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23/08/2012

Alain Keler "Personne n’a jugé utile de s’intéresser aux roms, ils sont devenus des fantômes"

roms, sans-papiers, europe, expulsions, roumanie, entretien, slovaquieDes pays d’Europe de l’Est dont ils sont originaires aux bidonvilles de France, Alain Keler parcourt le continent pour photographier les Roms, « minorité des minorités ».

Depuis des années, le photographe reporter Alain Keler se rend en Europe de l’Est à la rencontre des minorités ethniques et en particulier des Roms. Une partie de ses reportages a été publiée dans la revue XXI sous forme de bande dessinée avec Emmanuel Guibert (le photographe), avant de sortir 
en livre (1) l’an dernier.

Vous avez réalisé de nombreux reportages auprès des Roms dans les villages d’Europe de l’Est. Pourquoi partent-ils ?

Alain Keler. Pour schématiser, il s’est passé la même chose dans tous les pays de l’Est : pendant le régime communiste, les Roms étaient obligés de travailler. À la chute du bloc de l’Est, des tas d’usines pas rentables ont fermé. Les premiers licenciés ont été les Roms, parce qu’ils n’avaient pas fait d’études et, surtout, parce qu’ils étaient roms... Avec la montée du chômage, ils n’ont jamais pu se faire réembaucher. Ils ont été mis à l’écart d’une société qui devenait de plus en plus compétitive. Sans doute, eux, se sont isolés aussi. Au début des années 1990, on a vu apparaître des pogroms contre des villages roms. Ça a été d’autant plus dur qu’il n’y avait aucune politique gouvernementale pour les aider. Notamment pour la scolarisation. En Slovaquie, les enfants roms sont jugés trop turbulents et mis dans des écoles spéciales pour handicapés mentaux. C’est terrible, on leur supprime dès le plus jeune âge toutes les chancesde s’intégrer 
dans la société.

En ex-Yougoslavie, la situation était un peu différente, non ?

Alain Keler. Au Kosovo, quand les Serbes ont quitté le pays fin 1999, la première chose qu’ont faite les Albanais a été de brûler les maisons des Roms qu’ils accusaient d’avoir collaboré avec les Serbes. Beaucoup sont partis, notamment en Serbie parce qu’ils parlaient la langue. Ils sont devenus des fantômes : sans papiers d’identité, ils vivaient dans des forêts près de Belgrade et travaillaient en récupérant du métal. Personne n’a jamais jugé utile de s’intéresser à eux et ça a duré comme ça une vingtaine d’années dans tous ces pays. Pendant que les gens goûtent aux plaisirs de la société ultralibérale, eux sont mis complètement à l’écart. En Roumanie, ils vivent dans des petits villages, loin de tout et très pauvres. Quelques-uns arrivent à s’en sortir, heureusement.

Comment réagissez-vous aux évacuations de campements menées en France ces dernières semaines ?

Alain Keler. Mal. J’ai été très surpris. Le discours est moins violent, mais on se retrouve dans le même cas de figure que sous Hortefeux et Guéant. Je pensais que le gouvernement aurait la sagesse d’organiser des rencontres entre associations et ministères pour essayer de trouver des solutions. Les Roms vivent dans des conditions épouvantables ; au niveau sanitaire, c’est terrible, il y a des rats, des épidémies. Je pensais qu’il y aurait une vraie réflexion pour supprimer les bidonvilles, pour que les familles soient mieux traitées et puissent se stabiliser.

Et pourtant, 80 % des Français 
se disent favorables aux expulsions de campements roms…

Alain Keler. L’opinion publique a été beaucoup manipulée par le précédent gouvernement. Quand je dis que je travaille sur les Roms, les gens réagissent souvent en les traitant de voleurs. C’est la fable des romanichels voleurs d’enfants qu’on raconte depuis toujours. Ils ne savent pas de quoi ils parlent et n’essayent pas de savoir pourquoi ces gens vivent ici dans des conditions dramatiques. Si on expulse tous les bidonvilles, ça ne résoudra pas nos problèmes ! De tout temps, les immigrés, qu’ils soient juifs, italiens ou maghrébins, ont été rejetés. Quand on leur laisse leur chance, ils enrichissent la société française.

Comment êtes-vous accueilli par les Roms en tant que photographe ?

Alain Keler. Plutôt bien, surtout dans les endroits où je retourne régulièrement. Il faut du temps, leur donner des photos, faire des échanges... C’est délicat, surtout quand ils sont à la une de l’actualité et que toute la presse y va. Ça les énerve d’être considérés comme des animaux en cage, ce que je peux comprendre. Si quelqu’un venait chez moi prendre des photos, je ne serais pas ravi…

(1) Des nouvelles d’Alain, d’Emmanuel Guibert, Alain Keler et Frédéric Lemercier. 
Éditions les Arènes, 95 pages, 19 euros.

Entertien publié dans le journal l'Humanité

29/12/2011

Joseph Stiglitz : "L'austérité mène au désastre"

Stigiltz, économie, Europe, austéritéLondres Correspondante - Joseph Stiglitz, 67 ans, Prix Nobel d'économie en 2001, ex-conseiller économique du président Bill Clinton (1995-1997) et ex-chef économiste de la Banque mondiale (1997-2000), est connu pour ses positions critiques sur les grandes institutions financières internationales, la pensée unique sur la mondialisation et le monétarisme. Il livre au Monde son analyse de la crise de l'euro.

Vous avez récemment dit que l'euro n'avait pas d'avenir sans réforme majeure. Qu'entendez-vous par là ?

L'Europe va dans la mauvaise direction. En adoptant la monnaie unique, les pays membres de la zone euro ont renoncé à deux instruments de politique économique : le taux de change et les taux d'intérêt. Il fallait donc trouver autre chose qui leur permette de s'adapter à la conjoncture si nécessaire. D'autant que Bruxelles n'a pas été assez loin en matière de régulation des marchés, jugeant que ces derniers étaient omnipotents. Mais l'Union européenne (UE) n'a rien prévu dans ce sens.

Et aujourd'hui, elle veut un plan coordonné d'austérité. Si elle continue dans cette voie-là, elle court au désastre. Nous savons, depuis la Grande Dépression des années 1930, que ce n'est pas ce qu'il faut faire.

Que devrait faire l'Europe ?

Il y a plusieurs possibilités. Elle pourrait par exemple créer un fonds de solidarité pour la stabilité, comme elle a créé un fonds de solidarité pour les nouveaux entrants. Ce fonds, qui serait alimenté dans des temps économiques plus cléments, permettrait d'aider les pays qui ont des problèmes quand ceux-ci surgissent.

L'Europe a besoin de solidarité, d'empathie. Pas d'une austérité qui va faire bondir le chômage et amener la dépression. Aux Etats-Unis, quand un Etat est en difficulté, tous les autres se sentent concernés. Nous sommes tous dans le même bateau. C'est d'abord et avant tout le manque de solidarité qui menace la viabilité du projet européen.

Vous prônez une sorte de fédéralisme ?

Oui. De cohésion. Le problème, c'est que les Etats membres de l'UE n'ont pas tous les mêmes croyances en termes de théorie économique. Nicolas Sarkozy a eu raison de faire pression sur (la chancelière allemande) Angela Merkel pour la payer pour la Grèce. Nombreux sont ceux qui, en Allemagne, s'en remettent totalement aux marchés. Dans leur logique, les pays qui vont mal sont responsables et doivent donc se débrouiller.

Ce n'est pas le cas ?

Non. Le déficit structurel grec est inférieur à 4 %. Bien sûr, le gouvernement précédent, aidé par Goldman Sachs, a sa part de responsabilité. Mais c'est d'abord et avant tout la crise mondiale, la conjoncture, qui a provoqué cette situation.

Quant à l'Espagne, elle était excédentaire avant la crise et ne peut être accusée d'avoir manqué de discipline. Bien sûr, l'Espagne aurait dû être plus prudente et empêcher la formation de la bulle immobilière. Mais, en quelque sorte, c'est l'euro qui a permis ça, en lui procurant des taux d'intérêt plus bas que ceux auxquels Madrid aurait eu accès sans la monnaie unique. Aujourd'hui, ces pays ne s'en sortiront que si la croissance européenne revient. C'est pour cela qu'il faut soutenir l'économie en investissant et non en la bridant par des plans de rigueur.

La baisse de l'euro serait donc une bonne chose ?

C'est la meilleure chose qui puisse arriver à l'Europe. C'est à la France, et plus encore à l'Allemagne qu'elle profitera le plus. Mais la Grèce et l'Espagne, pour qui le tourisme est une source de revenus importante, en seront également bénéficiaires.

Merkel, pourtant, sait que la solidarité peut être importante. Sans cela, il n'y aurait pas eu de réunification allemande.Oui. Mais, justement, il a fallu plus de dix ans à l'Allemagne pour absorber la réunification. Et d'une certaine manière, je pense que les ex-Allemands de l'Ouest estiment qu'ils ont déjà payé un prix élevé pour la solidarité européenne.

Pensez-vous que la viabilité de l'euro soit menacée ?

J'espère que non. Il est tout à fait possible d'éviter que la monnaie unique ne périclite. Mais si on continue comme ça, rien n'est exclu. Même si je pense que le scénario le plus probable est celui du défaut de paiement. Le taux de chômage des jeunes en Grèce s'approche de 30 %. En Espagne, il dépasse 44 %. Imaginez les émeutes s'il monte à 50 % ou 60 %. Il y a un moment où Athènes, Madrid ou Lisbonne se posera sérieusement la question de savoir s'il a intérêt à poursuivre le plan que lui ont imposé le Fonds monétaire international (FMI) et Bruxelles. Et s'il n'a pas intérêt à redevenir maître de sa politique monétaire.

Rappelez-vous ce qui s'est passé en Argentine. Le peso était attaché au dollar par un taux de change fixe. On pensait que Buenos Aires ne romprait pas le lien, que le coût en serait trop important. Les Argentins l'ont fait, ils ont dévalué, ça a été le chaos comme prévu. Mais, en fin de compte, ils en ont largement profité. Depuis six ans, l'Argentine croît à un rythme de 8,5 % par an. Et aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent qu'elle a eu raison.

Propos recueillis par Virginie Malingre pour Le Monde

20:22 Publié dans Actualités, Economie, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stigiltz, économie, europe, austérité | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

07/11/2010

Hyperaustérité et graves atteintes à la démocratie

L’Interview paru le  30 octobre 2010 dans l’Humanité

francis-wurtz.jpgFrancis Wurtz, député honoraire du Parlement européen, a conduit la bataille contre le traité constitutionnel en 2005.

Que pensez-vous de la décision du Conseil de faire modifier le traité de Lisbonne pour pérenniser le Fonds de stabilisation ?

Francis Wurtz. Quand nous avons dit «non» au traité constitutionnel en 2005, dont celui de Lisbonne est un avatar, nous avions signalé que ce traité interdisait à un État membre de l’UE ou à la Banque centrale européenne (BCE) de venir en aide à un autre État en difficulté. Donc, a priori, on ne va pas se plaindre que cet article soit éventuellement supprimé. Le problème, c’est que le Fonds de stabilisation, ce n’est pas de la solidarité ! Dans le cas de la Grèce, par exemple, l’UE a imposé des conditions draconiennes à ce pays et, pire, certains États, comme la France, ont gagné de l’argent sur le dos du peuple grec !

Quelles sont les autres conséquences ?

Francis Wurtz. Elles sont graves. L’Allemagne n’a accepté la pérennisation de ce Fonds de stabilisation qu’à la condition d’un durcissement des sanctions contre tout État contrevenant à la discipline budgétaire et d’un renforcement du pacte de stabilité. Pour la France, dans l’avenir, en cas de déficit public jugé excessif, la sanction financière pourrait atteindre 10 milliards d’euros. Quant au renforcement du pacte de stabilité, il implique que les budgets nationaux soient soumis au contrôle de la Commission européenne préalablement à leur examen par les Parlements nationaux. Il s’agit là d’une politique d’hyperaustérité et d’une atteinte très grave à la démocratie.

 Pourquoi en est-on arrivé là ?

Francis Wurtz. La question est que l’UE n’a tiré aucune leçon de la crise financière. Elle aggrave encore la soumission des États membres aux exigences des marchés. Cette politique a été décidée au moment même où l’Europe est le théâtre de puissantes manifestations contre les politiques actuelles. Les dirigeants européens restent sourds à cette désaffection massive des peuples. Et ce au risque d’encourager le populisme.

Que peut-on faire ?

Francis Wurtz. D’abord, faire converger les actions se déroulant sous différentes formes en Europe contre le démantèlement systématique du modèle social européen. Il faut s’unir à l’échelle européenne contre cette hyperaustérité, les attaques contre les retraites, les services publics, la fermeture des entreprises… Ensuite, mener en même temps un débat partout en Europe sur les causes de cette crise, sur l’extrême dépendance à l’égard des marchés financiers, et montrer qu’on peut s’en émanciper, de sorte à créer les conditions d’une appropriation par les citoyens des vrais enjeux européens. Et aussi aider ces citoyens à faire le lien entre leur difficile quotidien et les orientations néolibérales concoctées par les dirigeants de l’UE. En troisième lieu, il s’agit de faire grandir les alternatives à cette orientation néolibérale en mettant la question sociale et sociétale au cœur du projet européen. En France, par exemple, le PCF préconise une autre mission pour la BCE : racheter les titres publics (la dette publique) à un taux bas ou nul, pour que l’argent puisse être utilisé pour favoriser l’emploi, la création des richesses, les services publics. Autrement dit, nous proposons aussi que la BCE finance des crédits dans des conditions différentes selon qu’il s’agit d’investissements créateurs d’emplois ou destinés à la spéculation. Dans le premier cas, les conditions d’accès au crédit devront être très favorables, dans le second cas, très dissuasives. En conclusion, je pense que, pour soutenir un tel changement, il existe en Europe une aspiration majoritaire. C’est l’un des points qui seront discutés lors du congrès du Parti de la gauche européenne qui se tiendra à Paris au mois de décembre.

Entretien réalisé par Hassane Zerrouky

17:44 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : europe, francis wurtz | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

11/06/2008

Europe : une semaine de travail de plus de 65 heures !

travailmort.gifL’Union Européenne, en raison d’un revirement de la France, vient de lancer un signal très négatif en matière de durée du travail.

La Confédération européenne des syndicats (CES) a jugé "inacceptable" l’accord conclu  par les pays de l’Union Européenne qui pérennise la semaine de travail de plus de 48 heures et ouvre la durée du travail à des dérogations, jusqu’à 78 heures !

"L’accord sur le temps de travail est très insatisfaisant et inacceptable pour la CES, pour ce qui concerne les nouvelles dispositions sur le temps de garde et la continuation de l’opt-out du Royaume-Uni", a souligné John Monks le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats.

La clause "opt out"

C’est surtout le Royaume-Uni qui incite massivement les travailleurs à accepter de travailler plus de 48 heures par semaine, en signant individuellement une clause de non participation ("opt out" dans le jargon européen). Certains pays comme l’Allemagne ou la Pologne y recourent pour les professions ayant des temps de garde, notamment dans le secteur médical.

Selon le compromis accepté par les ministres européens de l’Emploi, la semaine hebdomadaire de 48 heures, déjà gravée dans la législation européenne, reste de mise. Mais la durée maximale hebdomadaire de travail pourra atteindre 60 ou 65 heures pour les employés acceptant, à titre individuel, de déroger aux 48 heures. Ces plafonds pourront être dépassés en cas de conventions collectives.

La dérogation offerte aux employés est encadrée plus strictement, mais non limitée dans le temps.

Cette révision introduit en outre pour la première fois la définition de "périodes de garde inactives", qui pourront ne plus être comptabilisées comme du temps de travail.

Deux arrêts de la justice européenne stipulent que le temps de garde doit être intégralement calculé comme du temps de travail. Or, la majorité des Etats européens sont en infraction en la matière, notamment au sein des professions médicales.

17:18 Publié dans Actualités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, durée du travail | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!