Alors que le grand raout gouvernemental a ouvert ses portes, la CGT a été parmi les absents. Mépris de la démocratie sociale, colère des salariés, arbitrage en faveur du patronat… « Trop, c’est trop », explique son secrétaire général, Philippe Martinez.
La quatrième conférence sociale du quinquennat Hollande s’ouvre aujourd’hui. Au menu de ce grand raout qui, cette fois, se veut « thématique » : la COP21 sur le climat, la transformation numérique du travail, le compte personnel d’activité. L’occasion surtout, pour le gouvernement, de donner à voir sa feuille de route d’ici à 2017, sous couvert de promotion en grande pompe du « dialogue social », alors même que la démocratie ne cesse d’être bafouée au sein comme à l’extérieur des entreprises. Air France, STX, mais aussi lois Rebsamen ou Macron, « le mécontentement est là », juge le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, qui, dans nos colonnes, explique le sens de « l’alerte » qu’il entend envoyer au gouvernement en refusant de participer à la conférence sociale et de cautionner ses choix libéraux. D’autant que ce même gouvernement manœuvrait en coulisse encore vendredi pour mieux, ce week-end, se féliciter d’un accord qui fait de l’allongement de l’âge du départ à la retraite la norme.
La CGT a décidé de boycotter la conférence sociale, ce rendez-vous est-il, selon vous, dénué d’enjeu ?
Philippe Martinez Cette décision est avant tout un nouveau message d’alerte au gouvernement : il est temps d’arrêter de faire plaisir au patronat et de s’occuper de la situation des salariés. Depuis plusieurs mois, la CGT propose d’inscrire leurs préoccupations à l’ordre du jour de cette conférence sociale avec la question des salaires et du temps de travail, notamment. Le gouvernement n’en a pas tenu compte. Dans le même temps, en première partie du programme, nous sommes invités à écouter des experts, souvent patronaux, sans pouvoir véritablement donner notre avis. Le gouvernement affirme que l’on pourra s’exprimer puisqu’une réunion informelle est prévue avec le président de la République. Une heure de réunion officieuse, huit organisations syndicales dont cinq de salariés et trois patronales. Le dialogue n’existe pas. Enfin, il y a la situation sociale. Air France et tout le reste. Plutôt que de s’intéresser au sort des possibles 3 000 licenciés, le gouvernement traite les salariés qui combattent ce plan de restructuration de « voyous ». Trop c’est trop.
Quelle est votre opinion sur le compte personnel d’activité, dont François Hollande veut faire l’une de ses mesures phares et qui sera au menu aujourd’hui ?
Philippe Martinez Depuis dix ans, la CGT porte l’idée d’une sécurité sociale professionnelle. C’est une proposition très innovante de progrès social pour que les salariés, quel que soit leur parcours professionnel, voient leurs compétences reconnues et ne perdent pas leur droit en changeant d’employeur. Régulièrement, les gouvernements successifs font référence à cette notion. L’important n’est cependant pas le titre mais le contenu. Nous sommes prêts, nous l’avons dit, à une négociation sur une véritable sécurité sociale professionnelle. Mais celle-ci ne doit pas s’ouvrir sur une porte déjà fermée. Le problème, en l’occurrence, c’est qu’à la conférence sociale, le rapport de France Stratégie, sur le compte personnel d’activité, sera présenté avec un minimum de débats. Puis, le premier ministre présentera la feuille de route du gouvernement en se prévalant d’avoir écouté les syndicats. Ce n’est pas notre conception de la négociation.
Depuis les événements à Air France, vous constatez une forte colère chez les salariés et vos syndiqués, pourtant, la mobilisation du 8 octobre dernier n’a pas été un raz-de-marée. Comment expliquez-vous cette contradiction du mouvement social ?
Philippe Martinez Le mécontentement ne se mesure pas uniquement dans les mobilisations interprofessionnelles. Mais aussi au nombre de conflits dans les entreprises. Et ils sont nombreux. Le 8 octobre, par exemple, j’étais en manifestation à Saint-Étienne et, à midi, j’étais sur un piquet de grève avec les salariés de Prosegur qui se sont battus contre une direction qui voulait remettre en cause leurs acquis sociaux. Le mécontentement est là, il s’exprime parfois plus fort dans les entreprises. À nous de convaincre qu’il est nécessaire de se rassembler. Avec des dirigeants qui ne cessent d’expliquer que faciliter les licenciements est la seule façon de s’en sortir, la CGT doit redoubler d’efforts, de discussions, de débats. C’est ce que nous faisons avec notre plan de rencontre des syndicats, des syndiqués et des salariés. Nous disons : « Attention, le chemin sur lequel ils nous emmènent est celui du chômage. Mais on peut travailler à d’autres perspectives. »
Les mesures gouvernementales accréditent la thèse d’un « coût du travail » qui serait trop important. Ce faisant, François Hollande, malgré ses appels au dialogue social, en durcit-il, selon vous, les conditions ?
Philippe Martinez Depuis des années, on nous explique qu’aider à licencier créera de l’emploi. C’est un paradoxe assez monumental. De même, on prétend que tout s’arrangera en donnant de plus en plus d’argent aux patrons, sous forme de crédit d’impôt ou d’exonération de cotisations. Est-ce que cela a inversé la courbe du chômage ? Non, le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter. Mais on continue de nous expliquer que nous n’avons rien compris. Cela ne fait que renforcer la colère des salariés. On ne peut pas cautionner de telles politiques. Comble du comble, Manuel Valls prétend désormais que la CGT est responsable de tous les maux dans ce pays, y compris d’un possible échec de la gauche aux prochaines élections. Les sommets du cynisme et de la fuite en avant sont atteints : qui mène la politique dans ce pays, qui mène le gouvernement ? Chacun doit assumer ses responsabilités. La politique du gouvernement est critiquée. Le seul responsable, c’est celui qui la conduit.
Manuel Valls tente de vous renvoyer la balle en déclarant que refuser le dialogue « ne fait pas avancer la société ». Que répondez-vous ?
Philippe Martinez La CGT participe à toutes les négociations et porte la voix des salariés. Que fait le gouvernement ? Avec la loi Rebsamen, il a pris la main sur une négociation qui n’avait obtenu aucune signature et a inscrit dans la loi ce que demandait le Medef. Le gouvernement déclare également qu’il faut respecter la représentativité et les accords majoritaires. Dans la fonction publique, sa propre entreprise en quelque sorte, il vient de valider un accord minoritaire. Sont-ce là les signes d’une volonté de dialogue et de respect de la démocratie sociale ? Je renvoie la balle dans le camp du gouvernement. En matière de chômage, de recul du pouvoir d’achat, de retraite, il est l’unique responsable de la politique menée.
La négociation qui s’est achevée vendredi sur les retraites complémentaires est-elle une nouvelle illustration de cette impasse ?
Philippe Martinez Tout à fait. Non seulement l’objectif est à nouveau de réduire les dépenses mais dans les 6 milliards d’euros d’économies demandés, ce sont les salariés et les retraités qui payeront 5,4 milliards, quand le patronat donnera 600 millions. On est loin du 50/50, du donnant-donnant. Très loin de l’équité. De plus, cet accord officialise le rallongement de l’âge de départ à la retraite. Le gouvernement cautionnera-t-il la retraite à 65 ans ?
Dans ce contexte de reculs sociaux et de colère, quelles mesures d’urgence proposez-vous ?
Philippe Martinez De l’argent, il y en a beaucoup, sauf qu’une grande partie atterrit directement dans les poches des actionnaires, souvent de l’argent public, celui de nos impôts. Il faut inverser cette tendance. L’argent donné au patronat doit servir à augmenter les salaires, à réduire le temps de travail, à financer les services publics. Dans les hôpitaux, par exemple, la situation des personnels est dramatique. Plutôt que de toujours faire payer les salariés et d’exiger des mesures drastiques d’austérité au nom de la réduction des dépenses publiques, développons l’emploi et les salaires. Ce qui permettrait, de surcroît, d’assurer le financement de la protection sociale grâce à de nouvelles rentrées de cotisations sociales.
La concurrence internationale est souvent invoquée pour couper court à cette possibilité…
Philippe Martinez Si la modernité, c’est revenir au Moyen Âge, par exemple en ne disant rien sur la situation des salariées des compagnies aériennes du Qatar ou des Émirats qui doivent demander la permission pour se marier ou faire des enfants, nous n’en avons pas la même conception. Nous nous battons non pas pour que tout le monde vive le pire en choisissant comme objectif des références de déréglementations sociales partout sur la planète, mais pour le mieux-disant social pour tous. Pour cela, nous agissons dans un cadre national mais aussi européen et international. Travaillons pour l’immense majorité des citoyens que sont les salariés et non pas pour une minorité qui spécule et confisque le fruit du travail des autres.
Entretien publié par le journal l'Humanité