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11/02/2014

Appel de la gauche du PS: "Non à la politique de l’offre !"

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27 membres du bureau national du PS sur 72 ont signé un appel pour une autre politique. Non à la politique de l’offre ! Non à la baisse du «coût du travail» disent-ils. "Si 35 % de la direction du parti signe, cela, on peut penser que, à la base, c’est bien plus que la majorité des adhérents tellement le mécontentement est grand" écrit Gérard Filoche, également signataire.

  • Texte de l’appel :

La période est instable. De l’extrême droite qui se rassemble derrière des slogans racistes et antisémites à la droite radicalisée qui remet en cause la légitimité du Président de la République à gouverner, un front des conservatismes se constitue. Cette situation appelle une réaction forte. Une réaction essentielle pour reprendre la main, faire reculer le chômage et engager pleinement la transition écologique. Et ne pas donner l’impression que, malgré́ l’arrivée de la gauche au pouvoir, les droites et leurs « valeurs » sont en dynamique.

De toutes nos forces nous voulons que la gauche réussisse. Dix ans de politique de droite ont profondément abimé notre pays. La crise a dévasté nombre de territoires, plongé des millions de familles dans l’angoisse de la précarité ou du chômage.

A l’occasion de la campagne présidentielle, François Hollande a, à juste titre, pointé la responsabilité historique du monde de la finance dans les difficultés que traversent notre pays et notre continent. Il avait porté haut et fort l’exigence d’une réorientation de la construction européenne, en dénonçant le caractère néfaste des politiques d’austérité. Pour sortir le pays du chômage de masse, il avait proposé une feuille de route qui n’oppose pas la production à la redistribution, l’offre à la demande, l’efficacité́ économique à la justice sociale.

Cette feuille de route, c’est toujours la nôtre.

Cinq ans après la chute de Lehman Brothers, l’Union européenne subit toujours la crise et ses conséquences. Trois pays se trouvent encore sous assistance financière, le chômage atteint 12% dans la zone euro et la croissance est en berne.

C’est pourquoi nous continuons de penser qu’il est nécessaire de faire vivre la promesse de réorientation de la politique Européenne. Plus que jamais, la France doit créer les conditions d’un rapport de force favorable aux politiques de sortie de crise. La situation impose de nous dégager de la logique trop restrictive liée aux normes budgétaires et monétaires européennes.

La réduction des déficits préconisée par la Commission européenne a provoqué des coupes sombres dans des dépenses publiques et sociales essentielles. Surtout, ces «efforts» imposés aux populations n’ont pas permis de réduction de la dette publique. Elle est passée pour l’Union européenne à 27 de 62% du PIB en 2008 à 85% quatre ans plus tard. Loin de réduire la dette, l’austérité contribue à l’augmenter davantage.

Aujourd’hui, les critiques convergent pour remettre en cause des politiques socialement dangereuses et économiquement inefficaces. Les citoyens, mais aussi de grandes institutions comme le FMI, l’OCDE, le BIT, pointent l’urgence d’une relance coordonnée en Europe.

Dans ce contexte, les élections européennes revêtent une importance particulière. Refonte de la politique commerciale, instauration d’une taxe sur les transactions financières, lutte contre les paradis fiscaux, politique monétaire au service de l’économie réelle, harmonisation sociale et fiscale, relance de l’investissement par la transition énergétique notamment, meilleure répartition du travail, smic européen : les socialistes porteront ces exigences en mai prochain.

Mais nous serons d’autant plus crédibles pour le faire si nous avons administré la preuve, en France, qu’il n’y a pas qu’une seule politique possible.

Or en dépit de la salutaire rupture avec l’ère Sarkozy, l’orientation en matière de politique économique suscite des désaccords et des inquiétudes dans nos rangs.

Nous ne nous reconnaissons pas dans le discours qui tend à faire de la baisse des « charges » et du « coût du travail » la condition d’un retour de la croissance. Il n’y a pas de « charges » mais des cotisations sociales qui sont en réalité du salaire différé.

Et nous sommes inquiets quand nous découvrons que la baisse des cotisations promise aux entreprises s’accompagne d’une réduction de 50 milliards d’euros des dépenses publiques en trois ans, sans même savoir quels sont ceux qui en supporteront les conséquences. Ce qui risque de rogner sur le modèle social français dont les grands principes ont été établis à la Libération.

La focalisation exclusive sur la baisse du « coût du travail » ne constitue pas une réponse adaptée

Comme l’ensemble de l’Union européenne, la France souffre de la crise. Les libéraux, dont le patronat se fait le porte-­‐parole, associent cette crise à un problème global de compétitivité engendré par une explosion du « coût du travail ». Cette lecture nous semble contestable.

Depuis le début des années 90, des centaines de milliards d’aides, d’exonérations, de subventions ont été́ distribuées sans aucun effet sur l’emploi et la compétitivité de nos entreprises. Pire, elles ont alimenté la rente au détriment des salaires et de l’investissement. Entre 1999 et 2008, alors que les firmes allemandes ont réduit leur taux de dividendes versées de 10%, leurs homologues françaises l’ont augmenté de près de 50%. Le « coût du capital » n’a jamais été aussi élevé.

L’industrie française se délite et les politiques libérales de ces 20 dernières années n’ont fait qu’en précipiter la chute, croyant pouvoir créer une « France sans usine », renonçant à toute politique industrielle ambitieuse. Le renouveau industriel nécessite un renforcement de notre « compétitivité hors-coût » qui ne sera rendue possible que par des aides ciblées et d’une réorientation des bénéfices de la rente vers l’investissement productif.

Or, on ne peut que constater la victoire de la finance sur la production. C’est la conséquence de la concentration de la richesse entre les mains d’un nombre de plus en plus petit. Aujourd’hui, alors que 10 % de la population concentre 60 % du patrimoine, les banques imposent aux entreprises des règles qui donnent la priorité́ à l’accroissement systématique des marges. Dès lors, il ne faut pas s’étonner du mouvement de concentration du capital (les quatre premières banques françaises ont un bilan équivalent à 400 % du PIB) et de financiarisation de l’économie.

Enfin, ne nous voilons pas la face. La finitude des ressources naturelles, la hausse inéluctable du prix des énergies fossiles dont notre modèle de production et de consommation est dépendant, la stagnation de nos taux de croissance déconnectés du bien-être humain, nous obligent à imaginer un nouveau modèle de développement. De même, l’évolution des gains de productivité́ rend indispensable de réfléchir à une nouvelle répartition du travail. Mais ce nouveau modèle de développement est par définition antagoniste des logiques libérales, court-termistes, à l’œuvre de nos jours.

Pour nous, la priorité doit donc être la suivante: favoriser l’emploi et l’investissement productif aux dépens de la rente.

Les préconisations avancées jusqu’à présent sont déséquilibrées.

Les socialistes se sont toujours refusés à opposer offre et demande, production et redistribution, bonne gestion des comptes publics et relance de l’économie. Les propositions contenues dans le « pacte de responsabilité́ » semblent s’écarter de cette position d’équilibre.

  • 1) L’objectif de baisse accélérée des dépenses publiques comporte des risques majeurs.

Le Président de la République s’est engagé à ne pas toucher au modèle social français. Néanmoins, la priorité́ accordée aux 50 milliards d’euros d’économies en trois ans, nous fait craindre une réduction du périmètre d’intervention de l’Etat, nuisible aux politiques sociales existantes et au fonctionnement des services publics.

  • 2) le redressement n’est pas possible sans la justice

A trop se focaliser sur « l’offre » et la « baisse des charges », le « pacte de responsabilité́ » risque de comprimer l’activité́ économique.

Par ailleurs, elle réduit considérablement nos marges de manœuvres pour mener à bien des politiques ambitieuses dans le domaine de l’éducation, du logement ou de la culture. Comment continuer à soutenir l’effort de réinvestissement de l’Etat dans le domaine éducatif mené́ depuis le 6 mai, si les baisses de crédits y sont massives ? Comment soutenir l’exception culturelle si, pour la troisième année consécutive nous baissons le budget du ministère de la culture. Enfin, comment les collectivités territoriales pourront-elles continuer à être le premier investisseur public de notre pays, si elles doivent réaliser des coupes budgétaires massives ?

Notre pays doit partir de ses atouts : qualité de la main d’œuvre, de ses services et infrastructures publics. Agir pour notre compétitivité, c’est penser dès maintenant le monde de demain et notre modèle de développement.

C’est donc d’abord agir sur nos capacités productives (montée en gamme, sobriété énergétique de notre appareil productif, investissement dans les énergies renouvelables, utilité́ sociale) et sur nos infrastructures. Ainsi en 2011, les importations énergétiques pesaient 88% du déficit de notre balance commerciale, entamant d’autant la création d’emplois et les capacités d’investissement de nos entreprises.

L’investissement dans l’éducation, la formation, la recherche, la transition énergétique, sont autant de leviers pour une stratégie de développement durable à moyen et long terme. L’enchainement des crises ces vingt dernières années témoigne d’un système court-termiste à bout de souffle, qui ne répond plus au double impératif d’efficacité́ économique et de justice sociale. Cette option volontariste d’investissement que nous proposons est un moyen d’en sortir.

Mais cet effort serait vain si, faute de consommation, bon nombre d’entreprises n’avaient pas de carnets de commande remplis, si faute de « planification » les industriels n’avaient aucune vision de l’avenir, et si faute d’anticipation ils n’étaient pas au rendez-­‐vous d’une reprise française et internationale.

Dès lors, nous pensons que, dans la mobilisation générale pour l’emploi décrétée par l’exécutif, la consommation populaire doit prendre toute sa place. Elle passe notamment par une réforme fiscale de grande ampleur, comme l’a d’ailleurs proposé le Premier ministre. Loin de s’opposer, redressement et justice vont de pair.

Obtenir un compromis social favorable au monde du travail

La social-démocratie suppose que le parti majoritaire à gauche soutienne les syndicats de salariés pour arracher un compromis au patronat.

Si le Président a été́ très clair sur les avantages accordés aux entreprises, les contreparties demandées restent floues. Il faudra plus qu’un « observatoire » pour imposer amélioration des conditions de travail, discussion sur les salaires, partage du travail ou multiplication des embauches. D’autant que le MEDEF, par la voix de son président, refuse de rentrer dans une logique de « donnant-­‐donnant » qui serait pourtant la moindre des choses. En lien avec les déclarations présidentielles, nous insistons sur la double nécessité́ de ne pas alimenter la rente pour servir l’investissement productif et de faire bénéficier les salariés, par le biais de la rémunération notamment, d’une part de cette aide.

Il n’y aura pas de « compromis social » favorable aux salariés sans mobilisation du parti, des parlementaires, du mouvement social. Salaires, embauches, réduction et partage du temps de travail, droits des salariés, contrôle des licenciements abusifs, modalités de remboursement des aides en cas de non-respect des engagements, politique de redistribution des dividendes : dans tous ces domaines nous devons porter des exigences fortes.

Oui, nous devons les porter, et en toute liberté́. Sachons-nous désintoxiquer des institutions de la Vème République. Tout ne peut procéder d’un seul homme. Les débats politiques ne se règlent pas en brandissant la menace de mesures disciplinaires ou en mettant les parlementaires au pied du mur.

Le PS doit jouer pleinement son rôle. Pour la réussite de la gauche au pouvoir, il faut un Parti autonome, force de propositions, relais des aspirations mais aussi des mécontentements. C’est une des conditions de la réussite commune.

Cette réussite passe aussi par l’implication de la gauche dans toute sa diversité́. Il n’y a aujourd’hui de salut pour la gauche française que dans la construction de convergences entre les forces politiques et sociales qui la composent. Au moment où une partie de la droite radicalisée fait jonction avec une extrême droite plus menaçante que jamais, le rassemblement de la gauche est une ardente obligation.

Signataires
27 membres du Bureau National du Parti socialiste (sur 72) : Pouria Amirshahi, Tania Assouline, Guillaume Balas, Marie Bidaud, Sandrine Charnoz, Pascal Cherki, Laurianne Deniaud, Stéphane Delpeyrat, Antoine Détourné, Julien Dray, Henri Emmanuelli, Anne Ferreira, Gérard Filoche, Olivier Girardin, Jérôme Guedj, Liêm Hoang-­‐Ngoc, Frédéric Hocquard, Régis Juanico, Marie Noelle Lienemann, Marianne Louis, Fréderic Lutaud, Delphine Mayrargue, Emmanuel Maurel, Jonathan Munoz, Nadia Pellefigue, Paul Quiles Roberto Romero, Jean-­‐François Thomas, Isabelle Thomas

04/09/2013

Retraites : avant de débattre, se débarrasser de sept idées reçues

Sretraites2.jpgi la conjoncture était plus souriante, on n’aurait jamais entendu parler de nouvelle réforme des retraites. Mais voilà, la crise s’est prolongée, contredisant les scénarios du Conseil d’orientation des retraites (COR), et rendant insuffisante la précédente réforme passée dans la douleur sous Sarkozy : le besoin de financement du régime général (minimum vieillesse inclu) s’élèvera à 6,5 milliards cette année.

Et le déficit, si rien n’est changé, devrait atteindre près de 25 milliards en 2020. A l’occasion de la conférence sociale de jeudi, qui doit être suivie d’une «  concertation  » puis d’une loi, le débat sur les retraites est reparti. Personne n’en nie la nécessité. Mais autant ne pas s’encombrer des habituelles approximations qui l’accompagnent. En voici sept exemples :

UN : Il est urgent de réformer les retraites »

En période de quasi-récession, combattre dans l’urgence les déficits induits pas la crise n’est jamais de bonne politique : c’est une politique d’austérité, dont on a vu les méfaits. La question du financement du système des retraites est une question importante, mais une question de long terme.

L’urgence, aujourd’hui, n’est pas de rééquilibrer coûte que coûte le système (par exemple en augmentant brutalement les cotisations ou en baissant les prestations), car cela pèserait sur la consommation, donc sur la croissance, et au final, cela ne ferait qu’accroître les déficits publics et sociaux : le contraire de l’effet visé. L’urgence, c’est de sortir de l’ornière conjoncturelle actuelle.

DEUX : La viabilité du système français est en jeu »

Le système français des retraites connaît un problème de financement, c’est certain. Mais structurellement, sa viabilité est bien moins menacée qu’ailleurs, notamment du fait du dynamisme démographique propre à notre pays (1,95 enfants par femme contre 1,6 dans le reste de l’Europe) et des mesures déjà adoptées.

Selon les chiffres de l’OCDE, la part du PIB consacrée aux retraites augmentera de seulement 0,5 point en France d’ici 2060, contre 2,6 points en Allemagne (et 15,3 points aux Luxembourg !)


De combien la dépense retraite doit augmenter (en % du PIB) (OCDE)

C’est l’OCDE qui le dit : en France comme dans quatre autre pays (Danemark, États-Unis, Italie, Suède) « les dépenses de retraite restent globalement stables pendant toute la période de prévision ».

TROIS : Il faut retarder l’âge de la retraite pour ne pas léguer une nouvelle dette à nos enfants »

C’est une étrange proposition. Pour ne pas imposer à « nos enfants » un sacrifice financier (le remboursement d’une nouvelle dette) il faudrait leur imposer un sacrifice peut-être pire encore (quelques années de travail de plus).

Ainsi Laurence Parisot, du Medef, propose de reporter l’âge légal de la retraite à 65 ans en 2040 : ceux qui auront à travailler cinq ans supplémentaires pour « sauver le régime des retraites » ne sont pas les sexagénaires actuels, mais leurs enfants...

QUATRE : L’immigration contribue à déstabiliser le système des retraites »

La vérité est inverse : une immigration plus forte permettrait de résoudre plus facilement la question des retraites. C’est d’ailleurs une des voies empruntées par l’Allemagne pour alléger le fardeau.

Un solde migratoire positif reflète en effet une augmentation du nombre de cotisants. Ce solde est en France de seulement 0,1%, contre 0,2% dans les autres pays européens.

Globalement, les immigrés aujourd’hui sont contributeurs nets de notre système de protection sociale, comme l’ont montré les économiste Xavier Chojnicki et Lionel Ragot . Cela s’explique essentiellement par leur âge : ils sont plus jeunes. 55 % d’entre eux ont entre 25 et 55 ans, contre 40 % pour l’ensemble de la population... Il y a donc plus de cotisants, et moins de retraités.

CINQ : L’effort qui a été demandé aux futurs retraités est moindre en France »

Le tableau ci-dessous, dressé par la Commission européenne, permet de se débarrasser de cette idée reçue. Il évalue les effets, en points de PIB, des mesures prises au détriment des retraités entre 2010 et 2060 : recul de l’âge de départ, hausse des cotisations...

Résultat : en France, c’est déjà six points de PIB qui ont été dégagés par les réformes. Contre seulement 3,5 points en Allemagne et 1,9 points en Grande-Bretagne.


L’effort demandé aux retraités (en % du PIB) (Commission européenne, Infogram, Rue89)

Si l’on prend le recul de l’âge de la retraite au cours de la dernière décennie (2001-2010), il a été en moyenne de 1,6 ans dans la zone euro, mais de 2,1 en France.

SIX : Les retraites dans la fonction publique sont bien supérieures à celles du privé »

La pension moyenne touchée par un ancien fonctionnaire est supérieure d’un tiers à celle dont bénéficie un ancien salarié (23 187 euros contre 15 373 euros) a indiqué le Conseil d’orientation des retraites. L’écart devrait s’accroitre d’ici 2060.

Cette comparaison appelle deux remarques à méditer avant de crier au scandale :

1. Il y a plus de personnes de niveau « cadre » dans la fonction publique d’Etat, donc la moyenne des salaires est forcément plus élevée, et par voie de conséquence, le niveau moyen des retraites. Les agents de catégorie A (enseignants, notamment...) représentent la moitié des effectifs de la fonction publique d’Etat.

En 2010, les salaires mensuels nets moyens (traitement + primes et indemnités) étaient de :

  • 2 459 euros dans la fonction publique de l’Etat [PDF] ;
  • 2 082 euros dans le secteur privé.

2. Il y a plus de primes dans les rémunérations du public. Ce qui est en cause, dans le débat actuel, c’est la différence du mode de calcul du « taux de remplacement » (le niveau des retraites par rapport au niveau des précédents salaires) selon les régimes. Et notamment entre celui de la fonction publique et celui du régime général des salariés.

La pension des fonctionnaires est calculée sur la base des salaires des six derniers mois d’activité, celle des salariés du privée tient compte de ses vingt-cinq dernières années de boulot.

Un salarié (non cadre) de 62 ans touchera ainsi 70% de son salaire alors qu’un fonctionnaire de catégorie B touchera 75% de ce dernier.

Mais ce qu’on oublie souvent de dire, c’est que le volume des primes qui ne sont pas prises en compte pour le calcul des retraites est plus important dans la fonction publique que chez les salariés du privé. Un fonctionnaire de préfecture de catégorie B touchera par exemple en fin de carrière 2 400 euros, dont 400 de primes. Sa retraite sera donc de 1 500 euros (75% de 2 000). C’est à dire moins que celle du salarié du privé, qui, gagnant le même salaire, touchera, 70% de 2 400, soit 1 680 euros.

SEPT : Le régime de retraite français est luxueux »

OK, le régime de retraite français n’est pas le pire du monde. Il a deux qualités :

  • l’âge « légal » de la retraite (celui auquel on a le droit de partir à la retraite) est moins élevé que dans les autre pays : il a été fixé en 2010 à 62 ans (à partir de 2017), contre 65 ans en Allemagne, par exemple ;
  • le « taux de remplacement » (le ratio pension/derniers salaires) est élevé : 68% en moyenne, contre 51% dans le reste de l’Europe.

Le taux de remplacement moyen dans les pays européens (Eurostat)

Mais les retraités français ne sont pas mieux lotis que les autres si l’on examine d’autres paramètres :

  • l’âge donnant le droit à une pension à taux plein (si l’on n’a pas validé la durée de cotisation requise) était en 2012 de 65,5 ans et sera de 67 ans à partir de 2016. En Allemagne l’âge du taux plein est actuellement de 65 ans. Idem au Canada, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ;
  • la durée de cotisation pour prétendre à une retraite à taux plein est élevée en France : 41 ans. Selon un pointage réalisé par Alternatives économiques, seuls 4 pays font « pire » : Allemagne, Autriche, Belgique et Italie. Dans la plupart des autres pays, « les personnes ayant eu des carrières incomplètes sont moins pénalisées qu’en France », écrit le mensuel économique. Qui souligne par ailleurs que les systèmes de retraite anticipée sont répandus hors de France, parfois de façon déguisée (le régime invalidité concerne 11% des 20-64 ans en Suède !).

Publié dans Rue 89

25/06/2013

Emmanuel Todd « Un nouvel élan au rêve français de l’homme universel »

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettNOUVEAU : Version française suivie par la traduction anglaise. (article followed by an English version)

L’historien, démographe et anthropologue Emmanuel Todd vient de faire paraître, avec le démographe Hervé Le Bras, un ouvrage (1) qui s’appuie sur une analyse de 120 cartes de France, à partir de nombreuses études et statistiques. Leur mise en perspective fait tomber nombre d’idées reçues en autant de paradoxes. Le Mystère français constitue un diagnostic puissant.

Dans le Mystère français vous 
présentez un portrait hexagonal 
assez nuancé. Comment faut-il comprendre ce diagnostic ?

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettEmmanuel Todd. Nous avons surtout analysé une contradiction entre la superstructure économique et l’infrastructure mentale. Nos cartes de la déroute industrielle sont parmi les plus inquiétantes qui soient ! Nous mesurons les inégalités de richesse. Nous décrivons les effets de la crise. Mais dans l’éducation, la démographie et la vie familiale, nous constatons un autre mouvement. Le niveau éducatif moyen a progressé.

L’émancipation des femmes se poursuit et s’accélère. La fécondité, sans distinction de classes sociales, atteint un niveau plus que raisonnable. L’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée. Les taux d’homicides et de suicides sont en baisse. Nous sommes là dans le monde réel. Cette contradiction est importante à souligner. Il y a eu deux interprétations dominantes de ce livre. D’un côté, « la France ne va pas si mal ». Et de l’autre, « la France qui va mal et celle qui va bien ». En réalité, c’est un livre qui dit : « Attention, il y a une contradiction entre la vision des classes dirigeantes, qui agissent comme si leur pays n’existait pas et produisent une catastrophe économique, et une réalité vivante dont il faut tenir compte. » La crise du système politique français réside dans cette méconnaissance. C’est un livre dont on pourrait faire un usage révolutionnaire.

Plus de trente ans après l’Invention 
de la France, vous proposez un profil actualisé du pays avec toujours ce que vous appelez 
« la main du passé » ?

Emmanuel Todd. Il y a trente ans, nous nous étions amusés à mettre en avant la diversité persistante de la France. Cette fois-ci, nous aurions pu simplement constater qu’en dépit du changement mental, il existait toujours des zones anthropologiques et religieuses. En fait, nous découvrons que le changement social, et même son accélération sont portés et guidés par les vieilles zones anthropologiques. Les structures familiales et religieuses ne sont pas des éléments qui subsistent mais qui agissent. Prenons l’exemple de l’éducation. Il y a d’abord eu un décollage précoce des zones culturelles de famille souche d’Occitanie. Puis les zones où le catholicisme vient tout juste de s’effondrer, une constellation périphérique, à l’ouest et à l’est, ont atteint des performances maximales. Le catholicisme est mort métaphysiquement mais il est vivant socialement et semble produire des effets. Nous avons utilisé le concept de « catholicisme zombie ».

Vous distinguez deux grandes zones 
qui traversent la France même 
si elles recouvrent une hétérogénéité ?

Emmanuel Todd. Il existe une opposition fondamentale entre deux formes complémentaires. Un long bassin parisien, entre Laon et Bordeaux, et la façade méditerranéenne constituent ensemble la France précocement déchristianisée, marquée par l’idéal révolutionnaire, républicain et laïque. Son cœur est occupé par une famille individualiste égalitaire. Autour, dans la périphérie, il y a la France catholique, une France de la hiérarchie. Il existe des cartes anciennes de cette opposition. Celle de l’Américain Timothy Tackett montre que ces zones apparaissent à l’occasion de l’acceptation ou du refus de la Constitution civile du clergé en 1791.

En partant du diagnostic d’un « catholicisme zombie », vous définissez en creux une « dépression postcommuniste » ?

Emmanuel Todd. C’est l’élément le plus important pour moi. La dépression qui s’est installée dans les régions et les milieux populaires de l’espace idéologique communiste d’après-guerre : difficultés scolaires, taux de chômage élevés, phénomènes de désagrégation sociale. Le communisme était une croyance collective structurante. Il jouait un rôle formidablement positif dans la vie des milieux populaires. Il incarnait l’idée de progrès, un contrôle des mauvais instincts xénophobes. Il avait foi en la culture… Tout cela a implosé, dans la honte, à cause du stalinisme. Il y a donc aujourd’hui un immense vide. Du point de vue de l’anthropologue, je dirai qu’un PS dominé par le catholicisme zombie ne peut pas représenter toute la gauche française. Quelque chose manque dans la culture politique française et la représentation. Le Parti communiste était l’incarnation ultime de la Révolution française, une révolution qui, dans ses principes, n’est pas morte.

Vous montrez que certains changements pourraient engendrer une droitisation idéologique ?

Emmanuel Todd. Dans les années 1950, tout le monde savait lire mais seulement quelques-uns avaient fait des études supérieures. C’était une époque de démocratie en ascension. La masse de la population imitait et contestait la classe supérieure, elle regardait vers le haut et vers l’avant. Le progrès était à l’ordre du jour. Aujourd’hui, parmi les moins de trente-cinq ans, le groupe le plus nombreux est constitué de ceux qui ont fait des études supérieures. Il y a ensuite ceux qui ont suivi des études secondaires et techniques. Enfin, 10 à 12 % des jeunes restent bloqués au niveau du primaire et ont parfois des difficultés de lecture. Nous sommes dans un monde différent. Les diplômés supérieurs regardent vers l’extérieur, vers les espaces infinis de la mondialisation culturelle. Le groupe intermédiaire a peur de retomber. Il regarde avec crainte les 10 à 12 % de non-diplômés. Ce monde-là regarde vers le bas, et vers l’arrière. Il est structurellement orienté à droite. Par ailleurs, la société est en voie de vieillissement, ce qui favorise le conservatisme en politique.

Mystère français là encore, cette droitisation s’exprime de façon paradoxale ?

Emmanuel Todd. Depuis l’écriture du livre, la situation a quelque peu évolué. Pour moi, nous n’en sommes plus maintenant à la droitisation en général, mais à celle du… gouvernement socialiste ! Et je commence à sentir un glissement européiste et libéral du PS qui pourrait nous amener, à notre immense surprise, au-delà de ce dont le sarkozysme a été capable. Car le plus paradoxal dans ce livre est de noter que les bastions du PS se situent maintenant dans les régions qui historiquement croient moins que les autres en la liberté de l’individu, en l’égalité des hommes, ou en l’importance de l’État comme régulateur. On peut se demander alors si le PS ne se trouve pas lui-même marqué par ce basculement.

C’est aussi vrai de la droite, dans un sens opposé. Jérôme Fourquet, de l’Ifop, nous a permis d’accéder à des données difficiles à obtenir, tel le cumul des intentions de vote par catégories socioprofessionnelles et par régions. Les milieux populaires de Champagne-Ardenne, au cœur de la France égalitaire, ont voté majoritairement pour Sarkozy au second tour. Au regard de son implantation locale, l’UMP se retrouve traversée par des tendances égalitaires.

Le pouvoir sarkozyste était décomplexé, c’est le moins qu’on puisse dire, du côté de la xénophobie, fort doué pour la désignation de boucs émissaires, musulmans, immigrés, Roms, corps intermédiaires, professeurs, syndicats… Mais il n’était pas parvenu à déréguler le marché du travail ou à attaquer l’État social comme le PS est en train de le faire, avec l’aide de la CFDT (CFTC déconfessionnalisée), et donc incarnation syndicale du catholicisme zombie.

Au fond, puisque vous dites que le PS et l’UMP sont traversés par de fortes contradictions et que la France est beaucoup plus fragmentée qu’elle n’y paraît, peut-elle repartir en étant en accord avec elle-même, à partir de l’égalité qu’elle a toujours mise en avant ?

Emmanuel Todd. Il y a un élément qui n’est pas dans le livre, mais que le livre peut éclairer. Quid de l’Europe, où les nations divergent encore plus que les provinces françaises ? Dans le contexte de sociétés vivant une crise de l’hyper-individualisme, les gens sont isolés et angoissés et, inévitablement, ils vont, partout, rechercher dans leur histoire, dans leurs traditions, les forces de l’adaptation.

La réalité de l’Allemagne est qu’elle est en phase de renationalisation, phénomène absolument conscient depuis sa réunification. La France, aussi, mais de façon inconsciente, beaucoup plus complexe et lente, parce qu’elle est très diverse. Ses dirigeants, arc-boutés contre l’histoire, pensent qu’ils sont en train de sauver l’Europe, et surtout l’euro, dont la destruction est pourtant comme mécaniquement programmée par la divergence culturelle des nations.

En France, le concept de nation est apparu à gauche avec la Révolution française. Il est passé à droite vers 1900. Dans le vide produit par l’interminable agonie du concept européen, le Front national peut se permettre de proposer une version rétrécie, dégradée, ratatinée, de l’idée nationale. Il en donne une vision sinistre qui exclut et rejette de fait l’universalisme français.

 C’est pour cela que je parle d’un front antinational. Ce dont nous avons besoin en France, c’est d’une renaissance à gauche de l’idée de nation, qui nous permette, libérés de la paralysie européenne, de retrousser nos manches et de résoudre nos problèmes économiques et sociaux.

Vous en concluez à un reflux inévitable du FN ?

Emmanuel Todd. Il est déjà en train de refluer dans toutes les grandes villes et dans la région parisienne. Le FN est parti de l’est de la France, grandement associé à la présence de l’immigration maghrébine. Mais son implantation se déplace régulièrement vers la zone centrale, vers l’espace révolutionnaire. Il décroche alors entièrement de ses bases départementales anti-maghrébines. On pourrait s’inquiéter que le Front national parvienne au cœur de la culture française. En réalité, l’arrivée dans cet espace égalitaire va le mettre au pied du mur.

Un mur qu’il ne peut pas sauter car il fonctionne sur deux dénonciations simultanément : celle des classes dirigeantes, composante égalitaire, celle d’un bouc émissaire étranger, composante inégalitaire et de fait antinationale en France. C’est, il est vrai, la posture habituelle d’un parti fasciste. Mais nous nous dirigeons vers une montée en puissance des phénomènes de classe et de contestation sociale des élites, déjà à l’origine du vote non au référendum de 2005.

 Les difficultés sociales vont se multiplier et mettre plus encore en évidence l’impéritie de l’oligarchie dirigeante. Beaucoup plus qu’à une poussée massive du FN, je crois en une implosion globale de la représentation politique, redistribution générale des cartes, d’un coup et à la surprise de tous.

L’une de vos principales sources pour faire l’analyse critique des mouvements de la société se trouve être Marx ?

Emmanuel Todd. C’est vrai et c’est grâce, notamment, à la longue et permanente discussion que j’entretiens avec mon copain philosophe Bernard Vasseur autour des textes, en particulier ceux du jeune Marx. Pour l’analyse des phénomènes historiques et des conflits de classes, Marx a toujours été la figure totémique, le modèle du chercheur engageant toute sa vie dans sa quête intellectuelle, en dehors des structures universitaires, avec une impressionnante capacité à exprimer les choses cruellement et drôlement. Je ne peux être qu’admirateur de ce Marx-là. Mon livre de base, ici, cité dans Après la démocratie et dans le Mystère français, reste les Luttes de classes en France.

Que peut-on déduire de ce diagnostic 
pour notre avenir commun ?

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettEmmanuel Todd. L’accès de faiblesse du cœur égalitaire résulte de l’état intermédiaire, en ce moment politiquement inactif, de la grande région parisienne. Cette région représente une masse considérable, mais elle est aujourd’hui fragmentée. Les inégalités éducatives et économiques y sont plus fortes qu’ailleurs. Ceux qui ont un niveau éducatif très élevé y sont nombreux. Elle compte aussi beaucoup de jeunes et des immigrés de toutes origines.

Les taux de mariages mixtes y sont élevés. La région capitale constitue ainsi une sorte de chaudron expérimental où se fabrique la future culture centrale dominante de la France. C’est l’une des rares villes monde où soient en train de fusionner des populations de toutes origines religieuses et de toutes couleurs, et cela se fait dans la culture individualiste égalitaire française traditionnelle. Les évolutions sont encore trop récentes pour que le vieux rêve français d’un homme universel y prenne tout de suite un nouvel élan.

Mais dans vingt ou trente ans, lorsque la fusion sera réalisée, la région parisienne sera l’une des merveilles culturelles du monde. Elle reprendra le contrôle du système national. J’admets que les prochaines années vont être dures. Mais, en tant qu’historien et en tant qu’homme de gauche, je suis tout à fait tranquille pour l’avenir un peu plus lointain de mon pays.

(1) Le Mystère français, d’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, coédition Seuil-La République des idées, 2013. 336 pages, 17,90 euros.

Révolution anthropologique. Emmanuel Todd est un historien français, anthropologue, démographe, sociologue et essayiste. Chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), il développe l’idée que les systèmes familiaux jouent un rôle déterminant dans l’histoire et la constitution des idéologies religieuses et politiques.

Élève d’Emmanuel Le Roy Ladurie, son approche historique, basée sur l’histoire de longue durée, est celle de l’École des Annales de Fernand Braudel. Sa formation relève de l’empirisme anglo-saxon. C’est en 1976 qu’Emmanuel Todd publie la Chute finale, son premier livre. Il y annonce « la décomposition de la sphère soviétique ». Ce n’est peut-être pas tant le thème de ce travail qui surprend que la méthodologie historique qui produit une révolution dans les sciences sociales : la puissance de son analyse repose sur une interprétation anthropologique.

Depuis, il a été l’auteur de nombreux ouvrages et essais reprenant cette approche. L’Invention de la France, parue en 1981, voit ce travail d’analyse réalisé conjointement avec le démographe Hervé Le Bras. Il traite du cas français, intéressant parce qu’il est un modèle de diversité anthropologique au sein d’une seule nation.

Entretien réalisé par Pierre Chaillan

"A Fresh Impetus To the French Dream of Universal Man"

Translated Saturday 6 July 2013, by Isabelle Métral

communisme,education,famille,chômage,femmes,inégalités,france,entretien,jérôme fourquet,emmanuel todd,bernard vasseur,hervé le bras,timothy tackettHistorian, demographer and anthropologist Emmanuel Todd and Hervé Le Bras have just published a study based on 120 maps of France drawn from a great many studies and statistics, in the light of which many commonplaces are shown to be paradoxes. Altogether, Le Mystère français [1] (The French Mystery) provides a penetrating diagnosis.

HUMA”: In The French Mystery you draw a fairly balanced portrait of our hexagonal mainland. How do you account for this diagnosis?

EMMANUEL TODD: We have mostly analyzed a contradiction between the economic superstructure and the mental infrastructure. Our maps of the industrial rout are most disquieting. We measure inequality in wealth. We describe the effects of the crisis. But in education, demography and family life we find the opposite trend: average educational standards have improved. Women’s emancipation has been going on at a faster rate. The birth rate, irrespective of social class, has reached a more than reasonable level. Life expectancy has never been so high. Homicide and suicide rates are down. These figures give us a real picture. So the contradiction must be underlined.

Roughly, there are two ways of interpreting this book: on the one hand “France is not doing so badly”, and on the other, ”see the great divide between those that are doing badly and those that are doing fine”. In fact the book says: “Careful, there is a contradiction between the ruling class’s vision, those that do as if their country did not exist and lead us to an economic catastrophe, and the real country, the real people who must also be considered.” The crisis of the French political system lies in this blindness. This book could serve revolutionary purposes [2].

HUMA: More than thirty years after The Invention of France, you give us an updated profile of the country but still brushed with what you call “the hand of the past”. Is that it?

TODD: That was thirty years ago, we took pleasure in pointing out France’s persisting diversity. This time, we might have simply registered the fact that the anthropological and religious zones persisted despite changes in our mentality. In fact we find that social change, its acceleration even, are catalyzed and piloted by the old anthropological zones. The old religious or family structures are not simply persistent, but they are still active. Take education for instance. First there was the early lift-off of the cultural zones where the Occitan-speaking family type prevailed. Then those where Catholicism has just collapsed – a peripheral constellation, west and east - achieved top performances. Catholicism is metaphysically dead, but from a social point of view it is still alive and seems to produce effects still. We use the concept of “zombie Catholicism”.

HUMA: Is this what leads you to establish a distinction between two great zones across the country – even if they are somewhat heterogeneous?

TODD: There is a basic opposition between two complementary forms: the long basin around Paris, (“bassin parisien”), between Laon and Bordeaux, together with the Mediterranean front constitute that half of France that was de-Christianized at an early stage, and is characterized by the revolutionary, republican and secular ideal. And home to the individualistic, egalitarian family type. Then all around lies the other, Catholic half. This opposition appears in very old maps. The map drawn by Timothy Tackett, an American, shows that these zones appeared following the adoption of the clergy’s Civil Constitution in 1791, depending on whether it was accepted or refused.

HUMA: Having diagnosed this “zombie Catholicism”, you make out, by contrast, what you call “the post-communist depression” zone?

TODD: To me that is the most important element. The depression that set in in the popular regions and classes of the post-war communist ideological space, with its ailing schools, high unemployment rates, social break-up symptoms. Communism as a collective faith that had a structuring effect. It played an extraordinarily positive part in the life of the common people. It embodied the notion of progress, checked the bad xenophobic instincts. It had faith in culture… All of this imploded, because of Stalinism, leaving a legacy of shame. And so today there is a great void. As an anthropologist I would say that a socialist party under the influence of zombie Catholicism cannot represent the whole of the French Left. Something is lacking in the French political culture and representation. The Communist Party was the ultimate incarnation of the French revolution, a revolution that lives on through its principles.

HUMA: And you find that certain changes might generate a rightist ideological drift?

TODD: In the 1950s everybody could read but only a few had been to university. Those were the times when democracy was in its ascending phase. The masses imitated and challenged the middle class, they looked up to it and to the future. Progress was then the word. Whereas today, among the under-35 age-group a majority has gone to university. Then come those that have been through high school or technical schools. Then comes the 10-to-12% group of those that got stranded at elementary school level and are sometimes poor readers.

Today’s world is completely different. Those with university degrees look out for opportunities abroad, in the infinite spaces of cultural globalization. The middle group is afraid of coming down in the world and is looking down with fear to the 10 to 12% of drop-outs. That middle group looks down to the bottom, to the past. It structurally leans to the Right. Moreover society is ageing, which is a conservative factor in politics.

HUMA: But here again "the French Mystery" lies in the fact that this swing to the right has a paradoxical expression?

TODD: Since I wrote this book the situation has somewhat changed. I believe we have left behind the stage where the Right in general made headway, for now it is the Socialist government that leans to the Right. And I am beginning to perceive a pro-European and neo-liberal evolution of the Socialist Party that, to our great surprise, might take us further than what Sarkozy’s rule was able to achieve. For what is most paradoxical in that book is the finding that the Socialist party’s strongholds are now in the regions that, historically, compared to others, have little faith in the freedom of the individual, in equality between humans, or in the importance of the State as regulator. It is therefore legitimate to wonder if the Socialist Party is not itself affected by this swing.

This is also true of the Right, in the opposite direction. Jérôme Fourquet, who works with IFOP (the French public opinion institute) gave us access to data that are hard to come by, like the sum of voting intentions in each socio-professional categories and region. A majority of the lower-classes in the region of Champagne-Adennes’, at the heart of the equalitarian “half”, voted for Sarkozy in the second round of the presidential election. Because of its local situation, the UMP finds itself under the influence of equalitarian trends.

Whereas Sarkozy’s government had, to say the least, no scruples as regards xenophobia and was very good at designating scapegoats, Muslims, immigrants, Roma, the public or mediating/para-public bodies, teachers, trade-unions, etc. but it did not succeed in deregulating the labour market or in dismantling the welfare state as the Socialist Party is now doing with the help of CFDT (the secularized avatar of the CFTC) which is therefore an instance of zombie-catholicism unionism.

HUMA: Since in your view the Socialist Party and the UMP are laboring under strong inner contradictions and France is much more fragmented than it might seem, would you say that basically France can rebound and be at one with itself, by making equality its first and foremost principle, which it has traditionally been?

TODD: There is an element that is not in the book, but on which the book can shed light: what about Europe, where nations diverge even more than the French provinces? Within the context of societies that are going through the crisis due to hyper-individualism, people are cut off from one another and anxious and lacking the strength adaptation requires, inevitably they turn back to their history and traditions. The truth about Germany now is that it is going through a new nation-building process – an extremely conscious process since its re-unification. So is France, too, but without being aware of it, and in a much more complex and slow way, being so diverse. Its leaders, bracing themselves against the grain of history, believe that they are saving Europe, and especially the euro even though the euro is doomed, its destruction being mechanically programmed, so to speak, by the cultural divergence between the nations. In France, the concept of nation appeared within the Left with the French Revolution. Then it passed over to the Right around 1900. In the void that results from the interminable death throes of the European concept, the National Front is given leeway to propose a stunted, degraded, warped version of the national idea. A sinister vision that excludes and denies French universalism. That is why I call it an anti-national front. What we need in France is a rebirth, within the Left, of the idea of nation, such as can enable us to shake free from the European paralysis and roll back our sleeves and set about solving our economic and social problems.

HUMA: From this you conclude that the tide in favour of the National front is bound to turn?

TODD: It is already ebbing in all the great cities and in the region around Paris. The National Front started in the east; it had narrow links with the presence of immigrants from the Maghreb. But its strongholds have been regularly moving towards the central zone, the revolutionary zone. In the process it has been losing its anti-Maghreb provincial bases. One might worry lest the National Front find its way into the very heart of French culture. But in fact, once it arrives in this equalitarian space it will stand against the wall. And it can’t jump over it, because its rhetoric denounces both the ruling classes (in conformity with the equalitarian stance) and against the foreigners, its scapegoats, , which runs contrary to the equalitarian stance and because of this, also against the French national idea. This, no doubt, is the posture characteristic of a fascist party. But what we can feel rising is the polarization of events around class and the social protest against elites, in which the No vote in the 2005 referendum originated. Social problems are going to multiply and point out the incapacity of the ruling oligarchy. I believe far less in a spring tide in favour of the National front than in a global implosion of political representation, in the general reshuffle, all at once and to everyone’s surprise.

HUMA : One of the main sources you use in you critical analysis fo the movements of society happens to be Marx ?

TODD: True, and that is especially because of my long and endless discussions with my pal, philosopher Bernard Vasseur . About texts, in particular those of the young Marx. Marx has always been the totemic figure for the analysis of historical phenomena and class conflicts. The model of the researcher’s life-long commitment to his intellectual quest, and outside academic structues, with an impressive capacity to express things cruelly and funnily. I can only admire that Marx. My basic book, here, quoted in Après la democracy ("After democracy") and Le Mystère français ("The French Mystery") remains La Lutte des classes en France.

HUMA: What can we draw conclusions from this diagnosis for our common future?

TODD: The current fit of weakness of the equalitarian heart results from the intermediary state, in this politically apathetic time, of the great region around Paris. This region represents a considerable, mass, but today it is fragmented. Inequalities in schools and social inequalities run deeper than elsewhere. There are great numbers of people with extremely good degrees. And great numbers of young people and immigrants of all origins. The rate of mixed marriages is high. The region around the capital is therefore a kind of experimental caldron where France’s future central, dominant culture is brewing. It is one of the very few cities in the world where populations of all religious origins and colours are melting. And this is taking place within the French traditional individualistic, equalitarian. These evolutions are too recent for the old French dream of universal man immediately to make a fresh start. But within twenty or thirty years, when the fusion has taken place, the region around Paris will be one of the world’s cultural marvels. It will gain back control of the national system. I admit the next years are going to be tough. But as a historian and a Leftist, I am not a bit anxious concerning my country’s mid-term future.

[1Le Mystère français, d’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, coédition Seuil-La République des idées, 2013. 336 pages, 17,90 euros.

[2The anthropological revolution : Emmanuel Todd is a French historian, anthropologist, demographer, sociologist and essayist. A researcher with the National Institute of Demographic Studies (Ined), he develops the idea that family systems play a decisive role in the history and constitution of religious and political ideologies. A student of Emmanuel Le Roy Ladurie, his historical approach, based on long-term history is that of Fernand Braudel’s “École des Annales. He is an alumnus of the school of Anglo-Saxon empiricism. In 1976 he published La Chute finale ("The Final Fall"), his first book, in which he announces “the decomposition of the soviet sphere”. What was surprising about this study was not so much its theme as the historical methodology that brought about a revolution in the social sciences: the penetrating force of his analysis rests on an anthropological interpretation. He has since then written many books and essays based on the same approach. In L’Invention de la France ("The Invention of France"), which came out in 1981, the analysis is carried out conjointly with demographer Hervé Le Bras. It studies the French case, the interest lying in its being a model of anthropological diversity within one nation.

Publié par English Huma

06/08/2011

Les raisons de la tempête qui a secoué les marchés

marches.jpgUne croissance atone, un endettement public et privé qui monte, un excès de chômage menacent le système financier international.

Au cœur de la tempête qui a secoué cette semaine l’ensemble des places financières mondiales, même si l’on constate depuis une accalmie relative, il y a à la terrible inquiétude à l’égard du cocktail explosif élaboré par les économies des grands pays capitalistes : une croissance qui s’essouffle, un endettement public et privé considérable, un excès de chômage et de précarité.

Les Etats-Unis sont d’excellents spécialistes des cocktails. Depuis 5 ans, leur PIB n’a progressé que de 1 700 milliards de dollars, soit de 12,5 % et leur dette fédérale de 6 000 milliards, soit de 73 %. Le taux de chômage a doublé, passant de 4,6 à 9,2 %. Le cocktail européen est encore plus épicé en raison des inégalités de développement entre le nord et le sud. La croissance espagnole tourne au ralenti et l’Italie ne va guère mieux. En France, les indicateurs sont également inquiétants.

Cette situation a pour effet de faire monter au ciel les taux d’intérêts des dettes publiques du sud européen, accroissant le différentiel avec l’Allemagne, aggravant la charge de la dette dans les budgets publics au détriment des dépenses socialement utiles et renforçant les craintes d’un étranglement des pays les plus en difficulté : l’Italie et l’Espagne après la Grèce, l’Irlande, le Portugal et Chypre.

Les créanciers s'inquiètent

L’inquiétude quant aux risques sur la croissance et l’équilibre financier de la planète est particulièrement partagée par deux grands créanciers des Etats-Unis et de l’Europe, la Chine et le Japon. La Chine craint pour ses énormes réserves en dollars, accumulées grâce au boom de ses exportations. Le Japon, dont la croissance est faible, s’alarme de l’impact sur ses propres exportations compte-tenu de la flambée de sa monnaie vis-à-vis du dollar.

Que fait donc l’Europe pour contribuer à éteindre l’incendie qui la menace et risque de s’étendre ? Un nouveau sommet extraordinaire va-t-il être convoqué ? Pour quoi faire ? Certains proposent que les pays de la zone euro émettent des emprunts auprès des marchés financiers, des « eurobonds », garantis par les Etats, qui serviraient à soulager les budgets des pays naufragés, d’autres de renforcer la capacité d’emprunt du Fonds de stabilité financière (FESF). Mais rajouter de la dette à la dette, ce n’est pas la solution. Aussi l’idée monte d’une intervention de la Banque centrale européenne (BCE). Cependant, si elle se contente de racheter des titres de dettes publiques grecques, portugaises ou même espagnoles ou italiennes aux banques qui en détiennent, cela risque de soulager davantage celles-ci que les Etats émetteurs.

S'attaquer aux vrais responsables

Pour éteindre l’incendie il faut d’abord s’en prendre aux incendiaires, s’attaquer à la spéculation en instaurant une taxation des transactions financières et un prélèvement spécifique sur les institutions financières qui se sont enrichies au détriment des budgets publics, sachant qu’il faudrait précisément définir la destination de ces deux prélèvements. Il faudrait également remplacer l'actuel Fonds européen de stabilité financière par un Fonds social et solidaire pour le développement européen, comme le proposent le PCF, le Front de gauche et le Parti de la gauche européenne (PGE).
Seraient ainsi émis des titres nationaux de dette publique rachetés directement par la BCE à un taux d'intérêt nul dont les recettes alimenteraient ce nouveau Fonds. Celui-ci serait chargé de les répartir, démocratiquement, entre chaque pays, selon leurs besoins respectifs, dans le but express de développer leurs services publics et leur potentiel de croissance sociale nouvelle.

Publié par l'Humanité

11:15 Publié dans Actualités, Economie, Planète | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, marchés, raisons, france, etats unis | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!