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25/04/2009

Ceci était une pipe

La France sarkozienne, par François Taillandier

tati.jpgDonc, la pipe de M. Hulot, sur l’affiche de l’exposition Jacques Tati gêne la SNCF et la RATP. Arriver à établir en quoi cette pipe les gêne et de quoi elles se mêlent, ce serait découvrir un grand secret de notre temps.
Une autre question serait intéressante à élucider : comment ces entreprises de transports publics, fierté légitime des Français qui les ont édifiées de leurs mains, sont-elles devenues, en si peu d’années, aussi radicalement et ouvertement antipathiques ?
 La pipe de M. Hulot gêne la SNCF et la RATP. Mais les tarifications délirantes, ça ne les gêne pas. Mais les panneaux publicitaires qui reconnaissent si vous êtes homme ou femme, jeune ou vieux, et combien de temps votre regard s’y attarde, ça ne les gêne pas. Mais les stations sans personnel, où les mamies et les touristes sont contraints d’acheter leur billet sur des machines qu’ils ne savent pas faire marcher, et dont une moitié est toujours hors service, ça ne les gêne pas.
Les TGV qui tombent en panne n’importe quand parce qu’on rogne sur les budgets d’entretien (et cette fois-ci, nom d’une pipe ! on ne pourra plus accuser Julien Coupat…), ça ne les gêne pas. Nous annoncer comme une merveilleuse faveur que la SNCF s’engage à nous informer sur les retards de trains, ça ne les gêne pas (rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, elle s’engageait à ce qu’il n’y ait pas de retard, et qu’elle y arrivait fort bien).
Mais la pipe de M. Hulot, ça les gêne. Oui, il faudrait arriver à comprendre pourquoi la RATP et SNCF conjuguent désormais le cynisme mercantile le plus impudent et cette continuelle et autoritaire désignation du Bien et du Mal, étant entendu que le mal, c’est nous.
 Car c’est nous ! Nous retardons les rames en montant ou descendant trop doucement. Nous avons le culot (de pipe) de protester quand on supprime la desserte d’une petite ville. Ou quand un TER pour lequel on a vendu deux fois plus de billets qu’il n’y avait de places reste garé au soleil « tant que les personnes en surnombre ne seront pas redescendues ».
J’ose à peine rappeler que nous avions parfois l’audace de fumer. Dire qu’il y a encore des gens pour croire que la SNCF, dans cette affaire, se souciait des non-fumeurs. Ce qui nous ramène à la pipe de M. Hulot. Finalement, ce n’est peut-être pas par hasard que le couperet tombe sur elle. Il a le malheur d’incarner, à sa manière insolite, l’homme réel.
Il rejoint aujourd’hui la Princesse de Clèves dans le Panthéon des indésirables. La France avance.

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22/04/2009

LE DESSIN DU MOIS D'AVRIL

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16/04/2009

"Le juif n'est pas une essence, c'est une grande religion"

sand.JPGL’historien israélien, Shlomo Sand remet en question les mythes fondateurs d’Israël et même l’existence d’un peuple juif. Dans cet entretien à l’Humanité, il développe les idées essentielles de son livre, Comment le peuple juif fut inventé.


Quelle est la genèse d’un tel livre ? Est-ce d’abord une préoccupation purement israélienne ou vous adressez-vous à l’ensemble du monde ?

Shlomo Sand Il y a un intérêt, qui m’étonne d’ailleurs, qui s’exprime un peu partout. Pourquoi ai-je écrit ce livre ? Cette idée qui me fait mettre en doute, sur le long terme, l’existence d’un peuple juif, n’est pas nouvelle. Il suffit d’ailleurs de regarder les Juifs pour voir qu’ils n’ont pas la même origine, comme on dit. De cette idée critiquant les visions racistes concernant les Juifs, je me suis tourné vers l’écriture d’un livre. J’ai pensé qu’en tant qu’historien, il était de mon devoir de me confronter à l’une des choses les plus importantes de la conscience historique des Israéliens. Des Juifs israéliens mais aussi de beaucoup de Juifs du monde. Cette vision est qu’ils seraient venus autrefois d’une patrie qui s’appelle Judée ou Palestine ou, comme on dit dans la terminologie sioniste, « Eretz Israël ». Ce peuple aurait erré pendant deux mille ans, serait arrivé à Moscou, aurait fait demi-tour et serait retourné. C’est la légitimation de cette colonisation en Palestine qui a été faite par le mouvement sioniste. À chaque étape de ce travail, j’ai été très choqué de constater le fossé existant entre les productions vraiment professionnelles issues de milieux restreints de l’université et la conscience historique des gens, en Israël et ailleurs. Il suffit de regarder les manuels en France, on y parle aussi de peuple juif exilé. Le livre se termine sur une question politique : « Pourquoi je parle ? » Le « pourquoi » contient ce devoir d’historien mais aussi ce côté politique que j’ai pour changer la vie, changer les opinions. C’est essentiel pour changer la société dans laquelle je vis, qui se trouve dans une crise et un conflit permanents.

Comment maniez-vous le concept de Juif, celui d’Israélien ?

Shlomo Sand Je suis très israélien. Je suis d’origine juive. Le capital symbolique que j’ai n’est pas européen, il est surtout israélien. Les premiers mots d’amour que j’ai prononcés étaient en hébreu ! Il est intéressant de constater que le sionisme ne reconnaît pas de peuple israélien. Il continue de parler de « peuple juif ». Donc, ni le nationalisme arabe ni le sionisme ne reconnaissent le fait qu’au Proche-Orient est née une société, une culture et même, on peut dire, un peuple nouveau, qui parle une langue. Pourtant, il n’y a pas un cinéma juif mais un cinéma israélien. Il n’y a pas un théâtre juif mais un théâtre yiddish. Il n’y a pas de littérature juive mais une littérature israélienne. Pourquoi le sionisme se comporte-t-il tellement mal vis-à-vis de sa propre création ? Pour le sionisme, de gauche comme de droite, la société israélienne est une branche du peuple juif. Pour le nationalisme arabe c’est aussi une branche d’une invasion juive au Proche-Orient. C’est le même concept, qui ne veut pas reconnaître les faits. C’est ainsi que j’ai commencé à toucher à la légitimation historique de la colonisation sioniste. L’acte de propriété du sionisme sur la terre de Palestine, c’est la Bible. Après avoir expliqué ce qu’est un peuple, ce qu’est une nation, en théorie, le premier chapitre du livre est sur la Bible. Là, je m’appuie sur les travaux des archéologues israéliens, même sionistes. Ils ont mis en exergue la différence entre les découvertes archéologiques et les récits bibliques. Mais pour moi, ils n’allaient pas assez loin. Par exemple, la sortie d’Égypte n’a pas eu lieu. Pourtant, j’étais persuadé que c’était un fait historique. La Bible comme livre historique était décomposée. J’ai commencé à chercher à quel moment la Bible est devenue un livre historique.
D’abord parce que trois catégories, dans l’histoire, ont vraiment lu la Bible. Ce ne sont pas du tout les Juifs. Ce sont les karaïtes (mouvement juif scripturaire remettant en cause le monopole des sages d’Israël en matière d’exégèse biblique - NDLR), les protestants et les sionistes. La vraie Bible de la foi était le Talmud. Je montre donc comment dans l’historiographie du XIXe siècle, qui commence à se cristalliser autour de l’idée nationale juive, le premier modèle c’est l’idée nationale allemande. Une idée nationale qui n’est pas républicaine, qui n’est pas civique, qui s’appuie sur la notion « d’où on vient » et non pas sur « où on va » comme l’idée nationale en France ou aux États-Unis.
C’est ainsi qu’a été créée une histoire linéaire, complètement imaginaire, qui commence avec la Bible. C’est pourquoi je dis qu’elle sert d’acte de propriété pour le sionisme. L’idée très importante et d’une incroyable richesse littéraire est que cette ligne idéologique n’est pas du tout historique. Exactement comme l’Odyssée d’Homère n’est pas un livre historique mais qui contient des récits historiques. C’est un livre légendaire, fantastique, poétique, comme la Bible. Le sionisme (et même le pré-sionisme), qui commence avec l’idée nationale juive, forge la Bible et prend le Livre comme le début d’un long récit : l’histoire du peuple d’Israël. Je montre que c’est une légende et qu’on voit déjà cela dans l’écriture biblique qui apparaît beaucoup plus tard que l’histoire qu’on raconte. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’il existait un monothéisme juif dans la région avant la destruction du deuxième temple, avant la destruction du royaume de Judée. Il y a beaucoup d’archéologues qui pensent qu’il n’a jamais existé un grand royaume d’Israël. Il y avait autrefois un petit royaume d’Israël et un petit royaume de Judée. Je suis allé beaucoup plus loin en m’appuyant sur les chercheurs non israéliens. Ils montrent que la Bible est un simple écrit mobilisateur pour créer un peuple élu de dieu.

Vous vous attachez ensuite à la notion d’exil ?

Shlomo Sand C’est la base de toutes les croyances nationales en Israël. Et pas seulement en Israël. J’imagine que beaucoup de communistes en France utilisent le terme de « diaspora ». Chaque enfant en Israël sait qu’en 70 après J.-C., Titus a exilé le peuple juif. Je suis allé à la bibliothèque pour consulter des livres sur l’Exil. L’Exil, c’est un élément fondateur de l’histoire des Juifs, non ? Pouvez-vous imaginer qu’il n’existe même pas un seul livre de recherches sur l’Exil ? Les spécialistes savent donc qu’il n’y a pas eu d’exil, mais le peuple doit apprendre qu’il y a eu Exil ! S’il n’y a pas eu exil, qu’est-ce qu’on fait là-bas, en Palestine ? Donc, j’ai cherché à savoir le destin de ces Juifs qui n’étaient pas partis en exil. Il s’est passé quelque chose. À ma grande surprise je me suis aperçu que Ben Gourion, grand sioniste, a cru jusqu’à la fin des années 1920 que les vrais descendants des « Judéens » (un terme que j’emploie dans le livre), sont les paysans palestiniens qui n’ont jamais quitté le pays. Il y a des élites qui ont émigré. Mais, comme toujours dans l’histoire, les larges couches de producteurs de nourriture ne sont pas parties.
Surtout qu’ils n’étaient ni pêcheurs ni commerçants. Je ne pense pas que les Palestiniens soient les vrais descendants, la région ayant été le lieu de passage de tant de conquérants, on peut penser que chacun a laissé sa trace biologique. Les Palestiniens sont un peuple mélangé exactement comme tous les autres peuples dans le monde. Si les Juifs n’étaient pas exilés, où vivaient-ils ? Je n’avais pas fait attention que le royaume de Judée a fait se convertir, par la force, tous les peuples autour. Au début avec l’épée, comme chaque religion, et ensuite avec les convictions. Le judaïsme est prosélyte jusqu’à la victoire du christianisme. Ensuite, il devient une religion fermée sur elle-même. J’ai trouvé de plus en plus de traces de ce prosélytisme. Pas seulement chez les Berbères, qui ont été judaïsés. Mais vous savez, je n’ai rien découvert historiquement. J’ai tiré des choses qui avaient été glissées sous le tapis, qui avaient été poussées vers les marges pour constituer un récit linéaire national. J’ai organisé différemment, et une autre histoire des Juifs est sortie, complètement antiraciste. Le Juif n’est pas une essence. C’est une grande religion. On ne peut pas comprendre les cultures du monde occidental (au sens « non asiatique ») sans le judaïsme, sans la présence de la religion juive. Mais le judaïsme n’a jamais été un peuple, toujours une religion prosélyte. Je pense que l’origine de 80 % des Juifs au XXe siècle est de l’Europe de l’Est. Ils sont plutôt khazars et slaves. Donc l’origine du judaïsme est plurielle.

Au bout du compte, si l’on parle d’Israël depuis 1948, quelle est la signification de vos recherches ?

Shlomo Sand Ma thèse, qui montre que les Juifs sont pluriels avec une incroyable richesse des origines, est contradictoire avec la politique identitaire en Israël. En Israël, nous avons un régime profondément non démocratique parce que c’est un régime qui ne cherche pas à servir la société mais l’ethnie juive dans le monde, c’est-à-dire ce n’est pas un État des Israéliens. On ne dit pas Israël appartient aux Israéliens. Pas du tout. Il appartient à Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy plus qu’à mon collègue de l’université qui est originaire de Nazareth. Cette contradiction profonde de la citoyenneté israélienne va le faire éclater et c’est en contradiction avec toutes les raisons historiques que j’ai avancées dans mon livre. En Israël, souligner que Juif est une ethnie définit un État qui n’est pas « démocratique » mais « ethnocratique ». Mais BHL et Finkielkraut ne veulent pas vivre sous la souveraineté juive.
C’est donc un État qui a beaucoup de problèmes, qui occupe un autre peuple sans aucun droit, se définit comme un État qui ne sert pas ses propres citoyens. C’est contradictoire avec la vision historique que j’ai avancée. L’idée d’ethnie est une idée complètement légendaire. Je me suis révolté comme historien mais aussi comme citoyen et comme un homme qui s’est impliqué dans la politique. Je veux « désioniser » la société israélienne. Mais, et j’insiste, comme projet politique, j’adopte toujours l’idée de deux États mais pas pour deux peuples. Deux États pour deux sociétés. J’accepte l’hégémonie de culture judéo-israélienne mais je n’accepte pas son exclusivité. Je ne crois pas qu’on puisse proposer aux Juifs israéliens de devenir, du jour au lendemain, une minorité.
Il faut qu’Israël se retire de tous les territoires occupés. Mais je souligne à la fin du livre que le jour où il y aura une paix sur les frontières de 1967, le vrai cauchemar va naître : que les jeunes palestino-israéliens en finissent avec cette crainte apparue avec la Nakba chez plusieurs générations de Palestiniens et qui leur fait refuser de vivre dans un État qui n’est pas leur propre État. Ils n’ont pas été invités dans cet État comme des immigrés. Ils étaient là avant nous. Ils ont le droit de vote, ils sont des citoyens, mais sur le niveau mental, symbolique, juridique, ce n’est pas leur État. En Espagne, personne ne va dire que l’État appartient aux Castillans. En Grande-Bretagne, il n’y a pas un fou qui va dire qu’elle appartient aux Anglais. Mais en Israël, c’est ça la réalité. Le Centre dit que l’État n’appartient pas à ses citoyens mais à la couche dominante linguisto-culturelle qui s’appelle « Juif ». Après mon livre, on ne sait peut-être pas très bien ce qu’est être juif. Mais en Israël on sait très bien : ça veut dire ne pas être arabe. C’est catastrophique. Cela peut transformer la Galilée en un Kosovo. La politique sioniste consiste à dire et à répéter que l’État d’Israël n’est pas un État des citoyens israéliens puisque c’est l’État des Juifs.

Comment en sortir alors que tous les partis en Israël sont des partis sionistes ou des partis arabes, à l’exception notoire du Parti communiste ?

Shlomo Sand Nous assistons à un phénomène qui dure depuis trop longtemps. Il y a des partis de gauche arabes, des partis de gauche juifs. C’est à partir de 1965 et la scission du Parti communiste qu’on a fait le constat qu’on ne peut pas créer un grand parti politique de masse qui est composé de Juifs et d’Arabes. La raison principale est que la gauche dominante a toujours été sioniste et a donc insisté pour que l’État d’Israël soit juif. Malheureusement, il y a aussi des mythes de l’autre côté, c’est-à-dire dans le camp arabe. C’est difficile pour moi de le dire, parce que je suis privilégié, parce que je suis juif dans l’État d’Israël. Mais tant qu’il existera cet oxymore développé par les leaders israélo-palestiniens ou arabes qui reconnaissent l’État d’Israël et demandent en même temps le droit au retour des réfugiés palestiniens, on ne pourra pas créer un grand mouvement de gauche, exactement de la même manière que tant que persistera cet oxymore qu’un État juif peut être démocratique. Il faut faire un grand travail pour décomposer les mythes. Il y a une jeunesse israélienne qui a voté dernièrement pour un candidat qui, comme tout le monde le savait, n’était pas sioniste, c’était le candidat communiste, député, Dov Khenin. C’est la première fois en Israël qu’un candidat à la mairie de Tel-Aviv, non sioniste, recueille 34 % des suffrages. Comme disait Gramsci, il faut « avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ». J’ai écrit ce livre avec un grand pessimisme, mais avec une volonté forte de changer.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey

(1) Comment le peuple juif fut inventé. Éditions Fayard, 446 pages, 23 euros.

18:09 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : israel, religon, juif | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

02/04/2009

Bernard Poignant invite à lire “Besancenot dans le texte”

BESANCENOT.jpgPOLITIQUE - Le maire PS de Quimper et député européen Bernard Poigant a lu attentivement le livre d’Olivier Besancenot  et de Daniel Bensaïd : "Prenons parti pour un socialisme du XXIème siècle", paru aux éditions Mille et Une Nuits en janvier 2009. Il livre ici son opinion sur la politique que ce texte préconise, porteuse selon lui de “sectarisme” et de “totalitarisme”.

" Il faut lire le livre d’Olivier Besancenot et de Daniel Bensaïd : "Prenons parti pour un socialisme du XXIème siècle", paru aux éditions Mille et Une Nuits en janvier 2009. Quand un nouveau parti est créé, il faut aller chercher la société qu’il prévoit ou qu’il prépare. Dans le livre et ses 371 pages, on rencontre de la démagogie et de l’à-peu-près. Ce n’est pas cela le plus important : on peut trouver les mêmes défauts dans la littérature du Parti Socialiste. Par contre, il n’est pas indifférent de regarder si la politique annoncée est garante des libertés, respectueuse du droit, attachée à la démocratie et à son expression par le suffrage universel. Car le but est affiché page 125 : "Une société alternative au capitalisme nécessite une rupture avec la société d’aujourd’hui et son Etat". Très bien mais permettez qu’on jette un coup d’œil sur ce qui est prévu ! Les auteurs ajoutent : "Un changement de société ne peut se résumer à une alternance d’équipe gouvernementale". D’accord mais acceptez que l’on défende ce principe de l’alternance, y compris pour permettre à la droite de battre la gauche, si les électeurs en décident ! Pour clore ce point, Olivier Besancenot écrit : "Changer ou pas la société, en dernière analyse, revient à savoir : qui décide ici ? Le Gouvernement, le Parlement issu de la vieille société ? Ou bien le pouvoir populaire de la nouvelle société qui pousse au sein des conseils de quartiers et des assemblées d’entreprises ?" Excusez du peu : on a déjà donné avec les soviets !

Au fil de la lecture, des interrogations naissent : la crise du capitalisme financier et du capitalisme tout court est bien analysée. Mais c’est un papier-collé de Karl Marx qui a fait ce travail avec plus de finesse et de connaissances. Par contre, l’échec du communisme est passé sous silence. Sont évoquées les dérives bureaucratiques sans penser une seconde que c’est le système lui-même qui y conduit. Le despotisme russe et la dictature chinoise sont ignorés : pourtant l’un et l’autre s’accommodent du capitalisme. Sont admirés : Chavez au Vénézuela, Morales en Bolivie, Castro à Cuba, Ché Guevara bien sûr, un peu Lula au Brésil mais lui sent déjà le souffre libéral.

Dès les premières phrases (page 9), la confusion est établie : "Le capitalisme est malade… Il y a quelques mois les tenants du nouvel ordre mondial n’avaient pas de mots assez flatteurs pour vanter les mérites indépassables de l’économie de marché." Conclusion : il faut en finir avec l’économie de marché ! La Déclaration de principes du Parti Socialiste, adoptée en juin 2008, est alors vilipendée à longueur de pages. Comme elle se prononce pour une "économie sociale et écologiste de marché", elle est la preuve de la trahison de la social-démocratie !

A la place de l’économie de marché, il y a forcément le monopole. Il faut attendre la page 72 pour découvrir ce nouveau modèle économique à travers une proposition concernant les banques : il faudra "réunifier toutes les banques dans un seul service public bancaire, en expropriant les intérêts privés, sans rachat ni indemnités… Ce service public de crédit serait placé sous le contrôle des salariés et des usagers". On sait comment cela se termine : des apparatchiks nommés par le Parti - Etat finissent par prendre le pouvoir. On connaît la suite. Quant à la technique, l’expropriation, elle revient souvent. Exemple page 275 pour la santé : "expropriation des établissements privés à but lucratif". Chacun sait que l’expropriation n’est pas conforme à la loi. Le Parti Communiste lui-même ne l’a jamais défendu. C’est une proposition totalitaire, mensongère, impossible ! Page 74, l’industrie automobile subit le même sort : ils "proposent d’écarter la mainmise des actionnaires sur l’ensemble du secteur en plaçant toute l’activité automobile française, ainsi que la sous-traitance et les équipementiers, sous contrôle public, en expropriant les intérêts, sans rachat, ni indemnités". Fermez le ban ! Page 75, l’auteur ajoute : "L’industrie automobile internationale doit être contrainte à inventer et à généraliser des modes de propulsion non polluants". Très bien mais qui contraint, comment et avec quelles sanctions à la clé ? Mystère ou plutôt danger !

Si l’économie de marché disparaît, il faut bien mettre en place une autre façon de produire. Page 218, "la planification démocratique de la production déciderait collectivement des grandes options fondamentales, plutôt que de laisser le marché trancher". C’est le grand retour du Gossplan : décidément Besancenot est bien vieux pour son âge ! Il prend un exemple toujours à la même page : dans un rayon de supermarché, "que de formes de clous, de rivets qui diffèrent par leur longueur et leur tête". C’est une société : je ne veux voir qu’une seule tête !

Evidemment, la planification doit être démocratique. Comment ? Le système est décrit page 219 : "Des assemblées de quartiers peuvent élire leurs représentants. Ces assemblées peuvent se coordonner sur la base de fédérations, de branches, de regroupements interprofessionnels, puis en congrès réguliers pour les entreprises… Nous proposons une organisation unifiée de ces différentes assemblées dans le cadre de congrès réguliers qui dégageraient ainsi les grands axes de la planification". Tout cela a été proposé en 1917 et s’est effondré en 1991. Mais il y a mieux page 220 : "Certains choix seront contradictoires et dans ce cas des référendums permettront à la majorité de trancher". Sans doute pour les formes de clous et les rivets ! Une telle économie se termine dans la pénurie, se prolonge dans le marché noir, ne fonctionne qu’avec une police et une bureaucratie, le tout aboutissant à des formes de totalitarisme. Toutes les belles déclarations sur les libertés et les droits (et il y en a beaucoup auxquels on ne peut qu’adhérer) s’effondrent avec un tel système, car c’est lui qu’il faut démasquer.

Après l’économie, les institutions. Le mépris pour la démocratie parlementaire suinte à chaque page. La révolution est le moyen et le but. Page 126, "nous voulons l’organisation des masses par elles-mêmes". "Les luttes doivent échapper aux manœuvres des bureaucraties syndicales". "Les stades de foot occupés par des milliers d’étudiants, dans les différentes régions mobilisées, délibérant des heures durant sur les revendications et l’organisation du mouvement avant de voter pour décider des choix alternatifs sont un avant-goût d’une démocratie universitaire impliquant les étudiants". Bonjour le travail et les études !

Pour les élus, page 204, "à tout moment, un élu peut être révoqué si on estime qu’il ne nous représente plus. C’est le principe de la révocabilité des mandats." C’est qui "on" ? On craint de le savoir !

Page 207, la révolution institutionnelle est annoncée : une assemblée constituante est prévue ; le Sénat est supprimé et remplacé par un Conseil des mouvements sociaux ; enfin "une décentralisation démocratique et solidaire ferait du pays une Commune de communes". Il doit y avoir dans cette proposition la nostalgie de la Commune de Paris en 1871, mais depuis lors le temps a passé.

Pour conclure, les deux auteurs refusent toute entente avec qui que ce soit. Page 365, "nous devons assumer pleinement notre indépendance". P. C et Verts (et bien sûr PS) sont renvoyés aux oubliettes de l’histoire. Même les partis de gauche à l’étranger ne trouvent pas grâce à leurs yeux (page 365) : Izquierda unita en Espagne, Refondacione comunista en Italie, Die Linke en Allemagne. Ils prospèrent dans leur solitude attendant le Grand Soir comme au XIXème siècle, persuadés que le trotskisme réussira là où le léninisme et le stalinisme ont échoué, enfermés en 2009 dans leurs certitudes de 1917. A la dernière page (page 370), un éclair de lucidité apparaît : "Nous savons bien que nombreux sont encore ceux, qui malgré leur sympathie, doutent de notre réalisme." Cela au moins, c’est une certitude juste. En politique, le sectarisme a toujours été une stérilité dans l’opposition. Il est dangereux quand il devient majoritaire. C’est pour cela qu’il ne faut pas craindre de débusquer le totalitarisme là où il se cache.

Bernard Poignant
Maire de Quimper
Député européen

Publié dans Libération

09:46 Publié dans Connaissances | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : besancenot, npa, programme, poignant | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!