiers d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers professionnels qui sont des artistes dans leur métier. L’entreprise, ce n’est pas Germinal ou Zola, ce n’est pas vrai. Les ingénieurs tutoient les ouvriers, on s’entraide sur des projets, c’est propre par terre, l’entreprise, c’est bien. Aimons l’entreprise.

Pierre Laurent : Vous n’allez pas m’expliquer à moi qu’il faut respecter la classe ouvrière. Le monde de la création, le monde ouvrier, le monde du travail, c’est l’ADN des communistes. Et c’est pour ça d’ailleurs que je revendique notre propre parole sur la question de l’entreprise et que je récuse le monopole patronal sur cette question. Vous avez évoqué l’Allemagne.

Vous savez très bien que si l’Allemagne a maintenu un niveau de production industrielle bien supérieur au nôtre, c’est pour plusieurs raisons. Ils ont mieux protégé le travail et la rémunération du travail dans l’industrie. Ils ont su mettre leurs services bancaires au service du développement industriel. Où sont les banques françaises quand il s’agit de faire un tour de table pour sauver une entreprise industrielle française ?

Et enfin, ils ont continué à développer une politique de filières que nous avons totalement abandonnée. Les grands donneurs d’ordres français, ceux du CAC 40, se comportent comme des groupes qui rançonnent toute la filière, les salariés en dernière instance, et aussi leur PME. Donc plutôt que de montrer sans cesse le travail comme un problème, comme un coût, nous devrions plutôt défendre ce travail et nous attaquer à ces problèmes structurels. Nous avons un capitalisme qui, en France, est en grande partie un capitalisme rentier.

Pierre Gattaz : Il y a des excès et des problèmes à régler en France. Des directions d’achat qui pressurisent les PME qui utilisent le CICE, ça existe, maintenant est-ce que c’est 100 %, 95 % ou 1 % ? Au Medef, on regarde les excès à chaque fois.

Le CAC 40, c’est un porte-avions qui entraîne de plus en plus des PME et des ETI. Il y a quelques années, on a créé le pacte PME, avec le patron de Schneider Electric, pour motiver nos grandes entreprises à chasser en meutes, c’est-à-dire à pousser leurs PME, leurs ETI dans leur sillage. Ça fonctionne. Nous allons continuer ce combat. Les banques françaises ont été les plus vertueuses au monde dans la crise de 2007-2008. Pour autant, nous n’allons pas tout attendre des banques.

Au Medef, on pense qu’en dehors des banques, il faut utiliser toutes les autres sources de financement : le crowdfunding, source de financement sur Internet, est intéressant. Si vous avez 1 000 personnes qui mettent 15 euros, ce n’est pas énorme pour une start-up, mais c’est un début. C’est un système attractif parce que plus il y aura d’employeurs, plus nous aurons la chance de créer des emplois. C’est mécanique. Personne ne m’a démontré le contraire pour l’instant mais peut-être allez-vous le faire. Il faut donc absolument que ces gens qui arrivent avec peu, voire pas de moyens, puissent trouver des capitaux.

Il faut également développer les fonds de pension à la française et une fiscalité incitative pour que les gens puissent mettre 2 000 euros dans une boîte sans que tout le bénéfice du risque pris soit confisqué en impôt.

Pierre Laurent : Votre indulgence à l’égard du système bancaire est très étonnante. Car il y a effectivement un énorme problème de financement de l’économie. Le système bancaire joue un rôle malheureusement très important. Nous devons reprendre la main pour piloter différemment l’utilisation de ces fonds du système bancaire et d’épargne. D’ailleurs, le problème est aussi européen.

L’« indépendance » consacrée de la Banque centrale européenne est une aberration. On oblige et les entreprises et les États à aller se refinancer à des coûts prohibitifs sur le marché alors qu’on pourrait très bien financer autrement. Quant à la fiscalité, vous prétendez qu’elle ne pèse pas assez sur la consommation et qu’on pourrait augmenter la TVA alors que la fiscalité sur le capital est affreuse et insupportable. La réalité des recettes fiscales de l’État, c’est l’exact inverse.

La TVA est de loin la première recette fiscale, elle rapporte deux fois plus que l’impôt sur le revenu et six fois plus que l’impôt sur les sociétés. Nous avons une fiscalité d’une injustice totale au travers de laquelle passent des richesses considérables. Je suis le premier à penser qu’il faut repenser totalement la fiscalité française et remettre à plat toutes les niches et toutes les exonérations fiscales accumulées ces dernières années et qui n’ont donné aucun résultat en matière d’emploi.

Pierre Gattaz : Nous avons un point de divergence majeur sur la fiscalité.

2 Quel rôle de l’État pour piloter et stimuler l’activité économique ?

Pierre Gattaz : De 1 200 milliards d’euros aujourd’hui, la sphère publique augmente de 50 milliards par an grosso modo, et représente 57 % du PIB. Qui paye ? C’est l’entreprise in fine, celle qui crée de la richesse.

L’entité qui paye les missions régaliennes, c’est l’entreprise. Le domaine de l’État doit se limiter à ses fonctions régaliennes. Il faut revenir à un niveau de dépense qui s’approcherait de 50 % du PIB dans un premier temps. Et contrairement à ce que vous dites, pour moi, effectivement, nous avons une fiscalité qui est inversée. Nous avons une TVA à 20 % au taux maximum, alors que dans les pays à haute protection sociale que sont les pays du nord de l’Europe, vous êtes à 23, 24, 25 et jusqu’à 27 %.

Nous sommes en compétition avec la moyenne européenne. Et le coût du travail montre en effet que, depuis 2000, nous étions à 8 % de moins en taux horaire par rapport aux Allemands, nous sommes aujourd’hui à plus 12 %. Et les 35 heures sont passées par là. On a donné 10 % de plus aux gens en temps, sans baisser les salaires. C’est un problème.

Ensuite, je terminerai par le capital et l’épargne. Tous les rapports du monde l’expliquent : quand vous mettez 10 000 euros dans une entreprise, il faut que votre taxation soit simple et connue si vous revendez. Or, aujourd’hui, ce n’est pas motivant, parce que la taxation des plus-values est compliquée, donc c’est décourageant. Après, vous avez ce problème des dividendes.

Je réinsiste, la question des dividendes qui est très diabolisée en France, c’est la rémunération d’un risque. Donc, je veux bien tout ce que vous voulez, mais toutes les PME et toutes les TPE pour acheter des robots ont besoin de fonds propres. Ces fonds propres sont apportés par des actionnaires. Ces actionnaires, idéalement, ça devrait être nos salariés. Et je suis très content parce qu’on a poussé ça, d’améliorer la fiscalité de l’épargne des salariés, d’améliorer la possibilité pour nos salariés d’être actionnaires. C’est dans la « loi Macron », et je m’en félicite.

Pierre Laurent : L’impôt n’est pas là pour payer la « dépense publique » mais sert au contraire à investir dans des domaines où justement l’entreprise ne le fera pas. Et dans des domaines qui participent au développement de la collectivité nationale. Nous avons besoin d’impôt pour financer le système d’éducation, pour soutenir les infrastructures, dont d’ailleurs les entreprises se servent, que ça soit les routes, le ferroviaire, les installations portuaires…

Donc l’impôt n’est pas une charge. Je ne méprise pas le rôle de l’entreprise, c’est un lieu de création, mais l’entreprise ne résume pas non plus toute la société. Faire maigrir brutalement l’investissement public, comme vous le proposez, ne va faire que dégrader la situation. Ensuite, on ne travaille pas trop en France. Il n’y a pas assez de gens qui travaillent, et la productivité des travailleurs français est extrêmement élevée.

Nous laissons à l’écart du travail une part croissante de la société française. Enfin, vous rendez hommage à la « loi Macron », car elle va dans votre sens, après le CICE qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas produit de résultat probant en matière de créations d’emplois. Avec cette loi, on va déréglementer le marché du travail, flexibiliser encore davantage, mais sans résultat efficient sur l’activité économique.

3 Le gouvernement Valls, un gouvernement Medef compatible ?

Pierre Gattaz : Non, je ne le sens pas du tout comme ça. Il faut que l’on dépasse le débat gauche-droite, parce qu’il est obsolète. Ni l’entreprise, ni l’économie de marché, ni la mondialisation, ni le dialogue social ne sont une affaire de gauche ou de droite. Il faut avoir la lucidité de voir le monde qui tourne et qui bouge et qui est en mutation accélérée, et d’en finir avec des postures, des dogmes et des idéologies. Nous avons travaillé au Medef sur notre projet « France 2020, faire gagner la France ».

C’est une France qui retrouve de la croissance et c’est une France du plein-emploi. Car je suis persuadé qu’en France, on peut retrouver le plein-emploi : moins de 7 % de chômeurs. C’est mon obsession absolue. Et concernant le travail du dimanche, il faut demander à nos consommateurs et à nos salariés. Sur les Champs-Élysées, j’ai vu des jeunes femmes salariées qui pleuraient parce qu’on les interdisait de travailler après 21 heures : c’est quand même scandaleux d’en arriver là ! Ça ne vous aurait pas ému ?

Pierre Laurent : Vous ne pouvez pas dire ça ! Allez dans la grande distribution : qui empêche les caissières de travailler à temps plein ? Ce sont les patrons de la grande distribution, qui multiplient les contrats à temps partiel. Toutes les enquêtes le montrent !

Pierre Gattaz : Vous parlez de travail subi, alors que moi, je dis qu’il faut s’adapter aux demandes de ces jeunes femmes qui veulent travailler après 21 heures parce qu’elles touchent des primes ou des salaires augmentés de 25 %.

Pierre Laurent : Mais leurs salaires sont bloqués !

Pierre Gattaz : Ça c’est complètement faux, si vous travaillez après 21 heures sur les Champs-Élysées, votre salaire sera augmenté.

Pierre Laurent : Allez discuter avec les salariés du commerce et vous verrez ce qu’ils vous diront sur leur salaire !

Pierre Gattaz : Je suis pour le travail le dimanche et après 21 heures sur volontariat des salariés quand cela a du sens. Amazon fait 25 % de son chiffre d’affaires le dimanche. La consommation, c’est de la création de richesses, c’est de l’emploi. Nous avons estimé que si on ouvrait certaines zones touristiques, pas partout, et avec autorisations des maires, les Chinois n’iraient plus faire leurs courses à Londres, à Madrid ou à Amsterdam.

Pierre Laurent : L’avenir de nos sociétés n’est pas de travailler en permanence, jours, nuits et dimanches. Concernant le volontariat des salariés, vous savez très bien que c’est une fable. Les salaires sont tellement bas dans le commerce – et ils sont de fait bloqués – les temps partiels sont tellement imposés, que certains acceptent, mais ça n’a rien à voir avec le volontariat. Il y a des choix de société qui ne sont pas les mêmes. Ce n’est donc pas aux chefs d’entreprise d’imposer leurs volontés.

Pourtant, j’ai l’impression que le Medef se comporte comme le premier parti politique de France et qu’il fait la pluie et le beau temps dans les choix politiques. Vous vous vantez d’être un homme de terrain, mais je constate que le Medef est plus sûrement introduit dans les arcanes du système que je ne le suis et que ne le sont les syndicalistes et les salariés. La vérité, c’est que vous jouez un rôle politique permanent dans ce pays.

Pierre Gattaz : Il faut observer ce qu’il se passe dans le monde. Dans les 150 pays en concurrence avec la France, les 30 qui ont bien réussi depuis 15 ans, sont celles qui ont mis l’entreprise au-dessus des considérations politiques. Les clients doivent gagner de la satisfaction, les hommes et les femmes doivent garder de l’épanouissement, de la formation permanente. Et les actionnaires, qui sont, je suis désolé, propriétaires de l’entreprise, récupèrent, en effet, des sommes qu’ils ont investies. Nous sommes dans une compétition mondiale où les règles du jeu sont quand même tournées autour de ces trois valeurs clés. Et je constate que des gouvernements de gauche ou de droite jouent selon cette règle du jeu.

Pierre Laurent : Derrière ce discours qui peut paraître de bon sens, en vérité vous développez l’idée qu’il peut y avoir des alternances politiques, mais finalement qu’il n’y aurait toujours qu’une seule politique possible. Et c’est malheureusement ce à quoi on assiste. La mondialisation telle qu’elle fonctionne ne ravit pas le monde entier. Il y a beaucoup de gens qui la contestent, de nations qui cherchent d’autres voies que celles de la mondialisation actuelle. Oui, il y a des propriétaires, mais un des problèmes justement c’est que ceux qui ne sont pas les propriétaires de l’entreprise, et qui pourtant en créent la richesse, n’ont pas assez leur mot à dire sur les choix faits.

4 le pacte de responsabilité, une faute ou une chance ?

Pierre Gattaz : Le pacte de responsabilité, on l’a suggéré au départ par notre pacte de confiance. Il est sorti, on l’a applaudi, on l’accompagne. C’est une démarche non politique de la part du Medef. Pour moi, l’état d’esprit de ce pacte, c’est de réduire le coût du travail, non pas en salaire net, mais sur les charges qui pèsent sur le coût du travail lui-même. C’est de réduire, aussi, la fiscalité qui pèse sur la productivité des entreprises françaises.

Ce pacte a été voté en juin dernier, nous attendons encore un certain nombre de décrets d’application sur la baisse des charges. On parle de baisse de la fiscalité pour les entreprises depuis le début, et bien figurez-vous qu’en ce moment encore, il y a des augmentations de charges sur les entreprises : le versement transports, les taxes de séjour. Il y a un manque de cohérence entre les discours et l’état d’esprit du pacte et les mesures qui sont prises. C’est pour cela qu’il y a eu une mobilisation la semaine dernière des chefs d’entreprises.

Pierre Laurent : Nous sommes en désaccord total. Le pacte de responsabilité qui effectivement a été initié par le Medef a déjà prouvé son inefficacité et son échec. Ce pacte vient s’ajouter à toute une série de crédits d’impôts, de niches fiscales et d’exonérations de cotisations sociales qui se sont accumulées aux cours des 20 dernières années sans aucun résultat en matière d’emploi. Malheureusement avec le pacte de responsabilité qui coûtera la somme énorme de 41 milliards d’euros, nous nous dirigeons vers un immense gâchis de fonds publics.

Pierre Gattaz : En France on a toujours l’habitude d’augmenter les charges comme je vous l’ai expliqué. Donc vous avez un poison, et vous inventez l’antipoison (avec le pacte – NDLR)…

Pierre Laurent : Non, mais vous ne pouvez pas dire que les charges sur les entreprises ont augmenté…

Pierre Gattaz 40 milliards. 40 milliards de plus. Je suis désolé, c’est les statistiques.

Pierre Laurent : C’est faux. Il faut compter toutes les exonérations de cotisations sociales, les crédits d’impôt, la suppression de la taxe professionnelle, tout ce qui s’est accumulé ces dernières années… La petite augmentation du versement transports va servir à construire des infrastructures qui sont utiles aux entreprises, parce que les salariés en région parisienne ne se rendent pas à leur travail à pied, que je sache. Vous ne pouvez pas nier que sur les 20 dernières années, nous avons empilé successivement toute une série de dispositifs, de niches fiscales et d’exonération de cotisations sociales.

Pierre Gattaz:  Monsieur Laurent, ce que je vous propose, c’est : gardez vos aides, gardez vos subventions, surtout ne nous donnez plus rien, mais baissez les charges. Prenons le chiffre de 200 milliards que vous avez annoncé, qui est faux, mais prenons-le : vous faites 200 milliards d’économies en gardant les subventions, mais baissez nos charges de 200 milliards.

Pierre Laurent : Je suis pour remettre à plat toutes les aides financières accordées aux entreprises et pour baisser radicalement le coût du crédit. Les dividendes versés, les frais financiers, les frais bancaires, dont vous ne parlez jamais, représentent le double de la totalité des cotisations sociales payées par toutes les entreprises françaises. Attaquons-nous ensemble à ces charges financières, plutôt qu’aux dépenses sociales et publiques utiles.

Compte rendu réalisé pour l'Humanité par Marion d’Allard, Kevin Boucaud, Sébastien Crépel, Julia Hamlaoui, Clotilde Mathieu, Aurélien Soucheyre et Lionel Venturini

10:48 Publié dans Economie, Entretiens, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gattaz, pierre laurent, l'humanité, débat | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

16/05/2014

L'austérité au coeur du grand débat des européennes ! Alexis Tsipras, le plus convainquant de tous les candidats !

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Lors du débat organisé entre postulants à la présidence de la Commission européenne, Alexis Tsipras a porté le fer contre la politique d’austérité. Une rencontre importante, boudée par le service public France Télévision.

« Je suis Alexis Tsipras, candidat de la Gauche européenne et je viens de Grèce. Mon pays a été choisi comme cobaye pour l’austérité la plus dure. Ses résultats, je ne les souhaite à personne de les vivre, je le les souhaite à aucun autre peuple ».

D’emblée, jeudi soir au Parlement européen à Bruxelles, le leader de Syrisa, a porté le fer contre la politique d’austérité dès les premières minutes du débat auquel il participait avec les quatre autres postulants à la présidence de la Commission européenne : le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (Parti populaire Européen-droite), le libéral belge Guy Verhofstadt, le social-démocrate allemand Martin Schulz et sa compatriote écologiste Ska Keller.

Cette unique confrontation à l’échelle européenne entre les chefs de file des grandes familles politiques représentées au Parlement européen avait été boudée par le service public France Télévision, au prétexte qu’un échange à cinq voix, en traduction simultanée n’était pas un « événement télévisuel ».

Ses responsables, en d’autres termes, semblent préférer les matchs de catch entre deux champions présélectionnés par leurs soins, avec si possible l’incontournable Marine Le Pen. En l’occurrence, la galaxie de l’extrême droite et du populisme ne présentant de candidat au remplacement de José Manuel Barroso, le débat aurait-il perdu tout intérêt aux yeux des responsables de France Télévision ?

Toujours est-il que sa diffusion fut « reléguée » aux chaînes d’informations et parlementaires, qui ont eu l’opportunité de démontrer qu’un débat portant sur les questions de fond pouvait être intéressant.

Les échanges ont parfaitement montré les lignes de partage et les oppositions sur les politiques d’austérité. Bien sûr personne n’a défendu cette tragédie sociale, selon le terme de Tsipras, on a même entendu Jean-Claude Juncker visiblement sur la défensive s’agacer du mot « austérité » s’emporter « Nous n’avons pas aidé les banques pour les beaux yeux des banquiers » et assurer « j’ai tout fait pour la Grèce ! » Aussi bien lui-même - « nous avons accumulé dettes et déficits, il nous faut continuer larigueur »- que Guy Verhofstadt «On ne peut s’endetter davantage » n’ont eu de cesse que de défendre l’orthodoxie financière. De son côté, oubliant le temps d’un débat la cogestion européenne entre la droite et les sociaux-démocrates, Martin Schultz a regretté que l’on ait taillé dans les budgets publics, a critiqué les banques qui spéculent, réclamé des taux d’intérêts bonifiés pour les PME, souligné l’importance de la fraude fiscale.

Ska Keller a prôné la création d’emplois dans le cadre de la transition écologique, dans les énergies renouvelables. « On ne sortira pas du chômage de masse sans remettre en cause la politique d’austérité », a démontré Alexis Tsipras, proposant l’effacement d’une partie des dettes publiques.

L’Union européenne souffre d’une grave crise de confiance. « Nous voulons sauver l’Europe en la changeant » a lancé Alexis Tsipras, pour qui les responsables de l’euroscepticisme sont les partis au pouvoir dans les institutions de l’UE ». Ska Keller a dénoncé le secret et le huis-clos qui entourent les négociations sur le traité transtlantique.

Pour Martin Schulz, il faut regagner la confiance de l’immense majorité des Européens qui gagnent entre 1000 et 2000 euros. Les élections européennes doivent déterminer le choix de qui présidera la Commission. Il serait inconcevable qu’il en soit autrement, ce qui fit dire à Martin Schulz que le futur président de la Commission se trouvait dans la salle. Une exigence justifiée, même si évidemment il pensait à lui-même. Cependant, la voix qui fit la différence, jeudi soir dans l’enceinte du parlement européen, venait de Grèce, de ce pays où socialistes, conservateurs et libéraux ont toujours affirmé qu’il n’y avait pas d’alternative à l’austérité.

- Par Jean-Paul Piérot, pour l'Humanité.

Alexis Tsipras le plus offensif...contre l'austérité

tsiprars,élections,europe,débat"L'austérité a été au cœur du grand débat des élections européennes, retransmis en direct jeudi soir dans tous les pays de l'UE, à dix jours d'un scrutin qui devrait être marqué par une poussée des eurosceptiques. Des débats avaient déjà eu lieu à Bruxelles ou dans d'autres capitales. Mais il s'agissait du premier avec les cinq candidats des principaux partis européens à la présidence de la Commission, dont le représentant de la gauche radicale, le Grec Alexis Tsipras.

D'emblée, il s'est montré le plus offensif face à ses concurrents, le chrétien-démocrate luxembourgeois Jean-Claude Juncker, le social-démocrate allemand Martin Schulz, le libéral belge Guy Verhofstadt et l'écologiste allemande Ska Keller, tous plus rompu que lui aux questions européennes. M. Tsipras a dénoncé les "politiques catastrophiques d'austérité", en demandant de "sortir de cette paranoïa vis-à-vis de la dette", un "changement de cap" et plus de "solidarité"..."

Le Monde

SONDAGE SUR L'EMISSION, ALEXIS TSIPRAS, LE PLUS CONVAINQUANT !

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DECOUVREZ L'INTEGRALITE DE CE DEBAT EN CLIQUANT SUR CETTE LIGNE !

27/10/2008

Peut-on se passer de la Bourse ?

 Entretiens croisés

avec :

Sylvie Andrieux, députée socialiste des Bouches-du-Rhône, membre de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Marc Cohen-Solal, délégué syndical CGT à la BNP Paribas, Michel Husson, économiste, membre du conseil scientifique d’ATTAC (*), et Marie-Christine Oghly, présidente du MEDEF Île-de-France.

boursedescente.jpgSelon les cours de la Bourse, la valeur d’une entreprise peut s’effondrer du jour au lendemain. Est-il possible de s’émanciper de la Bourse ? Comment ?

Marie-Christine Oghly. Aujourd’hui, seulement 700 entreprises sont cotées en Bourse en France, soit 0,4 % des sociétés anonymes. Il s’agit bien évidemment des plus importantes tant en termes de chiffre d’affaires qu’en termes du nombre d’employés. D’autres modes de financement des entreprises existent : l’investissement familial, les financements de proximité ou encore les « business angels » pour les entreprises innovantes. Néanmoins, aujourd’hui, les investissements que doivent réaliser les entreprises sont de plus en plus importants et coûtent de plus en plus cher, compte tenu de la part occupée par la recherche et l’innovation : il y a donc un impératif à lever des fonds pour répondre à cette exigence. Le succès d’Alternext, marché boursier réservé aux PME, reflète cette nouvelle donne. Il y a clairement, aujourd’hui en France, un manque d’investissement dans le capital-risque.

Sylvie Andrieux. Sur le principe, oui, on peut se passer de la Bourse. Mais il faut surtout permettre l’accès au crédit des PME et des accédants à la propriété par la mise en place d’un fonds national de garantie. La Bourse donne théoriquement une vision objective et réelle de la valorisation d’une entreprise et elle organise la liquidité de la propriété des titres détenus, nous pouvons nous demander si, en réalité, elle n’était pas devenue un outil de profit au service de financiers sans scrupule. Ses fluctuations excessives sont dues à la spéculation. Elles ne sont pas la conséquence de critères économiques et financiers sérieux et mesurables. Toute entreprise peut s’affranchir de la Bourse en limitant la part de son capital mis sur le marché boursier et en diversifiant ses sources de financement, comme je viens de le dire en accédant au crédit.

bourse.jpgMichel Husson. Dans la logique d’une économie capitaliste régie par la loi de la valeur, le cours boursier reflète les anticipations de profit : c’est une sorte de droit de tirage sur la plus-value à venir. Jusqu’au milieu des années 1990, les indices boursiers sont bien corrélés avec des indicateurs de profit. Le lien est ensuite rompu, et les cours boursiers se mettent à croître exponentiellement en décrochant complètement de la rentabilité réelle. Cette « exubérance irrationnelle », pour reprendre l’expression de Greenspan, repose sur un socle objectif, qui est le flux permanent de capitaux « libres » à la recherche d’une hyperrentabilité engendrée par la croissance des profits non investis. La déréglementation permet à ces capitaux de circuler et de fondre, tels des oiseaux de proie, sur les segments les plus rentables. Ainsi naissent les bulles qui reposent sur une illusion fondamentale, celle que l’instrument qui leur permet de prétendre à une fraction de la plus-value est aussi un moyen de la produire effectivement. Ce n’est qu’en tarissant la source qui approvisionne ces capitaux que l’on peut imaginer un retour (improbable) à un fonctionnement normal des Bourses.

Marc Cohen-Solal. Le risque d’effondrement des cours, selon les propos de l’un des patrons d’une grande banque qui m’ont été rapportés, « c’est la dure loi du capitalisme ». Une entreprise peut mourir et ses actionnaires n’ont plus alors que les yeux pour pleurer… en particulier les plus petits et parmi eux les actionnaires salariés qui, appâtés par les perspectives de gain et les abondements, y ont placé toutes leurs économies qui disparaissent souvent en même temps que leur emploi. En effet, une désintoxication boursière à la fois des entreprises, des institutions bancaires (la toute récente affaire des caisses d’épargne est à cet égard édifiante) et de toute la société serait nécessaire. Mais comme pour toute addiction, la désintoxication ne se décrète pas mais se construit.

Il suffit de regarder une cote dans un journal (mais pas l’Huma…) pour constater qu’en fait ce ne sont qu’un petit nombre d’entreprises qui sont en Bourse. L’immense majorité des entreprises n’ont pas recours à l’émission d’actions et soit s’autofinancent, soit ont recours à des financements bancaires (en fait souvent les deux). Pourtant, ce sont ces entreprises cotées en Bourse qui donnent le « la » en matière de critères de gestion.

bourse1.jpgLes entreprises doivent-elles se soumettre aux normes comptables qui dépendent de la Bourse ?

Michel Husson. Les nouvelles normes comptables (IFRS, international financial reporting standard) conduisent à réévaluer trimestriellement les actifs à leur valeur de marché, baptisée « juste valeur ». Tout le monde, ou presque, s’accorde aujourd’hui à dire qu’elles accroissent la volatilité des cours et sont procycliques, notamment en raison de leur interaction avec les règles prudentielles (dites Bâle 2). On se demande bien comment cette monstrueuse absurdité a pu s’imposer à l’échelle européenne.

Sylvie Andrieux. Accéder au marché boursier, c’est accepter des normes comptables communes qui permettent de lire et de comprendre les documents émis (bilans, comptes d’exploitation…) ; mais il faudrait une harmonisation de ces normes à tous les pays avec des systèmes fiscaux comparables (des règles d’amortissement et de provisions notamment). Il faudrait d’abord coordonner nos politiques économiques, et notamment nos politiques budgétaires. Il se trouve qu’il y a des États en Europe qui ont mieux géré leurs finances publiques et qui ont la capacité pour intervenir, notamment l’Espagne. Il faut un contrôle public des agences de notations. Il faut avoir des systèmes de contrôles des comptes, par exemple en finançant, par une redevance sur les banques, des commissaires aux comptes pour les rendre indépendants. Il faut avoir une obligation de transparence sur les produits financiers et savoir exactement quelle est la place des fonds spéculatifs dans le bilan des banques européennes. Il faut réglementer strictement les procédures de ventes à découvert qui sont à l’origine des phénomènes de spéculation affaiblissant l’ensemble du système financier. Il faut avoir une discussion ferme avec la Banque centrale européenne pour la gestion des taux d’intérêts.

Marie-Christine Oghly. Oui. Les entreprises doivent se soumettre aux normes comptables, ce qui représente une forte contrainte pour elles. Les directives européennes sont particulièrement exigeantes dans ce domaine, et il s’agit d’ailleurs d’une bonne chose. Les normes françaises se rapprochent d’ailleurs du système IFRS. Je trouve pour ma part particulièrement rassurante cette exigence de transparence, lors de l’introduction en Bourse ou lors d’une augmentation de capital.

Marc Cohen-Solal. Au-delà du choix entre normes IFRS et normes anciennes, qui est en lui-même très important, c’est le critère de rentabilité, c’est-à-dire le rapport entre profits et capitaux investis, qui est central, et chaque entreprise compare le retour envisageable entre les différentes possibilités qui s’offrent à elle : placement financier ou investissement dans l’entreprise ? Souvent le choix est le placement financier. Et quand il s’agit d’investir, ce n’est pas forcément pour créer des emplois, cela peut aboutir à en détruire.

Est-on obligé de passer par la Bourse pour assurer le financement des entreprises ?

Marie-Christine Oghly. Cela rejoint votre première question. J’ajouterai simplement que l’introduction en Bourse peut être un instrument de notoriété pour une entreprise : au-delà du financement de projets, il y a également la recherche d’un vecteur de communication non négligeable.

Sylvie Andrieux. Oui, s’il s’agit de multinationales ou de sociétés en très fort développement sur des secteurs très capitalistiques (dévoreurs de capitaux, notamment pour financer la recherche-développement) ; non, s’il s’agit de PME à caractère familial implantées localement ou régionalement. Ce que nous proposons, c’est de stimuler l’investissement des entreprises. Il ne peut pas y avoir redressement de la croissance s’il n’y a pas de création de richesses à travers des choix d’investissements. Et dans ces moments de crise, de troubles, d’inquiétude, de peur, la première tentation pour beaucoup d’entreprises est de renoncer à des choix d’avenir, de rétracter la décision d’investissement ou son ampleur. Il faut baisser l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices et relever l’impôt sur les sociétés pour celles qui distribuent leurs profits sous forme de dividendes. Les profits doivent aller à l’investissement et non pas à l’alimentation du marché boursier.

Michel Husson. Non, et d’ailleurs la Bourse n’assure que très partiellement le financement des entreprises. Sa contribution a même pu être négative quand les entreprises pratiquaient à grande échelle le rachat de leurs propres actions. Jusqu’au début des années 1980, l’investissement était financé à 70 % ou 80 % par autofinancement, le reste étant fourni par le crédit, les marchés financiers jouant un rôle très marginal. Revenir à cette configuration serait souhaitable, mais cela irait à l’encontre des intérêts des possédants, qui reposent sur une imbrication très étroite de la finance et des entreprises. En France, les sociétés non financières ont ainsi versé 196 milliards d’euros de dividendes en 2007, mais elles en ont reçu 148 milliards.

Marc Cohen-Solal. Les banques auxquelles s’adressent les entreprises pour obtenir des crédits examinent elles-mêmes, selon le critère de rentabilité dont je parlais, l’opportunité d’accorder ceux-ci. Elles exigent donc des taux d’intérêt « rémunérateurs ». Les entreprises sont donc amenées à appliquer ces mêmes critères, même si elles avaient des velléités de faire différemment. Les banques elles-mêmes y sont fortement poussées non seulement par les exigences de rentabilité de leurs actionnaires mais aussi par les règles dites prudentielles qui leur sont imposées par les pouvoirs publics. Ainsi, si elles veulent faire plus de crédit, elles doivent avoir plus de fonds propres, et pour avoir plus de fonds propres, il faut qu’elles soient encore plus rentables et ponctionnent donc plus leurs clients (entreprises et particuliers). D’où des taux d’intérêt trop élevés, un rationnement du crédit et des folies dans le domaine… des titrisations de créances bancaires refourguées sur les marchés financiers…

Des entreprises (par exemple Clarins) annoncent qu’elles vont sortir de la Bourse. Si ce mouvement se développait, quelles pourraient en être les conséquences ?

Sylvie Andrieux. Aucune sur l’économie réelle.

Marc Cohen-Solal. Il me semble que ce phénomène est tout à fait marginal et correspond à des stratégies particulières de groupes familiaux qui veulent garder tout le contrôle de leur entreprise.

Michel Husson. Clarins est sorti de Bourse grâce à une OPA sur ses propres actions, après que leur cours a perdu 36 % en un an. C’est un moyen de sauver les meubles qui ne devrait tenter qu’un petit nombre d’entreprises parce qu’il est évidemment risqué. On ne peut donc attendre à une sortie en masse mais on pourrait en tirer argument contre les privatisations. En Allemagne, l’État vient de renoncer à mettre sur le marché les 24,9 % qu’il détient dans le capital de Deutsche Bahn - l’équivalent de la SNCF - « étant donné l’évolution actuelle des marchés boursiers ». C’est un argument supplémentaire contre « l’ouverture du capital » de La Poste.

Marie-Christine Oghly. Clarins a choisi de se retirer de la Bourse parce que cette entreprise a estimé que les contraintes réglementaires liées à l’introduction sur le marché étaient trop importantes. Il ne s’agit donc pas d’une condamnation du principe du marché boursier mais, au contraire, de sa trop grande rigueur. J’ajoute que le rôle de l’AMF est une véritable garantie pour l’épargnant. Faire croire qu’il n’y a actuellement aucun contrôle sur les marchés boursiers relève de la polémique : l’exemple de Clarins démontre justement l’inverse.

crise320.jpgEst-ce que cette crise, qui a entraîné des nationalisations partielles de banques, ne plaide pas en faveur de la constitution d’un pôle financier public et de critères de gestion des banques distribuant le crédit, qui soient favorables à la création de richesses réelles et à l’emploi ?

Sylvie Andrieux. Oui, bien sûr, mais il aurait fallu que le gouvernement anticipe la crise. Les caisses de la France sont vides, les annonces successives et les incantations du chef de l’État n’y changeront rien. Le Parti socialiste avait tiré la sonnette d’alarme, il est évident qu’aujourd’hui l’argent du paquet fiscal fait cruellement défaut pour conduire une véritable politique de relance économique.

Michel Husson. Évidemment, parce qu’un pôle financier public permettrait d’orienter le crédit en fonction de priorités définies selon d’autres critères que la rentabilité : ce qui est le plus rentable n’est pas forcément le plus utile socialement. Puisque les gouvernements, même les plus libéraux, sont contraints dans l’urgence de « nationaliser », il faut réhabiliter l’idée même de nationalisation, en disant que le crédit et l’assurance devraient être des services publics gérés démocratiquement. Et si l’on veut être cohérent, il faudrait même avancer l’idée d’une nationalisation intégrale parce que ce serait le seul moyen de s’assurer que l’argent public injecté sert à autre chose qu’à éponger les dettes et à rétablir le profit des banques.

Marie-Christine Oghly. Il n’y a eu, à ce jour, aucune nationalisation partielle ou totale du secteur bancaire en France. La crise actuelle ne doit pas rendre amnésique : un secteur bancaire étatisé dans une économie de marché n’est pas la solution. Souvenons-nous des déboires du Crédit lyonnais dont la facture a été particulièrement élevée pour le contribuable français. Par contre, la crise actuelle démontre que les marchés financiers ont besoin d’une régulation plus importante au niveau mondial et européen. De plus, l’argent investi doit l’être désormais dans l’économie réelle, celle des centaines de milliers de PME et TPE qui font l’activité et l’emploi. La titrisation excessive est l’ennemie de l’entreprise.

Marc Cohen-Solal. Il faudrait une nouvelle sélectivité du crédit favorisant les crédits de long terme à des taux d’autant plus abaissés qu’ils financeraient des investissements créateurs d’emplois nouveaux de salariés qualifiés et bien rémunérés, qu’ils permettraient la formation d’hommes et de femmes accédant ainsi à ces emplois. Au passage, cela favoriserait les ressources les moins chères des banques que sont les dépôts des salariés et des populations.

Ces taux pourraient être abaissés de telle manière qu’ils pourraient même être négatifs en termes réels. Pour y parvenir, ces prêts pourraient être bonifiés en utilisant autrement les milliards d’euros de fonds publics pour l’emploi qui sont distribués sans aucun contrôle de leur utilisation. C’est tout le sens de cette idée de pôle public de financement qui rencontre maintenant un large écho. Précisons qu’il ne s’agit pas d’étatisation pour revenir aux errements du passé, où les banques nationalisées agissaient avec les critères du privé, mais de favoriser la maîtrise par la société elle-même de cette question cruciale : l’utilisation de l’argent (1).

La mobilisation des salariés et des populations, au côté des salariés du secteur bancaire, menacés dans leurs emplois par les Monopoly en cours, est nécessaire pour imposer aux patrons de la finance cette autre utilisation de l’argent. Ainsi les fonds régionaux pour l’emploi déjà créés ou à créer pourraient, s’ils étaient investis par les salariés et leurs représentants, par les populations et leurs élus, jouer un rôle important pour cette réorientation de l’argent vers l’emploi.

De même, le spectacle de Jean-Claude Trichet, directeur de la Banque centrale européenne, implorant un soir à la télévision les acteurs des marchés financiers de se ressaisir, leur disant en substance : « On a tout fait pour vous », peut faire réfléchir : et si les peuples d’Europe exigeaient de la BCE qu’elle réoriente ses refinancements vers des objectifs d’emplois, ne viendrait-il pas obtempérer un soir au JT ?

(*) Auteur d’Un pur capitalisme, Éditions Page 2. 208 pages, 16 euros.

(1) Sur ce sujet, Marc Cohen-Solal recommande le livre de Denis Durand, secrétaire du syndicat CGT de la Banque de France, qui s’intitule Un autre crédit est possible, Éditions Le Temps des cerises, 2005.

Entretiens réalisés par Jacqueline Sellem, pour l'Huamanité

17:22 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bourse, crise, débat | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!