23/08/2015
Un Nobel d’économie peut-il raisonner comme un abruti ?
On est en droit de se poser cette question à la lecture de l’article intitulé « Pour un accord efficace sur le climat » publié dans le supplément « Eco et entreprise » du Monde de ce vendredi 5 juin et cosigné par Jean Tirole, prix Noble d’économie en 2014, avec son collègue Christian Gollier de l’école d’économie de Toulouse.
Avec raison, les deux auteurs relèvent que l’actuel système de négociation ne peut être efficace car chaque pays invité à faire connaître sa contribution à la lutte contre le réchauffement « est fortement incité à laisser aux autres la charge de réduire les émissions de gaz à effet de serre». Mais le simplisme de l’alternative qu’ils proposent est pour le moins stupéfiant :
« L’approche consensuelle chez les économistes pour résoudre ce problème de « passager clandestin » consiste à imposer un prix uniforme aux émissions. Cette stratégie incite les pollueurs à engager tous les efforts de réduction des émissions dont les coûts sont en deçà de ce prix. Elle garantit à la collectivité que le bénéfice environnemental est maximal pour un sacrifice collectif donné (…). Nous privilégions donc un système de marché de permis d’émission, dans lequel une organisation multilatérale attribuerait aux pays participants, ou leur vendrait aux enchères, des permis échangeables »,
écrivent les deux compères de l’Ecole d’économie de Toulouse.
Dans la foulée, ils citent quelques exemples à reprendre, dont le marché spéculatif sur la tonne de carbone qui a progressivement évolué vers un effondrement du prix payé par les pollueurs au sein de l’Union. Mais les deux auteurs se gardent de rappeler sa totale inefficacité. Depuis la mise en place de ce marché, il suffisait aux industriels européens de délocaliser des productions dans des pays à bas coûts de main d’œuvre, exonérés de toute contribution contre le réchauffement dans le cadre du protocole de Kyoto, pour avoir des tonnes de CO2 à vendre.
Du coup, les émissions de gaz à effet de serre augmentent considérablement pour une même quantité d’objets produits à la faveur de ces délocalisations. Elles augmentent via la construction de nouvelles usines en Asie, en Europe centrale ou ailleurs tandis que les équipements des usines que l’on ferme en France et en Europe de l’Ouest vont au rebut.
Elles augmentent quand un pays comme la France dont l’électricité provient à 75% du nucléaire délocalise une production industrielle consommatrice d’énergie dans un pays où le charbon demeure encore le combustible le plus utilisé pour produire de l’électricité.
Elles augmentent une troisième fois via les longs transports de marchandises, dont la finition peut être réalisée dans un pays autre que celui qui a assuré le plus gros de la production tandis que la consommation finale du produit se fera, pour une bonne part, dans le pays dont l’industriel a délocalisé la production.
Peut-on fermer les yeux sur autant d’incohérences concernant la lutte contre le réchauffement quand on a obtenu le prix Nobel d’économie en 2014 ?
Le reste de l’article cosigné par Jean Tirole nous indique que oui, tant il charrie en permanence des tombereaux de contradictions. Il affirme que vis-à-vis des pays refusant de prendre leur part du fardeau, «l’Organisation mondiale du commerce devrait traiter le refus de mettre le même prix que les autres sur le carbone comme une pratique de « dumping » entrainant des sanctions ». Mais justement, ce qui caractérise l’OMC jusqu’à présent, c’est qu’elle n’est tenue d’obéir à aucune contrainte écologique dans les négociations qu’elle pilote au niveau mondial sur le libre échange.
De ce fait, elle est devenue l’aiguillon qui accélère toutes les pollutions industrielles et agricoles dans la mesure où toutes les négociations conduites sous son autorité fondent les gains de compétitivité sur le dumping social et environnemental. Faut-il en conclure que le Français qui a obtenu le prix Nobel d’économie pour l’année 2014 ne s’en est pas encore aperçu?
Un autre paragraphe de cet article vise à punir les peuples dont les dirigeants politiques n’auraient pas pris les mesures nécessaires pour faire triompher la marché du carbone pour résoudre comme par enchantement tous les problèmes que pose le réchauffement climatique. Selon Jean Tirole et Christian Gollier, «une insuffisance de permis à la fin de l’année serait revalorisée au prix du marché et s’ajouterait à la dette publique du pays concerné ». Ce que vit le peuple grec depuis quelques années, pour partie en raison de l’irresponsabilité de certains de ses dirigeants dans le passé et pour une autre partie en raison du comportement des marchés financiers en dit long sur les factures que l’on ferait payer aux peuples en contrepartie des comportements des gouvernants et des spéculateurs.
Pour freiner le réchauffement climatique, il faudrait dès à présent modifier nos habitudes de consommation ; repenser la production industrielle en promouvant les biens durables et le recyclage ; impulser l’agro-écologie en agriculture afin qu’elle demeure productive tout en réduisant considérablement les intrants chimiques de toutes sortes ; repenser l’urbanisme à travers des constructions à faible bilan carbone, tout en aménageant le territoire de manière à rapprocher le lieu d’habitat du lieu de travail alors qu’il ne cesse de s’éloigner dans tout le pays (1). Il s’agit là d’orientations qui appellent des décisions politiques, lesquelles ne sont plus prises en France depuis des décennies, tant que le marché spéculatif pilote l’aménagement du territoire dans le seul intérêt des spéculateurs.
Jean Tirole et Christian Gollier terminent leur article en affirmant ceci : « la mise en place d’un marché d’émission nous semble être la solution la plus pertinente dans le cadre des négociations en cours » sur le climat. Ils n’y défendent d’ailleurs que celle là et on peut penser qu’elle conviendra aux dirigeants du G7 qui se réunissent dimanche et lundi au château d’Elmau en Bavière pour discuter du sujet sous la présidence d’Angela Merkel.
(1) Ces idées sont développées dans le dernier livre de Gérard le Puill L’économie peut encore sauver l’écologie, une coédition de Pascal Galodé et de l’Humanité.
Gérard le Puil
09:19 Publié dans Actualités, Economie, Planète | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nobel, jean tirole | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
07/08/2015
Jeremy Corbyn sème la gauche au Labour
Méconnue du grand public il y a quelques semaines encore, cette figure de l’aile gauche du Parti travailliste caracole en tête des sondages pour l’élection interne. Son discours anti-austéritaire rompt avec le blairisme.
Panique au New Labour, ce laboratoire sans pareil de la conversion totale de la gauche au néolibéralisme ! Après la magistrale déculottée des législatives le 7 mai dernier, suivie de la démission immédiate de son dirigeant, Ed Miliband, le Parti travailliste britannique est engagé, depuis quelques semaines, dans une campagne électorale interne qui pourrait bien s’achever par une profonde réorientation politique. À ce stade, en effet, alors que le vote des adhérents – et des sympathisants qui peuvent verser 3 livres sterling (4,20 euros) pour participer au processus – s’ouvre la semaine prochaine et s’achèvera le 12 septembre avec le congrès du Labour, c’est un candidat totalement inattendu et parfaitement hétérodoxe qui, avec 43 % dans les sondages, écrase ses trois adversaires, plafonnant chacun sous les 20 %… Mais qui est donc cet outsider, donné à 100 contre 1 par les parieurs lors de l’annonce de sa candidature il y a quelques semaines à peine ? Et comment a-t-il pu susciter un tel engouement populaire – salles combles pour ses réunions publiques – et recueillir le soutien d’une majorité de sections du parti ainsi que des fédérations syndicales les plus importantes du pays ?
Jeremy Corbyn appelle à rompre avec la politique de Cameron
Il s’appelle Jeremy Corbyn. Il est député travailliste de la circonscription d’Islington-Nord, dans la banlieue de Londres, élu à la Chambre des communes depuis 1983. Selon sa biographie narrée non sans dédain par une presse dominante qui brocarde sa « candeur » et ses « solutions du passé » face à un monde qu’il refuserait de voir comme « complexe », cet homme de 66 ans, compagnon de route des figures de l’aile gauche du Labour comme Tony Benn ou Ken Livingstone, ne boit pas d’alcool, est végétarien, ne possède pas de voiture, a épousé en troisièmes noces une Mexicaine importatrice de café équitable après avoir divorcé car sa deuxième femme souhaitait envoyer les enfants dans une école privée. Il a accompagné les campagnes d’Amnesty International pour réclamer la libération des prisonniers politiques chiliens sous Pinochet, fait partie du mouvement pour le désarmement nucléaire, s’est opposé à la guerre en Irak en 2003. Un pedigree loin, très loin du New Labour et de ses valeurs incarnées par Tony Blair. Mais ce n’est pas avec son parcours militant que Jeremy Corbyn parvient à percer, c’est son discours qui trouve un écho croissant dans un peuple de gauche qu’il réveille en Grande-Bretagne. Alors que les conservateurs, emmenés par David Cameron, imposent le remède de cheval de l’austérité dans tous les secteurs de la société, tout en repassant à l’attaque contre les droits syndicaux et contre les services publics, Jeremy Corbyn appelle à rompre catégoriquement avec cette politique mortifère dont les sirènes ont séduit très largement dans les rangs des dirigeants du Labour. « J’ai été en Grèce, j’ai été en Espagne, glisse-t-il. C’est vraiment très intéressant de constater que les partis sociaux-démocrates qui ont accepté les programmes austéritaires et ont choisi de les mettre en vigueur dans leurs pays ont perdu de très nombreux membres et, bien souvent, tout soutien parmi les citoyens. » Si Corbyn séduit les syndicats britanniques, dont les plus importants comme Unite ou Unison comptent plus d’un million de membres, c’est bien parce qu’il prône, lui, une taxation plus importante sur les profits et sur les riches, la propriété publique des chemins de fer, des services postaux et des télécommunications, une stricte régulation des marchés financiers, la fin du gel des salaires et l’arrêt des suppressions d’emplois dans la fonction publique…
Les concurrents de Corbyn dans la course à la tête du Labour font grise mine devant les sondages. Tony Blair sort de sa retraite de conférencier haut de gamme pour tenter d’empêcher la victoire, désormais possible, de cet adversaire. Lors d’un meeting à Londres il y a une dizaine de jours, il a conseillé aux gens dont « le cœur bat pour Jeremy Corbyn » de faire d’urgence une « transplantation ». « On ne gagne pas les élections avec un programme à gauche de la gauche », a édicté l’ex-premier ministre travailliste. Avec la foule croissante, de jour en jour, de ses milliers de partisans, le candidat à la tête du Labour, regard tourné vers l’Europe du Sud, compte bien le démentir…
Une autre voix sur l’europe Selon une déclaration récente, Jeremy Corbyn estime que les Britanniques ne doivent pas déserter l’Union européenne et, au contraire, « se battre tous ensemble (avec les autres forces progressistes) pour une meilleure Europe ». Dans un entretien au New Stateman, le candidat à la tête du Labour précise toutefois : « Si nous laissons des forces irresponsables détruire une économie comme celle de la Grèce, quand tout l’argent de l’aide financière va aux banques de toute l’Europe et pas du tout aux citoyens grecs, il faut quand même s’interroger sur ce que l’Union européenne fait et quel rôle nous jouons là-dedans… »
18:22 Publié dans Actualités, Article en Anglais, Article in English, International | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jeremy corbyn, labour, travailliste | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
31/07/2015
Alexis Tsipras : « L’austérité est une impasse »
Mercredi, Sto Kokkino, radio proche de Syriza, diffusait un long entretien avec le premier ministre grec. Avec l’autorisation de nos confrères, nous en publions ici de larges extraits. Un éclairage inédit sur les rudes négociations entre Athènes et créanciers et sur le coup d’État financier dirigé contre le gouvernement de gauche.
Parlons de ces six mois de négociations. Quel bilan en tirez-vous ?
Alexis Tsipras Il faudra en tirer les conclusions de façon objective, sans s’avilir ni s’autoflageller, car ce semestre a été un semestre de grandes tensions et de fortes émotions.
Nous avons vu remonter à la surface des sentiments de joie, de fierté, de dynamisme, de détermination et de tristesse, tous les sentiments. Mais je crois qu’au bout du compte si nous essayons de regarder objectivement ce parcours, nous ne pouvons qu’être fiers, parce que nous avons mené ce combat.
Nous avons tenté, dans des conditions défavorables, avec un rapport de forces difficile en Europe et dans le monde, de faire valoir la raison d’un peuple et la possibilité d’une voie alternative. Au bout du compte, même si les puissants ont imposé leur volonté, ce qui reste c’est l’absolue confirmation, au niveau international, de l’impasse qu’est l’austérité. Cette évolution façonne un tout nouveau paysage en Europe.
Qu’en est-il aujourd’hui du mandat populaire donné à Syriza ? Les memoranda n’ont pas été déchirés. L’accord est particulièrement dur…
Alexis Tsipras Le mandat que nous avons reçu du peuple grec était de faire tout notre possible afin de créer les conditions, quel qu’en soit le coût politique, pour que le peuple grec cesse d’être saigné.
Vous aviez dit que les memoranda seraient supprimés avec une seule loi.
Alexis Tsipras Ne vous référez pas à l’un de mes discours de 2012. Avant les élections, je n’ai pas dit que les memoranda pouvaient être supprimés avec une seule loi. Personne ne disait cela. Nous n’avons jamais promis au peuple grec une balade de santé.
C’est pour cela que le peuple grec a conscience et connaissance des difficultés que nous avons rencontrées, auxquelles lui-même fait face, avec beaucoup de sang-froid. Nous avons dit que nous mènerions le combat pour sortir de ce cadre d’asphyxie imposé au pays à cause de décisions politiques prises avant 2008 générant déficits et dettes, et après 2008, nous liant les mains. Nous avions un programme et nous avons demandé au peuple de nous soutenir afin de négocier dans des conditions difficiles pour pouvoir le réaliser. Nous avons négocié durement, dans des conditions d’asphyxie financière jamais vues auparavant.
Pendant six mois, nous avons négocié et en même temps réalisé une grande partie de notre programme électoral. Pendant six mois, avec l’angoisse constante de savoir si à la fin du mois nous pourrions payer les salaires et les retraites, faire face à nos obligations à l’intérieur du pays, envers ceux qui travaillent. C’était cela notre angoisse constante. Et, dans ce cadre, nous avons réussi à voter une loi sur la crise humanitaire.
Des milliers de nos concitoyens, en ce moment, bénéficient de cette loi. Nous avons réussi à réparer de grandes injustices, comme celles faites aux femmes de ménage du ministère des Finances, aux gardiens d’école, aux employés de la radiotélévision publique ERT, qui a rouvert. Sans essayer d’enjoliver les choses, n’assombrissons pas tout. Si quelqu’un a le sentiment que la lutte des classes est une évolution linéaire, qu’elle se remporte en une élection et que ce n’est pas un combat constant, qu’on soit au gouvernement ou dans l’opposition, qu’il vienne nous l’expliquer et qu’il nous donne des exemples.
Nous sommes devant l’expérience inédite d’un gouvernement de gauche radicale dans les conditions de l’Europe néolibérale. Mais nous avons aussi, à gauche, d’autres expériences de gouvernement et nous savons que gagner les élections ne signifie pas, du jour au lendemain, disposer des leviers du pouvoir. Mener le combat au niveau gouvernemental ne suffit pas. Il faut le mener, aussi, sur le terrain des luttes sociales.
Pourquoi avez-vous pris cette décision de convoquer un référendum ?
Alexis Tsipras Je n’avais pas d’autre choix. Il faut garder en tête ce que j’avais avec le gouvernement grec entre les mains le 25 juin, quel accord on nous proposait. Je dois admettre que c’était un choix à haut risque. La volonté du gouvernement grec n’était pas seulement contraire aux exigences des créanciers, elle se heurtait au système financier international, au système politique et médiatique grec. Ils étaient tous contre nous.
La probabilité que nous perdions le référendum était d’autant plus élevée que nos partenaires européens ont poussé cette logique jusqu’au bout en décidant de fermer les banques. Mais c’était pour nous la seule voie, puisqu’ils nous proposaient un accord avec des mesures très difficiles, un peu comme celles que nous avons dans l’accord actuel, voire légèrement pires, mais dans tous les cas des mesures difficiles et à mon avis inefficaces. En même temps, ils n’offraient aucune possibilité de survie. Car, pour ces mesures, ils offraient 10,6 milliards sur cinq mois.
Ils voulaient que la Grèce prenne, une fois ses engagements tenus, ce qui restait du programme précédent en termes de financements, sans un euro en plus, parce que telle était l’exigence des Néerlandais, des Finlandais, des Allemands. Le problème politique principal des gouvernements du Nord était qu’ils ne voulaient absolument pas aller devant leurs Parlements pour donner ne serait-ce qu’un euro d’argent « frais » à la Grèce, car ils s’étaient eux-mêmes enfermés dans un climat populiste selon lequel leurs peuples payaient pour ces paresseux de Grecs.
Tout ceci est bien sûr faux, puisqu’ils paient pour les banques, pas pour les Grecs. Qu’a apporté la position forte tenue contre vents et marées par le peuple grec au référendum ? Elle a réussi à internationaliser le problème, à le faire sortir des frontières, à dévoiler le dur visage des partenaires européens et des créanciers. Elle a réussi à donner à l’opinion internationale l’image, non pas d’un peuple de fainéants, mais d’un peuple qui résiste et qui demande justice et perspective. Nous avons testé les limites de résistance de la zone euro.
Nous avons fait bouger les rapports de forces. La France, l’Italie, les pays du Nord avaient tous des positions très différentes. Le résultat, bien sûr, est très difficile mais, d’un autre côté, la zone euro est arrivée aux limites de sa résistance et de sa cohésion. Les six prochains mois seront critiques et les rapports de forces qui vont se construire durant cette période seront tout aussi cruciaux. En ce moment, le destin et la stratégie de la zone euro sont remis en question.
Il y a plusieurs versions. Ceux qui disaient « pas un euro d’argent frais » ont finalement décidé non pas seulement un euro mais 83 milliards. Donc de 10,6 milliards sur cinq mois on est passé à 83 milliards sur trois ans, en plus du point crucial qu’est l’engagement sur la dépréciation de la dette, à discuter en novembre. C’est un point clé pour que la Grèce puisse, ou non, entrer dans une trajectoire de sortie de la crise. Il faut cesser avec les contes de messieurs Samaras et Venizelos, qui prétendaient sortir des memoranda. La réalité est que ce conte avait un loup, ce loup c’est la dette.
Avec une dette à 180-200 % du PIB, on ne peut pas avoir une économie stable. Le seul chemin que nous pouvons suivre est celui de la dépréciation, de l’annulation, de l’allégement de la dette. La condition pour que le pays puisse retrouver une marge financière, c’est qu’il ne soit plus obligé de dégager des excédents budgétaires monstrueux, destinés au remboursement d’une dette impossible à rembourser.
Le non au référendum était un non à l’austérité…
Alexis Tsipras Il y avait deux parties dans la question posée au référendum. Il y avait la partie A qui concernait les mesures prérequises et la partie B qui concernait le calendrier de financement. Si nous voulons être tout à fait honnêtes et ne pas enjoliver les choses, par rapport à la partie A, l’accord qui a suivi le référendum est similaire à celui que le peuple grec a rejeté. En ce qui concerne la partie B par contre, et là nous devons être honnêtes, c’est le jour et la nuit.
Nous avions cinq mois, 10,6 milliards, cinq « revues ». Nous avons 83 milliards – c’est-à-dire une couverture totale des besoins financiers sur le moyen terme (2015-2018), dont 47 milliards pour les paiements externes, 4,5 milliards pour les arriérés du secteur public et 20 milliards pour la recapitalisation des banques et, enfin, l’engagement crucial sur la question de la dette. Il y a donc un recul sur la partie A de la part du gouvernement grec, mais sur la partie B il y a une amélioration : le référendum a joué son rôle.
Le mercredi soir précédent le scrutin, certains avaient créé les conditions d’un coup d’État dans le pays, en proclamant qu’il fallait envahir Maximou (le Matignon grec – NDLR), que le gouvernement emmenait le pays vers une terrible catastrophe économique, en parlant de files d’attente devant les banques. Je dois dire que le peuple grec a su garder son sang-froid, au point que les télévisions avaient du mal à trouver du monde pour se plaindre de la situation, ce sang-froid était incroyable. Ce soir-là, je me suis adressé au peuple grec et j’ai dit la vérité. Je n’ai pas dit : « Je fais un référendum pour vous sortir de l’euro. » J’ai dit : « Je fais un référendum pour gagner une dynamique de négociation. » Le non au mauvais accord n’était pas un non à l’euro, un oui à la drachme.
On peut m’accuser d’avoir fait de mauvais calculs, d’avoir eu des illusions, mais à chaque moment, j’ai dit les choses clairement, j’ai informé deux fois le Parlement, j’ai dit la vérité au peuple grec.
Avec dans vos mains, les 61,2 % que vous a donnés le peuple grec, quel aurait été l’accord qui vous aurait satisfait lors de votre retour de Bruxelles ?
Alexis Tsipras Le référendum a été décidé le jour de l’ultimatum, le 25 juin, vendredi matin, lors d’une réunion que nous avons tenue à Bruxelles, avec, devant nous, la perspective d’une humiliation sans sortie possible. C’était, pour eux, à prendre ou à laisser. « The game is over », répétait le président du Conseil européen, Donald Tusk. Ils ne s’en cachaient pas, ils voulaient des changements politiques en Grèce. Nous n’avions pas d’autre choix, nous avons choisi la voie démocratique, nous avons donné la parole au peuple. Le soir même en rentrant d’Athènes, j’ai réuni le Conseil gouvernemental où nous avons pris la décision.
J’ai interrompu la séance pour communiquer avec Angela Merkel et François Hollande. Je leur ai fait part de ma décision ; le matin même, je leur avais expliqué que ce qu’ils proposaient n’était pas une solution honnête. Ils m’ont demandé ce que j’allais conseiller au peuple grec et je leur ai répondu que je conseillerai le non, pas dans le sens d’une confrontation mais comme un choix de renforcement de la position de négociation grecque. Et je leur ai demandé de m’aider à mener à bien ce processus, calmement, de m’aider afin que soit accordé par l’Eurogroupe, qui devait se réunir quarante-huit heures plus tard, une extension d’une semaine du programme afin que le référendum ait lieu dans des conditions de sécurité et non pas dans des conditions d’asphyxie, avec les banques fermées.
Ils m’ont tous les deux assuré à ce moment-là, qu’ils feraient tout leur possible dans cette direction. Seule la chancelière m’a prévenu qu’elle s’exprimerait publiquement sur le référendum, en présentant son enjeu comme celui du maintien ou non dans l’euro. Je lui ai répondu que j’étais en absolu désaccord, que la question n’était pas euro ou drachme, mais qu’elle était libre de dire ce qu’elle voulait. Là, la conversation s’est arrêtée. Cette promesse n’a pas été tenue.
Quarante-huit heures plus tard, l’Eurogroupe a pris une décision très différente. Cette décision a été prise au moment où le Parlement grec votait le référendum. La décision de l’Eurogroupe a mené en vingt-quatre heures à la décision de la BCE de ne pas augmenter le plafond ELA (mécanisme de liquidités d’urgence dont dépendent les banques grecques – NDLR) ce qui nous a obligés à instaurer un contrôle de capitaux pour éviter l’effondrement du système bancaire. La décision de fermer les banques, était, je le pense, une décision revancharde, contre le choix d’un gouvernement de s’en remettre au peuple.
Vous attendiez-vous à ce résultat ?
Alexis Tsipras J’avoue que jusqu’au mercredi (précédent le scrutin – NDLR) j’avais l’impression que ce serait un combat indécis. À partir du jeudi, j’ai commencé à réaliser que le non allait l’emporter, et le vendredi j’en étais convaincu. Dans cette victoire, la promesse que j’ai faite au peuple grec de ne pas jouer à pile ou face la catastrophe humanitaire a pesé. Je ne jouais pas à pile ou face la survie du pays et des couches populaires.
À Bruxelles, par la suite, sont tombés sur la table plusieurs scénarios terrifiants. Je savais durant les dix-sept heures où j’ai mené ce combat, seul, dans des conditions difficiles, que si je faisais ce que me dictait mon cœur – me lever, taper du poing sur la table et partir – le jour même, les succursales des banques grecques à l’étranger allaient s’effondrer. En quarante-huit heures, les liquidités qui permettaient le retrait de 60 euros par jour se seraient taries et pis, la BCE aurait décidé d’une décote des collatéraux des banques grecques, voire aurait exigé des remboursements qui auraient conduit à l’effondrement de l’ensemble du système bancaire. Or un effondrement se serait traduit non pas par une décote des épargnes mais par leur disparition.
Malgré tout j’ai mené ce combat en essayant de concilier logique et volonté. Je savais que si je partais j’aurais probablement dû revenir, dans des conditions plus défavorables encore. J’étais devant un dilemme. L’opinion publique mondiale clamait « #ThisIsACoup », au point que c’est devenu cette nuit-là sur Twitter le premier hashtag au niveau mondial. D’un côté, il y a avait la logique, de l’autre la sensibilité politique. Après réflexion, je reste convaincu que le choix le plus juste était de faire prévaloir la protection des couches populaires. Dans le cas contraire, de dures représailles auraient pu détruire le pays. J’ai fait un choix de responsabilité.
Vous ne croyez pas à cet accord et pourtant vous avez appelé les députés à le voter. Qu’avez-vous en tête ?
Alexis Tsipras Je considère, et je l’ai dit au Parlement, que c’est une victoire à la Pyrrhus de nos partenaires européens et de nos créanciers, en même temps qu’une grande victoire morale pour la Grèce et son gouvernement de gauche. C’est un compromis douloureux, sur le terrain économique comme sur le plan politique.
Vous savez, le compromis est un élément de la réalité politique et un élément de la tactique révolutionnaire. Lénine est le premier à parler de compromis dans son livre la Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») et il y consacre plusieurs pages pour expliquer que les compromis font partie des tactiques révolutionnaires.
Il prend dans un passage l’exemple d’un bandit pointant sur vous son arme en vous demandant l’argent ou la vie. Qu’est censé faire un révolutionnaire ? Lui donner sa vie ? Non, il doit lui donner l’argent, afin de revendiquer le droit de vivre et de continuer la lutte. Nous nous sommes retrouvés devant un dilemme coercitif.
Aujourd’hui, les partis de l’opposition et les médias du système font un boucan impressionnant, allant jusqu’à demander des procédures pénales contre Yanis Varoufakis. Nous sommes tout à fait conscients que nous menons un combat, en mettant en jeu notre tête, à un niveau politique. Mais nous menons ce combat en ayant à nos côtés la grande majorité du peuple grec. C’est ce qui nous donne de la force.
Entretien réalisé par Kostas Arvanitis (STO kokkino) traduction Théo Koutsaftis pour L'Humanité
17:44 Publié dans Actualités, Economie, Entretiens, International | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tsipars, grèce, europe, économie | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
29/07/2015
Crise russe : l’Europe pourrait perdre près de 100 milliards d’euros
La baisse des importations vers la Russie, du fait de la crise ouverte avec Moscou, risquent d’impacter fortement l’économie européenne, selon une étude publiée. Selon une étude de l’institut autrichien d’études économiques Wifo, publiée par sept journaux européens, les sanctions imposées à la Russie auraient un impact significatif, notamment en Allemagne et en France.
Les sanctions économiques imposées par l’Europe à la Russie en réaction à la crise en Ukraine ont-elles un coût ? Dans un rapport confidentiel consulté par des journalistes de « El Pais » et « Die Welt », la Commission Européenne minore l’impact sur l’économie de la zone, évoquant des effets « relativement minimes » et « gérables ». Selon des chiffres produits le 27 mai dernier, les sanctions ne devraient ainsi entraîner en 2015 qu’une légère contraction du PIB de l’UE, de 0,25 %.
Une étude de l’institut autrichien d’études économiques Wifo, publiée vendredi par l’alliance de sept journaux européens, dont « Le Figaro », avance, elle, un scénario beaucoup plus pessimiste sur le long terme. L’institut estime, en effet, que l’économie européenne - c’est à dire l’Union Européenne et la Suisse - pourrait perdre 80 milliards d’euros de richesses produites et voir quelque 1,9 million d’emplois menacés.
Les experts de Wifo se basent sur l’hypothèse selon laquelle la situation observée au premier trimestre 2015 va perdurer et tiennent également compte des effets générés par un chômage élevé et une demande faible. Ils soulignent, toutefois, qu’il est difficile de déterminer si la baisse des importations observée en Russie est due aux sanctions économiques imposées par l’Europe ou si elle résulte de difficultés propres à son contexte domestique, telles le décrochage du rouble et la chute des prix du pétrole .
L’Allemagne durement touchée
C’est en Allemagne que l’impact de la crise russe serait le plus fort. Berlin pourrait perdre, du fait des sanctions imposées à la Russie, près de 27 milliards d’euros, soit un peu plus de 1 % du PIB. 500.000 emplois seraient, en outre, menacés à terme outre-Rhin. Les économies de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de la Pologne, et de l’Estonie, devraient également pâtir de la crise russe, selon Wifo.
Au premier trimestre 2015, les exportations françaises vers la Russie ont chuté de 33,6 % sur un an, selon les chiffres d’Eurostat et du FMI. Wifo ne tient pas seulement compte de la baisse des exportations mais également de l’impact négatif de la crise sur le tourisme. Le nombre de nuitées de visiteurs russes à Paris au cours de l’hiver dernier a ainsi reculé de 27 %, entraînant un manque à gagner estimé à 185 millions d’euros par rapport à la saison hivernale précédente. La France pourrait ainsi, à terme, voir son PIB amputé de 0,5 % et perdre quelque 150.000 emplois du fait de la crise russe, avance Wifo.
Le secteur agro-alimentaire menacé
Le secteur agro-alimentaire est en première ligne, avec 265.000 emplois menacés selon l’institut autrichien (devant le commerce avec 225.000 emplois). En août dernier, Moscou avait annoncé, en représailles contre les sanctions européennes, un embargo sur les produits agro-alimentaires comme le lait, les fruits, les légumes, le fromage et la viande en provenance de l’Union Européenne.
En septembre 2014, la Russie a, en outre, décidé d’interdire à ses entreprises de souscrire à des marchés publics pour l’achat de biens industriels légers à l’étranger. Sont concernés les contrats militaires mais aussi les tissus, vêtements, chaussures et cuirs.
Les ambassadeurs permanents auprès de l’UE viendraient de se mettre d’accord mercredi sur une prolongation de six mois des sanctions imposées à la Russie, jusqu’à fin janvier 2016. La décision formelle est attendue lundi lors du conseil des ministres des Affaires Etrangères. La prolongation de ces sanctions devrait entraîner en retour une nouvelle réaction de Moscou... et de nouvelles répercussions pour les économies européennes.
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/monde/europe/021149938375-crise-russe-leurope-pourrait-perdre-pres-de-100-milliards-deuros-1129980.php?oqMKdYMqfujEK83r.99
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10:31 Publié dans Actualités, Economie, Point de vue, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : russie, impact, crise, europe | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |